De la chorégraphe britannico-rwandaise Dorothée Munyaneza directrice de la compagnie Kadidi sise à Marseille.
Reçue plusieurs fois à Strasbourg, nous connaissons et apprécions cette artiste pluridisciplinaire qui était très récemment au TNS avec la pièce « Les Inconditionnelles » de Kae Tempest. Au Maillon c’est un spectacle de danse qu’elle nous offre intitulé Umoko, nom de l’arbre sacré du Rwanda, son pays de naissance. Pour ce retour aux sources elle invite 5 jeunes danseurs et 3 musiciens de ce pays et le spectacle commence par le jeu de l’un d’eux sur l’inanga, un instrument typique de ce pays, instrument à bois et à corde dont les résonances nous appellent et nous conduisent vers cette magnifique prestation, une sorte de cérémonie fascinante où dans la lumière tamisée (Lumière et scénographie Camille Duchemin) les prodigieux danseurs se mettent à évoluer.
Il n’est pas exagéré de dire qu’ils sont sublimes, la prestance de leurs corps magnifiée par des tenues rouge et noir d’une grâce et élégance extrêmes (Costumes Stéphanie Coudert). Avec quelle énergie, quelle rapidité ils parcourent l’espace scénique, bondissant, rebondissant déployant bras et jambes comme s’ils devenaient de grands oiseaux, occupant l’espace d’en haut comme celui du sol, esquissant avec une légèreté et une virtuosité époustouflantes les mouvements qui les propulsent en véritables envolées.
C’est une célébration de la vie que nous donnent à voir Jean Patient Nkubana, Impakanizi, Cédric Mizero, Abdoul Mujyambere, Michael Makembe qui n’ont seulement pratiquent cette danse performative avec maestria mais chantent aussi et s’adonnent aux percussions corporelles dont ses clochettes accrochées au mollet de l’un d’eux et ces battements de mains très rythmés, et expressifs.
Tout cela nous transporte dans un ailleurs où la culture est
le socle de la créativité.
Pour nous qui défendons la cause palestinienne depuis de longues années cette prestation d’Ahmed Tobasi a été un grand moment salué avec enthousiasme par un public où la jeunesse était très présente.
Il faut reconnaître qu’Ahmed donne tout de lui-même pour
nous entraîner avec lui dans ce parcours de vie, le sien qui commence dans le
camp de Jénine fondé en 1953 en Cisjordanie pour accueillir les Palestiniens
chassés de chez eux en 1948 à la création de l’état d’Israël, un camp où de
nombreux groupes de résistants se sont armés pour lutter contre l’occupation
israélienne.
Lui est né là, en 1984 et a connu deux Intifada, ce qui
signifie émeutes et répression.
Sur un plateau encombré d’objets hétéroclites (scénographie,
Sarah Beaton) mais choisis pour une certaine pertinence, bidons, valises
éventrées, balais et morceaux de bois marqués du nom du TNS (hommage au théâtre
qui l’accueille et allusion à sa propre destinée théâtrale) en une remarquable
prestation, très animée, très vivante, il retrace les épisodes d’une vie
marquée par le fait d’être né dans un des pires endroits du monde puisque la
liberté et le droit d’y vivre dépendent d’une puissance étrangère.
Drapé dans son keffieh, le grand foulard symbole de la résistance palestinienne, se coiffant ou enlevant son petit calot rouge de combattant (costumes Sarah Beaton) c’est en mimant avec expressivité les situations vécues, les rencontres qu’il nous introduit dans son histoire, montrant la pauvreté du camp, le désordre, l’insalubrité, puis les débuts de sa révolte quand il rêvait d’être Leonardo DiCaprio ou Rambo et qu’à 17 ans après avoir appris que son cousin était mort en kamikaze et qu’un de ses copains avait été tué par un sniper qu’il décide d’entrer dans la lutte armée. Très concrètement on le voit afficher les portraits des morts et parader avec sa kalachnikov, faisant les gestes de tirer. Mais, parenthèse dans cette époque tourmentée de son adolescence, comme pour éclairer ce sombre tableau, il nous révèle son amour pour la jeune Sanaa à qui il fait parvenir ses déclarations par un jeune enfant du camp moyennant récompense. Il joue avec habileté et humour les deux personnages de cette courte fugue, comme il imite l’intervention de son père lui déconseillant de rejoindre les résistants. Qu’à cela ne tienne, il part et se retrouve bientôt arrêté, enfermé dans une prison israélienne dans le désert du Neguev. On l’y voit se désespérer.
A sa sortie, devenu presque fou et très déprimé il veut s’immoler par le feu. C’est alors qu’il croise le Freedom théâtre créé et dirigé par Juliano Mer-Khamis qui lui fait comprendre que le théâtre est la meilleure arme pour lutter et il s’engage à fond dans cette résistance culturelle puis part en Norvège parfaire sa formation. Là, il nous montre sa joie de vivre dans un pays libre, il va et vient sur le plateau en sautant et dansant mais la dure réalité le rattrape quand il apprend la mort de son mentor, Juliano a été assassiné. Il décide de rentrer à Jénine où le nouveau directeur du Freedom théâtre, Mustefa Sheta le retient comme directeur artistique ce qu’il est toujours alors que le camp a été vidé de ses habitants par les dernières attaques israéliennes.
Cette histoire mouvementée c’est celle d’Ahmed écrite par
l’auteur irakien Hassan Abdulrazzak, traduite en français par Juman Al-Yasiri mise
en scène par Zoe Lafferty,
Cette immersion dans la vie d’un palestinien qui, après avoir connu de terribles événements peut dire du théâtre « la voilà ma chance pour tout changer » nous a procuré beaucoup d’émotion.
Elles arrivent en robe de soirée cinq femmes et un homme en costume chic, se présentent, déclinent leur nom, voici Yoseli, Estefania, Noelia, Carla, Paulita et Ignacio, la musique aussi est déjà présente et nous partons vers leur destin dont la première chanson dit qu’on ne le choisit pas. Tous sont jeunes, entre 28 et 40 ans, viennent de passer plus de mille jours dans la prison d’Ezira à Buenos-Aires où a lieu leur rencontre avec la metteuse en scène Lola Arias, une fabuleuse rencontre qui leur a permis de participer au tournage d’un film « Reas » réalisé dans une prison désaffectée et qui met en perspective l’enfermement avec cette pièce de théâtre musical qui évoque principalement la vie après la prison.
Leur présence, leur authenticité, leur capacité au chant, à la narration, à la danse ont subjugué un public, qui sans doute, d’avance les attendait mais s’est révélé totalement réceptif, ému, bouleversé.
Avec un élan sans retenue elles-il s’avancent vers nous pour nous confier les moments délicats, difficiles de leur vie marquée par la pauvreté, les rencontres qui enclenchent la drogue, la prostitution, les séjours en prison et resteront, comme il le sera dit à la fin du spectacle », inoubliables et après lesquels « l’avenir restera à tout jamais marqué et incertain ».
Mais avec quelle ingéniosité artistique ces choses-là sont dites, racontées, exprimées !
D’abord il y a leur présence physique et souvent rapportée en gros plan sur l’écran, encore faut-il la mettre, non seulement sous notre regard mais aussi sur notre écoute car dire, chanter, danser sont autant de moyens pertinents pour témoigner de cette énergie qui souligne l’envie de vivre qui les a fait tenir pendant leur incarcération et de revivre lors du retour à la « vie normale ».
Cela explose dans chacune de leurs interventions, lors de ces rencontres à deux ou plusieurs dans la voiture dont l’imageest projetées sur l’écran et où sont évoquées le mal vécu de l’emprisonnement, les trucs pour tenir, comme pour presque tous les tatouages ou, pour deux d’entre elles, visionner durant des nuits des fims d’horreur, la peur de la police quand on retrouve la liberté les difficultés à retrouver un emploi, la discrimination dont sont l’objet ces femmes et cet homme « trans ».
Ces échanges sont immédiatement suivis de musique trépidante interprétée par certaines soutenues à la batterie par la musicienne Inès Copertino, de chants lancés à pleine voix et par la danse (chorégrahie Andrea Servera), le voguing, ou la cumbia, donnant à l’ensemble le caractère d’une comédie musicale pleine de fantaisie et d’entrain.
Cette œuvre exceptionnelle qui sait allier témoignage et réussite artistique a ouvert un chemin de liberté à ces personnes qui ayant connu le pire nous donnent tout d’elles-mêmes et reçoivent leur juste part par l’ovation du public.
Ce n’est pas un spectacle, ce seul-en-scène de Cécile Laporte mis en scène de Marion Duval est une présence qui ne se dérobe pas et nous conduit dans les artefacts de son histoire là où elle s’est engagée avec ses convictions, ses doutes, ses essais, ses découvertes d’une vraie vie dont elle ne soupçonnait pas qu’elle serait aussi mouvementée. Et pourtant, une des premières expériences qu’elle tient à nous livrer nous la montre toute jeune qui, dans le besoin de trouver un emploi rémunéré accepte d’accompagner un groupe d’handicapés dans un refuge de montagne difficile d’accès alors qu’elle sait à peine conduire et qu’elle n’a pas vraiment l’expérience requise pour faire de l’animation. Et finalement grâce à eux tous elle s’en sort. Thèmes et moments forts viennent à être racontés, mimés parfois illustrés par des photos. Cécile va et vient le long de la scène, la quitte soudain pour aller au plus près des spectateurs.
Un grand moment sera
celui où, revêtant sa tenue de clown, avec masque et perruque, elle évoquera
ses interventions à l’hôpital auprès des enfants pour la plupart atteints d’un
cancer. Grimaces et diction à l’appui, elle nous introduit dans ce monde
difficile, complexe et parfois morbide, sachant être drôle et éviter toute
sensiblerie tant et si bien que l’accompagner dans ce parcours crée en nous
malaise et découverte.
Mais on est au-delà car on touche à la réalité qu’elle soit
dure ou surprenante, elle est toujours une façon pour elle comme pour nous
d’ouvrir les yeux et de nous inviter à poursuivre un chemin qui n’est ni droit,
ni oblique, car il est de ceux que la vie nous oblige à emprunter avec sa part
d’improvisation, de déceptions et d’espoir.
Entre autres thème abordés, celui, délicat de la sexualité,
sans pudibonderie mais avec une délicatesse qui laisse toute sa place à cette
part d’ombre souvent cachée, si essentiellement vitale pour tous, la mêler à l’écologie
et à la sauvegarde des forêts est assez prodigieux, vrai, efficace et ne manque
pas d’humour. On en sort « laver du péché de la chair » et fermement
écologiste.
Passer d’un thème à l’autre n’est pas un problème pour celle qui a pris le parti d’aller vers nous sans réserve, avec la sincérité qui anime bien de ses souvenirs, qu’elle nous livre en une sorte de suites improvisées, et même s’ils peuvent la montrer dans la dernière partie de ce long parcours aux prises avec la folie et emprisonnée en HP, essayant d’échapper à ces énormes marionnettes qui veulent la capturer.
Fort heureusement qu’elle s’en délivre et laisse place sur
la scène à l’énorme tête carnavalesque qui crache sur nous ses confettis
multicolores.
Nous venons de rencontrer une personne exceptionnelle que le
public a fortement appréciée tant sa générosité à partager ses expériences nous
a fait vibrer, nous a impliqué, réveillant nos propres souvenirs, un public qui
n’a pas hésité à suggérer des mots et expressions familières à une comédienne
ravie de ces échanges chaleureux et qui n’a pas hésité à le solliciter avant de
partir à entrer dans la lutte anti colonialiste et à défendre La Palestine.
Spectacle d’une rare intensité qui nous emmène loin de notre quotidien vers des pratiques hors normes autant sur le plan du récit qui a des rapports avec le chamanisme que sur le plan des performances physiques auxquelles des voltigeurs, des porteurs éblouissants, d’une parfaite technicité se livrent devant nous, au plus près de nous assis en rangs serrés autour de la piste et il faut le dire vite médusés, conquis.
Est-ce le rituel de l’enfant mort ou du ressuscité ?
Il arrive tenu par une femme, c’est une marionnette (création
Polina Borissova) aux grands yeux tristes, sur lesquels on pose un bandeau noir
avant de l’envelopper dans une peau de mouton et de le poser au pied du totem
érigé en fond de piste, où sont accrochés des crânes de loup. (scénographie
Oria Puppo).
C’est bien un rituel qui commence là et qui se précise quand
l’obscurité se fait et que d’elle surgissent des individus qui entreprennent
une lourde marche, sorte de danse répétitive, martelant le sol avec vigueur,
tout en poussant de puissants hurlements.(travail chorégraphique Dominique
Duszynski)
On les voir réapparaître avec des masques de loup (Isis
Hauben) et s’adonner à une lutte acharnée qui nous glace d’effroi. Ce sont les
combats d’une extrême violence d’une meute déchainée où, se jeter à corps perdu
sur l’autre, semble être d’une absolue nécessité.
Viennent ensuite ces extraordinaires voltiges et portés
auxquels s’adonnent la voltigeuse Chloé Chevalier souvent envoyée dans les airs
et comme rattrapée de justesse par ses deux acolytes César Mispelon et Franco
Pelizzari Del Valle qui, eux-mêmes, se lancent dans de superbes figures,
soutenus par les porteurs Lucas Elias et Paul Krügener. Nous suivons leurs évolutions
d’une grande virtuosité, le souffle coupé et admirons la chanteuse lyrique
Camille Brault qui les accompagne sur des airs entre autres de Purcell, Bach, magnifiquement
interprétés bien que souvent les porteurs la hissent dans les hauteurs sans
qu’elle se départisse de sa sérénité et de l’attention qu’elle prête à son chant.
Deux violoncellistes, Ambre Tamagna et Claire Goldfarb,en partenaires musicales
offrent un accompagnement soutenu à ces diverses prestations.
A la fin on redécouvre l’enfant-marionnette entre les mains
porteuses et bienveillantes des femmes. Une renaissance en quelque sorte,
un apaisement, comme un espoir que nous transmettent l’écriture et la mise en scène
de Patrick Masset fondateur et directeur du Théâtre d’Un Jour, compagnie
contrat-programmée par la Fédération Wallonie- Bruxelles.
Ce spectacle qui a été ici chaudement applaudi a reçu le
Prix Maeterlinck de la Critique comme meilleur spectacle de cirque 2O22-2023.
Nous avons hautement apprécié cette alliance intelligente du
théâtre, du cirque et de la musique.
Dernière pièce avant les fêtes de fin d’année au TNS. Vrai bonheur d’écoute, vrai plaisir de voirjouer ces musiciens pour une symphonie d’une grande inventivité, d’une incontestable richesse de sons, un travail exemplaire et lumineux qui donne à voir et à entendre une œuvre qui semble se fabriquer sous nos yeux, rien que pour nous, comme un cadeau que l’on reçoit collectivement avec un plaisir manifeste.
Joseph Banderet
Dix-sept musiciens qui évoluent avec une sorte de liberté
qui leur permet de s’organiser en diverses formations et regroupements, ici les
cordes, là les vents mais parfois cordes et vents ensemble, batterie en fond de
scène qu’on déménage et ramène devant selon la nécessité des effets recherchés.
Instrumentistes qui donnent de la voix et nous offrent leur souffle en même
temps que leur jeu démontrant que les deux expressions s’enrichissent
mutuellement.
C’est beau, prenant, parfois bluffant. On sourit de ces
histoires à la fois tristes et drôles où l’on nous conte l’espoir d’un miracle
attendu et jamais réalisé (traduit de l’italien sur écran), « que mon père
ne devienne pas un fantôme » implore celui qui a entrepris un pèlerinage
vers un site de « La Madonna » censée exaucer les vœux mais le
miracle n’aura pas lieu et tout compte fait la relation père-fils semble
meilleure depuis que le père n’est plu. Belle ironie du sort !
La musique et l’histoire deviennent une seule et même expression de l’espoir comme de l’échec et de sa conclusion, elle va et vient à travers les déplacements, les arrangements opérés par les musiciens, maîtres du jeu et nous suivons les méandres, les nuances qu’ils nous proposent, envoûtés par une écoute sensible qui nous conduit vers un autre récit qui évoque celui-là une marche dans la montagne enneigée et nous fait penser à l’écrivain italien De Luca, autre aventurier de la montagne. Un échappé du groupe vient sur le devant du plateau nous expliquer doctement ce qu’est « une plaque à vent », expression qui peut paraître aussi peu adaptée à ce que son nom indique que l’expression »pot aux roses » nous fait-il remarquer, tout cela pour nous dire que ce phénomène constitue un vrai danger, la neige n’ayant alors pas d’assise peut se dérober sous les skis et entraîner la mort, cas que malheureusement j’ai connu car cela est arrivé à un jeune voisin randonnant dans les Pyrénées. Dans le déroulé du spectacle, l’homme enfoui sous la neige arrivera à se dégager et ô Miracle à rester en vie !
Un original spectacle-concert signé avec les musiciens très
engagés de l’orchestre « La Sourde » sous la direction
artistique de Samuel Achache, qui a assuré la mise en scène et de Florent
Hubert, Eve Risser et Antonin Tri Hoang signant la composition.
Le bruit et la fureur, c’est le stade dans toute sa banalité ? oh que non, ce serait peut-être comme une parodie de celui-ci car tout y va encore plus loin que les excès dont il est coutumier, une démonstration en quelque sorte de jusqu’où on peut aller trop loin et pour ce faire, ne pas hésiter à faire appel aux meilleurs comédiens, musiciens qui se révèlent athlètes de haut niveau car leurs performances ne requièrent pas que du souffle et du muscle mais aussi une sacrée résistance pour tenir sans discontinuer une heure durant ces prestations pour ainsi dire hors norme.
Nous voici donc face au vaste plateau occupé, côté cour, par une équipe de sportifs en plein échauffement tandis que, en fond de scène sur des gradins commencent à s’agiter une bande de supporters reconnaissables à leurs longues écharpes et que, tout en haut, une speakerine en tenue rouge annonce dans un micro les noms et spécialités des athlètes, son propos difficile à comprendre se mue soudain en un irrépressible fou rire.
Un métronome en avant-scène est déclenché et tout démarre. Athlètes – musiciens, chacun va vers son poste, curieusement le violoncelliste se couche sous son instrument, le percussionniste commence son déplacement, courant d’une caisse-claire à l’autre avant de taper frénétiquement dessus pendant que la violoniste grimpe sur la poutre avec l’aide de l’escalateur d’espalier et commence à jouer, le regard fixé sur le public, tendant une jambe après l’autre mais maintenant son fragile équilibre, le cinquième se transforme en coureur de fond sur le tapis roulant. Activité incessante, accompagnement musical à saturation, public abasourdi qui découvre bientôt comme un contrepoint tranquille et décalé un pom-pom boy vêtu de blanc, esquissant avec grâce ses pas de danse en agitant ses plumes , traversant le plateau avec sérénité. Drôle et surprenant.
Au vu de toutes ces performances, la bande de supporters se déchaine, ne cesse d’agiter bras et jambes pour encourager ceux qui se démènent sous leurs yeux, ils crient et hurlent leur enthousiasme dans une belle unanimité et ce second groupe est en totale réponse au premier et déploie la même énergie. Mais on n’est pas au bout de nos surprises puisqu’une avalanche de balles de ping pong rebondissent bientôt sur le plateau avant une autre chute intempestive, celle de la pluie qui mouille tout et que les comédiens s’efforcent d’éponger avec leurs tee-shirts.
Un spectacle ludique, intelligent, où l’humour, la fantaisie et la musique s’entremêlent joyeusement pour le très grand plaisir du public.
Un titre comme une assertion qui interroge mais laisse présumer d’une époque et peut-être d’une entrée dans un stand up.
Eric Feldman
Très vite nous en avons la confirmation car le comédien,
Éric Feldman qui nous attend avant de commencer son one-man show semble plein
de patience comme s’il se délectait simplement d’être là près de nous. Assis
sur un petit fauteuil, entre ses documents d’un côté, sa carafe et son verre
d’eau de l’autre, on le sent prêt à nous adresser la parole.
Avec modestie, il se présente à nous en coach qui attire notre attention sur la
respiration qui peut très simplement être un moyen d’atteindre une certaine
sagesse, il suffit d’inspirer le positif et d’expirer le négatif, le tour est
joué, il nous demande de pratiquer avec lui, illico cet exercice. Tout cela
dans le but de célébrer la vie sans oublier la mort. Nous obtempérons et ainsi
se crée, une proximité qui lui permet de se confier à nous dans une sorte de
conversation à bâtons rompus où, il nous conduit dans ses souvenirs, ses
pensées mêmes , en procédant par
association d’idées, méthode revendiquée par la psychanalyse thérapie dont il
nous dit faire partie de son parcours, découverte et utilisée pour se faire
réformer, prétextant son côté obsessionnel et le démontrant, nous raconte-t-il,
en se mettant à ranger le bureau de l’officier chargé d’écouter ses doléances.
La psychanalyse dont il pense que si Hitler l’avait pratiquée,
ses fatales interventions n’auraient sans doute pas eu lieu. Parmi les digressions
dont sont tissées ses propos il fait surgir le personnage d’Hitler d’une
manière, là encore inopinée, quand, se souvient-t-il, après avoir fait l’amour,
une jeune femme lui avait demandé « à quoi penses-tu ? » et
qu’il lui avait répondu « à Hitler ». Ce genre d’effets décalés et
plutôt jouissifs lui permet, en fait d’introduire un devoir de mémoire concernant
La Shoah, car nécessité fait œuvre face à une génération, pour qui, selon lui,
les âges des événements et leur importance se confondent et qu’on ne situe plus
très bien, par exemple, la guerre de cent ans !
Alors, quid de La Shoah, comment l’aborder, par quels détours y arriver car il faut y arriver même s’il faut emprunter des chemins tortueux, ce qu’il met en pratique dans ce one man show dans lequel il fait surgir des membres de sa famille, comme tonton Lucien et Tata Sarah, les rendant vivants par des anecdotes parfois drôles à leur sujet. Ainsi apparaissent, les différentes générations, la sienne, celle de ses parents, enfants traumatisés rescapés de la Shoah et les grands-parents qui en furent victimes .
Dans ces digressions il cite le grand écrivain d’origine
juive polonaise Isaac Bashevis Singer, ne résistant à faire un clin d’œil aux
machines à coudre de la marque Singer !
Que de sujets en enfilade, où il semble passer du coq à l’âne,
évoquant par exemple la prononciation souvent erronée du nom
« Auschwitz », les commandements de Dieu dont le sixième est »
Tu ne tueras pas », le meurtre d’Abel par son frère Caïn et sa
réflexion « Suis-je le gardien de mon frère ? », le
suicide…
En fait c’est l’art de sortir du sujet sans changer de sujet et nous y retrouvons l’art de l’humour qu’Éric Feldman pratique ici avec dextérité dans cette mise en scène d’Olivier Veillon.
Il nous parlera même de la création du Club Med qu’il voit comme
une espèce de « contre camps » après
ceux meurtriers de la guerre et terminera sur un chant et une danse en
yiddish, la langue des Juifs d’Europe
centrale.
Rappelons qu’au fil de ses pensées, bien plus cohérentes
qu’il n’y paraît, il fait entendre cette phrase d’André Malraux « La vie
ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ».
Si comme il le dit, il voulait « dans cette autofiction
dépasser son histoire personnelle, toucher le cœur des gens et célébrer la joie
d’être vivant » sa prestation est une parfaite réussite.
Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope
Représentation du12 novembre au TNS, en salle jusqu’au 22 novembre
Créé au Maillon, ce spectacle été conçu, mis en scène et scénographié par Nathalie Béasse qui dit avoir été très inspirée par un tableau du peintre américain de la fin du XIXe siècle, Whistler, elle qui a été formée entre autres à l’Ecole des Beaux-Arts d’Angers et manifeste un goût certain pour les arts visuels.
Il ne se raconte pas, il faut le voir. Il n’est pas une
suite de scènes mais de tableaux, tous plus surprenants, déroutants les uns que
les autres, plongeant les spectateurs dans l’expectative, comme l’ont bien perçu
les comédiens qui, lors du salut, sentant une légère réticence dans les
applaudissements, nous regardaient avec un petit air entendu.
Il ne s’agit pas dans ce spectacle de suivre le fil mais
d’apprécier le tissu, en l’occurrence ce velours que le titre évoque et qui est
la matière de l’immense rideau de scène d’un rose passé que nous sommes en
quelque sorte sommés de contempler pendant que résonnent des sons qui font
penser à une pluie devenant de plus en plus torrentielle. Un rideau, donc,
derrière lequel se cachent les comédiens qui, en le poussant, l’écartant,
opèrent de brusques apparitions et font advenir des situations plus ou moins
loufoques, dont ils sont souvent très brièvement les protagonistes.
C’est ainsi qu’après l’avoir vu frémir, entre ses pans
serrés, une tête de jeune fille émerge et s’élève mystérieusement. Puis un
homme fait son entrée en le repoussant, avance d’un pas décidé, ouvre sa valise
qui ne contenait que trois bûches et les laisse rouler sur le sol sans en être
autrement ému. Il en sera de même lorsqu’un deuxième personnage, tout aussi
énigmatique que le précédent fera choir sur le sol d’énormes cailloux et
disparaitra sans s’en préoccuper.
Il faut se laisser conduire sans vouloir dégager un sens
précis à ce qui est proposé, à chacun d’en faire une histoire, alors, quid de
la jeune fille qui avance délibérément vers cet ours bibendum qui la serre dans
ses bras avant qu’elle ne se fasse avaler et joue avec lui à l’intérieur de son
corps.
Ainsi allons-nous de surprises en étonnements, par exemple
en écoutant l’homme en costume blanc nous faire un cours en italien sur le
quattrocento sans voir l’araignée qui grimpe sur son costume ou lorsqu’une
jeune fille en robe blanche vient à passer, serrant contre elle une plante
verte et que soudain on la voit faire des mouvements de bouche et se mettre à
cracher…des fleurs !
Quand le grand rideau est affalé l’espace scénique nous est révélé, encombré d’objets et d’autres rideaux, plus ou moins suspendus ou tirés. Il est aussi le théâtre d’un jeu dont l’élément essentiel est une sorte de grand lit pouvant servir d’estrade ou de podium selon que les comédiens s’y propulsent ou qu’ils le transforment en lieu d’exposition pour y montrer des animaux empaillés dont un chien pour lequel mille recommandations sont faites sans qu’on en comprenne la raison et qu’on n’y perçoive autre chose que les obsessions de l’installateur. Il y a aussi un canard, une biche, une tête de sanglier encore emballée qui servira de cale quand on essaiera de placer debout un soldat en uniforme austro-hongrois, genre soldat de plomb mais grandeur nature. Drôle de le voir s’animer tout à coup avant d’aller s’asseoir sur le rebord de l’estrade. Non, il n’était pas en cire !
Les propositions se multiplient, on fait tourner l’estrade
de plus en plus vite, les grosses pierres placées dessus sont propulsées dur le
sol. Rythme, animation semblent les maitres mots ce cet acte ludique. Puis on
retire l’estrade pour laisser la
comédienne apparue entortillée dans de nombreuses étoffes nous offrir une
séance de strip tease à sa manière, à
l’arrache, jetant violemment une couche de tissu après l’autre avant d’aller
positionner une armure sur sa poitrine, et la frapper avec un bâton, s’écrouler
en martyre pour devenir une sorte de Jeanne
d’Arc, encore une allusion surprenante, ubuesque sur un fond de musique
baroque.
Si le rire ou le sourire ont lié les spectateurs, ceux-ci ont frémi de concert à l’idée de se faire envelopper par l’immense rideau rouge déployé sur la scène et volant vers nous mais bientôt retiré sur l’air des Pêcheurs de perles de Bizet.
Les interprètes, Etienne Fague, Clément Goupille, Aimée-Rose Rich sont d’autant plus inénarrables qu’ils gardent la plupart d temps l’air impassible devant ces situations burlesques qu’ils contribuent à produire ou à subir.
Un spectacle pour célébrer l’inventivité, faire travailler
l’imaginaire .
Tous les ingrédients sont réunis pour faire de cette pièce le témoignage bouleversant qu’il veut être et pourtant nous avons ressenti comme une difficulté à y adhérer et n’avons pu partager totalement l’enthousiasme du public qui l’a chaleureusement applaudie.
Cependant nous devons retenir nombre de points positifs pour ce spectacle de près de deux heures qui nous conduit entre les murs d’une prison où se sont rencontrées deux femmes Chess (Grace Seri) et Serena (Bwanga Pilipili) purgeant leur peine. Leur cohabitation a construit une amitié amoureuse e qui va être sérieusement mise à l’épreuve par la séparation qui s’annonce, Serena venant d’obtenir sa libération conditionnelle.
Le texte de la pièce écrit en 2015 sous le titre anglais de « Hopelessly Devoted » par la non-binaire Kae Tempest connu(e) pour sa poésie, son théâtre, sa musique a suscité chez la chorégraphe, chanteuse et actrice d’origine britannico-rwandaise, Dorothée Munyaneza le désir de le mettre en scène après en avoir assuré la traduction.
Nous assistons à sa création, ce jour au TNS.
Pour représenter l’espace carcéral, la scénographe Camille Duchemin
met en place sur le sol un grand damier dont les lignes sont comme les barreaux
de la prison, toutefois lorsqu’à certains moments on le soulève apparaissent de
nombreuses lignes d’écriture évoquant les textes que Chess écrit pour les
chansons qu’elle chante parfois qui agacent ceux qui lui reprochent de faire du
bruit mais constituent son échappatoire.
En fond de scène d’épaisses tentures ferment le lieu laissant deviner la présence constante des surveillantes dont l’une d’elle (Davide-Christelle Sanvee ) vient régulièrement pour emmener Chess auprès d’une intervenante Silver(Sondos Belhassen) qui, malgré les résistances de Chess, veut la conduire à produire ses chansons. Munie de sa boite à rythmes elle finira par obtenir gain de cause. Les rencontres ont lieu à « l’atelier » qui n’est autre que la deuxième moitié de l’espace scénique, sa mise en lumière le matérialisant pendant que l’autre, la « cellule » reste dans l’ombre.
Quand les deux codétenues se retrouvent c’est pour évoquer
les angoisses de Serena qui se demande comment sera sa vie après la prison, les
encouragements de Chess, leur douleur d’être séparées de leurs enfants,
l’espoir pour Chess que Serena une fois dehors pourra retrouver sa fille Kayla
pour laquelle elle a composé une chanson. Dans cette mise en scène, on nous les
montre souvent serrées l’une contre l’autre pour se soutenir, se réconforter ou
se lançant parfois dans des danses qui expriment leur désir de liberté. Peut-être
cela nous a-t-il paru assez convenu…
La mise en scène attache une grande importance à l’allure physique de ces femmes très belles que l’incarcération ne semble pas avoir gâchée. Il faut dire que leurs uniformes de détenues restent très esthétiques, des salopettes vertes plutôt seyantes, quant à l’intervenante elle se présente toujours dans des tenues qui soulignent son élégance de jolie femme blonde(costumes Lila John) peut-être ce décalage avec le contexte , nous a-t-il interrogés…
Un des atouts de ce spectacle c’est l’implication des comédiennes qui s’adonnent de tout leur corps à cette quête de leur autonomie, de leur amour et de la liberté, cela passe aussi en grande partie par la musique, les chansons de Kae Tempest et Dan Carey revisitées par le musicien Ben LaMar Gay et qui émaillent l’ensemble de cette production.
Une pièce qui nous permet d’aborder le monde carcéral qui ne
cesse de poser bien évidemment le problème de la liberté.
Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope
Représentation du 5 novembre au TNS, en salle jusqu’au15 novembre