Gravir le pic gaulliste

Jean-Luc Barré signe le premier volume réussi d’une biographie de Charles de Gaulle

Parmi les grands sommets de l’histoire de France, il y a ceux, à l’instar de nos vieilles chaînes de montagnes, qui s’arpentent aisément, sans difficultés car polies par le temps. D’autres plus ardues, réservent à chaque historien, des passes difficiles, des cols dangereux où l’oxygène se fait rare mais où il est possible, en cas d’ascension réussie, d’écrire la légende.


De Gaule à Chartres

Jean-Luc Barré a décidé de tenter sa chance. Il faut dire que l’écrivain et éditeur est en la matière un alpiniste chevronné. Les sommets gaullistes n’ont plus de secrets pour lui, il les a même domestiqué. Mais le voilà devant son Everest, celui du général avec cette biographie en deux tomes dont le premier s’arrête comme un palier à 6000 mètres à la libération de Paris en 1944.

Près de mille pages comme autant de pas vers l’affirmation que Charles de Gaulle fut réellement l’homme de personne. Pour cela, Jean-Luc Barré est allé chercher nombre de documents inédits provenant de notes confidentielles, de témoignages privés et de fonds d’archives françaises et étrangères récemment ouverts.

Ces preuves viennent ainsi étayer un peu plus la conviction d’avoir affaire à un homme d’État sommeillant dans ce militaire blessé à Verdun et à la clairvoyance rarement prise en défaut – en tout cas jusqu’en 1944 – comme lorsqu’il fut « l’un des seuls officiers de l’armée française (…) à mesurer les conséquences pour la sécurité de la France et de l’Europe du retour en force du militarisme allemand ». On connaît tous la suite, l’invasion de la Pologne en 1939 et la nomination le 6 juin de Charles de Gaulle au poste de sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale. Vinrent alors ces journées de juin où l’homme rencontra son destin avec, nous dit l’auteur, peut-être un brin de chance. Et la plume de notre auteur drapée dans un lyrisme comme un piolet dans la glace, excelle à dépeindre ces moments où ce même destin juché sur son Olympe choisit Charles de Gaulle, cet « homme intact qu’il a reconnu plus légitime que lui pour incarner dans un avenir proche une autre idée de la France que celle de la servitude et de la soumission » plutôt que Georges Mandel.

Les mots sont lâchés comme une voie ouverte vers le sommet : « une autre idée de la France » ainsi que le refus de « la soumission ». De Gaulle et le gaullisme tiennent dans ces deux concepts que le général parvenu à Londres n’eut de cesse, face à Roosevelt et à Churchill et de Dakar à la libération de Paris en passant par Bir Hakeim, de défendre.

Pour autant, l’auteur ne nie pas le mythe et surtout ne l’évacue pas de son récit pour deux raisons : la première est qu’il sert à expliquer la fascination et l’aura de Gaulle et deuxièmement parce que certains épisodes comme sa première rencontre avec Jean Moulin à Londres le 25 octobre 1941 ne sont pas, à ce jour, étayées par des traces factuelles.

Récompensé à juste titre par le Prix Renaudot de l’essai, De Gaulle, une vie a tout de l’ouvrage de référence. Pour autant, le plus dur reste à venir car si l’exploit de l’homme de personne s’établit en 1940, celui du biographe et historien reste à effectuer. Et Jean-Luc Barré de préserver ses forces pour la seconde partie. C’est tant mieux, il en aura besoin pour affronter les périls historiographiques et une histoire étouffante qui ne manqueront pas de se dresser sur sa route.

Par Laurent Pfaadt

Jean-Luc Barré, De Gaulle, une vie, tome 1, l’homme de personne (189-1944)
Chez Grasset, 992 p.

A noter également que les éditions Passés composés publieront le 17 janvier 2024, les barons du gaullisme de Pierre Manenti