On est fait pour s’entendre

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Enfin un film qui parle avec justesse de la surdité, loin de la
caricature de La famille Bélier qui n’a fait rire que les entendants !
Lui-même souffrant de déficience auditive, Pascal Elbé a pointé du
doigt les difficultés au quotidien que rencontrent les malentendants
dans une comédie charmante et non dénuée d’humour.

Antoine, un professeur bougon et malentendant, se fait incendier
par Claire, sa voisine, parce qu’il écoute la musique trop fort et laisse
son réveil sonner indéfiniment. Elle, c’est Sandrine Kiberlain. Avec
Pascal Elbé ils forment un couple détonnant, elle, en impulsant son
rythme peps de jeu et lui par son côté flegmatique et lunaire qui lui
vont très bien pour ce rôle. Pascal Elbé a voulu que la femme dont il
tombe amoureux dans son film ait le même âge que lui, et non 20
ans de moins, et pour aller encore contre les faux-semblants
glamours, il joue lui-même le rôle du malentendant, et témoigne de
sa déficience, lui, l’élu « acteur le plus sexy du monde » comme le
révèle le numéro d’octobre du magazine Glam’mag ! Il l’a constaté,
dans les débats qui suivent les projections en avant-premières, son
film libère la parole, a la vertu de décomplexer les malentendants qui
font leur coming out en public. Car, malheureusement, on rit des
sourds, et ce mal est associé au mieux à un Professeur Tournesol, au
pire, aux personnes vieillissantes qui se déconnectent de la société.
Elles agacent car font répéter et finissent par renoncer à faire
répéter puis s’isolent. La surdité est souvent synonyme de solitude
et la jolie idée du film est la rencontre entre Antoine et la petite fille
de Claire, murée dans son silence, depuis que son père est mort. De
cette rencontre improbable naît un film sensible qui débouche sur
une comédie romantique.

Pascal Elbé n’a pas voulu plomber son sujet préférant jouer la carte
de la tendresse et de la cocasserie. Une réunion en salle des profs,
avec une Claudia Tagbo à cran, donne lieu à un dialogue qui part en
vrille, désopilant, dont le moteur est la confusion entre « rapport » et
« porc ». Tout malentendant aussi se reconnaîtra dans la scène où
Antoine et Claire, dans un restaurant bruyant, peinent à échanger
une conversation cohérente. Une situation qui sent le vécu, comme
s’en explique le réalisateur : « Voilà, c’est ma vie… Si les situations
créées sont souvent drôles, il faut quand même tout de suite
rappeler à quel point c’est épuisant. La malentendance, au quotidien,
c’est un peu un travail d’équilibriste où vous faites le funambule avec
ce que vous percevez et ce que vous ne percevez pas. C’est dur à
vivre. » C’est précisément sur le fil qu’évolue Antoine, du déni de son
handicap à l’acceptation, en passant par la honte. Un parcours que
ceux qui sont concernés connaissent bien – l’incompréhension des
autres pensant que vous ne les écoutez pas, l’audiogramme pour
mesurer l’audition, les prothèses auditives très couteuses, les piles
qui s’épuisent au très mauvais moment, le réveil aussi puissant que
l’assaut du GIGN avec son faisceau lumineux qui vous vrille le crâne !
Tout est juste, jusqu’à l’ultime dialogue du film que nous ne
dévoilerons pas. On est fait pour s’entendre devrait être vu par tous
pour comprendre ce que vit au quotidien une personne
malentendante. Vu les chiffres, tout le monde sera concerné, soit
pour connaître quelqu’un qui l’est ou le devient, soit pour ne plus
entendre soi-même. Mais rappelons-le, c’est aussi un film qui fait
rire, une vertu en ces temps tristounets !

Par Elsa Nagel

Un film de Pascal Elbé

10 millions de personnes ont des problèmes d’audition, soit 16 % de la population française. Après 50 ans, une personne sur trois ont des difficultés auditives. En France, selon l’OMS, près d’un million d’enfants naissent chaque année atteints de surdité. 6% des 15-24 ans sont concernés par la déficience auditive incapacitante (Challenges, 08/02/2021).