Je me sens obligé de faire la promotion de la musique française

A l’occasion du 35e anniversaire du Concert Spirituel, la formation musicale qu’il créa en 1987 et de la sortie du Médée de Marc-Antoine Charpentier, le chef d’orchestre Hervé Niquet revient cette incroyable aventure musicale


Hervé Niquet (copyright Henri Buffetau)

Comment êtes-vous venus à la musique ?

D’abord via le piano que j’ai étudié à Amiens avec Marie-Cécile Morin qui fut l’élève de Marguerite Long et connut Maurice Ravel qui annotait ses souhaits sur sa partition. J’ai ainsi appris le piano avec les notes de Ravel. C’est ce qui m’a donné le goût des sources, de ce contact direct avec le papier original, de cette parole transmise directement du compositeur à l’interprète.

Comment êtes-vous passés de cette musique française du début du 20e siècle au baroque ?

Vous savez, c’est la même musique. A partir de Jean-Baptiste Lully qui a fixé les canons, seuls l’instrumentarium, la sociologie, la politique ont changé car il faut savoir que la musique n’est une variable d’ajustement et un outil de pouvoir. De Lully à Poulenc, c’est quasiment la même chose, il n’y a pas de rupture.

Vous avez été profondément marqués par William Christie et Nikolaus Harnoncourt, notamment dans leur volonté de revenir aux sources

Oui, ces deux personnages ne se contentaient pas de s’entendre dire « c’est comme cela qu’il faut faire ». Ils ont juste posé une question : « pourquoi ? » et moult personnes ont été incapables de leur répondre. Ils ont donc cherché leur « pourquoi » ainsi que les réponses. C’est comme cela qu’à démarrer ce mouvement dit baroque, de recherche de musique ancienne. Les écrits de Nikolaus Harnoncourt restent aujourd’hui encore pour moi des livres de référence que j’emmène en vacances. Ils ont été fondateurs pour moi. Et puis j’ai vu nombre de ses répétitions et concerts. Quant à William Christie, c’est cet Américain incroyable qui a sauvé la musique baroque française en mêlant notre vision patinée des antiquités françaises avec quelque chose de neuf, de clinquant, de vrai, de direct et de contemporain. A ce titre, il faudrait décerner une médaille à William Christie. Ces rencontres ont déclenché quelque chose chez moi et chez d’autres. Aujourd’hui, je me sens obligé de faire la promotion de la musique française.

Vous allez alors créer votre ensemble, le Concert Spirituel. Comment est-il né ?

Le hasard des rencontres a fait que j’ai créé mon ensemble. Et lorsque j’ai cherché un nom, il s’avérait que le Concert Spirituel était un ensemble historique créé à Paris en 1725. Il existe encore de nombreux documents du Concert Spirituel : le répertoire, les programmes des 1200 concerts, les fiches de paie des musiciens, les effectifs, etc.

Vous avez ainsi ressuscité nombre de partitions oubliées. Comment se passent vos recherches ?

Cela varie. Durant les vingt premières années, j’ai quasiment tout fait tout seul. J’allais à la Bibliothèque Nationale chercher ce que je voulais pour faire des programmes. Et parfois, arrivé à la lettre B en cherchant Boismortier, un peu plus loin je trouvait Bouteiller ou un peu avant Blanchard. C’est un temps de recherches que j’appelle le temps mou qui n’est pas quantifiable car il ne se passe rien d’autre que de la gourmandise.

Après vingt ans et la multiplication des concerts, j’ai eu moins de temps pour aller dans les bibliothèques. J’ai pu alors m’appuyer sur le centre de musique baroque de Versailles et le Palazzetto Bru Zane de Venise qui œuvrent énormément dans la recherche du patrimoine musical.

Vous avez fêté l’an passé, le trente-cinquième anniversaire du Concert Spirituel, que retenez-vous ?

D’abord que cela n’est pas terminé ! Ensuite que c’est toujours aussi dur qu’au premier jour et enfin qu’on a rien changé à notre façon de travailler qui mêle recherche et application. Et entre les deux, trouver de l’argent pour faire ces projets absolument fous. D’aucun nous ont dit que ça ne durerait pas et que cela n’intéresserait personne. Au final, on remplit des salles dans le monde entier.

Et quelques grands concerts…

On a fait d’énormes choses. Music for the Fireworks & Watermusic de Haendel au château de Versailles et au Parc Retiro à Madrid devant 40 000 personnes. Pour moi, c’est la vraie bonne pédagogie : une chose d’extrême qualité, très pointue dont les gens n’ont pas tout à fait le discernement mais ressentent l’appréhension d’un bonheur. Et dans le même temps, des concerts dans des petites salles comme récemment dans la Sainte Chapelle devant 300 personnes. C’était aussi important, difficile, dangereux mais tout aussi agréable qu’avec Water Music.

S’il y avait un souvenir, une découverte que vous retiendrez de ces trente-cinq années ?

Le motet de Joseph Bodin de Boismortier, Exaudiat Te, un motet qu’il avait proposé au Concert Spirituel vers 1750 et qui a été refusé par le bibliothécaire. Boismortier n’avait même pas ouvert l’enveloppe contenant le motet qui était revenue chez lui car il savait ce qu’il contenait. Et c’est moi qui l’ai ouvert. Et il est splendide !

Interview par Laurent Pfaadt

Une petite sélection du Concert Spirituel  :

Médée de Marc-Antoine Charpentier, avec Véronique Gens, Alpha, Outhere Music

Requiem en do mineur d’Antonio Salieri mis en miroir avec celui de Mozart, château de Versailles spectacles

Joseph Bodin de Boismortier, Motets avec symphonies avec Véronique Gens, accord baroque, Decca Records France, 1991

Pour assister à un concert du Concert Spirituel, rendez-vous sur leur site : http:// https://www.concertspirituel.com/agenda