Tous les articles par hebdoscope

EURL Blanc Papier 11 Rue Descartes F. 68200 Mulhouse Tél. : 0033 (0)6 86 66 73 41

Le livre du mois

svetlanaLa fin de l’homme rouge

La sortie en poche de l’ouvrage de
Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de
littérature 2016, permet de pénétrer
au cœur du système soviétique.
L’auteur y dissèque avec brio ce
fameux « Homo sovieticus », cet
homme nouveau ainsi que le
basculement de la société soviétique
dans l’ère du libéralisme incontrôlé. A
travers les témoignages de gens
ordinaires, elle montre l’atomisation
d’un peuple passé d’une idéologie à une autre.

Svetlana Alexievitch nous dépeint ce basculement brutal entre deux
systèmes politiques que tout opposait mais qui au final se
ressemblent tellement car ils ont voulu tous les deux faire table rase
du passé et créer un homme nouveau. Livre choral, la fin de l’homme
rouge
se fait le porte-parole de ces milliers d’êtres humains qui ont
vu leur vie et leur histoire bouleversé, passant d’un totalitarisme à
un autre.

Laurent Pfaadt

Svetlana Alexievitch,
La fin de l’homme rouge,
Babel, Actes Sud

Dans l’ombre de Poutine

Poutine © RIA NOVOSTI
Poutine © RIA NOVOSTI

Un journaliste allemand a suivi le
président russe pendant six ans. 

Il faut dire que le président russe aux
commandes de l’une des plus grandes
puissances mondiales depuis plus de
quinze ans, n’a pas bonne presse en Occident : faiseur de guerres, pourfendeur des droits de l’homme,
maître-chanteur économique ont été depuis toutes ces années, les
qualificatifs les plus utilisés pour décrire celui que l’on présente
souvent comme l’héritier des tsars rouges.

Le journaliste allemand, Hubert Seipel, est parti sur les traces de cet
homme qui constitue toujours, alors qu’il nous semble si familier,
une énigme. Pendant six ans, il a suivi le président russe, pénétré son
intimité, son idéologie et analysé ses choix politiques qui
apparaissent à la fois d’une extrême limpidité et d’une incroyable
complexité. Puisant dans le passé personnel et politique de cet
homme, Hubert Seipel est descendu jusqu’aux tréfonds de l’âme
poutinienne qui a fini par se confondre avec l’âme russe. Et en a
ressorti un portrait où la frontière entre objectivité et subjectivité
est parfois difficilement perceptible.

Pour connaître véritablement Vladimir Poutine, il faut revenir à St
Pétersbourg, au début des années 1990 lorsque ce dernier était
adjoint du maire d’alors, Anatoli Sobtchak, figure de proue du
réformisme postcommunisme. Venu des services secrets, Poutine
gère une métropole qui lutte pour sa survie alors que la Russie est
humiliée sur la scène internationale notamment par un Occident
mené par les Etats-Unis. Voilà la matrice de son engagement
politique qui guidera et guide toujours son action et se traduira par
deux idées fortes : revanche sur la scène internationale, fierté
retrouvée sur la scène intérieure.

Afin de parvenir à ces deux objectifs, Vladimir Poutine, fauve
politique qui a fait de l’acribie et de l’embuscade ses maîtres-mots,
s’appuiera sur ses réseaux des services secrets et de St Petersbourg.
Pour preuve, Alexeï Koudrine, Sergueï Ivanov ou Dimitri Medvedev,
les grands hommes de la galaxie Poutine, viennent de la ville de
Pierre le Grand.

A lire Seipel, on découvre avec intérêt l’organisation du système
Poutine côté russe. « Plus de démocratie est en réalité, pour Poutine, la
poursuite d’une stratégie visant à réduire l’influence de la Russie »
écrit
ainsi l’auteur qui déconstruit les mythes des révolutions orange
(Ukraine) et des roses (Géorgie) nées de la simple volonté des
peuples mais plutôt facilitées par Washington. On pensera ce que
l’on veut des Pussy Riot ou de l’affaire Khodokhorski, cet oligarque
qui s’est érigé depuis son bagne en opposant à Poutine et en héraut
des droits de l’homme après avoir contribué à piller l’économie russe
et avoir jeté dans la misère des milliers de ses concitoyens.
D’ailleurs, l’auteur est sans pitié pour ces oligarques qu’il qualifie de
« voleurs ».

Certes, il y a matière à réflexion sur la méthode Poutine, partisan
d’un état fort qui trouve sa traduction dans une verticalité du
pouvoir qui rappelle son ancêtre soviétique et dans le renouveau
d’un nationalisme appuyé sur un christianisme orthodoxe dont il a
résorbé le schisme russe. Le livre montre un président animé de
convictions, parfois plus modéré que la société qu’il dirige comme
par exemple sur la question de l’homosexualité mais également
tactique, n’hésitant pas à mobiliser la morale comme dans l’affaire
des Pussy Riot qui renforça sa popularité. Seipel explique que
Poutine est avant tout le président de la Russie avant d’être l’allié de
l’Occident et que, à la différence de l’ère Eltsine, son but n’est pas de
copier l’Occident. C’est peut-être en cela qu’il nous agace car il
montre que la Russie, après une période de bouleversements
majeurs – en cela, l’auteur rappelle la gestion en tout point
exemplaire de la division nucléaire du pays – est restée elle-même et
n’a pas été vaincue.

Chacun pensera ce qu’il veut de cette approche du président
Poutine qui n’aborde que légèrement les points sensibles de son
ascension politique mais elle a le mérite de permettre de
comprendre sa vision du pouvoir et le positionnement de ce grand
pays aux héritages multiples.

Laurent Pfaadt

Hubert Seipel,
Poutine, une vision du pouvoir,
éditions des Syrtes, 2016.

Un crime dans la tête

molinaLe grand écrivain
espagnol, Antonio
Munoz Molina, signe
un nouveau chef
d’oeuvre

Il y a des rencontres
qui vous marquent à
jamais et vous
hantent. Celle du fantôme de James Earl Ray, l’assassin de Martin
Luther King, poursuivit pendant près de trente années, l’écrivain
espagnol Antonio Munoz Molina. Et c’est dans la capitale portugaise
que les destins de ces deux hommes se croisèrent. Le meurtrier du
pasteur américain, après avoir abattu le prix Nobel de la paix 1964 à
la terrasse du motel Lorraine de Memphis, le 4 avril 1968, s’enfuit en
Europe. Il est à Londres puis à Lisbonne. Il s’y consume dans une
fuite qu’il sait sans retour, fréquentant les endroits mal famés, bordels et bars. Revenant à Londres, il y est finalement arrêté. Près
de vingt ans plus tard, Antonio Munoz Molina, alors jeune auteur en
vue, se trouve à Lisbonne pour écrire son roman l’Hiver à Lisbonne
qui mêle jazz, histoire d’amour et roman noir.

Trente ans plus tard, l’écrivain de Pleine lune et de Dans la grande nuit
des temps
, célébré dans le monde entier (Prix des Asturies 2013)
revient sur les traces de Ray, sur les traces de cette ombre qui passe
dans Lisbonne. Il suit les pas de l’assassin, recrée son univers mental,
redonne corps à cette fuite et dans le même temps, revient sur les
traces de son apprentissage d’auteur. Dans un subtil parallèle,
Molina décrit la lente destruction de Ray et en même temps sa
construction d’auteur. James Earl Ray, criminel échappé d’un
pénitencier devenu l’Oswald des Noirs d’Amérique, donna la mort
quand Molina créa la vie dans ses romans.

Molina s’est plongé avec une minutie qui fait la richesse de ses
romans dans le cerveau de Ray. Il a tout décortiqué, des archives du
FBI en passant par les travaux de la commission du Congrès des
Etats-Unis ou HSCA chargée de faire la lumière sur les assassinats
de JFK et Luther King et qui donna lieu à un rapport en 1979 ou des
objets ayant appartenu à l’assasin. Il en a extrait une construction
psychologique qui rappelle un peu celui de l’écrivain. Par exemple,
qui est ce Raoul dont parla Ray et qui aurait guidé sa main ? Peut-
être ne fut-il dans l’esprit de Ray qu’un prête-nom, celui du destin
dont il fut l’objet, le même qui conduisit Santiago Biralbo, le héros de
l’Hiver à Lisbonne, sur les chemins tortueux de sa passion dévorante
pour Lucrecia.

Le roman car il s’agit avant tout d’un roman, met à nu le travail de
l’écrivain. En ce sens, il est passionnant car parfois Molina pose sa
caméra sur une table et laisse tourner. On y voit l’écrivain au travail,
à sa table ou déambulant dans les rues avec son carnet de notes en
redonnant corps à James Earl Ray tout en le suivant et en lui
ordonnant d’accomplir telle ou telle chose. La toute-puissance de
l’écrivain se révèle alors dans ses rues sinueuses de Lisbonne ou à
Memphis en ce 4 avril 1968. Disposant d’un pouvoir de vie et de
mort, l’écrivain entre dans la tête de ses héros, leur ordonnant de
mourir ou de donner la mort. Il contrôle les esprits, revient dans le
passé pour le changer ou le contempler. On se rend compte à cet
instant précis qu’à travers le roman, l’écrivain est devenu l’égal de
Dieu. D’ailleurs, James Earl Ray écrivit lui aussi en prison. Se prenait-
il pour Dieu ? C’est pour cela peut-être qu’il abattit son pasteur…

Laurent Pfaadt

Antonio Munoz Molina,
Comme l’ombre qui s’en va,
Seuil, 2016

Le livre du mois

LénineRobert Service, Lénine

Avec Staline et Trotski, Lénine est la
troisième grande figure du
communisme. Inspirateur de l’une
des plus grandes révolutions de
l’histoire de l’humanité, il reste celui
par qui tout a commencé. C’est ce
qu’a bien compris Robert Service,
enseignant à l’université d’Oxford
dans cette biographie qui devrait
constituer l’une des références
majeures du personnage.

Ayant eu accès aux archives du Parti communisme et plus
particulièrement au « dossier Lénine », Robert Service jette une
nouvelle lumière sur celui qu’on a bien souvent opposé à la
brutalité de Staline dans un jeu de miroir hagiographique. Ce que
nous dit Service à bien des égards c’est que Staline trouva en
Lénine plus qu’un maître à penser. Si Staline fut un voyou, Lénine
apparaît plutôt comme un idéologue intransigeant agissant au gré
des évènements. Au final, tous les chemins mènent à la dictature
du prolétariat…

Laurent Pfaadt

Perrin (coll. Tempus)

Le CD du mois

Nozze di FigaroMozart, Le nozze di
Figaro

Poursuivant son
travail entamé
avec le Chamber
Orchestra of
Europe dans Don
Giovanni
, Cosi Fan
Tutte
et
l’Enlèvement au
Sérail
, le chef
canadien Yannick
Séguet-Séguin
revient cette fois-ci avec les noces de Figaro. Pétillant, plein de
vie, l’opéra est une fois de plus réinventé et transcendé.

Grâce à une interprétation réalisée comme les précédentes en
live à Baden-Baden par un orchestre qui a su préserver sa
dimension chambriste qui convient aisément à l’opéra et à ses
rebondissements rythmiques et à un casting somptueux, on
éprouve un plaisir non dissimulé à vibrer au son des voix de
Thomas Hampson (Conte), Sonya Yoncheva impériale et inventive
en Contessa, Anne Sofie von Otter (Marcellina) et Rolando
Villazon (Basilio), de retour au plus hiveau.

Les surprises viennent indiscutablement de Christiane Karg,
sublime Susanna, et d’Angela Brower qui campe un Chérubin
exalté et confirme l’attention portée aux rôles secondaires de
cette série mozartienne qui devrait faire date.

Laurent Pfaadt

Deutsche Grammophon

Le livre du mois

LithiumAurélien Gougaud, Lithium

Lithium c’est la rencontre entre Il
et Elle dans ce Paris du XXIe
siècle. Mais plus encore, Lithium
constitue le destin commun de
deux êtres au bord du gouffre,
enfermés dans cette mégalopole
moderne où la superficialité et la
fuite en avant se disputent le
leadership. Lithium, cet élément
chimique sensé soigner les
troubles bipolaires est devenu la
patrie de nos deux héros et de leurs milliers de semblables, ces bipolaires sociaux.

On y croise des ambiances qui vont du Loup de Wall Street à
Requiem for a dream où nos héros, entre drogue, sexe et argent
s’interrogent sur leur place dans cette société mondialisée,
aliénante et qui bien souvent atomise les individus qui cherchent
leur salut dans le divertissement.

Lithium d’Aurélien Gougaud devrait faire parler de lui lors de cette
rentrée littéraire. Il contient en effet de belles promesses, celles
d’une jeunesse qui se cherche et d’un écrivain qui s’est trouvé.

Laurent Pfaadt

Chez Albin Michel

 

 

En charmante compagnie

ColtmanHugh Coltman et Jamie Cullum
étaient à l’affiche d’un incroyable
concert

Jazz in Marciac, c’est des
découvertes et des redécouvertes.
La soirée du 13 août 2016 résuma à
elle seule cette atmosphère qui
constitue la richesse incomparable de ce festival. Si les
spectateurs étaient venus en grande partie pour Jamie Cullum,
star planétaire et illustre représentant de la nouvelle génération
du jazz, ils ont été bien inspirés d’assister au premier concert du
chapiteau, celui de Hugh Coltman. Peu connu en dehors des
puristes, le britannique qui vit en France et se produit avec son
groupe de blues, The Hoax, était à Marciac pour un concert en
hommage à Nat King Cole.

Sa voix de crooner a immédiatement fait mouche. Plus habitué à
l’entendre sur BBKing, Coltman qui rappelle que son amour de
Nat King Cole lui est venu de sa mère à qui il a dédié la chanson
Morning Star, issue de l’album St Louis Blues en 1958, a réussi à
polir sa voix traditionnellement rocailleuse pour entonner les
titres de son dernier album solo, Shadows – Songs of Nat King Cole.
Dans un exquis mélange de grands classiques tels que l’inévitable
Mona Lisa sorti à l’été 1950 et de petites perles, Coltman a offert
un magnifique concert brûlant de passion et d’intimité
frissonnante. Il faut dire qu’il était accompagné de musiciens hors
pair notamment Thomas Naim à la guitare avec son faux air de
Clapton ou Bojan Z, victoire du jazz 2007, une fois de plus
incroyable au piano.

Mais avec Coltman, le blues n’est jamais bien loin et accompagné
de son harmonica, il n’a pas hésité à revisiter certains standards
du crooner de Montgomery ou à faire quelques infidélités à ce
dernier en allant du côté de Johnny « Guitar » Watson.

Quelques instants plus tard, le phénomène Jamie Cullum est
arrivé sur scène. Cullum revient avec autant de plaisir à Marciac
et cela se voit. Avec son énergie phénoménale, il a immédiatement
séduit le public. Avec ses musiciens de talent, il a entonné ses
grands tubes comme What a difference a day made, All At Sea. Mais
le concert fut également l’occasion de réécouter quelques tubes
qu’il a revisité comme Don’t Stop The Music de Rihanna (The
Pursuit, 2009), Amazing Grace, ou des titres plus anciens tels
qu’High and Dry (Pointless Nostalgic, 2002)

Les spectateurs furent immédiatement conquis devant cet
homme-instrument qui n’a pas hésité à jouer des percussions avec
son piano ou a ponctué ses morceaux de beatbox. Et entre deux
morceaux, il a communié comme d’habitude avec ce public qu’il
aime tant en usant de son charme et de son humour so british
notamment lorsqu’il s’est agi de s’excuser du Brexit. Ainsi, avec
plus de 250 000 personnes, le festival Jazz in Marciac a, une fois
de plus, fait honneur à sa réputation de meilleur festival de jazz de
l’hexagone. En attendant, la 40e édition, l’an prochain, qui
s’annonce déjà d’ores et déjà grandiose…

Laurent Pfaadt

Nouvelle saison, nouvelles sensations

© photo: Wade Zimmermann
© photo: Wade Zimmermann

La saison 2016-
2017 de la
Philharmonie du
Luxembourg
s’annonce une
nouvelle fois
palpitante 

On pense toujours
avoir tout vu à
Luxembourg. Et
puis, à chaque fois, d’année en année, l’orchestre philharmonique et sa merveilleuse
salle nous surprend, nous éblouis. Et cette nouvelle saison qui
démarre sur les chapeaux de roue avec rien de moins que l’une
des belles voix du monde, celle de la soprano colorature Diana
Damrau et l’une des plus illustres baguettes, celle du prochain
directeur musical des Berliner Philharmoniker, le russe Kirill
Petrenko, venu pour l’occasion accompagnée de la Bayerisches
Staatsorchester, ne devrait pas faire exception à la règle.

Comme d’habitude, il sera question de grands chefs (Riccardo
Chailly, Yannick Nézet-Séguin, John Eliot Gardiner, Valéry
Gergiev, Daniel Harding ou Sir Simon Rattle) et  – incroyable luxe –
les mélomanes pourront même comparer en février et en juin
2017 les directions mahlériennes de Gustavo Dudamel et de
Mariss Jansons à la tête du Symphonieorchester des Bayerischen
Rundfunks. Et si l’envie venait à leur prendre de changer de style,
ils n’auront que l’embarras du choix, avec le New York
Philharmonic, le Wiener Philharmoniker, le London Symphony
Orchestra ou les Arts Florissants de William Christie. Côté
répertoire, il y en aura pour tous les goûts. Ceux qui aiment
Mozart se régaleront devant Maria Joao Pires ou Nicolas Znaider.
Pour ceux qui préfèrent Beethoven, leurs rendez-vous
s’appelleront Joshua Bell qui dirigera l’Academy of St Martin-in-
the-Fields dans la sixième symphonie, Rudolf Buchbinder ou Jan
Lisiecki dans le cinquième concerto. Les amateurs de musique
russe retrouveront les deux grands solistes russes, Danill Trifonov
ou Denis Matsuev dans les deuxième et troisième concertos de
Rachmaninov et l’incomparable Patricia Kopatchinskaja dans le
célèbre concerto pour violon de Tchaïkovski tandis que les
amoureux d’opéra écouteront avec délice les voix sublimes de
Cécilia Bartoli, José Cura ou Thomas Hampson.

Toutes ces merveilles en feraient presque oublier l’orchestre
résident. Après une première saison très réussie, le nouveau chef
Gustavo Gimeno conduira une fois de plus l’orchestre
philharmonique du Luxembourg dans des contrées familières
mais également inexplorées. Accompagnée de la violoniste Janine
Jansen, artiste en résidence 2016-2017, il s’aventurera dans le
concerto à la mémoire d’un ange d’Alban Berg, dans la cinquième
symphonie de Nielsen ou laissera filer ses violoncelles aux bords
des abysses de Sofia Gubaidulina pour mieux retrouver les
rivages bien connus des septièmes symphonies de Bruckner et de
Beethoven, du Sacre du printemps ou de Ravel.

Cette saison sera également l’occasion de nouveaux voyages
autour du monde en compagnie du Brésil de Marya Andrade, de
l’Inde d’Anoushka Shankar, du bassin méditerranéen avec le
Concert des Nations de Jordi Savall et de l’univers tout particulier
d’Avishaï Cohen. Enfin, après les rêves mégalomaniaques de John
Malkovich, les apprentis-Dieu de 2001 : l’odyssée de l’espace et le
saxophone de Wayne Shorter, il n’y aura qu’une seul chose à faire
pour se remettre de ces émotions : le yoga, accompagné d’un
duduk, d’un violoncelle ou d’une harpe !

Laurent Pfaadt

Retrouvez toute la programmation de la Philharmonie sur : https://www.philharmonie.lu/fr/

Le charme du piano, seul ou à deux

BuduLe label suisse
Claves met à
l’honneur des
pianistes
incroyables

Les Préludes de
Chopin sont un
peu le passage
obligé de tout pianiste qui veut faire carrière à l’image d’un Pollini,
d’une Argerich ou d’un Blechacz. Ces vingt-quatre pièces restent,
près de 180 ans après leur création, toujours aussi magiques et
constituent un étalon de la virtuosité et de la sensibilité d’un
pianiste amené à rester dans l’histoire de la musique. Et à ce petit
jeu, le pianiste brésilien, Cristian Budu, vainqueur du concours
international de piano Clara Haskil en 2013, qui a consacré
notamment Christoph Eschenbach ou le prodige coréen Sunwook
Kim, s’en tire avec les honneurs.

Les Préludes de Budu sont pleines de couleurs. Tantôt ondoyantes
notamment les 3e, 5e et 16e, ces pièces témoignent d’une vitalité
et d’une énergie faîtes de rythme et de maîtrise. Grâce à son
talent incroyable, Cristian Budu adapte en permanence cette
formidable énergie comme par exemple lorsqu’elle devient si
sensible dans le 15e prélude. Il y a quelque chose de si charmant à
se laisser embarquer par Cristian Budu que l’on ne résiste pas
longtemps. Au 24e et dernier prélude, véritable chef d’œuvre
d’interprétation, on entend parfois l’écho du légendaire Claudio
Arrau à Prague en 1960. Le disque est complété par les bagatelles
de Beethoven qui sont merveilleusement pétillantes.

Dans un style différent, le duo Françoise-Green régale nos
oreilles avec leur nouveau disque consacré à Bach, Schubert et
surtout Kurtag. Antoine Françoise et Robin Green, qui
enchantent depuis plusieurs années de nombreux festivals,
possèdent un style vraiment particulier et où la complicité est le
maître-mot. Avec eux, on oublie que l’art du piano est trop
souvent considéré comme un exercice solitaire. Leur complicité
est immédiatement perceptible et se transmet aux auditeurs.
Avec Bach, on reste dans le classicisme le plus absolu, sans
fioriture mais sans pour autant être mécanique.

Ce qui est particulièrement appréciable chez eux, c’est leur
approche de la musique de Kurtag. Celle-ci qui peut parfois
paraître hermétique est ici traitée avec douceur. Sous les doigts
des deux pianistes, pas de brutalité dans les sonorités mais au
contraire, une complicité étonnante, joyeuse et légère qui
donnent à ces Jeux, ces Jatélok du compositeur hongrois qui
évoquent l’enfance, une fluidité agréable.

Cette douceur est également perceptible dans la Fantasie en fa
mineur pour quatre mains. Leurs interprètes ont su à merveille
restituer cet amour caché du compositeur envers la comtesse
Caroline Esterházy dont Schubert était secrètement amoureux.

Laurent Pfaadt

Cristian Budu, Chopin & Beethoven, Claves records, 2016

Françoise-Green piano duo, Games, Chorales & Fantasy, the music of Kurtag, Bach and Schubert, Claves records, 2016

Les métamorphoses d’un orchestre

JochumL’orchestre symphonique de Bamberg fête ses 70 ans

Il y a deux catégories
d’orchestre : les grands
orchestres, prestigieux avec
une longue histoire derrière
eux, et les orchestres de
province. Entre les deux
subsistent encore quelques
ovnis musicaux dont fait
assurément partie l’orchestre
symphonique de Bamberg. Un ovni transnational parce que bien qu’allemand, l’orchestre tire son identité de cette
musicalité tchèque qui a prévalu à sa création.

En 1946 naquit l’orchestre symphonique de Bamberg sur les
ruines de l’orchestre philharmonique allemand de Prague dans
une Tchécoslovaquie qui comportait une minorité allemande
importante. Le chef d’alors, Joseph Keilberth, aujourd’hui
injustement oublié, présida à sa création et à sa consolidation à
partir de 1950. Le formidable coffret édité par Deutsche
Grammophon permet aujourd’hui  d’entendre ces témoignages
musicaux uniques de l’ancêtre de l’orchestre symphonique de
Bamberg. Kleiberth inscrivit pleinement l’orchestre dans le
répertoire symphonique allemand, dans Beethoven notamment,
créant ainsi cette identité unique qui colore l’orchestre et où le
folklore d’un Dvorak croise l’académisme du maître de Bonn.
L’arrivée d’Eugen Jochum en 1968 dont le frère avait déjà dirigé
l’orchestre entre 1948 et 1950 marqua un tournant puisque le
chef affirma un peu plus cette identité germanique autour du
romantisme tardif de Bruckner. Les deux frères qui partagèrent
cette même passion brucknérienne insufflèrent à l’orchestre un
son particulier en revenant notamment aux versions originales du
génie d’Ansfelden. Quelques grands chefs brucknériens comme
Günter Wand, Rudolf Kempe ou Herbert Blomstedt, nommé chef
honoraire de l’orchestre, y trouvèrent ensuite magnifique gant à
leur baguette de velours ou de fer.

1973 constitua un nouveau tournant pour l’orchestre lorsque le
remplaçant d’Eugen Jochum, Istvan Kertesz, brillante étoile de la
direction d’orchestre, trouva la mort en Israël. Lentement,
Bamberg s’enfonça alors dans une routine, dépassé par d’autres
orchestres.

Il fallut attendre un quart de siècle jusqu’à l’arrivée d’un
britannique, Jonathan Nott, pour voir l’orchestre renaître de ses
cendres. Sans prétention, Nott redressa lentement l’orchestre
jusqu’à l’inscrire à nouveau au sommet de l’Europe musicale en
reprenant à la fois cette tradition du romantisme tardif avec
Mahler notamment dont il réalisa plusieurs gravures de référence
mais également en s’appropriant le répertoire contemporain. Il
créa ainsi des œuvres de Bruno Mantovani, de Wolfgang Rihm et
de Jörg Widmann, certainement l’un des compositeurs les plus
talentueux de sa génération, qui a été, ces deux dernières années,
en résidence à Bamberg.

Le départ de Nott vers la Suisse et l’arrivée du jeune et talentueux
Jakob Hrusa ouvre une nouvelle période dans la vie de
l’orchestre. La nouvelle programmation laisse entrevoir une
fidélité à cette tradition germano-tchèque consubstantielle à
l’orchestre et en même temps offre un clin d’œil malicieux à
l’histoire de la musique dans laquelle l’orchestre de Bamberg a
définitivement pris toute sa place.

Laurent Pfaadt

Retrouver toute la programmation de la saison 2016-2017 sur :

https://www.bamberger-symphoniker.de/

A écouter : Bamberg Symphony – The First 70 Years, Deutsche Grammophon (17 CD)

A lire : Andreas Herzau, Nora Gomringer, Bamberg Symphony, Hatje Cantz, 2016