Très populaire à Haïti, Gessica Généus, met son talent au service de son pays où elle est restée vivre quand ceux qui le peuvent choisissent la fuite. Comédienne, chanteuse, elle a créé sa propre société de production et réalisé une série de portraits de grandes figures contemporaines de la société haïtienne ainsi que Douvan jou ka leve (Le jour se lèvera) (2017), lauréat de nombreux prix et projeté dans le monde entier. Freda raconte par le biais de la fiction, et en langue créole, le destin de femmes qui se battent pour leur survie, chacune à sa manière.
La maman s’appelle Jeannette et elle tient une toute petite épicerie à Port-au-Prince, dans un quartier populaire où les dommages causés par le séisme de 2007 sont encore visibles. Elle a trois enfants, Moïse, Esther et Freda. Moïse n’a qu’un rêve, émigrer au Chili. Sa sœur Esther, la belle Esther, fréquente tout homme qui peut lui donner de l’argent, le pasteur puis un homme d’affaires, incarnation du pouvoir corrompu qui règne à Haïti. Peu importe pour Esther, il la demande en mariage et elle l’épouse. Dure sera la désillusion ! Quant à Freda, double de Gessica Généus, elle assiste à l’état de déliquescence du monde où elle a grandi et où un avenir meilleur est difficile à imaginer. Le film a été projeté dans un quartier cossu de Port-au-Prince avec un appel de fonds pour aider la population démunie, une projection chargée d’émotion. Le film a été tourné en 2019 et n’aurait pu l’être sans la protection des habitants des quartiers où la réalisatrice a posé sa caméra et qu’elle connaît bien pour y avoir elle-même grandi
Avec un regard proche du documentaire, mêlant des images d’archives de manifestants descendus dans la rue, en 2017, pour réclamer de meilleurs salaires et une baisse des taxes, le film a été tourné à hauteur d’hommes, de femmes plutôt, avec une restriction du champ à l’image de l’espace étroit dans lequel évoluent les personnages et qui renvoie à la réalité du pays. Une chambre porte les stigmates de la violence qui s’est jouée avec un mur en parpaings mal ajustés, l’échoppe de Jeannette est si petite que l’on y tient debout avec peine et elle donne sur la rue où les femmes sortent leur chaise en plastique pour s’y asseoir et faire salon. « Nous ne vivons pas à l’intérieur de nos maisons d’abord parce qu’il y fait trop chaud et qu’il n’y a pas l’espace suffisant. Du coup nous vivons dehors. C’est notre culture. C’est pour cela que la caméra est souvent de l’autre côté de la rue quand nous filmons la maison de Jeannette. Parce que dans notre pays, il y a toujours quelqu’un d’assis en face de chez vous et qui vous regarde. On observe les voisins, nous sommes un peu intrusifs, il n’existe pas de réelle intimité… » Même l’océan est filmé de très loin, comme une échappée inatteignable. Et les paroles de la chanson d’Aznavour que fredonne Freda résonnent pleines d’ironie : « II me semble que la misère serait moins pénible au soleil. »
Mère courage, femmes sacrifiées dans une société où l’homme règne en potentiel prince charmant tout puissant et qui use des femmes comme d’objets de plaisir, particulièrement celles à la peau claire. Elles sont les plus convoitées et abusent de crèmes blanchissantes comme le fait Esther. Gessica Généus porte un regard sans concession sur la société haïtienne patriarcale et il est glaçant, cependant que les artistes souffrent de leur condition. Esther comme Freda ont un petit ami artiste, l’un est chanteur et l’autre artiste plasticien. L’un n’est pas assez riche pour trouver grâce aux yeux de la belle et l’autre est obligé de quitter Haïti pour faire sa vie. Il emmènerait bien Freda mais elle est obligée de s’occuper de sa mère, et elle fait des ménages en plus de suivre des cours à la fac. Le film décrit une société en souffrance mais ses personnages ne sont pas traités avec misérabilisme, au contraire, ils sont dignes et forts de l’envie de vaincre la fatalité, envers et contre tout. Freda porte le nom d’une déesse de la mythologie vaudou, une des raisons pour lesquelles les spectateurs haïtiens craignent de voir le film. Pour notre part, laissons-nous envoûter !
Près de trente années après la sortie du magnifique Candyman de Bernard Rose, Hollywood a décidé de donner son feu vert à une nouvelle adaptation de la célèbre légende urbaine. A l’époque, le film avait été suivi de deux séquelles de qualité inégales, en 1995 et 1999.
Le film de Bernard Rose était basé sur la nouvelle The Forbidden de C live Barker, publiée en 1985. Il avait été récompensé à trois reprises lors du dernier Festival du Film Fantastique d’Avoriaz en 1993, avec le prix de la Meilleure Actrice (inoubliable Virginia Madsen), le Prix du Public, et enfin le Prix de la Meilleure Musique (Philip Glass). Au cœur du genre, le film allait vite devenir culte. Imaginer une relecture aujourd’hui s’avérait donc à la fois ambitieux et risqué, car cela impliquait de ne pas décevoir les fans du personnage, et d’ancrer l’histoire, plus moderne, dans un contexte social malheureusement toujours d’actualité. Le nouveau Candyman devait trouver sa voie tout en étant respectueux du film original, sans oublier d’aborder des thèmes sociaux toujours aussi prégnants.
Ces contraintes n’ont pas effrayé Nia DaCosta. Dès les premières images la réalisatrice donne le ton. Son générique est magnifique, il inverse les perspectives d’une manière originale et plonge immédiatement le spectateur dans le Fantastique. Nia DaCosta construit une ambiance lourde, mais subtile. Elle connaît le genre, le respecte. Elle a voulu l’illustrer tout en exprimant la colère de la population noire mise à l’écart par la communauté blanche. Des Blancs qui ont construit des banlieues mal famées dans les faubourgs des villes, pour ensuite les raser lorsqu’elles posaient trop de problèmes. Les ghettos d’alors ont été oubliés, désertés, leurs habitants exilés en d’autres endroits, imaginés par les mêmes édiles (majoritairement blancs). Puis ils ont été reconstruits non loin de là, sous une séduisante apparence, mais avec toujours le même but, rassembler au même endroit une population bien ciblée.
Anthony McCoy est un jeune artiste en mal d’inspiration. Confortablement installé dans un nouveau quartier de Chicago avec Brianna, sa copine directrice d’une galerie d’art, il n’a rien peint d’intéressant depuis deux années. Lors d’une soirée avec Troy, le frère de Brianna, il apprend la légende du Candyman. Troy leur raconte les événements sanglants qui ont secoué le quartier de Cabrini Green en 1977, avec la croisade meurtrière d’une jeune étudiante blanche, Helen Lyle. Croisade s’étant conclue avec la mort de la supposée meurtrière. L’histoire résonne particulièrement dans l’esprit d’Anthony. Le jeune homme va alors entreprendre des recherches approfondies sur cette histoire fantastique. Et finalement découvrir sa véritable origine.
Nia DaCosta ne fait pas de de son film un énième bain de sang prévisible. Il y a bien sûr deux-trois scènes avec projection d’hémoglobine, la légende urbaine l’impose. Les effets gore sont simples, classiques et arrivent au bon moment. Mais c’est dans son pouvoir de suggestion du surnaturel que la réalisatrice démontre qu’elle était la bonne personne pour faire revivre la légende du Candyman. Elle joue avec l’esprit d’Anthony et donc avec celui du spectateur. Il n’y a pas de scène gratuite, et le message politique présent dans l’histoire l’est plus que dans le film original. Mais il ne faut pas oublier que ce message était déjà là dans le Candyman de 1992.
Les cinéphiles seront ravis de retrouver de manière fugace mais intelligente les deux personnages-clefs du film de Bernard Rose. Virginia Madsen apparaît au détour d’une photographie d’article de presse, et prête sa voix dans un témoignage d’archives, tandis que Tony Todd, l’inoubliable premier Candyman, prête ses traits lors d’une conclusion poétique et porteuse d’espoir. Le générique de fin est très beau. Moins optimiste, il rappelle que l’histoire se répète, encore et encore. Mais il est permis d’espérer…
Les Intranquilles : Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Gabriel Merz Chammah Copyright LUXBOX
Après un détour par l’exploration des liens filiaux dans Continuer, adapté du roman éponyme de Laurent Mauvignier, Joachim Lafosse revient à l’espace clos du foyer familial non plus miné par des rapports d’argent, comme dans L’économie du couple, mais par la bipolarité, cette maladie qui fait alterner dépression et états d’exaltation. Damien Bonnard et Leïla Bekhi s’aiment et se déchirent et impressionnent par leur interprétation à fleur de peau.
Quand Joachim Lafosse évoque la dépression, il cite deux films majeurs Une femme sous influence (A Woman Under the Influence) de John Cassavetes et Two Lovers de James Gray. Ses Intranquilles racontent une période de la vie d’un couple et de leur enfant, un film inspiré par la propre vie du réalisateur et par le livre de Gérard Garouste : L’Intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou. La 1ère séquence donne le ton. Le père, Damien, laisse les commandes de son bateau à son petit garçon et le laisse seul au milieu d’un lac tandis qu’il plonge et rejoint la rive lointaine à la nage. Séquence clef qui met le spectateur dans un état d’inquiétude qui ne le lâchera plus, intranquilité que Joachim Lafosse a vécu quand il était enfant.
Gabriel, l’enfant, a une maturité acquise à force d’être sur la défensive et de vouloir se protéger ainsi que sa mère. Ils font bloc tous les deux, non pas contre mais avec Damien qui fait peur et peut se montrer aussi dangereux en période de crise qu’il peut être charmant et drôle. Une virée en voiture avec ses parents qui chantent à tue-tête une chanson de Bernard Lavilliers, moment de complicité heureuse et amoureuse, témoigne que les souvenirs d’enfance sont précieux, ceux qui évoquent le bonheur qui s’est enfui. Joachim Lafosse a distillé ces moments rares. Tension et émotion habitent son film. Damien Bonnard et Leïla Bekhti ont gardé leur prénom, comme pour approcher une vérité de leur personnage. Ils campent des forces en présence. Les comédiens portent le film, elle, mère courage, le corps/cœur lourd, n’ayant plus le temps de s’occuper d’elle, lui, agité, le regard fiévreux, en déséquilibre. Damien est peintre et elle est restauratrice de meubles anciens, elle est aussi celle qui veille sur lui, se bat pour qu’il accepte de se soigner. Joachim Lafosse a apprécié que ses interprètes comprennent qu’il ne s’agissait pas d’un « film sur la maniaco- dépression mais plutôt d’une interrogation sur la capacité et les limites de l’engagement amoureux. » Le nom de la maladie est très tardivement prononcé et Leïla n’est jamais dans une position victimaire.
Comment concilier les agissements hors de contrôle de Damien avec une vie de couple et de famille ? Comment garder intact l’élan artistique dans les périodes de crises ? Pour Joachim Lafosse, si Van Gogh avait été accompagné, peut-être aurait-il réalisé des tableaux encore plus extraordinaires. Peindre en état de crise ne produit pas forcément des chefs-d’œuvre. Comment contrôler l’intranquilité sans la subir et au contraire en faire une force ? Le film n’apporte pas de réponse. Alors que le personnage de Damien, jusqu’à la veille de la préparation devait être un photographe, comme l’était le père du réalisateur, il est devenu un peintre du fait qu’il avait fait les Beaux- Arts. Les tableaux qu’il exécute à l’écran sont le fait de sa propre contribution, conjuguée au talent de Piet Raemdonck, l’auteur des tableaux qui sont comme des représentations de l’univers mental de Damien, une réalité revisitée qu’il s’approprie à défaut d’avoir prise sur le réel qui le déçoit. Le contraste est poignant entre la gestuelle magnifique du peintre comme s’il dansait et le zombie qu’il devient après un séjour en hôpital psychiatrique. Cruelle est cette seule solution après une énième crise poussée à son paroxysme. Le film est empreint de bout en bout de cette intranquilité et le tournage s’en est nourri. Le film a été tourné chronologiquement et la fin s’est écrite sur le plateau. L’amour a dit son dernier mot.
Adam Robitel revient ici avec la suite de son film
précédent, Escape Game, film d’ouverture de la 26ème
édition du Festival International du Film Fantastique de
Gérardmer, en 2019. Deux ans et demi se sont écoulés
depuis la sortie de celui-ci –la pandémie a décalé la sortie
de cette suite d’une année– mais on n’a pas oublié que sa
fin laissait grandement supposer une histoire à venir.
Les recettes au box-office mondial ont parlé : avec 155
millions de dollars pour un coût de production de 15
millions de dollars, Sony a vite compris l’opportunité de
doubler la mise, et sauté sur l’occasion de mettre une suite en boite. Le spectateur retrouve donc les deux survivants
du film précédents, Zoey et Ben, avec le même metteur en
scène aux commandes.
Tous deux sont s’en sont sortis, mais pas tout à fait
indemnes. Leurs traumatismes précédents sont toujours là,
se sont même aggravés, et s’accompagnent désormais de
cauchemars très réalistes. Ben a choisi de passer à autre
chose, tandis que Zoey reste bloquée sur des sentiments
complexes, d’un côté une peur de l’avion toujours aussi
insurmontable, de l’autre une envie de revanche
dévorante. Et la thérapeute qui la suit ne parvient pas à
l’apaiser. La jeune fille est résolue à faire payer les
responsables de la mort de ses partenaires de « jeu », qui
se cachent derrière la mystérieuse organisation Minos.
Le film s’ouvre sur les événements du premier épisode, qui
nous expliquent le pourquoi du jeu. Zoey est restée en
contact avec Ben, qu’elle parvient à convaincre de l’aider à
démasquer Minos. Sa thérapeute la prenant pour folle, elle
n’a d’autre solution que de faire face à ses démons. Elle
décide de rejoindre New York avec Ben, pour se rendre au
siège de Minos. Alors évidemment, rien ne se passera
comme prévu. Arrivés sur place, Zoey et Ben ne trouveront
qu’un immense entrepôt vide et délabré. Mieux, les deux
survivants seront attendus, pour être forcés à participer à
de nouvelles épreuves aussi implacables qu’à sens unique.
Mais cette fois-ci ils n’ont pas répondu à une invitation,
c’est leur statut « d’ex-champions » qui a fait d’eux des
cibles de choix. Car Minos est un peu comme un
programme informatique, cherchant à s’améliorer au gré
de mises à jour régulières. Et qui d’autres mieux que des
survivants pour tester de nouvelles épreuves ?
Le film d’Adam Robitel base donc son histoire sur de
nouvelles énigmes, et sur un tandem désormais familier. A
celui-ci il va associer d’autres personnages, peut-être ici
moins bien écrits. Mais les épreuves n’en sont pas
moins impressionnantes et recèlent leur lot de surprises.
Moins nombreuses que dans Escape Game, elles sont
parfois plus recherchées. Et le retour d’un personnage de
l’opus précédent relancera la dynamique, juste au bon
moment. La nouveauté du premier film n’est plus là, il a
fallu imaginer d’autres stratagèmes, et développer le lien
unissant Ben à Zoey, car sans eux, pas de films. Cela, le
réalisateur l’a bien compris.
Cette suite n’est pas dénuée d’intérêt. Elle laisse toutefois
un sentiment partagé. D’un côté le plaisir de retrouver les
protagonistes de la première histoire, de nouveau mis à
l’épreuve, de l’autre le sentiment qu’il manque un petit
quelque chose. Il est vrai que l’attrait de la nouveauté n’est
plus là, et que l’on aurait bien voulu assister à une ou deux
épreuves de plus. Mais le final du film, en lien avec celui du
précédent, nous laisse supposer que Zoey et Ben ne sont
pas au bout de leurs peines, et que les spectateurs
pourraient encore avoir le plaisir d’être les témoins de leurs
mésaventures, à l’avenir…
Depuis 14 ans, Alexandre Bustillo et Julien Maury réalisent des films ensemble. Pour leur sixième collaboration, ils reviennent sur grand écran avec une histoire de maison hantée, originale, car tournée au fond d’un lac !
Les deux metteurs en scène sont fans de genre. Depuis leur tout premier film, A l’intérieur, en 2007, ils n’ont cessé de prouver leur amour du genre, faisant fi de tous les obstacles mis sur leur passage. Pour donner vie à un cinéma qui leur ressemble, à la fois extrême et proche de nous. Dans chacune de leurs œuvres le spectateur peut en effet créer un lien avec l’un ou l’autre des personnages, aussi barrés soient les événements auxquels ils sont confrontés. Et Dieu sait si les deux compères n’ont pas leur pareil pour les placer dans des circonstances à la fois extraordinaires et violentes. Livide, Aux yeux des vivants, Leatherface et Kandisha ont succédé à A l’intérieur, et tous ont eu à cœur d’inviter les spectateurs dans le grand train fantôme de l’Horreur.
The Deep House n’est pas différent. Le film s’ouvre sur la ballade d’un jeune couple, Ben et Tina, au fin fond de la forêt ukrainienne. Ils sont venus visiter un sanatorium abandonné depuis longtemps, supposé hanté. Car Ben ne rêve que d’une chose, faire décoller sa chaîne YouTube en filmant la découverte d’un lieu vraiment flippant. Filmé caméra au poing, la visite du vieil hôpital leur procure bien quelques frissons, mais rien de bien original. Ben en veut plus. Quelques mois plus tard il tombera sur une info évoquant un endroit secret dans le Sud de la France, un endroit reculé qui aurait été le théâtre d’un drame il y a bien longtemps. Son sang ne fait qu’un tour. Il doit y aller.
Sur place sa première réaction est d’être déçu : le spot secret est devenu un joli petit coin à touristes. Mais sa rencontre avec Pierre, un villageois du coin un brin inquiétant, lui redonnera espoir. En échange de quelques billets celui-ci leur proposera de les guider vers une autre partie du lac, à quelques kilomètres de là. Là bas, au fond du lac, se trouverait une vieille maison en parfait état de conservation…
Alexandre Bustillo et Julien Maury sont de très bons techniciens. Leur manière de filmer la grande bâtisse immergée le démontre une fois encore. Pour The Deep House, les deux cinéastes ont tenu à filmer en « réel », c’est-à-dire en plaçant les comédiens sous l’eau, plutôt que de tout filmer sur fond vert, en tournant au ralenti. Et le résultat est là ! En procédant ainsi, ils nous permettent de croire à ce qui arrive à Ben et Tina. Lorsque ces derniers pénètrent dans l’immense maison et en parcourent les nombreuses pièces nous sommes à leur côtés et ressentons la même claustrophobie. Les réalisateurs jouent avec l’obscurité, le sable et l’eau trouble, et chaque nouvelle pièce apporte son lot de frissons. Pas de jump scares inutiles, mais plutôt une peur savamment construites sous les yeux des spectateurs.
Avant de découvrir le terrible secret de la maison engloutie, les deux plongeurs font se faire des petites frayeurs, et s’opposer lors de prises de bec liées à leur différence de tempérament. Pour interpréter ces deux aventuriers souvent cachés derrière leur masque de plongée, il fallait trouver des comédiens au visage expressif et au regard intense, capable de traduire à l’écran l’ensemble des émotions qui allaient traverser leur personnage. Dans le rôle de Ben, James Jagger (fils de Mick) avait toutes les qualités requises, après avoir connu une certaine reconnaissance grâce à la série Vinyl, produite par Martin Scorcese et Mick Jagger. Il donne à son personnage un côté effronté, jusqu’au boutiste, qui s’oppose à Tina qui, bien que partageant son goût pour l’aventure, est bien plus posée et prudente que lui. Dans le rôle de Tina, nous retrouvons la mannequin-comédienne Camille Rowe, récemment vue dans le Rock’n Roll de Guillaume Canet et Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part d’Arnaud Viard, et le toujours impeccable Eric Savin n’a eu aucune difficulté à traduire toute l’ambiguïté du mystérieux Pierre.
Dans le dernier tiers du film, Alexandre Bustillo et Julien Maury accélèrent le rythme, il leur faut arriver vite à la révélation finale. C’est peut-être là le petit point faible du long-métrage, qui avait parfaitement su nous embarquer avec lui jusque là. Mais ne boudons pas notre plaisir. The Deep House est une vrai proposition de cinéma de genre, accomplie, maîtrisée et sincère. Le duo de réalisateurs confirme une fois encore tout le bien que l’on pense de lui.
Le COVID est parvenu à repousser les sorties cinéma jusqu’au 19 mai 2021. Ce jour-là, les cinéphiles de l’Hexagone ont pu respirer à nouveau, et se précipiter dans des salles obscures on ne peut plus prêtes à les accueillir après de longs mois passés à peaufiner leur réouverture. Auréolé de nombreux prix, le dernier film de Thomas Vinterberg arrive enfin sur nos écrans, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il offre une grande bouffée d’oxygène à ses spectateurs.
Les récompenses glanées par le film un peu partout sont nombreuses, nous nous contenterons donc de ne citer que les plus marquantes à nos yeux. Le César 2021 du Meilleur Film Étranger, et l’Oscar 2021 du Meilleur Film International. Avec ce palmarès, le film était donc fermement attendu par le plus grand nombre, rares étant en effet les spectateurs ayant pu le visionner lors de sa brève sortie, juste avant le second confinement en octobre dernier.
Drunk parle d’un cap, d’une crise existentielle que vont traverser quatre enseignants d’un lycée danois. Martin (Mads Mikkelsen), Tommy (Thomas Bo Larson), Peter (Lars Ranthe) et Nikolaj (Magnus Millang) forment un quatuor d’amis très soudés. Collègues depuis de nombreuses années au sein du même établissement, ils ont laissé leur quotidien les anesthésier peu à peu, la monotonie de leur petite existence bien rangée ayant fait disparaître les ambitions qu’ils avaient pu caresser dans leur jeunesse. Nikolaj est le plus jeune d’entre-eux (les trois autres sont bien installés dans leur cinquantaine). A l’occasion de son quarantième anniversaire, il propose à ses amis de mener une expérience : démontrer la thèse d’un chercheur norvégien selon laquelle il manquerait à l’homme depuis sa naissance 0,5 gramme d’alcool par litre de sang dans le corps afin de vivre pleinement son existence.
Empêtrés dans leur morne quotidien (en particulier Martin), sans joie mais pourtant pas désagréable, les quatre comparses vont se mettre d’accord pour tenter de prouver scientifiquement cette théorie. Ils se donneront donc pour objectif de maintenir (sans la dépasser) leur alcoolémie à 0,5g/l tout au long de la journée jusqu’à 20h00, tous les jours de la semaine sauf le week-end. Et de noter scrupuleusement les effets de ce traitement dans un rapport documenté.
Thomas Vinterberg (Festen, La Chasse, Kursk, pour n’en citer que quelques uns) ouvre son film sur un groupe de jeunes participant à une course autour d’un lac, dans laquelle le but est de parcourir la distance tout en buvant les bouteilles de bières portées dans une caisse par les différentes équipes. Comme entrée en la matière, difficile de faire plus direct. Les cinéastes d’Europe du Nord sont connus pour leur côté sans fard ni fausse pudeur, Thomas Vinterberg ne fait pas exception ici. Après cette introduction, il va nous présenter ses quatre personnages principaux avec tout le réalisme dont il est capable. Sa caméra s’intéressera au plus près de la vie du quatuor, le metteur en scène cherchant à créer un lien fort entre celui-ci et les spectateurs.
Martin a de gros problèmes de confiance en lui, et manque donc d’autorité devant ses élèves. Transformé par l’ingestion régulière d’une petite quantité d’alcool tout au long de la journée, il va se (re)découvrir et parvenir à une forme d’équilibre dans sa vie professionnelle et personnelle. Ses amis feront le même constat. Ce serait donc véridique, une petite et régulière ingestion d’alcool rendrait la vie plus vraie, plus réelle ? Mais le groupe décidera de pousser un peu l’expérience, qui avait pourtant donné certains résultats. Il s’agira d’atteindre le taux d’alcoolémie maximal pour chacun. Au départ réticent, Martin se joindra à la suite de l’expérience, qui bien évidemment n’aura pas une fin heureuse.
Drunk est un film attachant, dans le sens où il fait preuve d’une grande humanité dans sa description de ce groupe d’amis. Alors bien sûr, c’est peut-être le personnage de Martin qui retiendra la plus l’attention des spectateurs, mais les trois autres ne sont pas oubliés pour autant. Chaque personnage a droit à ses petits moments de « gloire », chacun dans sa matière respective. L’attachement du réalisateur à ses personnages est bien réel, il ne les idéalise pas, pas plus qu’il ne les méprise. La sincérité de Drunk fait mouche en ce sens où les événements auxquels nous assistons sont à la portée de tous. Chacun assimilera la film à sa manière, impossible d’y être indifférent.
Thomas Vinterberg a une fois encore réuni plusieurs de ses collaborateurs les plus fidèles. Thomas Bo Larson signe sa quatrième participation à un long-métrage du cinéaste danois, tandis qu’Helene Reingaard Neumann (épouse du metteur en scène) et Mads Mikkelsen apparaissent pour la seconde fois sous sa caméra. Inoubliable bad guy (Le Chiffre) dans Casino Royale il y a une quinzaine d’année, ce dernier a eu pour devise d’aborder plusieurs genres. Après avoir été salué pour son interprétation glaçante du personnage d’Hannibal Lecter dans la série Hannibal, il a été capable d’alterner des rôles plus discret (voir son personnage de Lucas dans La Chasse, du même Vinterberg). Les cinéphiles sont d’ailleurs impatients de voir sa vision de Gellert Grindenwald dans la suite des Animaux Fantastiques, suite au récent départ du génial Johnny Depp.
Après avoir dû annuler les JCE:2020 à cause du Covid-19, les organisateurs lancent une deuxième tentative : du 2 au 16 mai 2021, des artistes venus d’Europe et d’ailleurs se pencheront sur le thème « L’Europe, une promesse ». La crise du coronavirus nous a montré de manière dramatique la fragilité de l’idée d’une Europe unie et ouverte en temps de crise. Il est plus important que jamais d’examiner avec un œil neuf les promesses de l’Europe – le sujet initial des JCE:2020 – et de chercher des inspirations pour une nouvelle Europe basée sur la solidarité et la coopération.
L’Europe, que représente-t-elle ? Quelles espérances portent encore notre continent ? En luttant contre la pandémie, l’Europe a-t-elle remis en question ses propres promesses ? L’Europe, est-elle prête à se battre pour faire respecter les droits fondamentaux et les droits de l’Homme ? Est-elle capable de les protéger contre les menaces permanentes ? Après 70 ans d’intégration économique, politique et surtout culturelle, l’Europe se divise-t-elle ? Nous voulons réfléchir ensemble sur ces questions et éclairer « L’Europe, une promesse » par le biais de l’art et de la culture.
Covid-19 oblige, cette 28ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer était numérique. Une demi déception pour les habitués du festival, qui s’y rendent à la fois pour son ambiance inimitable, débridée, et pour les films projetés. Mais le contexte sanitaire ne permettait pas d’organiser un festival «normal», aussi les organisateurs ont-ils tenus à proposer une expérience «parallèle» qui ne manquerait pas de lancer des petits clins d’œil savoureux à un public fidèle.
Première découverte, chaque film disponible en streaming est précédé de petites scènes mettant en scène le Monsieur Loyal du festival, David Rault. Une sympathique mise en bouche qui, bien que de qualité parfois inégale, plonge instantanément les spectateurs dans l’atmosphère du festival. Puis, juste après, le célèbre générique à base de monstres sacrés du bestiaire du Fantastique. Indispensable. Et pour finir, le «cri» de la Bête, qui retentit souvent à chaque début de projection. Les habitués du festival comprendront, les autres devraient sérieusement envisager de faire un petit tour dans la Perle des Vosges dans le futur, histoire d’y découvrir la folle ambiance qui règne dans les salles, hors confinement…
JOUR 1.
Première péloche, The Stylist, de Jill Gevargizian. On y fait la connaissance de Claire, une jeune femme travaillant dans un salon de coiffure. Claire est douce, ouverte aux autres, dont elle cherche continuellement la présence. Très vite, on constate qu’elle a du mal à comprendre ses semblables, même si elle semble le vouloir à tout prix. Elle va «déraper» et entraîner le spectateur dans son malaise. Claire vit dans une petite ville tranquille, mais elle traverse des hauts et des bas, laissant sur le carreau les malheureuses qu’elle croise ici ou là. The Stylist se distingue par trois éléments: son interprète principale (formidable Najarra Townsend), sa photographie (magnifique, avec un joli travail sur les couleurs) et enfin sa partition musicale (à base de piano). Pas inoubliable, mais plus que correct. Avec ce premier film, le festival commençait bien.
Seconde péloche, Host, moyen-métrage de Rob Savage basé sur les nouvelles technologies. Le film dure un petit peu moins d’une heure, et nous plonge au cœur d’une séance de spiritisme organisée sur ZOOM par cinq étudiantes confinées en Angleterre. Afin de s’affranchir du confinement qui lui est imposé le groupe a décidé de se retrouver par écrans interposés et de convoquer les esprits. Problème, celui qui s’invitera à la fête ne sera pas animé des meilleurs intentions. Sans être révolutionnaire, le moyen-métrage exploite les nouvelles technologies avec ingéniosité. Les ficelles ont beau être connues (le montage, l’obscurité et le hors champ permettent deux-trois scènes de frayeur), elles fonctionnent bien ici. Et pourtant, les dix premières minutes du film, tout en bavardage, ne laissaient rien augurer de bon…
Troisième projection, Boys From County Hell, petit film d’épouvante se déroulant en Irlande. On y découvre Six Mile Hill, un petit village tirant sa renommée du passage de Bram Stoker, qui y aurait séjourné une nuit. Aux abords du village serait enterré Abhartach, le premier suceur de sang connu, qui aurait inspiré au romancier son célèbre Dracula. La jeunesse désœuvrée passe son temps à boire des bières et à faire des blagues aux touristes, jusqu’au jour où la construction d’une route entraîne la destruction de la tombe du supposé monstre. Qui va bien évidemment se réveiller. Le film a beau être un peu léger, il se laisse regarder sans peine. La terreur y côtoie la comédie sans lourdeur, et les «héros» semblent bien souvent dépassés, ce qui les rend attachants.
Quatrième et dernier film de ce jour 1, le français Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma. On ne pouvait décemment pas louper ce petit film bien de chez nous, avec pour personnage principal un des plus célèbres croque-mitaines du Septième-Art. Doublement récompensé lors du palmarès de ce 28ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer (Prix du Jury et Prix du Jury Jeunes de la Région Grand Est), Teddy prend pour décors un petit village des Pyrénées, dans lequel il installe une bête sanguinaire. Les premières minutes du film font peur, il s’annonce mal joué. Très vite cette impression s’estompe. On partage alors le destin d’un personnage touchant, le susnommé Teddy. Orphelin de 19 ans ayant quitté très tôt l’école, Teddy vit chez son oncle (Pépin Lebref!) et travaille dans un salon de massage. Épris d’une fille de bonne famille, Rebecca, il a plein de projet dans la tête. Jusqu’au jour où il se fait mordre par un mystérieux animal. On vous laisse deviner lequel. Très vite le film a bénéficié d’un capital sympathie grandissant, au fil des «projections». Probablement dû à son interprète principal (excellent Anthony Bajon), ainsi qu’à sa manière d’aborder le thème de la famille. Au final, un petit côté «à part» touchant. Une bonne manière de finir cette première journée de festival…
JOUR 2.
Avec The Other Side des Suédois Oskar Mellander et Tord Danielsson, on est vite dans le bain. Une femme sanglote, on la voit parcourir les pièces sombres d’une maison. Elle est à la recherche d’une certaine Kim. Le décors est planté, ne reste plus qu’à enchaîner: une famille va emménager dans une maison bi-famille. Le père (Fredrik), sa nouvelle compagne (Shirin) et le fils (Lucas). Dans ce nouvel environnement les trois vont devoir retrouver leurs marques. Le père va accepter de travailler de nuit, laissant Shirin et Lucas seuls dans leur nouvelle demeure. Les scènes sont datées à l’écran, le film étant inspiré de faits réels. Shirin est proche de Lucas, mais s’inquiète de le voir jouer avec un ami imaginaire. Là où le film se distingue d’autres productions basés sur la même trame, c’est que Shirin comprend vite qu’il y a bien une présence dans la maison d’à côté, pourtant inhabitée. Bienveillante, ou au contraire malveillante ? L’histoire n’est peut-être pas nouvelle, les deux réalisateurs parviennent toutefois à y ajouter leur petite touche personnelle. Efficace, sans scène superflue, The Other Side maintient le suspense jusqu’au bout, tout en rendant un hommage sincère au genre (voir sa conclusion, bienvenue).
Deuxième projection de ce deuxième jour, Anything for Jackson de Justin G . Dyck. Alors là, c’est un peu les montagnes russes, la maison hantée, en fait une ballade au cœur d’une fête foraine, tout simplement. Des petits moments de comédie, de l’horreur, du gore, du surnaturel. Le Fantastique dans son spectre le plus large. Mais pas indigeste. Les deux personnages principaux, Audrey et Henry (interprétés avec brio par Sheila McCarthy et Julian Richings) forment un gentil petit couple âgé. Très vite, ils dévoilent leurs intentions, qui ne cadrent pas du tout avec leur apparence totalement inoffensive. Audrey et Henry ont enlevé Shannon, une jeune femme enceinte sur le point d’accoucher. Leur intention est de faire revenir l’esprit de leur petit-fils décédé (le Jackson du titre) dans le corps du nouveau né à venir, à l’occasion d’une obscure cérémonie satanique. Mais bien sûr rien ne se passera exactement comme prévu, le couple sera vite dépassé par les forces maléfiques qu’ils ont libérées. Anything for Jackson était une bonne petite surprise, pleine d’énergie, bien écrite et avec une distribution irréprochable. Où comment l’amour inconditionnel de grands-parents peut mener aux pires dérives…
Pour la troisième et dernière projection de ce deuxième jour, rien de mieux qu’une petite ballade au cœur d’une Australie très photogénique. Dans Sweet River, le réalisateur Justin McMillan plante sa caméra dans une petite bourgade, Billins, et y développe avec sensibilité la quête de son personnage principal, Hanna. Au sortir d’une cure de désintoxication, celle-ci décide de revenir sur les lieux du drame : c’est à Billins que son fils de quatre ans, Joey, avait été tué par un tueur en série. Le corps n’ayant jamais été retrouvé, Hanna a donc décidé de reprendre les recherches. Ses questions vont perturber l’équilibre des habitants qui avaient eux aussi perdu leurs enfants. Dans cette histoire d’âmes perdues Justin McMillan nous fait partager le quotidien d’un village emprisonné dans le passé. De brèves apparitions de fantômes d’enfants disparus suffisent à hérisser le poil des spectateurs au cœur d’un récit prenant. Lisa Kay, qui interprète Hanna, est très convaincante dans le rôle de cette mère qui n’a jamais pu faire son deuil. Au milieu d’interminables champs de canne à sucre elle découvrira la vérité glaçante…
JOUR 3.
On commence cette journée par une incursion en Asie avec le film sud-coréen The Cursed Lesson de Jai-hong Juhn et Ji-hon Kim. Dans cette étrange histoire de jeunes femmes participant à un stage de yoga afin de retrouver une illusoire jeunesse, les réalisateurs s’emmêlent un peu les pieds. A tel point qu’on en vient assez vite à se désintéresser de l’issue du film. Et pourtant, les comédiennes sont parfaites, les décors et la musique également. Pour réussir, The Cursed Lesson aurait dû se construire sur une histoire un peu plus développée et ne pas se résumer à une suite de scènes se voulant «fantastiques», et qui n’ont finalement ni queue ni tête. Rien de bien nouveau sous le soleil, juste une entité maléfique de plus dont on ne saura rien, et c’est bien là le problème.
Seconde projection, Mosquito State, où les moustiques reflètent la psyché ô combien perturbée d’un brillant analyste financier de Wall Street, à l’aube du krach boursier de 2007. Là encore, on a parfois éprouvé des difficultés à distinguer le vrai du faux. Dans cette histoire qui compare le monde de la finance et de la spéculation à des hordes de moustique avides de sang, Filip Jan Rymsza se perd un peu, mais propose quelque chose de visuellement intéressant, essentiellement lors des scènes se déroulant dans le gigantesque appartement du héros (Richard Boca), situé dans les hauteurs d’un gratte-ciel new-yorkais. On y croise le comédien Olivier Martinez (dans le rôle du grand patron), qui fait tout pour mettre à l’aise sa poule aux œufs d’or, interprétée par Beau Knapp. Le comédien rend une copie parfaite, un savant mélange de génie à la fois autiste, asocial et devin, prêt à aller jusqu’au bout, dans une forme d’expiation (sa prestation nous remémore celle de Michael Shannon dans le Bug de William Friedkin). Face à lui, Charlotte Vega incarne Lena, une magnifique jeune femme semblant le comprendre, contrairement à tous ses pairs. Richard Boca verra ses algorithmes, jusqu’ici infaillibles, vaciller au gré des turbulences qui traversent les marchés, et se rapprochera un peu plus des insectes qu’il a accueilli chez lui. Une drôle de rêverie dont l’issue, prévisible, ne gâche pas l’ambiance générale.
Troisième et dernière projection de ce jour 3, Possessor de Brandon Cronenberg. En digne fils de son père, le réalisateur s’est plongé dans une horreur organique laissant la part belle aux trucages en «réel». Tasya Vos (Andrea Riseborough) est employée par une organisation secrète qui commet des assassinats à la demande de ses clients. La technologie utilisée permet de prendre possession de l’esprit et du corps d’innocentes personnes afin de leur faire commettre les meurtres «commandés». Exécutante chevronnée, Tanya Vos va se retrouver coincée dans le corps d’une personne encore plus attirée par la violence qu’elle (excellent Christopher Abbott). Très bien mis en scène et photographié, Possessor n’est pas avare de grandes trouvailles et de petits plaisirs. On y croise les gueules bien connues de Jenifer Jason Leigh (qui était en quelque sorte à la place d’Andrea Riseborough il y a 22 ans dans le eXistenZ de Davis Cronenberg !) et de Sean Bean, avant de heurter de plein fouet un final pour le moins percutant. Possessor est reparti du festival avec le Grand Prix, ainsi que celui de la meilleure musique originale. Était-ce réellement une surprise, dans la mesure ou la réputation du film l’avait précédé, avec notamment les prix du meilleur film et du meilleur réalisateur au 53ème festival international du film de Catalogne en octobre 2020 ?
Cette 28ème édition a beau avoir été virtuelle, elle a permis de satisfaire en partie une passion partagée par les cinéphiles qui se retrouvent année après année à Gérardmer à la fin du mois de janvier. Entre les films proposés, les petites scènes avec David Rault ou encore une master-class avec le mythique John Landis, les spectateurs ont eu de quoi rassasier leur appétit de genre.
Mais gare, il leur faudra du concret l’année prochaine……
À la renverse, comme cette tortue mise sur le dos. Et qui se débat, se débat…
Alors le cadre se concentre sur les très gros plans : l’œil de l’animal ou des témoins, les rescapés des geôles des Assad. Le réalisateur laisse les ruines et la tragédie syrienne hors-champ et traque ces minuscules éclats de vie.
Quand il l’élargit, il montre les décombres ou les images de propagande, l’endoctrinement des enfants dans les écoles ou cette maîtresse à la retraite qui veut se laver des mots sales (selon le mot de Christian Bobin). Très sales !
Autre mise à distance : les dessins de l’auteur. Des dessins à l’origine du documentaire et qu’il a filmés avant de dévoiler le réel derrière les dessins. Beaucoup sont à la plume : la pudeur du noir et blanc pour éviter le rouge du sang ? Des dessins politiques, des masques dessinés (avec la vibration de la palette graphique) sur les visages des témoins qui souhaitent rester anonymes. Et en écho, ces paroles qui racontent l’insoutenable.
Un ami le regarde finir une planche et lui demande : Où sont les humains ? Il n’y en a pas. L’auteur lève les yeux et répond : Si, sous les décombres…
Le regard du réalisateur prolonge celui du peintre et nous offre de beaux plans emblématiques : ces oiseaux mécaniques attachés qui battent des ailes sans parvenir à s’envoler, à accéder à l’espace et au ciel, ces ralentis de plantes qui restituent ce temps long, cette patience subie pour survivre sous ce régime ou nécessaire pour endurer l’exil.
Le geste de dessiner, de filmer comme un refuge contre la répression et la barbarie.
Documentaire d’Hazem Alhamwi réalisé en et 2014, diffusé par arte après Sous un ciel bas
Pour
son premier long-métrage, la réalisatrice britannique Rose Glass a
eu les honneurs du 27ème Festival International du Film Fantastique
de Gérardmer. Saint Maud faisait partie de la compétition
officielle, qui comptait 10 longs-métrages.
Dès
sa première projection (à Gérardmer, les films présentés sont
diffusés à plusieurs reprises durant les 5 cinq jours du festival),
Saint Maud fit beaucoup parler de lui. Au point de très vite
figurer comme l’un des favoris de la célèbre manifestation
vosgienne. A l’issue des 5 jours de compétition le palmarès ne
fit que confirmer cette impression : en repartant avec quatre
récompenses, le film réalisa une des plus mémorables razzias de
l’histoire du festival. En cumulant le Grand Prix, le Prix de la
Critique, le Prix de la Meilleure Musique Originale et enfin le Prix
du Jury Jeunes de la Région Grand Est, Saint Maud inscrivit
son nom au panthéon de la manifestation, aux côtés du superbe
Mister Babadook de Jennifer Kent en 2014 (Prix du Jury, Prix
du Public, Prix de la Critique, Prix du Jury Jeunes de la Région
Grand Est), seul autre long-métrage à avoir remporté quatre
récompenses.
En
un peu plus d’une heure vingt Rose Glass invite le spectateur à
partager le quotidien d’une jeune femme, Maud, qui cherche à
communiquer avec Dieu. La réalisatrice avait fait le déplacement
dans les Vosges. Elle monta sur la scène de la grande salle de
l’Espace Lac juste avant la projection pour présenter son film.
Une fois l’obscurité revenue, les premières images confirmèrent
les propos qu’elle venait de tenir. Le film serait une immersion
dans la psyché ô combien torturée de son personnage principal.
Après
une ouverture très organique – que
nous ne dévoilerons pas de peur de priver le spectateur d’un
saisissant tableau – le film nous présente son personnage
principal, Maud, une
jeune femme tout ce qu’il y a de plus banal. Elle va
se rendre à son nouveau travail. Apparemment très croyante, elle
est l’infirmière particulière d’une ancienne artiste que la
maladie a contraint à rester cloîtrée dans sa vaste demeure. Maud
communique avec Dieu, elle lui parle à tout instant. Elle attend un
signe de lui, une indication sur sa destinée, car elle est
intimement convaincue que le Seigneur a une mission pour elle. Il
occupe chacune de ses pensées, mais pour l’observateur extérieur
Maud a l’air jeune et inoffensive. Parfaitement anodine.
Dans
la grande bâtisse que Maud partage avec sa patronne, Amanda Kohl,
l’ambiance est pesante et la lumière se fait rare. Le quotidien de
Maud se partage entre ses journées consacrées aux soins apportés à
Amanda, et ses soirées (et parfois ses nuits) tournées vers Dieu. A
l’occasion, Amanda reçoit des invités le soir, ou la nuit.
Histoire de s’évader un peu, d’oublier
sa déchéance en renouant avec son passé de diva de la danse. Dans
ces moments-là, elle prend ses distances avec Maud, alors qu’au
contraire chaque journée lui permet de créer un lien de plus en
plus fort avec sa soignante. Lors
de ces journées passées à communier avec Dieu les deux
femmes en deviennent quasi fusionnelles. Car pour Maud, le Seigneur a
de grands projets concernant Amanda. Jour
après jour, le lien qui
les unit n’en devient que plus fort. Jusqu’au drame.
Après
s’être emportée contre Amanda, Maud sera relevée de ses
fonctions. Et devra réintégrer son petit appartement. Cette rupture
la verra sombrer dans l’introspection et le doute. Sans emploi,
désœuvrée, elle
questionnera chaque jour un peu plus sa foi dans l’espoir de
recevoir des réponses. Le profond traumatisme qui frappe alors Maud
est le moment que choisit Rose Glass pour laisser libre cours à ses
envies d’expérimentation. Elle adopte alors une manière de filmer
plus libre et utilise des procédés originaux. Les
angles de prises de vue deviennent atypiques, de travers, sens dessus
dessous. La mise en scène
fait ressentir aux
spectateurs ce qui se passe dans la tête de Maud.
Dans
sa seconde partie Saint
Maud
se révèle dans toute sa complexité et sa profondeur. Après avoir
appris à connaître Maud, le spectateur se trouve emporté dans son
esprit torturé, tour à tour exalté ou traversé de doutes. Dans ce
climat anxiogène la musique joue une part importante. Au
milieu des doutes qui assaillent Maud le spectateur étouffe. Pendant
toute la (petite) durée du film, la jeune
comédienne
galloise Morfydd Clark accapare l’écran et exprime
merveilleusement bien l’intensité dévorante de la foi qui
l’habite. Au
départ du projet, la réalisatrice avait en tête une comédienne
bien plus âgée pour interpréter Maud. Les essais l’ont
finalement convaincue de choisir Morfydd Clark, malgré sa relative
jeunesse (tout juste 30 ans). Elle s’en est d’ailleurs félicitée
à Gérardmer.
Fait
assez rare pour le signaler, Rose Glass avait choisi de rester dans
la salle de l’Espace Lac toute la durée de la projection. Histoire
de ressentir la salle, pouvoir palper les réactions du public. A
l’issue de la projection, sa curiosité fut largement récompensée
par les salves nourries d’applaudissements.