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Mémoires flous

Prenez le personnage de The Mask tirant avec une énorme
sulfateuse. Voilà à peu près à quoi ressemble cette « semi
autobiographie » de Jim Carrey. L’acteur canadien, mondialement
connu pour ses rôles dans Ace Ventura, The Truman Show ou Man
on the moon, nous livre, aidé par la journaliste Dana Vachon, un peu
de son subconscient déjanté mais surtout une critique à l’acide
d’Hollywood.

D’emblée, on se demande si tout est véridique tellement c’est
énorme. Car Jim Carrey se livre à un véritable jeu de massacre.
Personne n’est épargné. Les mythes sont fracassés. Adepte de
gourous-charlatans ou en quête d’une jeunesse perdue tel Anthony
Hopkins, la société du divertissement dont on se demande qui
divertit qui, est dévoilée dans sa plus complète et obscène nudité.
Les stars de cinéma se succèdent sur ce tapis rouge préalablement
savonné par Jim Carrey, lui-même victime de ces « peurs atroces
d’abandon » qui le conduisent à se droguer à Netflix. Ces soi-
disantes stars, on les paie pour nous amuser mais au final, on ne les
aime pas. Alors Charlie Kaufman, Nicolas Cage, Gwyneth Paltrow et
Laser Jack alias Tom Cruise nous apparaissent soudainement
ridicules.

Dans cet opéra loufoque, Jim Carrey excelle une fois de plus en
clown triste, pris au piège de sa propre image. Il y a quelque chose à
la fois de pathétique et de profondément attachant dans ces
starlettes de série B courant après le succès pour éviter les hôtels
miteux, passant violemment du crédit refusé pour payer leur voiture
à l’acquisition d’un Frida Kahlo à plusieurs millions de dollars.
Quelque chose de touchant dans l’ascension de ce jeune gars du
Canada issu d’une famille où la pauvreté a brisé les rêves et les
corps. Avec ses délires, l’acteur nous renvoie notre propre image
civilisationnelle, celle d’un monde qui marche sur la tête et dont le
cours ressemble à un mauvais film. Mais plus encore, devant cet
argent dépensé dans ce Monopoly géant, Jim Carrey poursuit la
quête d’un bonheur qu’il n’obtient jamais et qui ne s’achète pas. Et
face à cette seule chose qui lui résiste, il tient une fois de plus, son
plus beau rôle.

Par Laurent Pfaadt

Jim Carrey et Dana Vachon, Mémoires flous,
Chez Seuil, 304 p
.

#Lecturesconfinement : Un crime sans importance d’Irene Frain par Mohammed Aïssaoui

J’ai aimé le récit d’Irène Frain, Un crime sans importance (Editions du
Seuil). La romancière évoque l’assassinat d’une vieille dame
attaquée sauvagement chez elle. Cette vieille dame n’est autre que
sa sœur aînée, Denise, 79 ans. Irène Frain explique sa démarche :
«J’ai entrepris d’écrire ce livre quatorze mois après le meurtre, quand le
silence m’est devenu insupportable.»
 Suivent 250 pages qui illustrent à
merveille la puissance de la littérature, cette capacité à rendre la
voix à une sans-voix.
Mohammed Aïssaoui est
journaliste au Figaro littéraire et
écrivain, auteur notamment de
L’Affaire de l’esclave Furcy, Prix
Renaudot de l’essai 2010. Son
dernier ouvrage, Les Funambules
(Gallimard, 2020) a figuré sur la
liste des principaux prix.
Un crime sans importance d’Irene Frain (Seuil)
par Mohammed 
Aïssaoui

#Lecturesconfinement : La vie joue avec moi de David Grossman par Laurent Pfaadt

Une histoire de femmes, de mères
et de filles unies par un lourd secret
et racontée par l’un des plus grands
écrivains de notre temps. Comment
le passé, ce granit inaltérable
sculpté par le marteau de l’histoire,
façonne ce que nous sommes et que
rien, ni le vent du temps, ni le soleil
brûlant de l’amour, ne parvient à
éroder. Parfois pourtant, au
crépuscule d’une vie comme celle de
Véra, l’implacable ténacité des êtres
qui vous aiment et souffrent à cause
de vous peut produire des miracles.
Comme une mer – celle-là même qui entoure l’île-prison de Goli-
Otok en Croatie où convergent les destins de Véra, Nina et Guili –
s’infiltrant dans la roche, même le passé le plus douloureux, peut
exploser afin de régénérer, dans ce livre magnifique jusqu’à la
dernière page, ceux qui ont eu le courage de l’affronter.

La vie joue avec moi de David Grossman (Seuil)
par Laurent Pfaadt

#Lecturesconfinement : La plus précieuse des marchandises de Jean-Claude Grumberg par Véronique Olmi

Né en 1939, Jean-Claude Grumberg,
dramaturge, auteur de livres pour la
jeunesse et scénariste,
 est l’un des
auteurs contemporains les plus joués
au monde, l’un des plus étudiés dans
les écoles.
 En 1942, son père est
arrêté devant lui, emmené à Drancy
puis déporté à Auschwitz. Séparés
 de
leur mère, son frère ainé et lui sont
emmenés dans une maison d’enfants.
Cette tragédie est
 au cœur de sa vie et
de son œuvre. Dans La plus précieuse
des marchandises
, il est question

justement, d’une partie de la
population appelée « les sans-cœurs », une partie de la population
considérée par une autre, plus nombreuse et donc plus puissante,
comme « non humaine »et acheminée par longs et incessants
convois, vers la mortCe pourrait être un conte, une histoire
impossible, pas vraie. Le livre ne commence-t-il pas par : « Il était une
fois »
 ? Le livre ne parle-t-il pas d’une  bûcheronne qui rêve d’avoir un
enfant et en reçoit un, un jour comme tombé du ciel,un bébé
enveloppé dans un châle, une marchandise jetée hors d’un train
traversant la forêt ?
 Assurément c’est un conte, une histoire
inimaginable, inventée par un romancierMais le dernier chapitre
s’intitule :Appendice pour amateurs d’histoires vraiesL’auteur y
énumère
 des numéros de convois, chiffres, dates, noms, prénoms,
celui de son père, celui de son grand-père… et ce conteque le
lecteur a bien évidemment lu de bout en bout comme une histoire
vraie, abandonne le ton si poignant du roman à la fois
intemporel,poétique et terrifiant, pour celui du constat. Après avoir
alterné les passages dans la forêt et ceux dans les campsaprès avoir
raconté l’histoire avec poésie, tendresse et frayeurJean-Claude
Grumberg nous laisse face à la vérité la plus crue, celle qui pose la
question de l’inhumain chez l’humain.
Véronique Olmi est romancière et auteure de pièces de théâtre. Son
roman Bakhita (Albin Michel, 2017) a été finaliste du prix Goncourt
et a remporté le prix du roman Fnac. Dernier livre paru : Les évasions
particulières
 (Albin Michel, 2020)

La plus précieuse des marchandises
de Jean-Claude Grumberg (Seuil)
par Véronique Olmi

#Lecturesconfinement : Le dépaysement de Jean-Christophe Bailly par Olivier Bleys

Qu’est-ce qu’un bon livre de
géographie ? C’est, joli paradoxe, un
livre qui donne envie de le refermer. 

Non par lassitude ou par désintérêt,
mais pour lacer ses chaussures et
mettre ses pas dans ceux de Jean-
Christophe Bailly. 

Ce grand lecteur du paysage et des
hommes sait rendre comme
personne l’intimité d’un territoire.

Il décrit la France tantôt d’en haut,
tantôt d’en bas, dans l’ensemble et dans le détail, comme s’il adoptait
les points de vue alternés de l’oiseau et du mille-pattes. 

Dans une langue admirable, riche et secrète comme une source en
forêt, l’écrivain nous abreuve de ses voyages, de ses lectures, de ses
méditations.
À lire et à relire jusqu’à plus soif.

 
Olivier Bleys, écrivain – marcheur, poursuit un tour du monde à pied par étapes qui vient d’atteindre Moscou.

Il vient de publier La leçon du brin d’herbe aux éditions de la
Salamandre

Le dépaysement de Jean-Christophe Bailly (Seuil)
par Olivier Bleys

#Lecturesconfinement : L’archipel d’une autre vie d’Andreï Makine par Nathalie Péchalat

Une épopée dans la taïga
russe…Une fuite en avant, une
traque… Ce livre nous emmène
dans un autre monde, nous
rapproche de la nature et nous
ouvre les yeux sur un possible
« ailleurs ». Vivement conseillé
pour ceux qui pensent ou sont en
reconversion professionnelle ou
personnelle.
Nathalie Péchalat, double
championne d’Europe de danse
sur glace, est la présidente de la
fédération française des sports de glace.
L’archipel d’une autre vie d’Andreï Makine (Seuil)
par Nathalie Péchalat

#Lecturesconfinement – Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte par Michaël Prazan

Un roman puissant et prémonitoire
du regretté Thierry Jonquet. En
marge du polar qui a fait la réputation
de son auteur, ce roman, porté par
une écriture simple, travaillée, et
précise, qui avait créé le débat lors de
sa publication, décortique les maux
qui rongent notre société. Bien
qu’écrit au lendemain des émeutes de
2005, tout est déjà là, qui résonne
avec notre actualité la plus brûlante.
La banlieue, la difficulté d’y enseigner,
les mécanismes de l’embrigadement
djihadiste… Le talent de l’écrivain au
service de sa mission fondamentale : la peinture sans fard de la
société telle qu’elle est, jusque dans ses tréfonds les moins explorés.
Juste, cruel et pessimiste.
Michaël Prazan est réalisateur de documentaires et écrivain.
Dernier livre paru : La Passeuse (Grasset)
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte (Seuil)
de Thierry Jonquet par Michaël Prazan

#Lecturesconfinement – Sabotage

Troisième et dernier opus de la
nouvelle série du maître espagnol
du roman d’aventures, Sabotage
nous emmène dans le Paris des
années 30 en compagnie de
Lorenzo Falco, espion à la solde des
franquistes. Chargé de détruire un
tableau et non des moindres, le
Guernica de Picasso, devenu
l’étendard des Républicains
espagnols, Falco se retrouve une
nouvelle fois confronté à des
imbroglios géopolitiques
savamment tissés par Perez-
Reverte entre guerre civile espagnole et ombres menaçantes des
fascistes européens.

Dans cette aventure où espionnage et art forment un exquis cocktail
littéraire dans une Paris en ébullition où le lecteur croise l’amiral
Canaris, chef de l’Abwehr, les services secrets nazis, Pablo Picasso et
les avatars d’André Malraux et d’Ernest Hemingway, Lorenzo Falco
va devoir jouer de son charme et de ses talents de tueur pour réussir
cette mission en apparence facile.

Ceux qui n’ont pas lu les deux premiers tomes n’auront aucun mal à
suivre Falco dans ce Paris interlope à la rencontre de ce monde
intellectuel fortement politisé, et en compagnie de femmes
sublimes. Mais au milieu de cette luxure se profile déjà le second
conflit mondial où chacun fourbit ses armes. Sur cet échiquier
incertain et trop grand pour lui, Lorenzo Falco devra choisir son
destin : pion ou cavalier.

Par Laurent Pfaadt

Arturo Perez-Reverte, Sabotage,
Chez Seuil, 384 p.

L’enfer du paradis…

Lesbos, la honte de l’Europe

En mission à Lesbos pour l’ONU en mai 2019, Jean Ziegler rapporte des faits têtus, impitoyables : d’un côté, le droit international et européen – revendication affichée de valeurs humanistes – et, en regard, la manière dont ces droits sont bafoués avec beaucoup de brutalité par les structures européennes en charge de la gestion des Réfugiés.

Par Luc Maechel

Jean Ziegler / Lesbos, la honte de l’Europe
Aux éditions Seuil, janvier 2020 (144 p.)

 

Le cheval des Sforza

Complément idéal de l’exposition
du Louvre, à l’occasion du 500e
anniversaire de la mort du génie,
Le cheval des Sforza, best-seller de
l’autre côté des Alpes, est une
fantaisie assez plaisante. Léonard
de Vinci, chargé de réaliser un
cheval en bronze pour le duc de
Milan, Ludovic le More, se mue ici
en détective afin de résoudre un
crime qui risque de mettre à mal
la position du souverain, courtisé
par la France de Charles VIII, ce
roi « incapable de conquérir une
latrine »
qui souhaite non seulement traverser le duché afin de
défier le roi d’Aragon mais également s’emparer par la même
occasion, des secrets militaires de notre génie.

Porté par une plume cocasse où l’on rit à chaque page et qui ne
recule devant aucune audace littéraire, Marco Malvaldi conduit
une véritable enquête policière aux multiples ramifications. Car
Léonard de Vinci va devoir mettre à profit son incroyable cerveau
pour résoudre cette affaire de meurtre qui le concerne au premier
chef. Fanatisme religieux, pouvoir de l’argent, intérêts
géopolitiques et bien entendu considérations artistiques font du
cheval des Sforza
un roman qui se lit au galop !

Par Laurent Pfaadt

Marco Malvaldi, Le cheval des Sforza,
Aux éditions Seuil, 272 p.