A Londres, vous êtes certainement arrivés trop tard pour voir tomber la tête du roi Charles Ier d’Angleterre, coupée par les partisans d’Oliver Cromwell. Mais voilà que les régicides se retrouvent à leur tour pourchassés dès la restauration monarchique. Cet épisode majeur de l’histoire britannique n’avait pas encore eu la visite de Robert Harris, l’un des maîtres du roman historique et auteur, entre autres, de l’inoubliable Fatherland, de Munich ou de D consacré à l’affaire Dreyfus.
Voilà chose faîte avec son nouveau roman, Les Régicides, nom donné à ces hommes qui participèrent à l’exécution de Charles Ier. Le nouveau roi, Charles II, est bien décidé à se venger de ceux qui ont assassiné son père, onze ans plus tôt, et notamment des colonels Edward Whalley et William Goffe. Il charge Richard Nayler de retrouver ces régicides en les pourchassant s’il le faut jusqu’au bout du monde. D’autant que Nayler a des raisons toutes personnelles de s’acquitter de cette tâche.
En utilisant la grande histoire pour en faire un roman entre Dumas et le thriller, Robert Harris réussit une fois de plus à faire coup double : celui de nous faire aimer l’histoire – y compris l’histoire anglaise ! – et de nous plonger dans une incroyable course-poursuite faîte de nombreux rebondissements. Une histoire de vengeance particulièrement savoureuse.
Par Laurent Pfaadt
Robert Harris, Les Régicides, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Anne-Sylvie Homassel Chez Belfond, 560 p.
Il y a 750 ans disparaissait Rûmi, l’un des grands maîtres du soufisme
La foule a dû être particulièrement nombreuse ces jours-ci à Konya. C’est dans cette ville du sud de la Turquie qu’est mort, il y a 750 ans, le 17 décembre 1273, Jalal ud Din Rûmi, principal représentant de l’un des grands courants de l’Islam, le soufisme. Une ville qui vit passer le pharaon Ramses ainsi que l’apôtre Paul et qui, selon Éva de Vitray-Meyerovitch (1909-1999), première femme à enseigner la philosophie comparée à l’université Al-Azhar du Caire dans les années 1950 et traductrice en français du Mathnawi de Rûmi, demeure « un de ces hauts lieux qui semblent voués depuis la nuit des temps à un extraordinaire destin ». Aujourd’hui alors que l’attention du monde occidental, par méconnaissance ou à des fins politiciennes, se focalise sur les courants fondamentalistes de l’Islam, notamment le wahhabisme et le salafisme, le soufisme mérite d’être mieux connu et apprécié.
Manuscrit du Mathnawi de Rûmi datant de l’époque timouride
Le soufisme tire son nom sans certitude d’ Ahl al-soufa, « les gens du banc » en référence à ceux qui vivaient dans la mosquée du Prophète à Médine et s’il n’a été formalisé qu’en 1766, il se définit comme une voie mystique de l’Islam où l’être, dépouillé de tout égo et à l’âme purifiée face à son créateur, accéderait à l’amour de Dieu par les arts, en particulier la musique et la poésie. Les manifestations les plus connues de ce chemin vers l’amour sont celles des derviches tourneurs, confrérie fondée par Rûmi et pratiquant la sama, cette danse typique, qui furent pendant longtemps des mendiants et des marginaux suscitant la méfiance et le rejet de musulmans plus rigoristes. De plus, les soufis restent persuadés que le Coran possède deux niveaux d’interprétation : celui qu’on lit appelé zahir et celui caché, métaphysique – le batin – vénéré également par les chiites, l’autre grande famille des musulmans avec les sunnites (tenants de la tradition ou sunna). « Si tu ne trouves pas la compagnie d’un homme sage, prends de moi ce qui me vient de mon père et de mes ancêtres. Choisis mon maître Rûmi comme compagnon de route, afin que Dieu t’accorde le désir et la ferveur ; car Rûmi distingue et connaît l’écorce et le noyau » écrivit ainsi Muhammad Iqbal (1877-1938), poète et philosophe soufi considéré comme le père spirituel du Pakistan et dont la pensée popularisée en France par Éva de Vitray-Meyerovitch reparaît aujourd’hui. Tout au long de son histoire, le soufisme fut ainsi formalisé par quelques grands maîtres comme Abu Hamid Al-Ghazali (1058-1111), auteur du célèbre Revivification des sciences religieuses ou Ibn Arabi (1165-1240) et se retrouve dans un certain nombre d’ouvrages notamment le fameux traité du soufisme d’Abu Bakr al-Kalabadhi (+990) et La conférence des Oiseaux de Farid Al-Din Attar (1145-1190/1229)
Mausolée de Rûmi à Konya
Malgré un certain nombre d’idées reçues Rûmi n’a pas été le fondateur du soufisme mais l’une de ses figures tutélaires. Né en 1207 dans l’actuel Afghanistan, alors partie de l’empire perse, Rûmi fut le sheikh de la communauté religieuse de Konya, une sorte de maître-éducateur religieux. Sa rencontre avec un derviche errant le poussa vers une forme de mysticisme produisant les premières sohbet (conversations mystiques) qui allaient former une partie de son œuvre conséquente qui comporte également plaisanteries, poèmes allégoriques et extatiques de plus de cinquante mille vers formant le Mathnawî et de nombreux contes regroupés dans le célèbre Mesnevi qui abordent sous la forme de 424 histoires allégoriques de nombreuses questions de la vie qu’elles soient morales ou religieuses. « L’oeuvre de Rûmi est fondamentalement celle d’un poète mystique, musulman et soufi. On pourrait la résumer en une métaphore unique qu’il utilise abondamment, celle du papillon nocturne, attiré inexorablement par la lumière et qui se jette dans la flamme de la chandelle. Cette image signifie l’idéal de la fusion en Dieu dont rêve Rûmi » estime ainsi Jacques Deregnaucourt qui signe la préface de L’essentiel de Rûmi (Almora).
Aujourd’hui Rûmi est considéré comme un saint et le soufisme séduit de nombreux adeptes dans le monde musulman mais également en Europe et aux Etats-Unis où son mysticisme qui accorde une place importante à la méditation offre des réponses à la fois à la quête de sens qui traverse les sociétés européennes et constitue une alternative positive aux courants intégristes de l’Islam.
Par Laurent Pfaadt
Pour découvrir le soufisme et sa philosophie, Hebdoscope vous conseille :
L’essentiel de Rûmi anthologie réalisée par Coleman Chez Almora éditions, 448 p., qui constitue une bonne introduction
Éva de Vitray-Meyerovitch, Rûmi et le soufisme, collection sagesse Aux éditions Points, 192 p.
On pourra ensuite poursuivre avec quelques textes fondamentaux comme Le Mesnevi, recueil de contes écrits par Rûmi (Albin Michel), Le traité du soufisme d’Abu Bakr al-Kalabadhi (Actes Sud, Babel) et Le livre de l’Eternité de Muhammad Iqbal (Libretto).
Ivan Cadeau est chef du bureau Doctrine, opérations et renseignement au Service historique de la Défense. Spécialiste des guerres d’Indochine et de Corée, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont cet Okinawa 1945, dans la collection Champs de bataille. Pour Hebdoscope, il revient sur cette dernière grande bataille de la seconde guerre mondiale.
1- Dans quel contexte s’inscrit la bataille d’Okinawa ?
Au printemps 1945, les Américains sont aux portes du Japon et la conquête d’Okinawa représente le dernier tremplin avant l’invasion des îles principales. Conscients de ne pouvoir remporter la victoire, les Japonais espèrent infliger des pertes insupportables à l’adversaire pour le dissuader dans son entreprise. Il s’agit alors de contraindre Washington à négocier et à sauvegarder les institutions impériales.
2- Comment expliquer le nombre importants de victime civiles, entre 100 à 150 000 morts ?
Les pertes dramatiques enregistrées par les populations civiles okinawaïennes peuvent s’expliquer par trois facteurs. En premier lieu, les habitants de l’île sont réquisitionnés pour participer aux défenses établies par l’armée japonaise, une réquisition qui concerne les jeunes collégiens mais également les hommes âgés. Dans l’accomplissement de leur mission, beaucoup sont tués. En second lieu, l’exiguïté du champ de bataille et l’imbrication entre militaires et civils font que des milliers sont victimes des bombardements américains. Enfin, et c’est là une particularité majeure de la bataille, nombreux sont les militaires japonais à vouloir lier ces populations au sort de la 32e armée. Comme toute idée de reddition est inacceptable, ils obligent des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants à se suicider, lorsqu’ils ne les assassinent pas eux-mêmes parfois.
3- La férocité des combats notamment de la part des défenseurs japonais traduit elle le chant du cygne du militarisme japonais porté à son paroxysme et qui n’a fait que s’intensifier depuis l’entre-deux-guerres ?
La combativité extrême et le taux de pertes élevés chez les soldats japonais s’inscrivent dans la tradition de l’armée impériale et reflètent ses doctrines, son code d’honneur et la formation donnée aux militaires, en même temps que la formidable pression sociale et familiale qui existe dans la société nippone et qui pèse sur les combattants. En effet, leur comportement au feu ou les circonstances de leur mort sont connus « à l’arrière », au village ou dans leur quartier, et explique le peu de prisonniers faits par les troupes américaines. Il ne faudrait toutefois pas voir dans l’issue de la bataille de changements majeurs (même si le nombre de prisonniers est plus élevé qu’ailleurs) après la bataille ; pour les autorités militaires, Okinawa constitue certes une défaite supplémentaire, mais il reste des millions d’hommes sous les armes et l’invasion du Japon qui se profile se promet d’être un bain de sang beaucoup plus terrible encore.
4- Les Japonais avaient ils conscience que la survie de leur régime, de leur mode de vie se jouait à ce moment ? Est-ce pour cela que l’on a également dénombré un nombre important de suicides ?
Il existe plusieurs courants au sein de l’appareil politico-militaire, comme de la population japonaise. Certains sont conscients que la guerre est perdue depuis longtemps quand d’autres estiment pouvoir durer en attendant un miracle, la fameuse « bataille décisive » qui renverserait le cours de la guerre. Il y a également nombre de soldats, à tous les niveaux qui évoluent dans une sorte de déni de la réalité et dont le système de pensée refuse toute idée même de défaite ou de négociations. Quant au nombre de suicides, il est courant chez les militaires depuis la défaite d’Attu, dans les Aléoutiennes, en mai 1943 où la mort est préférable au déshonneur du statut de prisonniers. Les suicides de civil se répandent eux à l’été 1944, à Saipan et à Tinian, dans les Mariannes du Nord où, conditionnés par l’armée impériale, les habitants sont invités à se donner la mort pour échapper, là-aussi, au déshonneur.
5- Les lourdes pertes enregistrées lors de la bataille ont-elles fait pencher la décision d’utiliser quelques mois plus tard la bombe atomique plutôt que d’opter pour l’invasion terrestre du Japon ?
La décision d’utiliser l’arme atomique sur le Japon répond à un ensemble de facteurs et de considérations de la part de l’administration américaine. Les pertes terribles enregistrées par l’armée américaine en sont une. Le 18 juin 1945, quelques jours avant la fin de la bataille d’Okinawa, le président Truman déclare ainsi ne pas vouloir faire « Okinawa d’un bout à l’autre du Japon ». Pour les responsables américains, l’objectif est d’employer l’arme atomique le plus tôt possible, pensant – à tort – que le feu nucléaire pourrait seul faire plier le Japon. On sait désormais que l’entrée en guerre de l’Union soviétique et le début de l’invasion de l’armée rouge décide l’empereur Hiro Hito à accepter la capitulation sans condition.
Interview par Laurent Pfaadt
Pour connaître l’état d’esprit des deux camps et s’immerger un peu plus dans la guerre du Pacifique, Hebdoscope vous recommande :
Haruko Taya Cook, Theodore F.Cook, Le Japon en guerre (1931-1945), traduit par Danièle Mazingarde, coll. Tempus Aux éditions Perrin, 768 p.
Recueillant soixante-neuf témoignages d’acteurs du conflit (paysans, soldats, artistes et femmes), le livre dresse un portrait d’une société japonaise en armes. Ces témoignages à la fois édifiants et bouleversants donnent un livre d’une importance capitale pour comprendre l’état d’esprit des Japonais. « Nous savions que, si nous étions capturés, ils nous tailleraient en morceaux (…). Les femmes seraient violées. C’est pour ça que nous nous suicidions , pour éviter d’être pris par l’ennemi » raconte Kinjo Shigeaki, enfant à l’époque.
Eugène B. Sledge, Frères d’armes, traduit par Pascale Haas et préfacé par Bruno Cabanes, coll. Tempus Aux éditions Perrin, 576 p.
Le récit de ce marine qui participa aux batailles de Peleliu (1944) et d’Okinawa (1945) a un petit côté Spielberg. « Nous vivions dans la peur constante de mourir ou d’être mutilés. Mais l’idée d’être encerclé et blessé sans pouvoir me défendre me glaçait jusqu’au fonde l’âme » écrit ainsi Eugène Sledge. Pour en savoir plus, mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/selection-poches/
Avec son livre Soazig Villerbu dépoussière notre connaissance du Far West
N’en déplaise à John Dutton et à ses ancêtres luttant contre tous ceux qui veulent le déposséder de ses terres et les transformer en espace mercantile, le parc de Yellowstone, titre également de la série à succès sur Paramount +, fut d’abord créé en 1872 « pour le plaisir des touristes qui auraient les moyens de s’y rendre : la bourgeoisie blanche » selon Soazig Villerbu, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Limoges et spécialiste de l’Ouest nord-américain dans un livre qui devrait faire date. Car non seulement Yellowstone a été pensé dans un esprit commercial mais surtout le parc s’est fait au détriment de ses premiers habitants, les Indiens Shoshones et Bannocks.
Libéralisme économique et génocide, voilà les deux colt dégainés par notre auteure dans ce livre en forme de règlements de compte à OK Corral avec les mythes de la conquête du Far West. Car rien n’était écrit d’avance, surtout pas par Soazig Villerbu qui disert intelligemment sur les guerres indiennes destinées à « venir à bout des populations autochtones », sur les Rocheuses à la fin du XIXe siècle et bien évidemment sur ces cowboys et fermiers qui façonnèrent le mythe. Entre commerce, négociations, massacres et ruses, rien n’échappe à l’analyse de notre professeure transformée en justicière de l’histoire.
L’autre grande plus-value du livre est bien évidemment d’élargir la focale à l’ensemble du continent nord américain en y incluant le Mexique et le Canada car le soft power américain a vite fait de réduire cette histoire de la frontière aux seuls États Unis. Une frontière sur le point d’être, une nouvelle fois, franchie.
Par Laurent Pfaadt
Soazig Villerbu, Nouvelle histoire de l’Ouest, Canada, Etats-Unis, Mexique (fin XVIIIe-début XXe siècle) Passés composés, 416 p.
Plusieurs publications mettent en valeur la civilisation japonaise
Le Japon fascine toujours autant. Pourtant, il reste encore, aux yeux de l’Occident, méconnu. Pour s’immerger dans la culture japonaise et y voir un peu plus clair, rien de tel que d’entrer dans le dictionnaire amoureux du Japon de Richard Collasse. L’ouvrage de la collection des dictionnaires amoureux de Plon évoque aussi bien le réalisateur Akira Kurosawa que le Sakura qui « de tous les fantasmes que suscite le Japon, celui du cerisier en fleur, est sans doute le plus ancré dans l’esprit du commun des mortels » en passant par les Shotengai, ces allées commerçantes formant des agoras sociales et le Kyotographie, le premier festival international de photographie au Japon, permet ainsi de découvrir une société complexe, fascinante et parfois déconcertante.
A l’origine, le Japon fut une île de chasseurs-cueilleurs. C’est ce que montre parfaitement le nouveau volume fascinant de la collection des Mondes anciens de Belin. Se fondant sur les dernières découvertes archéologiques, leurs auteurs, Laurent Nespoulous et Pierre François Souyri estiment que les premiers signes d’une activité humaine dans l’archipel remonteraient à 38 000 ans avant J-C. Ces premiers chasseurs-cueilleurs nomades se regroupèrent ensuite dans ce qui constitua les prémisses de structures communautaires organisées en anneaux.
Les troisième et quatrième siècles de notre ère virent ensuite l’émergence d’un pouvoir politique qui, au fil des siècles, se structura. Comme à chaque fois, dans cette magnifique collection richement illustrée, cartes, plans et photos viennent illustrer un propos fort pertinent. Des focus servent également à illustrer des moments-clés ou des bascules de l’histoire comme celui, par exemple, autour du temple bouddhique du Horyu-ji qui est peut-être le plus vieux bâtiment en bois du monde mais montre surtout le poids pris d’une religion devenue en 645, religion d’État. Cette époque – l’ouvrage réserve également des découvertes surprenantes – fut également celle du règne de monarques féminins (VIIe et VIIIe) symbolisé notamment par la mythique Himiko.
Si l’ouvrage prend également soin d’explorer les différentes parties de l’archipel – la partie consacrée à l’île septentrionale d’Hokkaido et aux relations avec les Aïnous est fort intéressant – Laurent Nespoulous et Pierre François Souyri se focalisent sur l’ère d’Heian-Kyo, l’ancien nom de Kyoto, fondée en 794 et qui va structurer le Japon pendant plus de mille ans. A ce titre les deux auteurs estiment que « Heian incarne souvent dans l’imaginaire japonais le premier Japon, celui que l’on a tendance à projeter sur les époques antérieures tant il apparaît comme une évidence ».
Déambulant littérairement dans les rues de Kyoto, le lecteur suit Pierre François Souyri dans son autre ouvrage, sa nouvelle histoire du Japon actualisée, à travers les ateliers de luxe fabriquant les plus beaux kimonos en soie et à la rencontre des shoguns, des daimyô et bien évidemment des samouraïs, ces barbares devenus fréquentables et qui vont au cours des siècles suivants, occuper des quartiers entiers de la capitale et se hisser jusqu’aux sommets d’un pouvoir qui, notamment durant l’ère Tokugawa se caractérisa par une stabilité institutionnelle ainsi qu’un essor économique durable.
Tout en s’affranchissant de poncifs, Pierre François Souyri insère le Japon dans une histoire globale où quelque soit les civilisations, les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets. Ainsi, à la suite de l’ouverture de l’ère Meiji marqué par le transfert de la capitale à Tokyo (1869) et la marginalisation des samouraïs, la dérive d’un empire durant ce qu’il appelle les « années noires » marquées par la corruption et la peur du communisme, conduisit à la catastrophe de la seconde guerre mondiale. « Le coût et l’entretien d’un empire et d’une armée considérable pèse trop sur les finances au moment où la croissance tend à faiblir » écrit ainsi l’auteur.
Une armée perçue par les Japonais comme un moyen d’ascension sociale et qui, idéologisée et fanatisée, précipita ses enfants dans l’abîme de batailles terribles comme à Okinawa en 1945 (voir interview d’Ivan Cadeau). Mais à la différence de l’Empire romain, l’institution impériale subsista, permettant la sauvegarde et la cohésion d’une civilisation qui, aujourd’hui encore, conserve une forme d’éternité y compris dans notre imaginaire collectif.
Par Laurent Pfaadt
A lire :
Richard Collasse, Dictionnaire amoureux du Japon Chez Plon, 1312 p.
Laurent Nespoulous, Pierre François Souyri, Le Japon : Des chasseurs-cueilleurs à Heian (-36 000 à l’an mille) Coll. Mondes anciens, Belin, 538 p.
Pierre François Souyri, Nouvelle histoire du Japon Aux éditions Perrin, 640 p.
Il y a soixante-dix ans, l’Everest était gravi pour la
première fois
La
photo a fait le tour du monde et est entrée dans les livres d’histoire. Deux
hommes, Edmund Hillary, alpiniste néo-zélandais, et Tenzing Norgay, son sherpa népalais
posent fièrement en ce 29 mai 1953 sur le toit du monde, au sommet de
l’Himalaya. A ce moment, l’homme vient de triompher de la nature et, l’espace
d’un bref instant, il est devenu sur cet Olympe, ce sommet des dieux, l’égal de
son créateur.
Hillary et Tenzing au sommet de l’Everest
Pour
comprendre l’importance de ce moment, de cette photo, il faut revenir quelques
trente ans en arrière, le 6 juin 1924, pour découvrir, dans la chambre noire de
l’alpinisme transformée en mausolée, le négatif en quelque sorte de cet exploit
gravé sur une pellicule tâchée du sang de ces hommes qui, en quête de gloire
pour eux-mêmes ou leurs pays, payèrent de leur vie, la conquête de cette
dernière grande frontière.
Expédition de George Mallory
Les
Soldats de l’Everest raconte cela, les destinées de ces hommes, anciens
soldats, médecins ou explorateurs lancés dans une aventure hors du commun, à
l’assaut de montagnes qui ne figuraient sur aucune carte en dignes successeurs
des Richard Burton, Robert Perry et Perry Fawcett. Ils s’appelaient George
Mallory, considéré comme le meilleur alpiniste de son temps, Andrew Irvine qui
disparut avec Mallory le 8 juin 1924 mais également Edward Norton ou Percy
Wye-Harris qui découvrit le piolet d’Irvine. Dans ce livre qui ne manque pas de
souffle alors même que sur les pentes de l’Everest, il se faisait rare, Wade
Davis, anthropologue et explorateur revient sur leurs exploits et les insère
intelligemment dans ces considérations géopolitiques qui animèrent des pays
désireux d’obtenir la photo du premier homme à dompter le toit du monde.
Une
photo qui jalonne également le très beau livre de Jean-Michel Asselin sur
l’histoire de l’Everest. L’ascension de Mallory et Irvine y figure bien
évidemment en bonne place et rejoint celles de tous ces alpinistes qui ont fait
la légende de l’Everest, des pionniers aux touristes de l’Himalaya en passant
par Yuichiro Miura, ce japonais dévalant le col sud en 1970 et devenant en
2013, à l’âge de 80 ans, le summiter le plus âgé ou Pierre Mazeaud,
futur secrétaire d’Etat qui mena la première expédition française en 1978.
Jean-Michel Asselin n’omet pas les drames qui ont également marqué cette
histoire, des sept sherpas morts en 1922 à qui il rend hommage en passant par
la mort de Chantal Mauduit en 1998.
L’auteur
nous fait bien évidemment revivre, photos à l’appui, jour après jour, heure
après heure, camp après camp, l’exploit d’Hillary et de Tenzing. Arrivé au
sommet, ce 29 mai 1953 à 11h30, « Hillary sort son appareil et
photographie Tenzing qui brandit son piolet auquel sont attachés le drapeau des
Nations Unies, l’Union Jack, le drapeau népalais et le drapeau indien » écrit
ainsi Jean-Michel Asselin.
L’exploit
de Tenzing et d’Hillary en 1953 ne signifia pas la fin de l’Everest mais
entraîna une sorte d’avalanche d’alpinistes bien décidés à reproduire l’exploit
des deux hommes. Professionnels comme amateurs, appareils photos en bandoulière
ou solidement préparés, ils se lancèrent avec des guides plus ou moins sérieux
à l’assaut de l’Everest. En 1996, le fils de Tenzing Norgay, Jamling Tenzing
Norgay gravit à son tour l’Everest tandis qu’une avalanche coûtait, cette même
année, les 10 et 11 mai, la vie à huit personnes, drame que relata Jon Krakauer
dans son best-seller, Tragédie à l’Everest, adapté ensuite pour la
télévision.
Voilà pour l’histoire et sa photo. Reste le doute. Et si sur cette photo, le premier homme ayant gravi l’Everest n’était pas celui que l’on croit ? Et s’il fallait voir sur cette photo un repenti cachant une autre photo, celle que découvre le photographe Fukamachi dans cet appareil photo acheté dans une boutique de Katmandou et ayant appartenu à George Mallory dans l’incroyable série Le sommet des dieux de Jirô Taniguchi et Baku Yumemakura ? D’une beauté visuelle absolument grandiose, les différents volumes en noir et blanc – seules quelques planches sont en couleur – emportent immédiatement son lecteur dans une aventure qui atteint des sommets. Résultat de dix ans de recherches et de travail, Le sommet des dieux est un roman graphique qui séduira même ceux que le manga intéresse peu. Et là-dessus, il n’y a pas photo !
Par Laurent Pfaadt
Wade Davis, Les soldats de l’Everest, Mallory, la Grande guerre et la conquête de l’Himalaya, Perrin, coll Tempus, 992 p.
Jean-Michel Asselin, Une histoire de l’Everest, Glénat, 192 p.
Jirô Taniguchi, Baku Yumemakura, Le sommet des dieux, 5 tomes, Kana
Cédric
Gras raconte dans deux ouvrages passionnants ce que la conquête de l’Everest
représenta pour les pays communistes
Un
sommet à atteindre. Comme les échecs et la musique classique, l’alpinisme
devint, dans les pays communistes, avant et après la seconde guerre mondiale,
un enjeu géopolitique et un moyen de prouver à la face du monde, la domination
de l’idéologie communiste.
Caravane des Abalakov sur l’Inyltchek Copyright Lorenz Saladin
En
Union soviétique, cette obsession se trouva incarnée par deux frères :
Evgueny et Vitali Abalakov. En 1933, Evgueny Abalakov gravit le pic Staline
(aujourd’hui pic Ismaïl Samani haut de 7495 mètres) tandis que son frère Vitali
réussit en 1934, l’ascension du pic Lénine, aujourd’hui pic Abu Ali Ibn Sina au
Tadjikistan (7134 mètres). Les deux hommes devinrent alors des héros
soviétiques avant que deux ans plus tard, Vitali Abalakov ne soit victime de la
grande terreur. Celui qui avait célébré la gloire, un piolet à la main, du
petit père des peuples se retrouva envoyé en prison. C’est ce que raconte
Cédric Gras, féru d’alpinisme et auteur de nombreux ouvrages sur l’espace
soviétique dans ce livre incroyable récompensé par le prix Albert Londres 2020.
Pour cela, l’auteur est allé rechercher dans les archives du NKVD les documents
permettant de retracer les incroyables destins des frères Abalakov.
En 1936, les deux frères effectuèrent ensemble l’ascension
du terrible Khan Tengri, point culminant du Kazakhstan situé à 7010 mètres
d’altitude en compagnie d’un photographe suisse et sympathisant communiste,
Lorenz Saladin qui immortalisa leurs exploits avant de mourir quelques heures
après la descente. Une expédition difficile qui allait coûter à Vitali, dix
phalanges et deux années de sa vie pour avoir emmener, soi-disant à l’étranger,
Lorenz Saladin. Si la raison de sa chute (politique) reste encore obscure,
Cédric Gras montre qu’elle s’inscrivit dans une purge qui précipita 50 %
des principaux alpinistes soviétiques, représentants d’un sport qui a longtemps
été considéré comme bourgeois. A son retour sur les pentes des sommets du
Caucase, Vitali était devenu une légende mais à quel prix.
Au lendemain de la mort d’Evgueny Abalakov en 1948, la Chine, devenue à son tour communiste, comprit elle aussi tout le prestige qu’elle pouvait tirer de l’alpinisme. Engagé dans cette même cordée littéraire, Cédric Gras s’est ainsi lancé, avec ce nouvel ouvrage, sur les pas de ces alpinistes de Mao. Et si les frères Abalakov avaient été les agents de propagande de Staline, ce n’était rien en comparaison de ceux qui gravirent les pentes nord du Qomolangma (nom chinois de l’Everest) pour le compte du Grand Timonier. Cédric Gras n’hésite pas à parler de fanatisme et raconte que l’alpinisme selon Mao Zedong ne fut pas seulement « une affaire de gloire et d’exploit patriotique » mais participait d’une « conquête militaire d’un territoire jusqu’à ses éminences les plus vertigineuses ». Ce territoire s’appelait bien évidemment le Tibet.
L’auteur revient tout particulièrement sur cette expédition des 24 et 25 mai 1960 qui vit plusieurs alpinistes atteindre le toit du monde. Une expédition qui suscite toujours de sérieux doutes notamment en l’absence de photos. Enquêtant jusque dans les montagnes chinoises, Cédric Gras découvrit notamment dans club d’alpinisme du Sichuan, les mémoires de l’un des trois alpinistes ayant dompté le Qomolangma. Or surprise, les pages consacrées à l’ascension de 1960 ont été arrachées. De quoi nourrir un peu plus un soupçon formant le mystère de ce livre passionnant.
Par Laurent Pfaadt
Cédric Gras, Alpinistes de Staline Chez Points, coll. Points aventures 264 p.
Comment qualifier ce livre magnifique ? D’une ode à la mémoire ? D’un témoignage de la relation toujours difficile d’un fils avec son père ? Peut-être les deux finalement.
Les
nazis ont pris le pouvoir en Allemagne. Les juifs sont poussés à partir sans
savoir qu’ils ne reverront pas leur pays et que s’ils ne le font pas, ils
seront bientôt exterminés. Hans arrive en Angleterre avec le dernier Kindertransport,
ces convois qui, à partir de la nuit de cristal de novembre 1938 et jusqu’à la
veille de la seconde guerre mondiale, évacuèrent des enfants juifs vers la
Grande-Bretagne.
Hans
survécut à la Shoah quand une grande partie de sa famille périt. Il allait
enfouir son histoire au plus profond de lui-même, jusqu’à ses quatre-vingt ans
lorsque son fils avec qui il eut une relation compliquée lui propose de revenir
à Berlin pour, d’une certaine manière, rattraper ce temps perdu dans les
abysses de la douleur où il enferma sa relation avec son fils.
Dans ce livre qui rappelle Une odyssée, un père, un fils, une épopée de Daniel Mendelssohn, Jonathan Lichtenstein montre que souffrances de l’histoire se transmettent dans les non-dits, dans les silences et que sitôt cicatrisées, elles apaisent, elles libèrent.
Par Laurent Pfaadt
Jonathan Lichtenstein, Revenir à Berlin, traduit de l’anglais par Claire Dessarrey Aux éditions Le livre de poche, 320 p.
Jean-Luc Barré signe le premier volume réussi d’une
biographie de Charles de Gaulle
Parmi
les grands sommets de l’histoire de France, il y a ceux, à l’instar de nos
vieilles chaînes de montagnes, qui s’arpentent aisément, sans difficultés car
polies par le temps. D’autres plus ardues, réservent à chaque historien, des
passes difficiles, des cols dangereux où l’oxygène se fait rare mais où il est
possible, en cas d’ascension réussie, d’écrire la légende.
De Gaule à Chartres
Jean-Luc
Barré a décidé de tenter sa chance. Il faut dire que l’écrivain et éditeur est
en la matière un alpiniste chevronné. Les sommets gaullistes n’ont plus de
secrets pour lui, il les a même domestiqué. Mais le voilà devant son Everest,
celui du général avec cette biographie en deux tomes dont le premier s’arrête
comme un palier à 6000 mètres à la libération de Paris en 1944.
Près
de mille pages comme autant de pas vers l’affirmation que Charles de Gaulle fut
réellement l’homme de personne. Pour cela, Jean-Luc Barré est allé chercher
nombre de documents inédits provenant de notes confidentielles, de témoignages
privés et de fonds d’archives françaises et étrangères récemment ouverts.
Ces
preuves viennent ainsi étayer un peu plus la conviction d’avoir affaire à un
homme d’État sommeillant dans ce militaire blessé à Verdun et à la clairvoyance
rarement prise en défaut – en tout cas jusqu’en 1944 – comme lorsqu’il fut « l’un
des seuls officiers de l’armée française (…) à mesurer les conséquences pour la
sécurité de la France et de l’Europe du retour en force du militarisme
allemand ». On connaît tous la suite, l’invasion de la Pologne en 1939
et la nomination le 6 juin de Charles de Gaulle au poste de sous-secrétaire
d’État à la Guerre et à la Défense nationale. Vinrent alors ces journées de
juin où l’homme rencontra son destin avec, nous dit l’auteur, peut-être un brin
de chance. Et la plume de notre auteur drapée dans un lyrisme comme un piolet
dans la glace, excelle à dépeindre ces moments où ce même destin juché sur son
Olympe choisit Charles de Gaulle, cet « homme intact qu’il a reconnu
plus légitime que lui pour incarner dans un avenir proche une autre idée de la
France que celle de la servitude et de la soumission » plutôt que
Georges Mandel.
Les
mots sont lâchés comme une voie ouverte vers le sommet : « une autre
idée de la France » ainsi que le refus de « la soumission ». De
Gaulle et le gaullisme tiennent dans ces deux concepts que le général parvenu à
Londres n’eut de cesse, face à Roosevelt et à Churchill et de Dakar à la
libération de Paris en passant par Bir Hakeim, de défendre.
Pour
autant, l’auteur ne nie pas le mythe et surtout ne l’évacue pas de son récit
pour deux raisons : la première est qu’il sert à expliquer la fascination
et l’aura de Gaulle et deuxièmement parce que certains épisodes comme sa
première rencontre avec Jean Moulin à Londres le 25 octobre 1941 ne sont pas, à
ce jour, étayées par des traces factuelles.
Récompensé à juste titre par le Prix Renaudot de l’essai, De Gaulle, une vie a tout de l’ouvrage de référence. Pour autant, le plus dur reste à venir car si l’exploit de l’homme de personne s’établit en 1940, celui du biographe et historien reste à effectuer. Et Jean-Luc Barré de préserver ses forces pour la seconde partie. C’est tant mieux, il en aura besoin pour affronter les périls historiographiques et une histoire étouffante qui ne manqueront pas de se dresser sur sa route.
Par Laurent Pfaadt
Jean-Luc Barré, De Gaulle, une vie, tome 1, l’homme de personne (189-1944) Chez Grasset, 992 p.
A
noter également que les éditions Passés composés publieront le 17 janvier 2024,
les barons du gaullisme de Pierre Manenti
Deux
enregistrements des orchestres philharmonique et symphonique de Berlin et de
Londres célèbrent les symphonies de Dimitri Chostakovitch
Et
si on vous disait que les Russes ont à nouveau conquis Berlin avec à sa tête un
général russe, vous n’en croirez pas vos oreilles. Et bien c’est bel et bien à
cela que l’on assiste avec le très beau coffret de l’orchestre philharmonique
de Berlin dirigé par son chef Kirill Petrenko consacré aux 8e , 9e et 10e symphonies de Dimitri
Chostakovitch, ces trois œuvres témoignant, chacune, d’un monde propre tout en
se rejoignant autour d’un même désir de liberté.
Fascinant
en effet de voir ce chef russe et cet orchestre allemand interpréter cette 8e
symphonie composée pour célébrer la victoire de Stalingrad. On se souvient
encore des gestes d’autorité et de distance d’un Mravinski assis sur son siège.
Rien de tel dans le passionné Kirilenko et sa magnifique conduite d’un
orchestre mettant sa puissance au service de la partition pour façonner cet
incroyable drame psychologique. L’angoisse inhérente à ces trois symphonies en
ressort proprement transfiguré en particulier dans cette marche du dernier
mouvement de la 9e symphonie. Il faut absolument voir les captations
vidéos de cette neuvième qui accompagnent ce coffret où fureur et joie
cohabitent magnifiquement.
Dans
la dixième, le chef, juché sur son cheval symphonique, se mue en Koutousov
chargeant à la Moskova avec deux corps d’armée – bois et cuivres – et marchant
sous un rythme d’une précision chirurgicale. La dixième demeure
incontestablement la plus grande, la plus impressionnante des symphonies du
maître soviétique car elle recèle en elle la quintessence de la force créatrice
d’un Chostakovitch poussé au bord de l’abîme Et à l’intérieur de cette
symphonie, le deuxième mouvement, indépassable, dit tout de la symphonie et
consacre tant l’échec que la réussite de son interprétation. Ici, cet allegro
est ici une pure merveille. La 10e est une bataille, contre Staline,
contre le régime, contre sa propre peur.
« Chostakovitch
a toujours eu foi dans le peuple. Dans sa musique, il a toujours montré le bon
côté du peuple mais aussi comment celui-ci peut être détruit par le
pouvoir » rappelle Kirill Petrenko dans une interview fort
intéressante de vingt-deux minutes qui accompagne ces interprétations. Le chef
d’orchestre explique ainsi que « jouer ces trois symphonies durant une
période de quasi total isolement m’a amené à un nouveau niveau de compréhension
de cette musique » Comme si finalement, il avait pu percevoir
l’isolement dont fut victime à cette époque un Chostakovitch qui se sentait, à
juste titre, menacé. Même la comparaison avec Jansons, pourtant grand
interprète de Chostakovitch ne tient plus. Le Covid et l’imminence de la mort
ont transcendé Petrenko.
Il
semblerait également que la Russie s’est une fois de plus immiscée dans les
affaires du Royaume-Uni. Non pas pour traquer des espions félons mais pour y
faire rayonner en majesté la musique du célèbre compositeur soviétique. A
défaut d’espion, les mânes de Chostakovitch ont choisi un héraut devenu un
héros un peu plus affirmé de cette musique en la personne de Giovandrea Noseda.
Poursuivant son intégrale des symphonies, le chef italien s’affirme avec ses 6e
et 15e comme l’un des grands interprètes de Chostakovitch, rejoignant les
Jansons et Haitink et approchant par moment la perfection d’un Mravinski
notamment dans cette sixième symphonie qu’il créa en 1939. Ici Noseda parvient
merveilleusement à retranscrire les changements d’humeur entre paix et fureur
qui traverse l’œuvre. Cela lui donne une dimension mahlérienne extrêmement
appréciable fort différente cependant de l’approche berlinoise.
Pour
autant la magie opère. Traversant le spectre et la vie du compositeur, Noseda
nous transporte merveilleusement dans l’atmosphère de la 15e et dernière
symphonie créée par le fils du compositeur Maxime Chostakovitch. Ici point de
doute sur les intentions du chef qui a choisi les ténèbres pour y inscrire la
monumentalité épique de son approche. Celle-ci teintée de noirceur force le
respect tant la fidélité y est manifeste. Noseda s’y pose en disciple.
Et de Berlin à Londres, cela n’est plus à une conquête auquel nous assistons mais bel et bien à un triomphe.
Par Laurent Pfaadt
A écouter :
Shostakovich, Symphonies 6 & 15, London Symphony Orchestra, dir. Gianandrea Noseda, LSO live
Shostakovich, Symphonies 8, 9, 10, Berliner Philharmoniker, dir. Kirill Petrenko, Berliner Philharmoniker Recordings