Femmes en clair-obscur

Au Kunstmuseum de Bâle, une exposition met en lumière quelques femmes peintres tout en demeurant incomplète

Alors même qu’il n’était pas interdit de s’adonner à la peinture, nombre de femmes dotées d’un talent certain vécurent dans l’ombre d’un père, d’un mari ou d’un maître et il fallut attendre près  d’un demi-millénaire pour qu’enfin, justice leur soit rendue.


Marietta Robusti, La Tintoretta, Auportrait avec Jacopo Strada, Gemäldegalerie Alte Mesiter, Staatliche Kunstsammlungen Dresden
Copyright: bpk / Staatliche Kunstsammlungen Dresden / Hans-Peter Klut

Aujourd’hui l’exposition du Kunstmuseum de Bâle permet de redécouvrir, de l’Italie à la Suisse et de la France aux Provinces Unies, ces femmes de génie qui égalèrent parfois leurs proches et maîtres jusqu’à ne plus savoir à qui attribuer la paternité ou la maternité d’un tableau comme ce magnifique Vieil homme et un garçon (1565) dont on ne sait s’il provient de Jacopo Robusti dit le Tintoret ou de sa fille la Tintoretta, Marietta Robusti de son vrai nom (1554/55-1614). Cette dernière est ainsi, en l’absence d’Artemisia Gentileschi, la figure de proue de cette exposition qui traverse les époques, du baroque au XIXe siècle en passant par le maniérisme, à la rencontre de celles qui rivalisèrent avec les grands peintres de leur temps. L’exposition présente trois tableaux de la Tintoretta dont son Autoportrait avec Jacopo Strada figurant l’antiquaire de l’empereur Maximilien. Le Habsbourg fit d’ailleurs venir la Tintoretta à la cour, lui conférant une relative notoriété que son père étouffa, reléguant sa fille dans un rôle de peintre subalterne.

Des femmes qui excellèrent tant dans la peinture religieuse que dans le portrait ou la nature morte. L’art de Lavinia Fontana (1552-1614) témoigne ainsi d’une extraordinaire maîtrise des scènes religieuses particulièrement explicite dans ces œuvres venues du Palazzo communale d’Imola notamment cette Nativité du Christ de toute beauté. Pour autant, il manque son Portrait du pape Grégoire XIII et son Autoportrait resté au musée des Offices de Florence. L’exposition permet malgré tout assez judicieusement de comparer les apports et les influences de l’art de ces femmes avec celui de leurs parents ou maîtres. Ainsi dans la technique de Sofonisba Anguissola (vers 1532-1625), professeur et peintre d’Elisabeth de France, reine d’Espagne, se distingue le trait et le style maniériste d’un Bernardino Campi.

A l’autre bout de l’Europe, d’autres femmes transcendèrent leur art. Il n’y a qu’à admirer la technique et les couleurs d’une Michaelina Wautier (1604-1689), sœur de Charles Wautier avec qui elle partagea un studio à Bruxelles, qui n’eurent rien à envier à ses contemporains. Sa renommée était pourtant bien réelle, le gouverneur des Pays-Bas espagnols, Léopold-Guillaume de Habsbourg achetant même quelques-unes des toiles de l’artiste pour sa galerie personnelle. Les œuvres de Michaelina Wautier constituent assurément les plus belles pièces de cette exposition notamment son Portrait du duc d’Albuquerque. La France ne fut pas en reste avec la présence dans l’exposition de Louise Moillon (1610-1696) et ses très belles natures mortes venues du musée des Beaux-arts de Strasbourg, une peintre hexagonale annonçant une Elisabeth Vigée-Lebrun également absente.

Parfois, ces femmes éduquées durent composer avec leur vie de famille, en mettant comme Anna Dorothea Therbusch (1721-1782), femme d’Ernst Friedrich Therbusch, leur vie d’artistes entre parenthèses avant d’y revenir plusieurs années plus tard. Il fallut, en revanche, plusieurs siècles pour prendre pleinement en considération leurs existences. C’est désormais chose faîte avec cette exposition.

Par Laurent Pfaadt

Femmes de génie, les artistes et leur entourage, Kunstmuseum Basel, jusqu’au 30 juin 2024

A lire également le catalogue accompagnant l’exposition : Geniale Frauen – Künstlerinnen und ihre Weggefährten (allemand), D, Bucerius Kunst Forum, Kunstmuseum Basel, Hirmer, 288 p. 2023