Pour la photo

Il y a soixante-dix ans, l’Everest était gravi pour la première fois

La photo a fait le tour du monde et est entrée dans les livres d’histoire. Deux hommes, Edmund Hillary, alpiniste néo-zélandais, et Tenzing Norgay, son sherpa népalais posent fièrement en ce 29 mai 1953 sur le toit du monde, au sommet de l’Himalaya. A ce moment, l’homme vient de triompher de la nature et, l’espace d’un bref instant, il est devenu sur cet Olympe, ce sommet des dieux, l’égal de son créateur.


Hillary et Tenzing au sommet de l’Everest

Pour comprendre l’importance de ce moment, de cette photo, il faut revenir quelques trente ans en arrière, le 6 juin 1924, pour découvrir, dans la chambre noire de l’alpinisme transformée en mausolée, le négatif en quelque sorte de cet exploit gravé sur une pellicule tâchée du sang de ces hommes qui, en quête de gloire pour eux-mêmes ou leurs pays, payèrent de leur vie, la conquête de cette dernière grande frontière.

Expédition de George Mallory

Les Soldats de l’Everest raconte cela, les destinées de ces hommes, anciens soldats, médecins ou explorateurs lancés dans une aventure hors du commun, à l’assaut de montagnes qui ne figuraient sur aucune carte en dignes successeurs des Richard Burton, Robert Perry et Perry Fawcett. Ils s’appelaient George Mallory, considéré comme le meilleur alpiniste de son temps, Andrew Irvine qui disparut avec Mallory le 8 juin 1924 mais également Edward Norton ou Percy Wye-Harris qui découvrit le piolet d’Irvine. Dans ce livre qui ne manque pas de souffle alors même que sur les pentes de l’Everest, il se faisait rare, Wade Davis, anthropologue et explorateur revient sur leurs exploits et les insère intelligemment dans ces considérations géopolitiques qui animèrent des pays désireux d’obtenir la photo du premier homme à dompter le toit du monde.

Une photo qui jalonne également le très beau livre de Jean-Michel Asselin sur l’histoire de l’Everest. L’ascension de Mallory et Irvine y figure bien évidemment en bonne place et rejoint celles de tous ces alpinistes qui ont fait la légende de l’Everest, des pionniers aux touristes de l’Himalaya en passant par Yuichiro Miura, ce japonais dévalant le col sud en 1970 et devenant en 2013, à l’âge de 80 ans, le summiter le plus âgé ou Pierre Mazeaud, futur secrétaire d’Etat qui mena la première expédition française en 1978. Jean-Michel Asselin n’omet pas les drames qui ont également marqué cette histoire, des sept sherpas morts en 1922 à qui il rend hommage en passant par la mort de Chantal Mauduit en 1998.

L’auteur nous fait bien évidemment revivre, photos à l’appui, jour après jour, heure après heure, camp après camp, l’exploit d’Hillary et de Tenzing. Arrivé au sommet, ce 29 mai 1953 à 11h30, « Hillary sort son appareil et photographie Tenzing qui brandit son piolet auquel sont attachés le drapeau des Nations Unies, l’Union Jack, le drapeau népalais et le drapeau indien » écrit ainsi Jean-Michel Asselin.

L’exploit de Tenzing et d’Hillary en 1953 ne signifia pas la fin de l’Everest mais entraîna une sorte d’avalanche d’alpinistes bien décidés à reproduire l’exploit des deux hommes. Professionnels comme amateurs, appareils photos en bandoulière ou solidement préparés, ils se lancèrent avec des guides plus ou moins sérieux à l’assaut de l’Everest. En 1996, le fils de Tenzing Norgay, Jamling Tenzing Norgay gravit à son tour l’Everest tandis qu’une avalanche coûtait, cette même année, les 10 et 11 mai, la vie à huit personnes, drame que relata Jon Krakauer dans son best-seller, Tragédie à l’Everest, adapté ensuite pour la télévision.

Voilà pour l’histoire et sa photo. Reste le doute. Et si sur cette photo, le premier homme ayant gravi l’Everest n’était pas celui que l’on
croit ? Et s’il fallait voir sur cette photo un repenti cachant une autre photo, celle que découvre le photographe Fukamachi dans cet appareil photo acheté dans une boutique de Katmandou et ayant appartenu à George Mallory dans l’incroyable série Le sommet des dieux de Jirô Taniguchi et Baku Yumemakura ? D’une beauté visuelle absolument grandiose, les différents volumes en noir et blanc – seules quelques planches sont en couleur – emportent immédiatement son lecteur dans une aventure qui atteint des sommets. Résultat de dix ans de recherches et de travail, Le sommet des dieux est un roman graphique qui séduira même ceux que le manga intéresse peu. Et là-dessus, il n’y a pas photo !

Par Laurent Pfaadt

Wade Davis, Les soldats de l’Everest, Mallory, la Grande guerre et la conquête de l’Himalaya, Perrin, coll Tempus, 992 p.

Jean-Michel Asselin, Une histoire de l’Everest, Glénat, 192 p.

Jirô Taniguchi, Baku Yumemakura, Le sommet des dieux, 5 tomes, Kana

Jon Krakauer, Tragédie à l’Everest, 10/18, 320 p.