Le 13e homme

Cinquante cinq-ans après sa conquête, la lune fascine toujours autant comme en témoigne séries, films et livres

Le 21 juillet 1969, à la tête de la mission Apollo XI, Neil Armstrong posait le pied sur la lune. Avec Buzz Aldrin et Michael Collins, il fut l’une des vingt-sept personnes ayant survolé le seul satellite de la terre et le premier des douze à avoir foulé le sol lunaire. Il fut surtout celui qui redonna aux États-Unis sa fierté bafouée par une URSS et son champion, Iouri Gagarine.


Deux hommes pour un rêve. Deux hommes pour une lutte. C’est ce que rappelle Frédéric Martinez dans sa brillante biographie croisée. Deux enfants de condition modeste, amoureux des livres qui trouvèrent dans les étoiles la matérialisation de leurs rêves de papier.

Tandis qu’Armstrong, ce piètre conducteur se battait en Corée, Iouri Gagarine se morfondait dans une fonderie et manqua de peu la radiation dans son école de pilotes. Tous deux forgèrent malgré tout leurs légendes. D’une plume particulièrement vivante et explosive comme une Saturn V, Frédéric Martinez nous conte l’histoire de ces deux hommes, de part et d’autre du rideau de fer. Deux hommes qui se ressemblaient. Deux rêveurs jamais rassasiés.

Fin des années 50, l’URSS surprend le monde en plaçant le spoutnik, le premier satellite, dans l’espace avant d’y envoyer à bord du Vostok, Iouri Gagarine, le premier homme, le 12 avril 1961. L’Amérique humiliée sur l’échiquier géopolitique d’un Eisenhower qui n’a pas cru à la conquête spatiale s’en remit alors, sous l’impulsion d’un JFK, à l’un de ses anciens ennemis, Werner von Braun, le concepteur des V2 nazies, un homme qui « a la tête dans les étoiles et les pieds dans une mare de sang » notamment celui des déportés du camp de Dora qui fabriquèrent les V2 et pense que les Soviétiques « ont fait le coup pour impressionner les Noirs » écrit Frédéric Martinez en citant l’ancien nazi. Le génie peut aussi être infâme mais il va cependant faire de Neil Armstrong et des membres de la mission Apollo XI, les héros d’une Amérique à l’honneur retrouvé. Quant à Iouri Gagarine, un autre mentor veille sur lui : Sergueï Korolev, l’homme de la fusée R-7, l’ingénieur qui « n’a pas le droit d’exister officiellement » écrit Gregor Péan qui réhabilite – comme Frederic Martinez – dans son très beau roman consacré à Gagarine, ce personnage oublié. Addictif, le roman suit les destinées croisées du premier homme dans l’espace mais également de Marina Socovna, une espionne soviétique avant que les deux chemins, les deux trames narratives ne se croisent.

Tous les deux paieront le prix de leur rêve, infligé par le destin. Armstrong avec la mort de sa petite Karen-Anne emportée par une tumeur cérébrale et l’échec de son mariage avec Janet. Gagarine en devenant une statue du régime à jamais figée sur terre. Arrive 1966 où leur rêve commun se scinde : l’un descend en enfer quand l’autre s’apprête à atteindre son paradis.

Gagarine ne vit jamais son alter ego poser le pied sur la lune car il décéda le 27 mars 1968 après le crash de son avion. Le destin n’a pas voulu lui jouer ce mauvais tour et lui, le premier à avoir approché au plus près Dieu, lui l’athée, était retourné dans ce ciel qui l’attendait pour reprendre le titre du roman de Gregor Péan. D’ailleurs, il s’en est fallu de peu que l’URSS ne pose en premier le pied sur la lune comme le rappelle l’extraordinaire série d’Apple TV, For all Mankind qui diffuse ces derniers temps sa quatrième et dernière saison.

Après des années de sommeil, les Etats-Unis relancèrent la course à la lune avec la mission Artémis II qui prévoit d’envoyer un homme ou une femme sur la lune en 2025. Une mission parfaitement détaillée dans le livre paru aux éditions Glénat et préfacé par Milan Maksimovic, directeur de recherche au CNRS et astrophysicien à l’Observatoire de Paris, dans ce qui est peut-être l’ouvrage de référence sur la lune. Fourmillant de détails et s’appuyant sur de très belles photos, il analyse la lune sous toutes ses coutures ou plutôt sous tous ses reliefs avec ses montagnes, ses déserts, les différentes missions et leur technologie. Particulièrement intéressante est la cartographie des différents alunissages. Bien évidemment Iouri Gagarine et Neil Armstrong occupent des places de choix dans cette course à la lune devenue à nouveau l’un des terrains de jeu de la recomposition géopolitique post 11 septembre 2001. Une course où de vieilles puissances tentent d’y maintenir leur influence, quitte à s’allier sous la bannière de l’Union Européenne quand d’autres nées au siècle précédent (Inde et surtout Chine) y affirment leur puissance grandissante ou construisent leur place de demain comme les Emirats Arabes Unis ou l’Arabie Saoudite.

Et si le 13e homme était une femme ? Car l’hypothèse confinée pendant longtemps à la science fiction notamment dans la superbe saga de Mary Robinette Kowal, n’est plus farfelue, loin de là. Et cette femme pourrait être chinoise en la personne de Zhou Chengyu, commandante du programme spatial chinois qui, dans cette nouvelle guerre froide où la Chine a remplacé l’URSS, pourrait réussir là où Gagarine a, d’une certaine manière, échoué. A l’instar de son ami et rival communiste, la Chine souhaite aujourd’hui prendre une longueur d’avance dans ce qui reste pour le moment une course technologique notamment dans l’exploration de la face cachée de la lune en intégrant à leur mission un satellite de communication servant d’intermédiaire entre la terre et le vaisseau posé à la surface. Mais derrière tout cela couve en réalité ce rêve jamais assouvi d’envoyer à nouveau un être humain sur notre satellite.

Autant dire qu’il risque d’y avoir du monde dans la lune…

Par Laurent Pfaadt

Frederic Martinez, Neil Amstrong, Youri Gagarine, deux vies, un rêve,
Passes composés, 240 p.

La Lune, préface de Milan Maksimovic
Glénat, 224 p.

Gregor Péan, Le ciel t’attend
Robert Laffont, 208 p.

Mary Robinette Kowal, Vers les étoiles, 528 p. Vers Mars, 512 p. Sur la Lune, 736 p.
traduit de l’anglais par Patrick Imbert, Denoël

Mon article : http:// http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/me-to-the-stars/

Et bien évidemment, Objectif Lune et On a marché sur la Lune de Tintin, Casterman

A voir :

For all Mankind, Apple TV, 4 saisons

First Man, le premier homme sur la Lune, de Damien Chazelle avec Ryan Gosling et Claire Foy, 2018

Robert Stone, La conquête de la Lune, 3 DVD, Arte Editions

MAILLON Sept-Déc 2024

Nouvelle formule au Maillon, une programmation semestrielle, la première allant de septembre à fin décembre, cela pour plus de souplesse et permettant de laisser se préciser les besoins et les envies. Une deuxième présentation sera donc nécessaire pour la suite et aura lieu en Janvier 2025.


Le visuel de la brochure nous présente des silhouettes aux contours flous mais vivement colorées, des tableaux qui attirent l’œil et nous intriguent à l’instar de ce que pose Barbara Engelhart, la directrice du Maillon dans son éditorial : « nous pensons que le sens de la culture est d’observer de près les choses sans pour autant les tirer au clair, les attirer vers des évidences trompeuses »

En parcourant le programme de cette première partie qui propose 11 spectacles, dont 1 création et 3 premières françaises « nous  avons quelques repères à soumettre aux futurs spectateurs ».

Compositeur Ted Hearne
Photo Jen Rosenstein

Tout commencera en musique par trois œuvres présentées en première française avec le Festival Musica à savoir : « All right good night » de Helgard Haug du collectif Rimini Protokoll et Barbara Morgenstern, un très beau texte émouvant sur la perte de soi accompagné par les musiciens du Zafraann Ensemble .
Ce même jour un oratorio du compositeur, chanteur et chef d’orchestre américain Ted Hearne « The source » qui évoque la lanceuse d’alerte Chelsea Manning qui révéla les agissements des américains pendant les conflits d’Irak et d’Afghanistan. Une approche musicale accompagnée de projections sur écrans géants.

Nous retrouvons Antoine Defoort, régulièrement invité au Maillon, avec son humour et son côté farfelu dans « Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative », une sorte de spectacle-conférence à la manière de sa performance sur le droit d’auteur, particulièrement jouissive.

Photo © Nathalie Béasse

Retrouvailles aussi avec Nathalie Béasse accueillie plusieurs fois ici qui commence une résidence en vue de présenter « Velvet » qui fera, comme à son habitude, la part belle à l’imaginaire en puisant dans des livres sur la peinture et la photographie et sur ce matériau qu’est le velours, d’où le titre. 

Rretrouvailles aussi avec Miet Warlop pour un concert dansé, une performance réjouissante et pleine d’humour intitulé « One Song » créé en 2023 au Festival d’Avignon

Du 21 nov. au 1er déc. PAYSAGE 4 sera consacré à Milo Rau, le nouveau directeur des Wiener Festwochen, créateur de la
« République libre de Vienne » un metteur en scène et réalisateur qui travaille à partir de réalités sociales et politiques et affirme que
« représenter la violence est un acte politique » Il nous proposera deux spectacles engagés à partir de deux mythes antiques qu’il réactualise et repolitise : « Antigone in Amazon » qui évoque le combat, la résistance, l’assassinat des « Sans terre » au Brésil Medea’s children qui croise l’histoire de Médée à partir d’un fait divers dramatique qui eut lieu en Belgique en 2007 avec l’assassinat de ses quatre enfants par leur mère.

Trois spectacles sont à voir en famille : « Bells and spells » de Victoria Thierrée Chaplin qui met en scène toutes sortes d’objets, et allie fantaisie, magie et humour.
« Hulul » dans lequel le metteur en scène Aurélien Patouillard s’inspirant  d’un ouvrage pour enfants d’Arnold Lobel  construit un spectacle où la comédienne Marion Duval  devient un personnage loufoque,  plein d’énergie qui pose d’étonnantes questions .

En clôture de cette demi-saison, mi-décembre, juste avant Noël
« Reclaim » de Patrick Masset se situe entre théâtre musique et cirque. A partir d’un rituel d’Asie centrale il crée pour cinq circassien-nes, deux violoncellistes et une chanteuse lyrique un magnifique spectacle qualifié de meilleur spectacle de cirque 2022-2023.

Une programmation attractive qui laisse présumer le meilleur pour la suite.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Saison 24/25 du TNS

Un public nombreux est venu assister à la présentation de la future saison du TNS. C’est dire l’intérêt constant et grandissant qu’on porte à cette institution et aux propositions qu’elle nous offre.


© Manuel Braun

Sa directrice, Caroline Guiela Nguyen souhaite élargir encore cette participation nous invitant à faire connaître les bienfaits du théâtre à nos amis et connaissances qui n’auraient plus l’opportunité de s’y rendre ou qui ne l’ont jamais connu. La question brûlante étant « Quand serons-nous enfin réuni-es ? » A l’évidence pour elle comme pour nous, il est dommageable de ne pas connaître cet extraordinaire moyen de réflexion et de partage d’émotion qu’est le théâtre. Le cœur qui figure sur le nouveau logo du TNS en constitue le symbole. Un cœur que font battre   selon ses dires, le public, les équipes du TNS, son école supérieure d’art dramatique et tous les artistes qui interviennent pour nous apporter ce que leur créativité, leur talent réussissent à imaginer et à produire pour notre plus grand plaisir.

Au cours de cette saison qui débutera par le spectacle « Lacrima » de Caroline Gueila Nguyen dont nous avons pu voir l’avant-première au printemps dernier avant son arrivée au Festival d’Avignon des spectacles de différents genres nous attendent. Quelques-uns mettant en valeur des histoires de femmes comme « Beretta 68 » du Collectif FASP qui s’appuie sur la lecture du fameux « Scum  Manifesto » de Valerie Solanas qui dénonce la société patriarcale et revendique le droit des femmes à la violence, comme « Les Inconditionnelles » de Kae Tempest et Dorothée Munyaneza mettant en valeur l’amitié, l’amour entre deux femmes qui se sont rencontrées en prison et qui affirment leur liberté  en dépassant les  interdits.  

Autres spectacles dont la femme est le centre, ceux de l’autrice et performeuse Laurène Marx « Pour un temps sois peu » et « Je vis dans une maison qui n’existe pas » des textes qui de façon intransigeante et poétique interrogent le genre et la normalité.

Il y a aussi « Cécile » dans lequel Cécile Laporte dans une mise en scène de Marion Duval joue son propre rôle en nous faisant   connaître de façon jouissive les multiples aventures qu’elle a vécues.

Interroge encore le genre, le corps, les tabous « Le rendez-vous » d’après le roman de Katharina Volckmer interprété  avec une formidable énergie et pas mal d’humour par Camille Cottin dans la mise en scène de Jonathan Capdevielle. 

Spectacle où domine la musique, ce sera « La symphonie tombée du ciel » monté par Samuel Achache» et ses acolytes qui avaient présenté »Sans tambour » la saison dernière, partant d’une enquête de ce qui a pu faire « miracle » dans la vie de certains d’entre nous, ils ont conçu  cette œuvre musicale interprétée par un orchestre de 17 musiciens de jazz.

Où domine le mélange, théâtre, musique, danse, ce sera « Los dias afuera » de Lola Arias qui est allée à la rencontre de personnes qui, après avoir été emprisonnées dans un établissement pénitentiaire à Buenos Aires retrouvent la liberté, une activité et jouent ici leur propre rôle dans cette comédie musicale.

Où domine l’engagement, c’est »And here I am”  avec l’acteur palestinien Ahmed Tobasi, directeur artistique du théâtre du camp de Jénine en Cisjordanie qui, à travers  le texte écrit par Hassan Abdulrazzak exprime  la lutte de la jeunesse palestinienne pour obtenir justice et liberté pour son peuple.

C’est aussi »Rectum crocodile » de Marvin M’toumo, avec des performeuses qui dénoncent  l’esclavagisme, la masculinité blanche et le colonialisme.

De ce même metteur en scène avec le groupe 48 dont ce sera leur spectacle d’entrée dans la vie professionnelle « Les Indésirables » (titre provisoire) qui dira haut et fort combien il faut prendre en considération tous les rejetés, marginaux, mal-aimés dans nos sociétés policées.

Deux spectacles sont des adaptations d’œuvres qu’on peut qualifier de « classiques », « Don Juan « mis en scène par David Bobée verra se mêler au texte de Molière les problèmes qui agitent notre société.

« Marius » mis en scène par Joël Pommerat est une adaptation de la pièce de Pagnol pour une interprétation montée avec des détenus de la Maison centrale d’Arles.

A noter un spectacle pluridisciplinaire d’Alice Laloy « Le ring de Katharsy » avec chanteurs, acrobates, et danseurs et celui signé Eric Feldman et Olivier Veillon « On ne jouait pas à la pétanque dans le ghetto de Varsovie », un stand-up dans lequel « on explore avec humour et gravité les traumatismes des enfants cachés survivants de la Shoah ».

Entre autres nouveautés  de cette saison :
Le festival « Les  GALAS du TNS »permettra de programmer en fin de saison des spectacles où  comédiens et amateurs se retrouveront  comme dans la mise en scène de « La Vérité «   la nouvelle création de Caroline  Guiela Nguyen,  de « Je suis venu te chercher«  écrit, mis en scène de Claire Lasne Darcueil qui parlent  tous deux d’enfants et « Marius », déjà cité .

Le « Tns club »  qui,  offrira une place  aux artistes qui font le »stand-up » aujourd’hui, ils seront présents en mai pour exprimer « le comique et la joie de la transgression »

La création d’un « Centre des récits », une banque d’archives constituée d’histoires souvent laissées pour compte et dans lesquelles les artistes pourront puiser pour alimenter leurs créations .

Le TNS fourmille  de propositions et pour être au fait de toutes  le mieux est de consulter la brochure de présentation, un très beau livret magnifiquement  illustré par les photos de Slina Syan qui  a  fait poser  diverses communautés de Strasbourg  en habits de fête .

Enfin gardons à l’esprit ce que souhaite Caroline Giuela Nguyen que  « le TNS soit un lieu de rencontre permanente dans un esprit de partage et d’ouverture ».

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Règlement de contes

Deux ouvrages passionnent abordent la question de l’épuration des femmes ayant collaboré avec l’ennemi pendant la seconde guerre mondiale

Pendant longtemps les femmes suspectées de collaboration pendant la seconde guerre mondiale ont été « réduite à leur seul sexe, ce qui rend encore plus improbable, dans l’opinion, leur participation « autre qu’horizontale » à la collaboration » écrivent ainsi Pierre Brana et Joëlle Dusseau, auteurs d’un livre qui vient enfin palier une absence dans l’historiographie de la France de l’après-guerre. Ainsi ces femmes au crânes rasés à la libération, marques de leur infamie, et symbolisées par la tondue de Chartres photographiée par Robert Capa, ne résument pas la collaboration. Il y eut également les personnalités, les égéries, les femmes et filles de personnalités du régime de Vichy, les « salonnières », les femmes de conviction ou les « comtesses » de la Gestapo et de l’Abwehr nous disent les auteurs qui font le tri dans toutes ces catégories et dessinent une fascinante galerie de portraits où l’on retrouve ces quelques figures célèbres comme Coco Chanel, Violette Morris, pilote de course proche du crime organisé ou Lydie Bastien, la fameuse diabolique de Caluire. Des figures à l’image de cette dernière ou de la célèbre Chatte (Mathilde Carré) caricaturées en sorcières ou en animaux.


Passé cette première partie somme toute assez connue, Pierre Brana et Joëlle Dusseau ouvrent alors une deuxième partie, certainement la plus passionnante où la galerie devient typologie. Puisant notamment dans le fameux fichier des 100 000 collabos du 5e bureau du ministère de la guerre, les deux auteurs entrent dans les foyers des Français où la collaboration réside parfois là où on l’attend le moins. Certes 20 000 femmes ont eu des relations sexuelles avec des Allemands mais la collaboration fut également le fait de vengeances professionnelles ou de lutte contre les violences conjugales. Ainsi « certains engagements, notamment dans les partis politiques, peuvent être liés à l’espoir d’un « retour sur investissement » professionnel ou personnel (libération d’un prisonnier, aide ponctuelle pour leur exploitation agricole…) » écrivent nos deux auteurs.

Des situations tirées de toutes ces femmes anonymes qu’analyse également Fabien Lostec, chercheur associé au laboratoire Tempora, enseignant et chargé de cours à l’université Rennes 2 dans son livre tiré de sa thèse de doctorat « les collaboratrices face aux tribunaux de l’épuration ». Prenant en quelque sorte la suite de l’ouvrage de Pierre Brana et Joëlle Dusseau, l’auteur est allé consulter les nombreuses archives des cours de justice et tribunaux de près de 60 dépôts d’archives départementales qui jugèrent et condamnèrent à mort 46 femmes sur 651 condamnations à mort pour peindre les portraits de ces femmes dans ce qu’il appelle « l’archipel épuratoire judiciaire ».

Ici aussi, l’étude frappe par la diversité des parcours essentiellement centrés entre deux types de collaborationnistes : les délatrices et celles qui prêtèrent main-forte à l’ennemi et « dont l’action provoque des tortures, des déportations et des morts ». Des femmes torturant ou tuant de leurs propres mains comme Jeanne Hermann, cette alsacienne de vingt-deux ans qui fut la seule des 46 condamnées à mort à tuer un individu non avec une arme à feu mais avec une arme blanche, en l’occurrence un juif de 72 ans.

L’analyse pertinente de cette justice épuratrice s’engouffre également dans une réflexion qui questionne la place de la femme dans cette période trouble du 20e siècle encore emprunte d’un profond sexisme. L’auteur avance ainsi « l’idée du rétablissement d’un ordre masculin particulièrement répressif à l’égard du sexe féminin » à la fin de la guerre. Pierre Brana et Joëlle Dusseau ne disent pas autre chose lorsqu’ils évoquent les sanctions ayant frappées de nombreuses femmes suspectées de collaboration parfois sur des fondements assez minces pour faire de la place aux hommes dans les administrations à la fin du conflit. Une place de la femme dans cette société que ces condamnées à mort ont remis en question, ont bravé souvent de la plus infâme des manières, en s’engageant par exemple dans des partis politiques collaborationnistes notamment ceux de Jacques Doriot ou de Marcel Déat, devenant ainsi des sujets politiques bien avant l’octroi du droit de vote.

Par Laurent Pfaadt

Pierre Brana et Joëlle Dusseau, Collaboratrices,1940-1945 : Histoire des femmes qui ont soutenu le régime de Vichy et l’occupant nazi
Aux éditions Perrin, 384 p.

Fabien Lostec, Condamnées à mort, l’épuration des femmes collaboratrices, 1944-1951
CNRS Editions, 400 p.

Les livres à emmener à la plage

Comme chaque année, Hebdoscope vous propose une sélection d’ouvrages à lire durant vos vacances


James Lee Burke, Un autre Eden, traduit de l’anglais (américain) par Christophe Mercier, éditions Rivages, 272 p.

A chaque vacances son Burke. Et à chaque fois la même interrogation comme avec les romans de Joyce Carol Oates : comment réussit-il à façonner de tels bijoux littéraires et à se renouveler ? Alors oui, il y a les thèmes burkiens : la glorification de la nature qui s’apprécie, se contemple dans le miroir d’une nature humaine, sombre et détestable. La rédemption de ces êtres qui peuplent ses romans, ces êtres haïssables qui pourtant nous touchent en raison de leur volonté de se libérer de cette violence qui les emprisonne.

Un autre Eden constitue une pierre supplémentaire dans cette cathédrale noire avec ses vitraux qui représentent les personnages tout en clair-obscur de Burke et dont les reflets interpellent à chaque fois notre inconscient. Dans cet édifice, on retrouve une nouvelle fois Aaron Holland Broussard, le héros des Jaloux. Il a grandi et vit désormais dans le Colorado. Sur sa route se présente une fois de plus le grand amour avec la belle Joanne McDuffy et sa « gorge colorée comme un pétale de tulipe brisée » qu’il va falloir défendre, arracher aux griffes du mal.Dans ce deuxième opus qui relève plus du roman noir, Aaron Holland Broussard poursuit son apprentissage de la cruauté des hommes. Et dans les Enfers de Burke, notre Orphée contemporain devra affronter bien des périls pour sauver son Eurydice.

Hugh Howey, Une colonie, traduit de l’anglais par Aurélie Tronchet, Le livre de poche, 336 p.

Mondialement connu pour sa saga Silo adaptée en série par Apple TV, Hugh Howey nous embarque dans l’un de ses premiers romans, à l’époque auto-publié et réédité pour l’occasion, à bord de ce vaisseau regroupant 500 personnes destinées à coloniser une nouvelle planète. Durant ce voyage qui doit durer trente ans, une IA est censée leur enseigner tout ce qu’il leur sera nécessaire pour vivre en société. Mais au bout de quinze ans, une explosion à bord du vaisseau interrompt le processus et la soixantaine d’adolescents de quinze ans survivants sont contraints s’installer sur une planète hostile.

Débute alors l’édification de cette fameuse colonie et l’exploration de ce nouveau monde. Chacun  va apporter ses compétences et en même temps construit son propre système d’autorité. Mais cette exploration laisse vite place à celle des méandres de l’âme humaine. Ce roman qui ravira un public young adult montre en réalité que nos pires ennemis sont en réalité en nous-mêmes.

Hélène Coutard, La disparition de Chandra Levy, 10/18, 224 p.

D’emblée, quand on voit le visage de Chandra Levy, on pense à Monica Lewinsky. Un visage d’ange aux cheveux noirs, innocent, presque naïf. Cela tombe bien, nous sommes à la même époque, en 2001 et Chandra Levy travaille au bureau fédéral des prisons en tant que stagiaire. Elle y fait la rencontre d’un parlementaire démocrate de Californie, Gary Condit à qui on prête un brillant avenir et avec qui elle a une liaison. Mais le 1er mai 2001 alors qu’elle fait son jogging dans le Rock Creek Park de Washington DC, tout près des institutions, elle disparaît.

Voici le décor du dernier opus de la collection True Crime en partenariat avec le magazine Society et raconté par la journaliste Hélène Coutard. Si les premières pistes se tournent naturellement vers Gary Condit, elles sont vite abandonnées car personne ne sait où se trouve Chandra Levy. Certes, le parlementaire entretenait avec elle une relation extra-conjugale et a menti sur sa vie mais cela n’en fait pas un coupable pour autant. Et lorsque le corps de Chandra Levy est enfin retrouvé, un an plus tard, dans le parc, la police arrête un immigré clandestin d’origine salvadorienne qui est condamné à soixante ans de prison sur la base d’un dossier somme toute assez mince.

Affaire classée donc. Sauf notre coupable est finalement libéré. Hélène Coutard nous conduit ainsi dans cette affaire criminelle aux multiples rebondissements, peut-être l’un des opus des plus passionnants de la série avec sa dimension politique qui rappelle les romans de John Grisham et cette nuit dans laquelle s’enfonce le lecteur.

François de Bernard, La Chartreuse de Naples, Editions Héloïse d’Ormesson, 352 p.

Habituellement, les hommes viennent contempler les toiles de maître. Mais il arrive parfois que ces dernières, imperturbables témoins de l’histoire de l’Europe, se mettent à observer les hommes. Le Mariage de la Vierge peint vers 1550 dans l’atelier du Tintoret est de ceux-là. Acheté par un marquis napolitain, Alessandro de Paladini, il est le personnage principal du très beau roman de François de Bernard, lui-même propriétaire du chef d’œuvre qu’il a déjà mis en scène dans son livre précédent.

Quelques quatre-vingt ans plus tard dans une Naples qui a vu passer le Caravage, alors que se construit la chartreuse San Martino, un monastère perché sur les hauteurs de la ville, une autre vierge de la peinture, bien réelle celle-là, Artemisia Gentileschi se retrouve menacée. Et lorsqu’elle fait la rencontre du marquis, notre tableau devient le témoin des dangers qui rôdent autour d’elle et de l’aide que le marquis lui apporte. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que Dieu lui-même, peut-être courroucé de ce génie volé à son orgueil, déclenche irruption volcanique et peste.

Une histoire enlevée et jamais ennuyeuse narrant de multiples péripéties et qui combine récits historique, policier et de science-fiction dans un savant mélange d’aventures tirées d’une très belle palette littéraire.

Marie-Béatrice Baudet, David Gaillardon, Le salon vert, A l’Elysée au cour du pouvoir, Grasset, 144 p.

L’époque littéraire est à faire parler les objets et les lieux. Hôtels, tableaux, ils sont autant de spectateurs que de nouvelles trames narratives pour aborder l’Histoire avec un grand H. Voilà que le salon vert de l’Elysée, au premier étage du célèbre palais de la République, juste à côté du bureau du président de la République, se met à table. Le salon vert et ses objets singuliers en ont vu des vertes – c’est le cas de le dire – et des pas mûres. C’est là que François Hollande a décidé de répondre aux attentats terroristes, qu’Alstom a été vendu. Il a servi tour à tour de QG, de chambre mortuaire et de salle de mariages. Lieu de confidence, il fut également celui des traîtrises les plus infâmes notamment lorsque Patrick Buisson enregistra de nombreuses conversations avec Nicolas Sarkozy et Carla Bruni.

Pour nous conter la fantastique histoire de ce lieu fait de bonheurs et de tragédies, les plûmes combinées de Marie-Béatrice Baudet, grand reporter au Monde et de David Gaillardon allient magnifiquement petite et grande histoire, témoins et archives, anecdotes et grandes décisions. Le salon vert invite à un voyage dans l’histoire de France et dans le temps et en passionnera plus d’un.

Lorina Balteanu, Cette corde qui m’attache à la terre, traduit du roumain par Marily Le Nir, éditions des Syrtes, 160 p.

C’est une merveilleuse petite pépite littéraire venue d’un pays que peu de gens savent placer sur une carte. Une pépite qui vous ouvre les yeux en même temps que ceux de cette petite fille d’une  Moldavie qui était, à cette époque, un satellite de l’URSS.

Tandis que cette petite fille avance, grandit, le récit du premier roman de cette designer devient plus net, comme un brouillard qui se déchire, emportant avec lui cette nostalgie faite de ces gâteaux confectionnés, du cochon qu’on tue, du magasin de papa qui vend des bonbons, pour laisser place à cette vie où il faut s’imposer, gagner sa place et en même faire la sublime découverte de l’amour.

Derrière tout cela, avec sa magnifique plume, Lorina Balteanu, magnifiquement traduit par Marily Le Nir, dessine le décor d’un monde disparu, une sorte de Goodbye Lenine les yeux ouverts enfermé dans une bulle étanche au monde extérieur, à l’Ouest avec sa liberté perçue comme un poison tandis qu’à l’intérieur, toute initiative pour affirmer son identité est sévèrement réprimée. Car il y a une ombre que cet enfant ne perçoit pas tout de suite et qui, sans le savoir, recouvre son existence, sa famille, son pays. Une ombre faussement bienfaitrice.

Ce magnifique roman d’apprentissage et d’une certaine manière géopolitique célèbre les choses simples mais en même temps, il nous rappelle qu’elles ne sont rien sans liberté.

Michel Vaillant, Rédemption, saison 2 tome 13, Denis Lapière, Eilam, Marc Bourgne, Graton, 56 p.

L’an passé, Denis Lapière, scénariste de cette nouvelle saison nous l’avait promis : « le prochain épisode de la nouvelle saison se tiendra à Indianapolis mais de nos jours ! Alors patience… » Nous y voilà donc. Après avoir échappé dans le tome précédent à un sniper sur la piste des 24h du Mans, Steve Warson est rentré chez lui aux Etats-Unis. Mais il n’est pas pour autant en sécurité car le FBI sait que le sénateur est menacé par ces mêmes suprématismes et que se profile à l’horizon la mythique course des 500 miles d’Indianapolis que la team Vaillante et Steve Warson souhaitent bien évidemment gagner. Michel lui, a pris du recul, pour s’occuper de Françoise qui se bat contre un cancer et a laissé le volant à la talentueuse Elsa Tainmont. Tandis que se prépare la célèbre course d’IndyCar, le FBI décide de tendre un piège aux conspirateurs en utilisant un sosie du sénateur démocrate tandis que le vrai s’installe au volant de la Vaillante. Une fois de plus, le suspense est à la fois sur la piste et en dehors.

Les fans du célèbre pilote de Jean Graton retrouveront avec plaisir ce circuit qu’il a dompté à de nombreuses reprises dans des albums devenus mythiques (Suspense à Indianapolis, Le secret de Steve Warson) ou plus récemment dans le premier tome de la série Légendes. Un circuit que les auteurs sont allés ausculter notamment en rencontrant Romain Grosjean, ancien pilote de F1 passé en IndyCar. Cela donne un album qui s’inscrit dans la lignée des grands opus de la saga de Jean Graton en faisant cohabiter à merveille course automobile et thriller à l’américaine.

Robert Pike, Oradour s’est tu. Le destin tragique d’un village français, traduit de l’anglais par Julie Primon, coll. Au fil de l’histoire, Flammarion, 496 p.

Parmi les nombreuses publications qui émaillent l’anniversaire du plus important crime de guerre commis sur le sol français, à Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944, celle de l’historien britannique, Robert Pike, spécialiste de la France durant la seconde guerre mondiale, mérite d’être signalé. Combinant intelligemment archives et récits des survivants notamment celui de l’infatigable Robert Hebras, il donne à lire la préparation, l’exécution et les enseignements de cet épisode majeur de l’histoire de France au 20e siècle.

A travers trois parties qui forment ce livre passionnant et en même temps émouvant car il laisse en suspens certaines questions renforçant ainsi ce sentiment d’injustice avec son lot d’incompréhensions, Robert Pike revient sur ces évènements « aussi inattendus qu’immérités ». Il montre ainsi avec force que la destruction méthodique de ce village de Haute-Vienne fut également celui d’un îlot d’humanité « idyllique » avec la présence à Oradour de juifs et de républicains espagnols dont Ramona Domínguez Gil, reconnue en 2020 comme la 643e victime du massacre d’Oradour et qui périt ce jour-là aux côtés de son fils, de sa belle-fille et de ses trois petits enfants dont le dernier n’avait que vingt-et-un mois. Plus qu’un livre, cet ouvrage est une voix qu’il est nécessaire d’entendre à nouveau.

Christophe Penalan, Eden. L’affaire Rockwell, coll. Chemins nocturnes, Viviane Hamy, 384 p.

Eden, une gamine de onze ans surdouée, vue pour la dernière fois au moment de prendre ce bus qu’elle laissa filer, vient de disparaître. Eden qui ressemble à la fille de l’inspecteur Myers chargé de l’enquête et nouvellement arrivé dans ce trou perdu ou coin tranquille – c‘est comme on veut – du nord de la Californie.

Avec sa mise en scène très réussie, façon thriller avec Morgan Freeman ou Woody Harrelson, Christophe Penalan, journaliste sportif breton qui signe là son premier roman, embarque immédiatement son lecteur.

On imagine Myers, 33 ans, beau gosse cabossé façon Mark Wahlberg, Megan Bailey, la journaliste qui lui prête main-forte en Eva Mendes avec ses cheveux châtains et sa peau hâlée. Des flash-backs de disparitions d’autres enfants insérés donnent un petit côté Mindhunter. Et puis l’astuce de Penalan est de ne rien révéler jusqu’au bout. Donc on avale les pages en attendant la confrontation finale.

On pense s’attendre à tout. Les jours passent, l’espoir se réduit, d’autres meurtres interviennent, des pistes se refroidissent, des parents suspectés, des interrogatoires avec des glaces sans teint. Et Eden qui s’est volatilisée tandis que Myers commence à vaciller. Au milieu de la nuit vient alors l’épilogue, inattendue. Eh oui, c’est toujours pareil avec les bons polars. On pense être plus malin et puis non. Alors préparez-vous à passer de l’autre côté du miroir de la réalité. Il y a des criminels qui ne vieillissent jamais…

Fabrice Drouelle, Cahier de vacances, Affaires sensibles, Hors Collection, 80 p.

Plonger dans la crise des missiles de Cuba ou dans les arcanes du Vatican, traquer Dupont de Ligones ou Adolf Eichmann, revivre la séparation des Beatles et l’exploit de Nadia Comaneci avec Fabrice Drouelle et ses Affaires sensibles. Voilà ce que propose ce cahier de vacances passionnant qui sera votre compagnon idéal sur les plages de vos vacances ou sur les terrasses de vos maisons principales ou secondaires.

Un cahier qui associe culture générale et activités ludiques, parfait pour les grands et les moins grands. Des QCM pour vous plonger dans l’histoire des JO ou dans les scandales politiques de ces quinze dernières années, des jeux de piste qui vous feront revivre à merveille cette émission désormais culte de France Inter et permettront aux lecteurs de briller face à leurs profs ou à la machine à café dès la rentrée.

Alors le temps d’une double page, transformez-vous en espion du Mossad ou en enquêteur de la brigade criminelle tout en sirotant votre boisson préférée ou un cornet de frites à la main pour résoudre ces quelques affaires sensibles.

Lunettes noires et stylos indispensables. Et attention aux empreintes !

Par Laurent Pfaadt

Sans un bruit : jour 1

Un film de Michael Sarnoski

Six années après le très bon premier film imaginé et mis en scène par John Krasinski (qui en d’ailleurs a fait une suite tout aussi efficace deux années plus tard), l’histoire est envisagée sous un nouveau jour, celui où les effrayantes créatures ont atterri sur notre belle planète.


John Krasinski est toujours derrière l’histoire, mais c’est aujourd’hui Michael Sarnoski (Pig, son sympathique premier long-métrage, mettait en scène Nicolas Cage à la recherche de son cochon dénicheur de truffes) qui met son scénario en image. Le concept est ici légèrement différent, dans la mesure où nous ne suivons pas des individus ou groupes s’efforçant de survivre à une menace désormais bien connue et installée, mais assistons à l’arrivée (pas vraiment expliquée) des aliens par les airs, le jour où ils s’abattirent sur New York. Les premières images donnent le ton, comme pour faire ressortir le contraste avec la situation ultérieure : New York en début de journée, un bruit incessant, une activité grouillante, une énergie impalpable, un lieu où le silence ne peut exister. Et pourtant, il suffira de quelques traînées de feu dans le ciel et de quelques explosions au sol pour que tout soit profondément changé.

Nous faisons la connaissance de Sam, une jeune femme poète, soignée dans la banlieue dans un centre de soin palliatifs pour patients atteints de cancers. Acerbe et prête à tout pour aller manger une bonne pizza, elle accepte l’offre de Reuben (un infirmier avec lequel elle s’entend bien) de se rendre à New York pour assister à un spectacle à Manhattan, et de passer ensuite récupérer sa pizza avant de retourner au bercail. La sortie sera de courte durée, très vite le petit groupe devra se rassembler pour prendre le chemin du retour suite à des informations inquiétantes. Problème : le centre-ville deviendra un abattoir à ciel ouvert avant qu’il puisse le faire.

Michael Sarnoski filme sa menace comme son prédécesseur : dans un premier temps, on ne distingue pas les créatures, ou très peu (New York étant recouverte d’une épaisse couche de poussière/fumée lié à la chute des météorites et des incendies que celles-ci ont provoqué). Ce n’est qu’après plusieurs scènes qu’elles apparaissent, tout d’abord partiellement, puis dans toute leur laideur. Cohérence scénaristique oblige, leur apparence n’a pas été modifiée. Elles sont toujours autant longilignes, rapides et puissantes, aveugles et dotées d’une ouïe sur-développée. La ville dévastée s’est vidée de ses habitants, les survivants de la première heure se sont terrés dans les bâtiments dans l’attente d’instructions des autorités. Celles-ci ne tarderont pas, les survivants doivent se rendre aux principaux embarcadères de Manhattan, les ponts reliant l’île au reste de la ville ayant été détruits par l’armée américaine afin d’isoler la menace. Là, des bateaux viendront les récupérer pour les mettre en lieu sûr.

Sam va rencontrer Eric, un jeune étudiant anglais et faire un bout de chemin avec lui. Michael Sarnoski filme les scènes que les deux personnages partagent avec beaucoup de sensibilité, malgré la contrainte technique liée à l’absence de bruit. Ce duo réunit par les événements, bien que composé de personnalités aussi dissemblables que possible (Sam est courageuse, Eric beaucoup moins) va traverser les épreuves et réaliser le destin qu’il s’est finalement choisi. Au détour de quelques jolis épisodes (lorsque Sam et Eddie partagent une pizza, avant que le premier surprenne la seconde avec des tours de cartes, au cœur d’un piano bar désert et épargné par les flammes), les deux survivants arrivent à se connaître et s’apprécier. Et feront un bout de chemin ensemble.

Successeur de John Krasinski, Michael Sarnoski adapte l’histoire imaginée par son confrère sous un angle peut-être un peu moins frappant, moins effrayant. Sans un bruit : jour 1 n’en est pas moins un film émouvant, spectaculaire quand il le faut, basé autant sur la menace extra terrestre, saisissante, que sur le lien unissant les rescapés. Pour ceux qui découvrent aujourd’hui l’histoire, Sans un bruit : jour 1 est l’occasion de se plonger dans le concept en regardant Sans un bruit (2018), et sa suite, Sans un bruit 2 (2020).

Avant d’y revenir prochainement, un jour 2 étant prévu en 2025…

Jérôme Magne