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28ème Festival international du film fantastique de gerardmer

Un festival à la maison, mais pas que…

Festival de Gérardmer 2021.

Covid-19 oblige, cette 28ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer était numérique. Une demi déception pour les habitués du festival, qui s’y rendent à la fois pour son ambiance inimitable, débridée, et pour les films projetés. Mais le contexte sanitaire ne permettait pas d’organiser un festival «normal», aussi les organisateurs ont-ils tenus à proposer une expérience «parallèle» qui ne manquerait pas de lancer des petits clins d’œil savoureux à un public fidèle.
Première découverte, chaque film disponible en streaming est précédé de petites scènes mettant en scène le Monsieur Loyal du festival, David Rault. Une sympathique mise en bouche qui, bien que de qualité parfois inégale, plonge instantanément les spectateurs dans l’atmosphère du festival. Puis, juste après, le célèbre générique à base de monstres sacrés du bestiaire du Fantastique. Indispensable. Et pour finir, le «cri» de la Bête, qui retentit souvent à chaque début de projection. Les habitués du festival comprendront, les autres devraient sérieusement envisager de faire un petit tour dans la Perle des Vosges dans le futur, histoire d’y découvrir la folle ambiance qui règne dans les salles, hors confinement…

JOUR 1.

Première péloche, The Stylist, de Jill Gevargizian. On y fait la connaissance de Claire, une jeune femme travaillant dans un salon de coiffure. Claire est douce, ouverte aux autres, dont elle cherche continuellement la présence. Très vite, on constate qu’elle a du mal à comprendre ses semblables, même si elle semble le vouloir à tout prix. Elle va «déraper» et entraîner le spectateur dans son malaise. Claire vit dans une petite ville tranquille, mais elle traverse des hauts et des bas, laissant sur le carreau les malheureuses qu’elle croise ici ou là. The Stylist se distingue par trois éléments: son interprète principale (formidable Najarra Townsend), sa photographie (magnifique, avec un joli travail sur les couleurs) et enfin sa partition musicale (à base de piano). Pas inoubliable, mais plus que correct. Avec ce premier film, le festival commençait bien.


Seconde péloche, Host, moyen-métrage de Rob Savage basé sur les nouvelles technologies. Le film dure un petit peu moins d’une heure, et nous plonge au cœur d’une séance de spiritisme organisée sur ZOOM par cinq étudiantes confinées en Angleterre. Afin de s’affranchir du confinement qui lui est imposé le groupe a décidé de se retrouver par écrans interposés et de convoquer les esprits. Problème, celui qui s’invitera à la fête ne sera pas animé des meilleurs intentions. Sans être révolutionnaire, le moyen-métrage exploite les nouvelles technologies avec ingéniosité. Les ficelles ont beau être connues (le montage, l’obscurité et le hors champ permettent deux-trois scènes de frayeur), elles fonctionnent bien ici. Et pourtant, les dix premières minutes du film, tout en bavardage, ne laissaient rien augurer de bon…


Troisième projection, Boys From County Hell, petit film d’épouvante se déroulant en Irlande. On y découvre Six Mile Hill, un petit village tirant sa renommée du passage de Bram Stoker, qui y aurait séjourné une nuit. Aux abords du village serait enterré Abhartach, le premier suceur de sang connu, qui aurait inspiré au romancier son célèbre Dracula. La jeunesse désœuvrée passe son temps à boire des bières et à faire des blagues aux touristes, jusqu’au jour où la construction d’une route entraîne la destruction de la tombe du supposé monstre. Qui va bien évidemment se réveiller. Le film a beau être un peu léger, il se laisse regarder sans peine. La terreur y côtoie la comédie sans lourdeur, et les «héros» semblent bien souvent dépassés, ce qui les rend attachants.


Quatrième et dernier film de ce jour 1, le français Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma. On ne pouvait décemment pas louper ce petit film bien de chez nous, avec pour personnage principal un des plus célèbres croque-mitaines du Septième-Art. Doublement récompensé lors du palmarès de ce 28ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer (Prix du Jury et Prix du Jury Jeunes de la Région Grand Est), Teddy prend pour décors un petit village des Pyrénées, dans lequel il installe une bête sanguinaire. Les premières minutes du film font peur, il s’annonce mal joué. Très vite cette impression s’estompe. On partage alors le destin d’un personnage touchant, le susnommé Teddy. Orphelin de 19 ans ayant quitté très tôt l’école, Teddy vit chez son oncle (Pépin Lebref!) et travaille dans un salon de massage. Épris d’une fille de bonne famille, Rebecca, il a plein de projet dans la tête. Jusqu’au jour où il se fait mordre par un mystérieux animal. On vous laisse deviner lequel. Très vite le film a bénéficié d’un capital sympathie grandissant, au fil des «projections». Probablement dû à son interprète principal (excellent Anthony Bajon), ainsi qu’à sa manière d’aborder le thème de la famille. Au final, un petit côté «à part» touchant. Une bonne manière de finir cette première journée de festival…

JOUR 2.

Avec The Other Side des Suédois Oskar Mellander et Tord Danielsson, on est vite dans le bain. Une femme sanglote, on la voit parcourir les pièces sombres d’une maison. Elle est à la recherche d’une certaine Kim. Le décors est planté, ne reste plus qu’à enchaîner: une famille va emménager dans une maison bi-famille. Le père (Fredrik), sa nouvelle compagne (Shirin) et le fils (Lucas). Dans ce nouvel environnement les trois vont devoir retrouver leurs marques. Le père va accepter de travailler de nuit, laissant Shirin et Lucas seuls dans leur nouvelle demeure. Les scènes sont datées à l’écran, le film étant inspiré de faits réels. Shirin est proche de Lucas, mais s’inquiète de le voir jouer avec un ami imaginaire. Là où le film se distingue d’autres productions basés sur la même trame, c’est que Shirin comprend vite qu’il y a bien une présence dans la maison d’à côté, pourtant inhabitée. Bienveillante, ou au contraire malveillante ? L’histoire n’est peut-être pas nouvelle, les deux réalisateurs parviennent toutefois à y ajouter leur petite touche personnelle. Efficace, sans scène superflue, The Other Side maintient le suspense jusqu’au bout, tout en rendant un hommage sincère au genre (voir sa conclusion, bienvenue).


Deuxième projection de ce deuxième jour, Anything for Jackson de Justin G . Dyck. Alors là, c’est un peu les montagnes russes, la maison hantée, en fait une ballade au cœur d’une fête foraine, tout simplement. Des petits moments de comédie, de l’horreur, du gore, du surnaturel. Le Fantastique dans son spectre le plus large. Mais pas indigeste. Les deux personnages principaux, Audrey et Henry (interprétés avec brio par Sheila McCarthy et Julian Richings) forment un gentil petit couple âgé. Très vite, ils dévoilent leurs intentions, qui ne cadrent pas du tout avec leur apparence totalement inoffensive. Audrey et Henry ont enlevé Shannon, une jeune femme enceinte sur le point d’accoucher. Leur intention est de faire revenir l’esprit de leur petit-fils décédé (le Jackson du titre) dans le corps du nouveau né à venir, à l’occasion d’une obscure cérémonie satanique. Mais bien sûr rien ne se passera exactement comme prévu, le couple sera vite dépassé par les forces maléfiques qu’ils ont libérées. Anything for Jackson était une bonne petite surprise, pleine d’énergie, bien écrite et avec une distribution irréprochable. Où comment l’amour inconditionnel de grands-parents peut mener aux pires dérives…


Pour la troisième et dernière projection de ce deuxième jour, rien de mieux qu’une petite ballade au cœur d’une Australie très photogénique. Dans Sweet River, le réalisateur Justin McMillan plante sa caméra dans une petite bourgade, Billins, et y développe avec sensibilité la quête de son personnage principal, Hanna. Au sortir d’une cure de désintoxication, celle-ci décide de revenir sur les lieux du drame : c’est à Billins que son fils de quatre ans, Joey, avait été tué par un tueur en série. Le corps n’ayant jamais été retrouvé, Hanna a donc décidé de reprendre les recherches. Ses questions vont perturber l’équilibre des habitants qui avaient eux aussi perdu leurs enfants. Dans cette histoire d’âmes perdues Justin McMillan nous fait partager le quotidien d’un village emprisonné dans le passé. De brèves apparitions de fantômes d’enfants disparus suffisent à hérisser le poil des spectateurs au cœur d’un récit prenant. Lisa Kay, qui interprète Hanna, est très convaincante dans le rôle de cette mère qui n’a jamais pu faire son deuil. Au milieu d’interminables champs de canne à sucre elle découvrira la vérité glaçante…

JOUR 3.

On commence cette journée par une incursion en Asie avec le film sud-coréen The Cursed Lesson de Jai-hong Juhn et Ji-hon Kim. Dans cette étrange histoire de jeunes femmes participant à un stage de yoga afin de retrouver une illusoire jeunesse, les réalisateurs s’emmêlent un peu les pieds. A tel point qu’on en vient assez vite à se désintéresser de l’issue du film. Et pourtant, les comédiennes sont parfaites, les décors et la musique également. Pour réussir, The Cursed Lesson aurait dû se construire sur une histoire un peu plus développée et ne pas se résumer à une suite de scènes se voulant «fantastiques», et qui n’ont finalement ni queue ni tête. Rien de bien nouveau sous le soleil, juste une entité maléfique de plus dont on ne saura rien, et c’est bien là le problème.


Seconde projection, Mosquito State, où les moustiques reflètent la psyché ô combien perturbée d’un brillant analyste financier de Wall Street, à l’aube du krach boursier de 2007. Là encore, on a parfois éprouvé des difficultés à distinguer le vrai du faux. Dans cette histoire qui compare le monde de la finance et de la spéculation à des hordes de moustique avides de sang, Filip Jan Rymsza se perd un peu, mais propose quelque chose de visuellement intéressant, essentiellement lors des scènes se déroulant dans le gigantesque appartement du héros (Richard Boca), situé dans les hauteurs d’un gratte-ciel new-yorkais. On y croise le comédien Olivier Martinez (dans le rôle du grand patron), qui fait tout pour mettre à l’aise sa poule aux œufs d’or, interprétée par Beau Knapp. Le comédien rend une copie parfaite, un savant mélange de génie à la fois autiste, asocial et devin, prêt à aller jusqu’au bout, dans une forme d’expiation (sa prestation nous remémore celle de Michael Shannon dans le Bug de William Friedkin). Face à lui, Charlotte Vega incarne Lena, une magnifique jeune femme semblant le comprendre, contrairement à tous ses pairs. Richard Boca verra ses algorithmes, jusqu’ici infaillibles, vaciller au gré des turbulences qui traversent les marchés, et se rapprochera un peu plus des insectes qu’il a accueilli chez lui. Une drôle de rêverie dont l’issue, prévisible, ne gâche pas l’ambiance générale.


Troisième et dernière projection de ce jour 3, Possessor de Brandon Cronenberg. En digne fils de son père, le réalisateur s’est plongé dans une horreur organique laissant la part belle aux trucages en «réel». Tasya Vos (Andrea Riseborough) est employée par une organisation secrète qui commet des assassinats à la demande de ses clients. La technologie utilisée permet de prendre possession de l’esprit et du corps d’innocentes personnes afin de leur faire commettre les meurtres «commandés». Exécutante chevronnée, Tanya Vos va se retrouver coincée dans le corps d’une personne encore plus attirée par la violence qu’elle (excellent Christopher Abbott). Très bien mis en scène et photographié, Possessor n’est pas avare de grandes trouvailles et de petits plaisirs. On y croise les gueules bien connues de Jenifer Jason Leigh (qui était en quelque sorte à la place d’Andrea Riseborough il y a 22 ans dans le eXistenZ de Davis Cronenberg !) et de Sean Bean, avant de heurter de plein fouet un final pour le moins percutant. Possessor est reparti du festival avec le Grand Prix, ainsi que celui de la meilleure musique originale. Était-ce réellement une surprise, dans la mesure ou la réputation du film l’avait précédé, avec notamment les prix du meilleur film et du meilleur réalisateur au 53ème festival international du film de Catalogne en octobre 2020 ?

Cette 28ème édition a beau avoir été virtuelle, elle a permis de satisfaire en partie une passion partagée par les cinéphiles qui se retrouvent année après année à Gérardmer à la fin du mois de janvier. Entre les films proposés, les petites scènes avec David Rault ou encore une master-class avec le mythique John Landis, les spectateurs ont eu de quoi rassasier leur appétit de genre.

Mais gare, il leur faudra du concret l’année prochaine……

Jérôme Magne

Dessein d’exil

Ma chambre syrienne, documentaire d’Hazem Alhamwi

À la renverse, comme cette tortue mise sur le dos. Et qui se débat, se
débat…

Alors le cadre se concentre sur les très gros plans : l’œil de l’animal
ou des témoins, les rescapés des geôles des Assad. Le réalisateur
laisse les ruines et la tragédie syrienne hors-champ et traque ces
minuscules éclats de vie.

Quand il l’élargit, il montre les décombres ou les images de
propagande, l’endoctrinement des enfants dans les écoles ou cette
maîtresse à la retraite qui veut se laver des mots sales (selon le mot
de Christian Bobin). Très sales !

Autre mise à distance : les dessins de l’auteur. Des dessins à l’origine
du documentaire et qu’il a filmés avant de dévoiler le réel derrière
les dessins. Beaucoup sont à la plume : la pudeur du noir et blanc
pour éviter le rouge du sang ? Des dessins politiques, des masques
dessinés (avec la vibration de la palette graphique) sur les visages
des témoins qui souhaitent rester anonymes. Et en écho, ces paroles
qui racontent l’insoutenable.

Un ami le regarde finir une planche et lui demande : Où sont les
humains ? Il n’y en a pas. L’auteur lève les yeux et répond : Si, sous les
décombres…

Le regard du réalisateur prolonge celui du peintre et nous offre de
beaux plans emblématiques : ces oiseaux mécaniques attachés qui
battent des ailes sans parvenir à s’envoler, à accéder à l’espace et au
ciel, ces ralentis de plantes qui restituent ce temps long, cette
patience subie pour survivre sous ce régime ou nécessaire pour
endurer l’exil.

Le geste de dessiner, de filmer comme un refuge contre la répression
et la barbarie.

Documentaire d’Hazem Alhamwi réalisé en et 2014, diffusé par arte 
après Sous un ciel bas

Par Luc Maechel

Saint-Maud

Un film de Rose Glass

Pour son premier long-métrage, la réalisatrice britannique Rose Glass a eu les honneurs du 27ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer. Saint Maud faisait partie de la compétition officielle, qui comptait 10 longs-métrages.

Dès sa première projection (à Gérardmer, les films présentés sont diffusés à plusieurs reprises durant les 5 cinq jours du festival), Saint Maud fit beaucoup parler de lui. Au point de très vite figurer comme l’un des favoris de la célèbre manifestation vosgienne. A l’issue des 5 jours de compétition le palmarès ne fit que confirmer cette impression : en repartant avec quatre récompenses, le film réalisa une des plus mémorables razzias de l’histoire du festival. En cumulant le Grand Prix, le Prix de la Critique, le Prix de la Meilleure Musique Originale et enfin le Prix du Jury Jeunes de la Région Grand Est, Saint Maud inscrivit son nom au panthéon de la manifestation, aux côtés du superbe Mister Babadook de Jennifer Kent en 2014 (Prix du Jury, Prix du Public, Prix de la Critique, Prix du Jury Jeunes de la Région Grand Est), seul autre long-métrage à avoir remporté quatre récompenses.

En un peu plus d’une heure vingt Rose Glass invite le spectateur à partager le quotidien d’une jeune femme, Maud, qui cherche à communiquer avec Dieu. La réalisatrice avait fait le déplacement dans les Vosges. Elle monta sur la scène de la grande salle de l’Espace Lac juste avant la projection pour présenter son film. Une fois l’obscurité revenue, les premières images confirmèrent les propos qu’elle venait de tenir. Le film serait une immersion dans la psyché ô combien torturée de son personnage principal.

Après une ouverture très organique – que nous ne dévoilerons pas de peur de priver le spectateur d’un saisissant tableau – le film nous présente son personnage principal, Maud, une jeune femme tout ce qu’il y a de plus banal. Elle va se rendre à son nouveau travail. Apparemment très croyante, elle est l’infirmière particulière d’une ancienne artiste que la maladie a contraint à rester cloîtrée dans sa vaste demeure. Maud communique avec Dieu, elle lui parle à tout instant. Elle attend un signe de lui, une indication sur sa destinée, car elle est intimement convaincue que le Seigneur a une mission pour elle. Il occupe chacune de ses pensées, mais pour l’observateur extérieur Maud a l’air jeune et inoffensive. Parfaitement anodine.

Dans la grande bâtisse que Maud partage avec sa patronne, Amanda Kohl, l’ambiance est pesante et la lumière se fait rare. Le quotidien de Maud se partage entre ses journées consacrées aux soins apportés à Amanda, et ses soirées (et parfois ses nuits) tournées vers Dieu. A l’occasion, Amanda reçoit des invités le soir, ou la nuit. Histoire de s’évader un peu, d’oublier sa déchéance en renouant avec son passé de diva de la danse. Dans ces moments-là, elle prend ses distances avec Maud, alors qu’au contraire chaque journée lui permet de créer un lien de plus en plus fort avec sa soignante. Lors de ces journées passées à communier avec Dieu les deux femmes en deviennent quasi fusionnelles. Car pour Maud, le Seigneur a de grands projets concernant Amanda. Jour après jour, le lien qui les unit n’en devient que plus fort. Jusqu’au drame.

Après s’être emportée contre Amanda, Maud sera relevée de ses fonctions. Et devra réintégrer son petit appartement. Cette rupture la verra sombrer dans l’introspection et le doute. Sans emploi, désœuvrée, elle questionnera chaque jour un peu plus sa foi dans l’espoir de recevoir des réponses. Le profond traumatisme qui frappe alors Maud est le moment que choisit Rose Glass pour laisser libre cours à ses envies d’expérimentation. Elle adopte alors une manière de filmer plus libre et utilise des procédés originaux. Les angles de prises de vue deviennent atypiques, de travers, sens dessus dessous. La mise en scène fait ressentir aux spectateurs ce qui se passe dans la tête de Maud.

Dans sa seconde partie Saint Maud se révèle dans toute sa complexité et sa profondeur. Après avoir appris à connaître Maud, le spectateur se trouve emporté dans son esprit torturé, tour à tour exalté ou traversé de doutes. Dans ce climat anxiogène la musique joue une part importante. Au milieu des doutes qui assaillent Maud le spectateur étouffe. Pendant toute la (petite) durée du film, la jeune comédienne galloise Morfydd Clark accapare l’écran et exprime merveilleusement bien l’intensité dévorante de la foi qui l’habite. Au départ du projet, la réalisatrice avait en tête une comédienne bien plus âgée pour interpréter Maud. Les essais l’ont finalement convaincue de choisir Morfydd Clark, malgré sa relative jeunesse (tout juste 30 ans). Elle s’en est d’ailleurs félicitée à Gérardmer.

Fait assez rare pour le signaler, Rose Glass avait choisi de rester dans la salle de l’Espace Lac toute la durée de la projection. Histoire de ressentir la salle, pouvoir palper les réactions du public. A l’issue de la projection, sa curiosité fut largement récompensée par les salves nourries d’applaudissements.

Jérôme MAGNE

Laurence Garnesson

Laurence et Alma
Photo Luc Maechel

Vacuité lyrique

 

Interview et
images de l’artiste
Laurence
Garnesson
lors de
sa résidence en
février 2020 dans l’atelier de taille douce des Éditions Bucciali où elle a réalisé
25 monotypes.
https://youtu.be/b93nxp7jrTU

L’interview, à paraître dans le mensuel culturel franco-allemand Hebdoscope, est lisible ici :  http://racinesnomades.net/ephemerides/ephemeride-2020/#itw-Garnesson 

Entretien, prises de vues & montage :
Luc Maechel avec Mitsuo Shiraishi, Alma et Rémy Bucciali
Nota : les musiques sont diégétiques (radio dans l’atelier…)

Fantastique Gérardmer

De Ghostland à Groland et
au-delà…

                                                                                                                      

Sept comme les péchés capitaux
qu’ils ont si souvent pris un malin
plaisir à exhiber : c’est le nombre de
lettres pareillement réparties
d’Udo Kier et d’Eli Roth, les deux
récipiendaires du trophée de cristal
que le 26
e Festival International du
Film Fantastique de Gérardmer a eu, cette année, l’excellente idée de leur remettre. Mais, outre l’addition de ce double hommage, c’est encore celle des autres prix dont devraient
être gratifiés les meilleurs des dix longs métrages en compétition

Puisque sur le fond vert bio choisi pour l’affiche du cru 2019, un
crotale s’apprête à croquer notre planète bleue, il s’avérait non
moins judicieux d’inviter aux morbides réjouissances vosgiennes un
trouble-fête patenté, âpre explorateur en 2013 du Green Inferno et
porteur, l’an passé, de l’apocalyptique Prophétie des horloges. Autant
dire qu’avec le cinéaste et acteur bostonien Eli Roth au bord du lac,
« inglourious basterd » prédisposé au « death wish » depuis sa
première « cabin fever », il faudra veiller à ne pas s’y tromper
d’« hostel » et y réfléchir à deux fois avant de faire « knock knock » !

Très attendue après deux ans de fâcheuse suspension, sa «
masterclass » du samedi 2 février sera suivie le lendemain par celle,
tout aussi alléchante, du très singulier comédien allemand Udo Kier
(deux fois juré à Locarno) que ses initiales semblaient destiner à de
modestes débuts anglais en 1966 (mais sur La Route de Saint-
Tropez
!). Riche à 74 ans d’une filmographie volontiers sulfureuse de
plus de 260 titres (dont il sauverait une cinquantaine), ce fidèle de
Fassbinder et de Lars von Trier, dérangeant ou dérangé avec la
même étrange force de conviction, fit son incursion initiale dans
l’épouvante sous la Marque du Diable (jugée insoutenable en 1970).
Romantique au besoin pour le Joseph Balsamo de Jean Marais, il y
jouira ensuite de l’unique privilège d’avoir incarné, d’une année sur
l’autre, le Baron Frankenstein et le Comte Dracula (vu par Warhol).
Parmi les monstres de son placard, on compte aussi le Docteur
Jekyll, Jack l’Eventreur, Erich von Stroheim ou Adolf Hitler  et c’est
d’ailleurs en créateur de poupées nazies que nous le reverrons dans
Puppet Master : The Littlest Reich, unique candidat 100% américain
en compétition – le film d’ouverture Escape Game d’Adam Robitel
étant coproduit par l’Afrique du Sud.

On doit pourtant ce fond de tiroir ludique à deux Suédois dont le
pays natal (couronné ici en 2009 pour Morse de Tomas Alfredson) s’y
trouve, avec la Corée du Sud (Rampant de Kim Sung-hoon et The
Witch : Part 1. The Subversion
de Park Hoon-jung, le scénariste de J’ai
rencontré le Diable
, deux fois primé en 2010), doublement représenté
par deux premiers films : l’odyssée spatiale du vaisseau Aniara vers
Mars (nourrie des poèmes de leur compatriote Harry Martinson,
Prix Nobel de Littérature 1974) et The Unthinkable, chaos rural
signé du « club des cinq » Crazy Pictures. Ajoutons à ses
ressortissants, majoritaires, Carolina Hellsgard, la réalisatrice de
Endzeit – Ever After, 1er film de zombies au féminin qui concourt pour
l’Allemagne. Trois nations rivaliseront avec les quatre précitées :
l’Angleterre (Await Further Instructions, un Noël à huis clos selon
Johnny Kevorkian), l’Autriche (The Dark de Justin P. Lange, 1er long
issu d’un court triomphal) et le Canada (Lifechanger de son
homonyme MacConnell).

Mais il faut bien trancher et, hormis l’insolite présidence bicéphale
du Jury (paritaire) exercée par les Grolandais Benoît Delépine et
Gustave Kervern, lesquels entretiennent autant de liens avec le
fantastique que le giallo avec les gilets jaunes ou, l’an passé, le
victorieux Ghostland  (Laugier l’ayant hélas emporté sur The Lodgers
de Brian O’Malley !) avec un vrai film de fantômes, se manifeste le
réjouissant recentrage de la plupart de ses membres autour du
genre à défendre. Fabrice Du Welz et Yann Gonzalez, qui s’y
emploient dans leurs œuvres borderline, y côtoieront ainsi Ana
Girardot, l’interlocutrice privilégiée des Revenants, ou Astrid Bergès-
Frisbey, envoûtante Sirène des Caraïbes dont viendra relayer la voix,
en projection de clôture, sa congénère russe du Lac des Ames
perdues
.

Môme Caoutchouc chez Jeunet, Julie Ferrier signe, elle, son retour
en tête à dix ans d’intervalle pour jauger les 5 courts métrages
retenus, entourée de Vincent Mariette et Sébastien Marnier,
cinéastes de l’invisible menace, et du trio électro Zombie Zombie,
féru de John Carpenter.

Outre Rétromania, une nouvelle section vouée aux films cultes
méconnus (stimulant oxymore), nous attend enfin, hors compétition,
le ténébreux pensionnat de Blackwood où Rodrigo Cortés, l’auteur
comblé de Buried, devrait sans peine nous ensevelir.

Maxime Stintzy

Festival Les Etoiles du Documentaire

Luc Maechel et Simone Fluhr ©Kamal Ourahou

Suite et perspectives

Retour sur le
Festival Les Etoiles
qui a eu lieu à
Strasbourg, au
cinéma l’Odyssée,
les 9 et 10 février.
Cette deuxième édition a connu une
fréquentation encourageante, avec un public jeune qui a été au rendez-
vous, à la grande satisfaction des organisateurs, désireux de faire
connaître le genre du documentaire à un public qui spontanément ne
s’y intéresse pas forcément.


Les documentaires

Trois classes de collégiens sont venues à la rencontre de Simone
Fluhr et son film Rivages, lui posant des questions aussi
pertinentes que d’une fraîcheur revigorante. Dautres collégiens
ont  beaucoup apprécié l’excellent Deux Cancres de Ludovic
Vieuille, réagissant avec des éclats de rire contagieux à la
situation qui leur est sans doute familière de ce père et fils
confrontés aux affres des devoirs. Autre public intéressé et très
présent, des étudiants en cinéma que Kijima Stories a fortement
impressionnés, à en juger par leur échange avec l’enthousiaste
réalisatrice Laétitia Mikles. Son film est effectivement d’un grand
intérêt et passionnant à bien des égards. Alliant réalisme et
poésie, Sur le rebord du monde d’Hervé Drézen est un voyage très
dépaysant au pays de Penmarc’h avec un réalisateur qui est un
véritable artiste par son engagement et par son refus du système.
Malheureusement, qui veut réaliser un documentaire est tenu de
constituer des dossiers pour séduire producteurs et chaînes de
télé, une réalité contraignante et terre-à-terre qui n’a cessé d’être
évoquée lors de ce festival, comme celle de la diffusion des
documentaires qui souffrent d’un manque aigu de visibilité par le
grand public – d’où l’intérêt de ce Festival Les Etoiles qui n’existe
pour le moment qu’à Rennes et à Strasbourg mais devrait
également trouver sa place l’an prochain à Bordeaux, Nantes et
Marseille. Quid de l’avenir du documentaire et notamment de la
place des auteurs dans l’espace frontalier ? Ce fut le sujet d’une
réunion entre professionnels de la filière image qui a eu lieu en
marge de ce Festival.

Le Transfrontalier en questions

Une séance de réflexion a réuni différents auteurs-réalisateurs de
documentaires autour de la question de leur statut, de leur travail
et des coopérations actives ou non entre les pays limitrophes de la
Région du Grand Est, la seule en France qui partage sa frontière
sur près de 760 km avec quatre pays :  l’Allemagne, la Belgique, le
Luxembourg et la Suisse. La question du transfrontalier se pose de
façon prématurée lorsque la diffusion des documentaires est le
problème crucial qui se pose au sein même de chaque pays. Grâce
au Grand Est cependant, et grâce à un réseau de salles, le
documentaire trouve sa place dans la  programmation de  salles de
cinéma. La Région Grand-Est s’investit aussi dans l’aide à
l’écriture. Avec les pays limitrophes, synergie et complémentarité
sont à trouver. Si les politiques « vendent » le « transfrontalier », il
reste un concept utopique en matière de création audiovisuelle
car chaque pays a son propre fonctionnement et sa législation du
droit des auteurs-réalisateurs. Si les lois peuvent changer, reste
que la façon de travailler et l’esprit même qui anime la création et
la réalisation d’un film diffèrent tellement que les freins restent
énormes, sans compter le problème de la langue. Qui croit que les
Alsaciens et les Allemands trouvent facilement un terrain
d’entente se trompe. Un producteur alsacien en a fait l’amère
expérience avec un film qui n’a pas trouvé preneur Outre-Rhin,
alors qu’il était tourné dans les deux langues. Les chaînes de
télévision restent frileuses en Allemagne, le côté didactique du
documentaire devant être privilégié. Tout doit y être surligné, sur-
commenté, comme si l’on ne faisait pas confiance à l’intelligence
du spectateur et à son imagination. Quant à la chaîne ARTE, elle
n’est souvent pas plus audacieuse que ses consœurs assujetties à
l’audimat. Un espoir cependant, la différence de culture, en
termes de création documentaire, est moindre entre la France et
la Belgique. Cette réunion entre professionnels du documentaire
a permis d’interroger la question du transfrontalier, certes sans
pouvoir y répondre, mais en ayant posé les jalons d’un début de
réflexion qui sera menée dans les années à venir, le transfrontalier
offrant des perspectives intéressantes tant professionnelles que
publiques. Reste comme l’a dit l’un des intervenants, en guise de
conclusion, à « écrire, écrire, écrire… »

Les étoiles du documentaire,
Du 9 et 10 Février 2018

Elsa Nagel

Les Etoiles du Documentaire

Hôtel Machine d’Emanuel LICHA

Le temps d’un week-
end, du 9 au 10
février 2018, sept
documentaires sont
à découvrir au
cinéma l’Odyssée de
Strasbourg. Double
bonne nouvelle,
l’entrée est libre et les films sont projetés dans la grande salle.


La Scam (Société civile des auteurs multimédia) a pour activité
principale la gestion des droits d’auteur pour 40 000 membres,
écrivains, journalistes, photographes, dessinateurs, youtubeurs …
Le Festival Les Étoiles du documentaire est la vitrine grand public
de la Scam qui depuis près de 10 ans organise la projection sur
deux jours, au Forum des Images à Paris, de trente documentaires
et reportages choisis parmi soixante documentaires, eux-mêmes
fruit d’une sélection de 400 films. Ces trente films bénéficient
ainsi d’un coup de projecteur quand on sait les difficultés pour un
documentaire à être distribué en salle et même à la télévision.

La Safire (La Société des Auteurs réalisateurs de Films
Indépendants en Région Est), créée en 1993, est une association
qui regroupe les auteurs réalisateurs professionnels du Grand Est
et les représente auprès des pouvoirs publics et des différentes
instances du cinéma et de l’audiovisuel au niveau local et national.
La Safire a vocation à diffuser les films ancrés dans la Région et à
permettre au public de rencontrer les réalisateurs.

L’édition strasbourgeoise du Festival des Étoiles du documentaire
qui fête sa deuxième session cette année, est organisée par la
Safire, en  partenariat avec la Scam, Strasbourg Eurométropole, le
cinéma l’Odyssée, Alsace20 et le soutien de la Région Grand Est.
La Safire est également soutenue par la Drac Grand-Est. Trois
réalisateurs de la Safire ont sélectionné 7 films, sur les trente
lauréats aux Etoiles, avec pour ambition de couvrir par leur choix
tout le champ du documentaire et de permettre à un festivalier de
les voir tous, en deux jours, ainsi que d’assister au débat avec le
réalisateur à la fin de la séance. Une table ronde également sera
l’occasion d’échanger sur la question fondamentale de la part de la
scénarisation dans la création d’un documentaire. Encadrés par
Christine Zimmer, journaliste aux DNA, les documentaristes
Hervé Drézen, Laétitia Mikles et Ludovic Vieuille seront présents
de 17h 20 à 18h 50, pour en débattre.

Les 9 et 10 février, les spectateurs strasbourgeois pourront
découvrir une programmation variée.

Les DEUX CANCRES (1h – VF) est une comédie réalisée par
Ludovic Vieuille qui a filmé durant quatre ans le rituel des devoirs
scolaires… un père et son fils, le temps des devoirs.

En vidéo-art, KIJIMA STORIES de Laétitia Mikles (32 mn –VOSTF)
est un film tourné au Japon, étonnant par son genre hybride qui
mêle le dessin aux images filmiques et à l’animation, dans une
enquête autour d’un ex-mafieux. Autre documentaire de création,
SUR LE REBORD DU MONDE est un film d’Hervé Drézen (57 mn
– VF). Il est parti à la rencontre des habitants de Penmarc’h, à la
pointe du Finistère, cette terre au bout du bout du monde, battue
par les vents et tailladée par l’océan.

Trois reportages nous emmènent en Inde, en Amérique et dans un
hôtel emblématique de ces hôtels où se rassemblent journalistes
et reporters envoyés sur les zones de conflits et de guerre.

HOTEL MACHINE d’Emanuel Licha (1h 07 – VOSTF) est l’histoire
d’un hôtel qui se souvient… Ce documentaire a reçu le Prix de la
Création, Festival Traces de Vies 2015.

JHARIA, UNE VIE EN ENFER de Jean Dubrel et Tiane Doan Na
Champassak (52 mn –VF) se passe en Inde à Jharia, devenu le
théâtre d’une catastrophe humaine et  environnementale de
grande ampleur, depuis que des incendies ravagent des mines de
charbon à proximité d’habitations. Et lorsqu’il s’agit de voler le
charbon pour le revendre et survivre, les risques encourus sont
tragiques.

Le 29 août 2005, l’ouragan Katrina ravage La Nouvelle-Orléans.
La ville est réduite à néant et vidée de l’intégralité de ses
habitants. C’est ce que raconte NOUVELLE-ORLÉANS,
LABORATOIRE DE L’AMÉRIQUE d’Alexandra Longuet (50 mn –
VOSTF). Lorsqu’il a fallu reconstruire, l’immobilier est devenu
inaccessible aux plus modestes qui font souvent partie des
populations métissées. Le film interroge les habitants. C’était sous
Obama.

Dans la sélection proposée, un film retiendra tout
particulièrement notre attention. Il a été réalisé par Simone Fluhr.
Cette mulhousienne qui vit désormais à Strasbourg, a travaillé
avec des demandeurs d’asile de 1997 à 2012, avant de se tourner
vers la réalisation. Comme elle le dit : « Le cinéma ne change pas la
face du monde mais aide à changer le regard que l’on porte sur le
monde. »  Avec RIVAGES (1h 14 mn –VF), elle donne la parole à
Johnny, Jean-Luc et Monique. Ils vivent dans la rue, par tous les
temps et depuis longtemps. Ce sont des silhouettes anonymes
comme on en croise tant, mais leur histoire singulière, voire
stupéfiante, fait d’eux des personnages à la hauteur de héros de
fiction. Difficile après ce film de croiser un SDF sans se demander
quel est son destin. Il y eut urgence à filmer Johnny qui vient du
Danemark et qui se déplace sans cesse à travers l’Europe, son sac
de marin sur l’épaule. Jean-Luc, lui, vit sous les ponts et son
existence est vouée à la fuite de ce monde, aidé par l’alcool et les
paradis artificiels. Aujourd’hui, son âge ne lui permet plus de vivre
dehors. Il vit dans du dur depuis l’hiver dernier. Quant à Monique,
si depuis le tournage elle non plus ne vit plus à la rue, la rue
continue à l’habiter. Issue d’un milieu aisé, elle a fait un mauvais
choix et son compagnon violent a contribué à faire voler leur vie
en éclats. Monique est poète. Aujourd’hui, elle tient un blog. Elle
milite activement au sein du collectif SDF Alsace. Monique,
Johnny, Jean-Luc sont tous trois impressionnants de dignité. Ils
sont portés chacun par une sensibilité artistique. Si Monique écrit
des poèmes, Johnny dessine admirablement bien et Jean-Luc, lui,
dessine des mandalas. Alors que sous les ponts, il n’avait pas de
réchaud et des fins de mois extrêmement difficiles, ses maigres
économies passaient cependant dans l’achat de papier et de
crayons de couleurs. RIVAGES est un documentaire passionnant,
par ses personnages qui se racontent, sans pathos, sans se
plaindre, assumant leur destinée, n’appelant pas à la pitié mais au
respect pour ce qu’ils sont.

Elsa Nagel

https://safiregrandest.com/festival-des-etoiles/