Rendez-vous avec la mort

Plusieurs ouvrages reviennent sur la chute de la Troisième République entre mai et juillet 1940

A chaque printemps, l’histoire de France se met à paniquer, à suer, à bégayer. A chaque printemps, un choc post-traumatique vient frapper notre mémoire. Celui d’une défaite cinglante, inattendue, violente. Celui d’une démocratie confisquée. Celui d’une République, pour reprendre les mots de la grande historienne Michèle Cointet qui signe un nouvel ouvrage sur cette question, assassinée. Voilà donc pourquoi, plus de soixante-dix ans après les faits, cette question continue de nous hanter. Celle d’un meurtre. Prémédité, aucun doute là-dessus et savamment élaboré. Les coupables ont été certes désignés, arrêtés et jugés. Pour autant des zones d’ombre subsistent. Comme un cold case qui n’a pas révélé tous ses secrets, toutes ses zones d’ombre.


Notre premier enquêteur est un historien, fonctionnaire du Sénat, Hugo Coniez qui signe là son premier ouvrage chez Perrin et reprend, en quelque sorte, une enquête laissée dans les rues de Bordeaux où le gouvernement s’est réfugié le 15 juin, par l’avocat Gérard Boulanger, dans son ouvrage passionnant, A la mort la gueuse ! (Calmann-Levy, 2006). Car c’est bien d’elle qu’il s’agit. De la gueuse, cette république honnie par les maurassiens et autres séides de l’extrême-droite, cette putain démocratique protectrice des juifs qu’il faut abattre. Déjà, l’avocat parlait de liquidation. Dans le dos, froidement. Des coups de feu tirés par ces parlementaires et militaires qu’Hugo Coniez dévoilent dans un brillant jeu de masques. Notre fonctionnaire, expert en assassinats politiques sur la moquette feutrée de la Haute assemblée, sait de quoi il parle et nous emmène dans ces officines, ces antichambres où le drame s’est joué en suivant, au jour le jour, les criminels, militaires et  politiciens, mais aussi ces messagers du désastre et parmi eux le plus illustre des Français. Pas de miracle, la victime était déjà morte malgré quelques soubresauts et un coup de grâce le 10 juillet 1940. La mort de la IIIe République est comme une intrigue à la Agatha Christie avec son crime, ses suspects et son implacable et machiavélique mécanique qu’Hugo Coniez dévoile avec talent en insistant sur tel détail qui nous avait échappé ou sur tel épisode oublié en bon Hercule Poirot de l’histoire qu’il est.

Et lorsque ce dernier laisse place à Miss Marple, la mystérieuse affaire de style se transforme en jeu de glaces dans lesquelles se reflètent militaires et politiques. Michèle Cointet, grande spécialiste de l’histoire de France durant la seconde guerre mondiale, ancienne élève de René Remond et autrice de la Nouvelle histoire de Vichy (Fayard, 2011) reprend à son tour l’enquête. Et il faut bien dire que celle-ci est brillante. Dans cet essai qui court comme un thriller historique, à la fois savant et intelligent et où ne subsiste aucun temps mort, Michèle Cointet débarrasse les faits de ses oripeaux idéologiques pour restituer la vérité dans sa plus cruelle nudité. Car, oui, il y a bien eu un crime perpétré à Paris, à Bordeaux et à Vichy où la victime a été « exécuté » les 9 et 10 juillet 1940.

Le crime ayant été démontré, notre détective convoque alors dans le salon de l’histoire, les principaux protagonistes et expose : « Bénéficiant de la reconstitution critique et claire des faits précédemment exposés, du recul du temps, de la fin de la censure, en parti compréhensible et involontaire des acteurs-victimes, ainsi que de l’apaisement des passions apporté par le temps, l’historien examinera les responsabilités comparées des militaires et des dirigeants politiques dans l’armistice et dans la destruction de la IIIe République ». Agatha Christie s’avoure les biscuits de la comtesse de Portes, la maîtresse de Paul Reynaud, l’un des personnages de ces deux livres. Passant de ce maréchal qui voulut le pouvoir comme « un couronnement de sa vie », à ces politiques qui « laissèrent mourir la République » en souhaitant un armistice républicide, Michèle Cointet pointe alors du doigt un homme, cet ancien président du Conseil qu’elle désigne comme l’assassin : Pierre Laval. Le jugement est clair, implacable. De quoi permettre enfin à l’histoire de dormir tranquille.

Par Laurent Pfaadt

Hugo Coniez, La Mort de la IIIe République, 10 mai – 10 juillet 1940 : de la défaite au coup d’État
Chez Perrin, 368 p.

Michèle Cointet, La République assassinée, mars-juillet 1940, Bouquins
Aux éditions Robert Laffont, 336 p.