Christophe Prime revient sur l’engagement des Etats-Unis durant la seconde guerre mondiale
Bien avant d’avoir prononcé cette fameuse formule, Madeleine Albright, enfant juif tchécoslovaque ayant fui son pays avant la seconde guerre mondiale et devenu l’une des plus importantes secrétaire d’État des Etats-Unis du siècle passé, mesura combien son pays d’adoption fut la nation indispensable à la victoire des Alliés sur les forces de l’Axe notamment le Troisième Reich et le Japon. C’est ce que raconte Christophe Prime, historien du mémorial de Caen dans un livre absolument remarquable, résultat d’un travail de cinq années qui s’appuie sur des archives officielles mais également sur des correspondances, des films et la presse pour croiser histoires singulières telles celle d’Eugène Sledge qui consigna ses souvenirs et grande Histoire. Un livre qui observe la guerre à la fois depuis un bombardier B17 Flying Fortress dans le ciel européen qu’au bout d’une baillonnette de la jungle de Saipan ou dans le lit d’une mère d‘un soldat du Kansas.
Astucieusement, à la manière d’un historien anglo-saxon, Christophe Prime analyse l’engagement des Etats-Unis sur le temps long et fait remonter le début de cet engagement en 1933. Franklin Delano Roosevelt vient d’être élu à la présidence des Etats-Unis, quelques mois après Adolf Hitler. Visionnaire, il met alors en place, progressivement, une véritable économie de guerre qui se matérialisa notamment, dès mai 1940, par le CDAAA (Committee to Defend America by Aiding the Allies) visant à aider les alliés et notamment la Grande-Bretagne.
Jusqu’au fatidique 7 décembre 1941 et l’attaque de Pearl Harbor que traite presque heure par heure notre auteur tout en démontant la thèse ayant longtemps prévalu et selon laquelle Roosevelt aurait su mais aurait laissé faire pour entériner son choix d’entrer en guerre.
Bien évidemment, le livre ne fait pas l’impasse sur les grands théâtres d’opération que furent l’Europe de l’Ouest, le Pacifique et l’Afrique du Nord avec quelques-unes des grandes batailles du conflit comme Midway, les Ardennes ou Arnhem. Des efforts dans la formation, l’armement et la structuration de l’armée américaine opèrent une révolution permettant de « mettre sur une pied une armée en avance sur son temps capable de mutualiser ses forces, à un niveau très supérieur à celui des autres armées » selon Christophe Prime.
Malgré ces considérations fort pertinentes qui le rapprocheraient d’un John Keegan, la plus-value de ce livre est presque ailleurs tant ce dernier brille par son exhaustivité. Il emmène le lecteur du Homefront aux champs de l’Amérique profonde, de l’intégration des minorités dans les différents corps d’armée à la course à l’atome. Des secteurs jugées insignifiants prennent soudainement toute leur importance sous sa plume comme ce courrier qui remonte le moral des troupes.
Pendant longtemps, comme il le rappelle, la seconde guerre mondiale a été la « good war » en comparaison avec celles qui allaient suivre et notamment l’engagement des Etats-Unis au Vietnam. Une guerre avec cependant, ses zones d’ombre que la propagande, à grand renfort de cinéma, a voulu gommer et que l’auteur aborde. Les viols de femmes notamment en France – pourtant sévèrement réprimés – et surtout l’internement de citoyens américains d’origine japonaise, les Nisei, ces enfants des premiers émigrants nés à l’étranger, dans des camps notamment à Tule Lake en Californie sont ainsi traités. Cela n’empêcha d’ailleurs pas d’autres Nisei de s’illustrer avec bravoure sur le front occidental, certains d’entre eux libérant même le camp de Dachau en avril 1945.
Au final, le livre de Christophe Prime a tout de l’ouvrage de référence et restitue avec objectivité l’engagement d’une nation ayant contribué à la victoire finale sur le nazisme et le Japon. Un livre en somme déjà indispensable. Madeleine Albright n’aurait pas dit mieux.
Par Laurent Pfaadt
Christophe Prime, L’Amérique en guerre 1933-1946,
Chez Perrin, 624 p.
A lire également :
Eugène B. Sledge, Frères d’armes, traduit par Pascale Haas et préfacé par Bruno Cabanes, coll. Tempus, éditions Perrin, 576 p.
Mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/selection-poches/
Fantômes, le très beau roman de Christian Kiefer (traduit de l’anglais par Marina Boraso, Albin Michel, 2021) qui évoque le destin des Nisei durant le conflit
Mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/fantomes/