Le miracle d’Amsterdam

© OperaClick
© OperaClick

L’Amsterdam Baroque Orchestra and Choir et son emblématique chef, Ton Koopman, étaient de passage à Bordeaux

Amateurs ou novices, tous savent qu’en matière de musique baroque, il y a quelques orchestres et chefs à ne pas manquer si l’on veut écouter ce qui se fait mieux. Assurément, l’Amsterdam Baroque Orchestra and Choir conduit par son chef fondateur, Ton Koopman, fait partie de ces quelques ensembles de niveau international qu’il ne faut pas rater.

Et pour tout dire, dans ce magnifique auditorium de Bordeaux, le public venu en nombre n’a pas été déçu. Veille de réveillon oblige, le programme présentait l’Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach, cette œuvre composée en 1734 à la gloire de la Nativité. Œuvre importante du Cantor de Leipzig, cet oratorio comporte six parties dont quatre seulement sont interprétées de nos jours. L’Amsterdam Baroque Orchestra and Choir avaient cependant choisi un découpage inhabituel en retenant la quatrième partie plutôt que la sixième en plus des trois premières.

L’ABO a une fois de plus été à la hauteur de sa réputation notamment avec ses vents si performants (Antoine Torunczyk se hissant au niveau d’un Marcel Ponseele notamment dans la quatrième partie), la clarté de ses percussions grâce à Luuk Nagtegaal et l’extraordinaire trompette de David Hendry, courtisée dans le monde sans oublier bien évidemment les cordes menées par un David Rabinovich très en forme.

Ton Koopman conduisit avec son enthousiasme habituel et si contagieux « son » orchestre fondé en 1979, accompagnant à l’orgue comme à son habitude tel instrumentiste ou tel chanteur. L’osmose fut ainsi parfaite entre le chœur, l’orchestre et les chanteurs, ces derniers venant parfaitement s’insérer dans l’interprétation. Très expressifs, les chanteurs offrirent une magnifique complémentarité comme le voulait à l’origine Bach. La très belle sensibilité du contre-ténor Maarten Engeltjes, notamment dans la deuxième partie « Und es waren Hirten in derselben Gegend » répondit parfaitement à la tessiture si douce de Klaus Mertens, basse recherchée par les plus grands chefs baroques (Jacobs, Herreweghe, Harnoncourt ou le regretté Brüggen) et vieux compagnon de Koopman avec qui il a notamment enregistré l’intégrale des cantates de Bach. Même si l’oratorio laisse peu de place à la soprano, Yolanda Arias Fernandez fit tout de même briller son incroyable voix notamment dans son formidable duo avec Mertens dans la troisième partie « Herrscher des Himmels, erhöre das Lallen » puis dans l’aria (n°39) de la quatrième partie « Fallt mit Danken, fallt mit Loben » dont l’écho avec l’une des sopranos du chœur fut proprement magnifique.

A la différence d’autres ensembles et d’autres chefs, l’Amsterdam Baroque Orchestra n’est jamais tonitruant, furieux. La musique qu’il répand tout en douceur nous interpelle en même temps qu’il délivre le message de Noël et de Bach. En l’entendant, on comprend mieux pourquoi Emmanuel Kant qualifiait la musique de langue des émotions.

Laurent Pfaadt

Le roi des peintres

VelazquezMagnifique ouvrage autour de l’œuvre de Velázquez

Il fut un géant de la peinture et demeure à jamais dans la mémoire des Espagnols comme leur plus grand peintre. Il éclaira de son génie une civilisation qui domina des armes et des arts l’Europe entière et fut le diadème du siècle d’or espagnol. Philippe IV d’Espagne gagna de nombreuses batailles, de Breda à Nordlingen en passant par Cadix mais aucune d’entre elles ne lui valut cette immortalité que lui consacra Diego Velázquez. Sans lui, le catholicisme espagnol ne serait jamais sorti des ténèbres de l’Inquisition. Il lui offrit la lumière de ses toiles. Après lui, l’art fut bouleversé à jamais. Oui, Diego Velázquez compte avec Van Eyck, Michel-Ange, le Caravage, Rubens parmi ces artistes qui révolutionnèrent la peinture.

L’ouvrage d’anthologie publié par les éditions TASCHEN de José Lopez-Rey, historien de l’art espagnol qui reste à ce jour l’un des plus grands spécialistes du peintre né en 1599 en Andalousie, reflète merveilleusement ce génie. Ouvrage de collection autant que livre d’érudition, il se lit autant qu’il se touche. Mais surtout, il n’omet rien du testament du maître qui compte, selon les calculs des spécialistes, entre 120 et 125 œuvres peintes et dessinées.

Très didactique et suivant naturellement une progression chronologique, en plus d’être d’une beauté iconographique rarement atteinte, l’ouvrage montre bien les diverses influences dont Diego Velázquez s’imprégna durant ces jeunes années : celle d’un Greco (perceptible notamment dans son Couronnement de la vierge) et de son clair-obscur si particulier ; ou celle d’un Titien qu’il admirait par-dessus tout et qu’il eut l’occasion de copier lors de son premier séjour en Italie entre 1628 et 1631. Mais Velázquez ne devint pas Velázquez sans Gaspar de Guzman, le Comte-Duc d’Olivares, favori de Philippe IV qui favorisa la carrière de son compatriote andalou à la cour et finalement, ne fit que donner l’impulsion nécessaire au génie du peintre.

Bien entendu, ses chefs d’œuvre les plus connus sont là, tels les Ménines, la Vénus à son miroir mais on y trouve aussi des toiles moins connues comme le Portrait de Francesco II d’Este ou l’incroyable Saint Thomas conservé au musée d’Orléans sans oublier évidemment les innombrables portraits de Philippe IV, de la famille royale, de nobles, de cardinaux, de bouffons ou de nains qu’il humanisa ou de lui-même. Avec un chapitre qui leur sont particulièrement dédiés, les portraits de Philippe IV sont mis en exergue et l’auteur détaille avec précision les différentes allégories déployées dans ces portraits. « Ceux qui sont parvenus jusqu’à nous montrent qu’il a constamment donné au roi une présence vivante, en substituant une attitude détendue d’autorité innée à ce qui était manifestement pour lui la redondance de l’allégorie » écrit ainsi José Lopez-Rey. D’ailleurs, le monarque récompensa Velázquez bien modestement en l’anoblissant, fait rarissime pour un peintre.

Le portrait du pape Innocent X, conservé à la galerie Doria Pamphilj à Rome, qui ouvre l’ouvrage est d’une beauté à la fois fascinante et redoutable. Réalisé lors de son second séjour à Rome entre 1648 et 1651 et qui connut une grande renommée à l’époque, ce portrait est à la croisée des chemins de l’histoire de la peinture puisqu’il contient dans cet art propre à Velázquez toute l’influence du Titien et dégage, à travers le regard d’acier du pape et le tourbillon de carmin et de blanc, cette puissance que saura en tirer quelques siècles plus tard Francis Bacon. « Aucune reproduction ne peut aussi bien transmettre l’impact quasi physique du tableau original de cet homme sévère, vieux et laid, assis dans un énorme fauteuil » dira la grande spécialiste du peintre, Enriqueta Harris.

Véritable tombeau littéraire et artistique du maître andalou orné de ses plus beaux joyaux, on ne se lasse pas de tourner ces pages pour y croquer des yeux ces reproductions – comme y admirer en gros plan les rubans roses de la reine Marie-Anne d’Autriche – puis, quelques pages plus loin, y revenir une fois de plus, les yeux pleins de gourmandise. L’ouvrage procure un sentiment permanent de curiosité inassouvie. On veut continuer à le regarder, à l’admirer. Les grandes pages se déplient tels des parchemins anciens pour y découvrir ces trésors, ces toiles monumentales telle la reddition de Breda qui se découvre et se déploie sous nos yeux ébahis.

L’ouvrage refermé, les amoureux du peintre ne devront patientier que quelques semaines puisqu’une grande exposition autour de l’œuvre de Velázquez se tiendra au Grand Palais à partir du 25 mars 2015. Et si l’attente est trop longue, il faudra bien rouvrir une fois de plus ce musée ambulant…

José Lopez-Rey, Wildenstein Institute, Velázquez, l’œuvre complète, TASCHEN, 2015

Velázquez, Grand Palais, Galeries nationales, 25 Mars 2015 – 13 Juillet 2015

Laurent Pfaadt