Vampire weekend

Dans son nouveau roman, l’auteure roumaine Dana Grigorcea nous offre une formidable variation du mythe de Dracula

Cela ne devait être qu’un retour au pays auprès de cette tante Margot qui contribua à façonner, dans cette vieille bâtisse au charme suranné, ses souvenirs d’enfance. Cela se transforma en un voyage fantastique dans les légendes transylvaniennes et plus particulièrement dans celle du roumain ou plutôt devrait-on dire du valaque le plus célèbre de l’histoire, le comte Vlad Dracul dit l’Empaleur, ce noble du XVe siècle qui lutta contre les Turcs dans ces contrées obscures aux forêts brumeuses et aux chemins escarpés.


Celui qu’emprunte notre artiste peintre venue de la ville ne s’éleva pas sur les flancs de cette colline où périt Diana, première victime de ce roman à la trame romanesque tendue comme un arc mais descendit plutôt dans une sorte de tombeau littéraire où le lecteur manque progressivement de souffle et avale les pages sans s’arrêter afin d’happer un peu d’air comme on cherche son salut.

Quand notre héroïne est-elle devenue un vampire ? On ne s’en souvient déjà plus. Peut-être durant cette nuit où elle croisa celui dont elle ne dit jamais le nom, celui dont on se demande s’il est réel après tout. Le doute, voilà la grande réussite du roman qui a reçu le prix suisse de littérature en 2022. Celui qu’instille Dana Grigorcea comme un sang contaminé qui se répand dans la société post-communiste roumaine et nous fait hésiter en permanence entre rêve et réalité, entre mythe et vie réelle avec des allers retours incessants avec l’Histoire pour démythifier le personnage de l’Empaleur et de revivifier avec talent son mythe dans une époque post communiste qui souhaite en construire un autre, mercantile celui-là.

Car les boyards qui ont trahi Vlad Dracul ne sont pas morts et il revient à notre héroïne devenue sa descendante de châtier leurs héritiers. L’histoire est un éternel recommencement a dit un grand historien antique. Les vampires, eux, l’ont compris mieux que quiconque car, à l’inverse des mortels, ils ont le temps pour eux. Et à la manière des variations Goldberg, Dana Grigorcea joue avec talent de cette partition littéraire. Il y a indiscutablement du Bram Stoker, ce Bach du gothique dans ces lignes, dans cet amour d’outre-tombe pour Ecaterina et ses petits souliers que Dana Grigorcea agrémente de quelques touches qui font penser à Anne Rice.

Plus qu’une copie, ce roman est assurément un tableau de maître. Le Caravage des vampires a trouvé son Artemisia Gentileschi.

Par Laurent Pfaadt

Dana Grigorcea, Ceux qui ne meurent jamais, traduit de l’allemand par Elisabeth Landes
Les Argonautes, 276 p.