Archives de catégorie : Scène

Mineur non accompagné

Conçu, présenté et interprété par Sonia Chambretto et Yoann Thommerel, c’est un spectacle qui nous met au fait d’une situation sociale à bien des égards délicate et rude puisqu’elle touche à ces enfants, adolescents plus ou moins en déshérence dans notre pays, des jeunes qui ont quitté leur pays en raison de la guerre ou de la pauvreté et que la France accepte d’héberger jusqu’à leurs dix-huit ans. Après ils doivent se débrouiller… Si la plupart des spectateurs connaissent cette situation, il n’en reste pas moins que cette manière de nous la faire revivre collectivement par la représentation théâtrale lui confère une dimension politique nécessaire à une prise de conscience sans doute plus efficace que le simple fait d’en avoir entendu parler et éveille notre attention sur ce problème de l’accueil des jeunes migrants soumis à des contrôles médicaux destinés à prouver qu’ils sont mineurs ou non puis à leur placement dans des centres d’accueil. « L’hospitalité à la française »


En prenant la décision de s’immerger dans trois de ces centres en Normandie où ces mineurs ont été regroupés, les auteurs sont en mesure de leur donner la parole et de nous rendre témoins de leurs attentes, de ces multiples envies ou besoins qui, selon eux, pourraient améliorer la vie de tous les jours. Rien, de larmoyant cependant malgré la précarité de leurs conditions de vie qui transparaissent en filigrane car ces centres disposent de  peu  de moyens.

 Les comédiens, en training, plantés devant leur micro, rapportent leurs propos qu’ils lisent sur ces grandes tablettes blanches disposées sur le plateau, en se jetant des regards complices et sans se départir d’un sourire bienveillant. On sent qu’ils ont été proches d’eux et qu’ils cautionnent leurs dires. Paroles des jeunes mais aussi des éducateurs qui les ont côtoyés et pris en charge.

L’idée de ces tablettes, comme de grandes feuilles paraît vraiment pertinente car elle assure une authenticité à ces propos. De plus quand elles sont soulevées pour être prises en main pour lecture, elles laissent apparaître les emplacements délimitant le terrain de jeu semblable à un probable terrain de foot, le sport préféré des jeunes Pour souligner cette préférence énoncée par ailleurs divers ballons de foot sont éparpillés sur le plateau, certains neufs, d’autres usés ou crevés (Scénographie Marine Brosse). Ce quotidien nous est aussi rapporté par la vidéo de Simon Anquetil et des photos prises par les jeunes, agrandies  et projetées en fond de scène (Maxence Rifflet et Michaël Quemener)   et qui confirment l’aspect documentaire de cette prestation.Ce spectacle est issu de la transcription d’un travail d’enquête basé sur des questionnaires, mode d’investigation dans lequel les auteurs se sont spécialisés depuis quelques années à propos des mécanismes d’exclusion et qui les a poussés à créer le G.I.G (groupe d’information sur les ghettos), né  il y a cinq ans en Seine-Saint-Denis, l’Inspiration provenant de leur connaissance du GIP (groupe d’information sur les prisons) fondé e 1971 par des intellectuels pour donner la parole aux détenus et justement à partir de questions concernant leur condition de vie en détention.

Toute question entraîne une prise de conscience, oblige à une réflexion. Ainsi est né un ouvrage « Le questionnaire élémentaire » et ce spectacle qui s’inscrit dans une trilogie « La trilogie des frontières invisibles »   dont le premier volet intitulé « Ilôts » a été créé en mars 2O21 à la Comédie de Caen  et qui sera suivi d’un troisième volet  portant sur les relations amoureuses.

Pour Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel il s’agit de « créer des espaces de circulation de la parole ». Ce spectacle y est manifestement parvenu puisqu’il nous a donné à entendre  à travers une mise en récit bien construite la parole de ces jeunes réfugiés avec lesquels on voudrait partager une solidarité plus efficace.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 17 mars

En salle jusqu’au mars 25

Grand Palais

Quoi de plus douloureux que de ne pas se sentir aimé, de perdre l’estime de soi et de ne pas savoir l’exprimer à celui qui prétend vous aimer.


La pièce « Grand Palais » écrite à deux mains par Julien Gaillard et Frédéric Vossier à l’initiative ce  dernier nous parle de cela dans une forme simple et originale.

Grand palais, un titre, un lieu, un emblème, celui du luxe, de la notoriété, de la classe, palais et royauté étant liés naturellement. Alors quid de ceux qui ne s’y sentent pas chez eux.

La pièce nous place devant ce problème de la différence, de cet abîme qui séparent deux hommes, par ailleurs unis dans une relation amoureuse née dans le contexte du travail d’artiste.

D’un côté, il s’agit du grand peintre anglais Francis Bacon à qui est réservée une rétrospective de ses œuvres au Grand Palais en 1971, de l’autre de George Dyer, son modèle, son amant qui l’attend dans leur chambre d’hôtel où il se sent esseulé, abandonné, conscient de sa condition d’homme peu instruit qui a du mal à exprimer ce qu’il ressent. Ce vide abyssal le pousse au suicide.

La mise en scène très élaborée de Pascal Kirsch met en évidence cette séparation. A l’avant-scène sur un chemin scintillant de petites pierres rouges, brillantes et crissantes sous les pas, déambule l’artiste qui vient d’apprendre le suicide de son amant. Garder sa dignité, ne pas pleurer sont les consignes qu’il se donne, ainsi poursuit-il son va et vient méditatif à la veille du vernissage de son exposition au Grand Palais. Des images le hantent, celles d’œuvres qui l’ont inspiré et que, très astucieusement, le metteur en scène fera apparaître en vidéo parfois flouté, parfois en très gros plan sur les parois de la scène (vidéo Thomas Guiral, lumière Nicolas Ameil)

Au second plan et dans l’ombre d’abord va apparaître la silhouette longiligne de George Dyer qui a été invité par Francis à l’accompagner à Paris. Sa solitude lui pèse, il erre dans sa chambre juste vêtu de sa robe de chambre, manifestement désemparé il attend le retour de Francis.

Chacun est dans son monde. L’un dans l’artistique, l’autre dans l’affectif. Cependant une certaine interpénétration se manifeste. Malgré l’intervention récurrente d’un personnage extérieur, le Sybillin, qui vient rappeler au peintre qu’il est l’heure d’y aller (on suppose de se rendre au vernissage) celui-ci exprime  la prémonition qu’il a eue du suicide de George  et ne cesse de revenir sur la lente montée de l’escalier à effectuer marche après marche  pour arriver à leur chambre. On le devine de plus en plus ému, malgré tout retenant ses larmes.

Quant à George, avant de passer à l’acte fatal il manifestera et de manière plutôt violente, par des gesticulations et des proférations sa désolation et sa rancœur vis-à-vis de ce maître qui ne  le considère plus , criant « je ne suis pas un chien » avant qu’on le retrouve effondré, mort sur les toilettes.

Deux univers dissemblables que ni l’art, ni l’amour n’ont réussi à réunir et cela pose évidemment le problème de la différence des classes sociales auquel nous sommes forcément sensibles.

Les comédiens, Arthur Nauzyciel et Vincent Dissez interprètent les rôles  de Francis Bacon et George Dyer avec une vraie sensibilité et une grande justesse accompagnés par la musique en live de Richard Comte  et la présence discrète de Guillaume Costanza  qui fait Sybillin. 

Ecrire et mettre en scène  un drame humain qui a réellement eut lieu est un défi  que les auteurs, le metteur en scène et les comédiens ont relevé avec brio.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 10 mars au TNS

En salle jusqu’au 16 mars

Un pas de chat Sauvage

Texte de Marie Ndiaye

Mise en scène Blandine Savetier

Ces deux artistes sont associées au TNS et d’elles nous avons pu voir plusieurs de leurs oeuvres, de l’auteur  « Hilda »en 2021 mise en scène  par Elisabeth Chailloux, « Les Serpents » par Jacques Vincey en 2022 et « Berlin mon garçon » par Stanislas Nordey en 2O22 et les mises en scène de Blandine Savetier pour« Neige » d’Othan Pamuk en 2021 et pour « Nous entrerons dans la carrière » en 2021.


La pièce, une adaptation par Waddah Saab et Blandine Savetier du texte deMarie Ndiaye créée ces derniers jours au TNS ne manque pas d’originalité à plus d’un titre.

Et tout d’abord par sa construction en abîme.

Tout commence en effet par la genèse de l’œuvre, une commande à Marie Ndiaye du Musée d’Orsay et des éditions Flammarion à l’occasion de l’exposition « Le Modèle Noir » en 2019. Peut-être moment d’angoisse pour trouver le sujet adéquat. C’est ainsi que naît le personnage de la narratrice, clone de l’autrice en quelque sorte, historienne, professeur d’université que va interpréter Natalie Dessay et qui se met en demeure d’évoquer une chanteuse noire, d’origine cubaine dénommée Marie l’Antillaise dont on dispose de quelques photos du célèbre photographe Nadar. Il s’agit probablement de Marie Martinez qui connut une gloire éphémère au XIXème siècle. En plein souci d’écriture elle fait alors la rencontre de Marie Sachs, une artiste noire qui prétend réincarner Marie Martinez et l’invite à trois reprises à assister à ses shows. Ainsi se met en place la chaîne des personnages évoqués dans cette œuvre.

Ensuite, l’originalité de la pièce tient aussi à l’extrême attention apportée à la scénographie, signée Simon Restino, qui voit la narratrice habiter un ancien piano à queue désaffecté placé à l’avant-scène qui lui sert de refuge pour se livrer à ses réflexions et pour éventuellement écrire. Et à la projection en fond de scène de l’image de l’intérieur du théâtre de l’Odéon puis à l’installation de lourds rideaux qui permettent l’apparition ou la sortie de l’artiste accordant à celle-ci un certain prestige jusqu’au délabrement final dans le désordre et l’obscurité.

Enfin le caractère particulier et remarquable de cette pièce vient sans aucun doute de la confrontation entre les deux femmes, la narratrice en perpétuelle recherche d’inspiration, constamment préoccupée par le doute au sujet de la légitimité d’écrire sur une artiste disparue dont on ne dispose que de peu d’éléments de sa biographie et la danseuse et chanteuse Marie Sachs  qui se produit  de façon magistrale sous les yeux ébahis  de la narratrice. Le contraste entre les deux personnages est saisissant et leur interprétation finement menée. D’un côté Natalie Dessay qui campe une narratrice agitée, tendue, crispée quelque peu envieuse de la liberté, du talent, de la créativité dont fait preuve Marie Sachs mais qui ne peut résister à répondre à ses invitations qui la laissent subjuguée toujours en proie aux affres de la création. De l’autre, Nancy Nkusi, qui donne à Marie Sachs  sa prestance, son  élégance, son talent de danseuse et de chanteuse. Revêtu de robes somptueuses ou de justaucorps seyants, (costumes Simon Restino et Blandine Savetier) son corps s’envole, se contorsionne, glisse et se déploie avec une virtuosité sidérante accompagné par la musique qu’interprète en live le musicien Greg Duret qui n’hésite pas à quitter sa console pour danser à ses côtés, certes avec moins de grâce mais avec un enthousiasme et une frénésie quelque peu clownesques pouvant illustrer l’aspect « cabaret » de la prestation de l’artiste.

La fin est une énigme et une résolution. Après une séance éprouvante où la danseuse déchaînée semble vouloir envoûter la narratrice, elle disparaît à l’instar de son modèle, Marie Martinez, tandis que la narratrice se sent prête  à entrer dans l’écriture de son sujet comme si une certaine osmose s’était opérée entre elles, la transmission de la possibilité chacune dans son domaine de créer.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 2 mars au TNS

En salle jusqu’au 10 mars

Espaces d’exil

En cette fin du mois de janvier et débordant sur février Le Maillon a proposé au public d’aller à la rencontre de spectacles dont le thème « l’exil » porte à la réflexion et à la solidarité. , le TJPCDN, Pôle-Sud.


S’il n’est pas nouveau il a été particulièrement remis dans la lumière lors de l’entrée des Talibans à Kaboul en août 2021 et leur prise en otage de toute l’Afghanistan. Depuis, la répression et l’horreur pèsent sur la population de ce pays.

Que des institutions culturelles se soient démenées pour faire sortir quelques artistes de ce pays martyr est tout à leur honneur. C’est le cas à Strasbourg pour 8 d’entre elles, Le Maillon Théâtre de Strasbourg scène européenne, le TJP CDN, Pôle-Sud CDN, le TNS, Musica, l’Opéra national du Rhin, Jazz d’or et l’Oosphère, d’où la proposition du Maillon d’organiser un Focus sur le thème de l’Exil et  de nous faire rencontrer ces artistes exilés en nos murs.

Première proposition de ce Focus, la pièce «  En transit » de l’iranien Amir Reza Koohestani créée en juillet dernier au Festival d’Avignon. La pièce est écrite à partir de l’expérience vécue par le metteur en scène et croise l’ouvrage de l’allemande Anne Seghers justement intitulé « Transit »  écrit en 1942 lors de son séjour à Mexico où elle avait dû s’exiler en raison de la guerre et de la répression menée contre   les communistes, les Juifs, et les intellectuels dont elle faisait notoirement parti. Au cours du périple qui la conduira jusqu’à Mexico elle a pu observer les difficultés rencontrées par ceux qui, comme elle, transitaient par le port de Marseille. C’est l’objet de son récit, que, par hasard le metteur en scène est en train de lire lorsque, à l’aéroport de Munich, alors qu’il s’apprête à partir pour Santiago du Chili pour présenter une de ses pièces, il est arrêté par la police des frontières pour avoir dépassé de 5 jours son autorisation à résider dans l’espace Schengen, retenu avec d’autres personnes et renvoyé à Téhéran. La coïncidence lui parait suffisamment pertinente pour qu’il décide de mêler ces deux moments dans une création qu’il intitulera « Transit ».

La pièce met donc en perspective des personnages de différentes époques confrontés les uns et les autres au mutisme de l’administration, aux fins de non-recevoir, à l’incompréhension de ce qui est subi, aux tracasseries de la bureaucratie aveugle autant qu’impitoyable et sourde à toute justification. Un parcours kafkaïen  retracé  de manière suggestive  par quatre comédiennes (Danae Dario, Agathe Lecomte, Khazar Masoumi,  Mahin Sadri)  qui interprètent tous les rôles dans un décor aussi froid et gris que ceux qu’on trouve dans les aéroports ( scénographie Eric Soyer), une valise y semble abandonnée en attente de son propriétaire convoqué dans cette immense salle de transit ,réitérant ses demandes d’explication à une policière qui ne fait que lui répéter qu’il n’est pas en règle et qu’elle doit appliquer la loi. Les visages excessivement agrandis sont projetés sur un écran en fond de scène, mettant ainsi en valeur l’expression consternée de ces gens confrontés à l’absurdité et à l’angoisse de ne pas savoir le sort qui leur est réservé face à tant d’arbitraire. (vidéo Philipp Hemwarter ).Parfois ils  s’installent face à un employé chargé de les interroger sur une petite structure  dressée au fond  du plateau ou bien on les voit enfermés dans une sorte de cabine en verre dans laquelle ils s’agitent impuissants à se faire entendre.

Une démonstration concluante de l’absurdité d’une administration qui n’a de cesse de créer des complications et de placer des obstacles sur le chemin de ceux pour qui l’exil est une nécessité et pour tous ceux qui prétendent à juste titre à la liberté de voyager.

  • Représentation du jeudi 26 janvier

Le samedi suivant intitulé « Journée Afghane nous offrait la possibilité de voir à l’œuvre  des artistes afghans séjournant ici depuis  leur extradions en août 21 leur donnant la possibilité de s’exprimer en tant qu’artistes.

Outre une exposition photo dans le hall, de petites formes théâtrales étaient jouées dans la petite salle.

 « La Lune » par Razia Wafaei Zada et Sayeh Sirvani  qui nous racontent qu’on dit qu’il faut 9 lunes pour que naisse un enfant et posent la question « combien de lunes faudra-t-il pour que renaisse l’Afghanistan ?

Dans « Les Femmes Turquoises » Bas Gul Garimi et Nina Faramarzi chantent et dansent. L’une est voilée, l’autre pas Elles évoquent, le fouet, les châtiments corporels ce qu’elles qualifient du mal dissimulé sous la religion, cruauté exercée par ces hommes stupides et ignorants.

Dans « Levez le voile » Ahmad Ali Ebrahhimi, Ghodratollah Benyamin et Nina Faramarzi posent la question « partir ou ne pas partir « évoquent le voyage en bateau, le naufrage, la peur et disent  qu’il faut lever le voile sur ce qui se passe dans leur pays et qui est un crime contre l’humanité.

La quatrième proposition intitulée « Où me blottir » est une performance marionnette et poésie réalisée par Mohammad Ali Mirzayee, Sepldeh Esmaeilzadeh, Nouri Talebzadeh auxquels d’est joint Renaud Herbin du TJP-CDN.

Enfin et très attendue « Les Forteresses »  de la  Cie « La ligne d’ombre » mise en scène de Gurshad Shaheman, assisté de Saeed Mirzaei, pièce créée à Marseille le 26 août 2021 puis représentée à la MC 93 de Bobigny en juin 2022. Suivie d’une tournée qui l’amène jusqu’à nous en ces jours.

Le metteur en scène franco- iranien Gurshad Shaheman, né en1978 a quitté l’Iran a l’âge de 10 ans.

Il propose dans cette pièce un retour vers son pays natal à travers les récits de vie de trois femmes de sa famille, toutes, nées dans la province iranienne de l’Azerbaïdjan dans les années 60, sa mère qui s’est exilée en France, ses tantes, les sœurs de sa mère, l’une ayant choisi de s’installer en Allemagne, la dernière  décidant  de rester en Iran. Elles se retrouvent pour ce spectacle après des années de séparation à l’instigation de leur fils et neveu qui, à partir de leurs témoignages a écrit le livre « Les Forteresses » édité par « Les Solitaires Intempestifs » et qui est le texte de cette pièce si particulière.

D’abord par le cadre qui nous est proposé, un vaste salon à l’orientale où le public est invité, par le metteur en scène en personne, à prendre place sur des divans recouverts de tapis persans. (scénographie Matthieu Lorry-Dupuy, lumières Jérémié Papin)

Ensuite par la séparation des protagonistes qui sont, d’une part sur le plateau central les femmes de la famille Hominaz, Jeyran et Shady dont l’auteur a recueilli les paroles  et auprès desquelles il se tient car c’est à lui qu’elles s’adressent, mimant les gestes du quotidien, préparer et servir le thé, les repas, composer un bouquet de fleurs et d’autre part les actrices, installées sur des chaises placées parmi les spectateurs, chargées, elles, pendant toute la représentation de dire ces récits de vie qui reflètent, pour la plupart, les violences subies. Ce sont donc à travers les voix de Guilda Chahverdi, Mina Kavani, Shady Nafar que l’on découvre leurs parcours semés d’embûches qu’elles ont dû surmonter, qu’il s’agisse de la révolution en 1979, de la guerre Iran-Irak, de l’arrivée des Islamistes au pouvoir, de l’exil.

Des récits précis, intimes qui donnent parfois les larmes aux yeux quand on apprend leur désir d’études contrarié et souvent empêché, voire interdit, leur militantisme bafoué, suivi d’enfermement dans d’horribles geôles où l’on pratique les pires tortures, leur mariage forcé, à peine sorties de l’adolescence, leur vie conjugale sans liberté.

Une bonne part de ces confidences portent sur le comportement des hommes pères, frères, maris tous plus ou moins odieux, faisant montre d’un autoritarisme démesuré, n’hésitant pas à pratiquer des châtiments corporels sur leurs épouses, exerçant une véritable tyrannie sur elles et les enfants. Plusieurs anecdotes nous ont fait froid dans le dos et même si elles n’ont pas été victimes du pire comme de la lapidation d’une femme dénoncée comme prostituée par son mari à qui elle refusait de continuer la prostitution qu’il l’obligeait à pratiquer, toutes ont été soumises aux pratiques de ce patriarcat d’autant plus indéboulonnable qu’il est soutenu par la république des mollahs, celle qu’elles n’auraient jamais cru possible après avoir contribué à vaincre le shah.

Leur seule porte de sortie a donc été pour trois d’entre elles, le divorce et l’exil.

De sombres récits réalistes et émouvants, heureusement entrecoupés par des intermèdes dansés et chantés dans la langue interdite en Iran et qui est la leur, l’Azéri. (son et musique électro acoustique signée Lucien Gaudion)

Des témoignages bouleversants, un véritable éloge de la résistance, et du courage de ces femmes pour qui l’émancipation est une lutte, comme aujourd’hui encore les femmes en font la démonstration en Iran.

Marie-Françoise Grislin

  • Représentation du 3 février

Odile et l’eau

Texte et interprétation Anne Brochet au TNS

Tenir un journal de piscine, voilà le défi que l’actrice et autrice Anne Brochet s’est lancé à elle-même et qu’elle a relevé en prenant consciencieusement  des notes durant  ces nombreux passages dans une banale piscine municipale.


Avec la complicité de la chorégraphe Joëlle Bouvier elle en monte un spectacle qui a tout pour plaire, une leçon aquatique d’existentialisme.

Du décor au jeu, rien que du raffiné, du pertinent, du ludique, autant dire une parenthèse enchantée, lumineuse pour rompre avec la grisaille du temps hivernal et le sombre quotidien de l’actualité.

Magnifique présence du corps, glissant, nageant, rêvant, observant, avec malice ceux qui fréquentent ce milieu particulier, la piscine avec ses obligations, ses rituels, ses plaisirs, ce qu’elle apporte de contentement et d’évasion.

Tout cela est dit, montré, mimé en parfaite connivence avec le public qui assiste, amusé, à ces ébats et ne peut que ressentir une empathie non dissimulée à l’égard de ce personnage songeur, plein de vigueur et de finesse.

Avec la collaboration de Joëlle Bouvier, Anne Brochet a choisi de donner beaucoup d’expressivité à son jeu et offre une étude fouillée, précise de la gestuelle d’une nageuse. La grâce, l’élégance qu’elle confère à ses mouvements les apparentent à ceux d’une danseuse, quelque peu excentrique malgré tout, avec parfois ses palmes au pied, son bonnet, ses lunettes de plongée mais toujours revêtue de ses très beaux maillots de bain dessinés par Anne Autran, et puis, épisodiquement, avec sa queue de petite sirène quand son imagination l’entraîne à se prendre pour elle.

La prestation est d’autant plus fascinante qu’elle se déroule dans un lieu où les objets typiques de l’univers des piscines, échelle métallique, plots de plongée, bouée semblent disposés de façon aléatoire à côté d’un grand rectangle bleu sur lequel la lumière changeante dessine comme les méandres de l’eau. Autant d’éléments qui soulignent ce que la scénographie présente de magique, avec son écran en forme de vague pour surfeur sur lequel de magnifiques images de mer, d’animaux marins seront projetées en adéquation avec les déplacements de la nageuse qui semble participer à cette vie multiple et foisonnante dont les myriades de protozoaires en constituent le plus bel exemple.

Tout au long du spectacle, à l’instar de la nageuse on découvre combien l’eau est révélatrice de souvenirs, de désirs jusque-là à peine conscientisés. Et l’on rencontre cette femme esseulée depuis que ses enfants devenus adultes sont partis, que sa mère est décédée, que son amoureux, Nicolas l’a quittée. Quelque peu désœuvrée, certes, mais avec des projets comme celui d’aller voir les piscines de Californie ou de s’amouracher là-bas d’un bel Indien. Drôle et réconfortant.

Ce « seul en scène » est un spectacle sensible, harmonieux, une perle d’eau douce à conserver parmi nos souvenirs des moments heureux de théâtre.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 2 février

En salle jusqu’au 10 février

Un sentiment de vie

C’est un très beau texte de Claudine Galea magistralement interprété par une grande comédienne Valérie Dréville, toutes deux artistes associées au TNS, toutes deux bien connues et appréciées de son public et remarquablement mis en scène par Emilie Charriot connue pour sa mise en scène de « King Kong Théorie » de Virginie Despentes et « Passion simple «  D’Annie Ernaux.


 Claudine Galea est une autrice prolixe qui a publié des romans, des texte de théâtre, des albums jeunesse et reçu de nombreux prix. Autrice sensible, nous nous rappelons de sa pièce « Au bord » en 2021, mise en scène par Stanislas Nordey qui évoquait la photo d’une soldate américaine tenant en laisse un prisonnier irakien. Un moment de théâtre très fort.

Dans « Un sentiment de vie » Claudine Galea revient sur son histoire personnelle, évoquant de façon juste et sensible l’amour qu’elle portait à son père. Se souvenir de ceux qu’on a aimés et qui nous ont aimés, ce qui ne s’est pas toujours clairement exprimé et occasionne, c’est bien connu, le regret de ne pas avoir plus nettement montré ses sentiments.

Le « trop tard » cherche alors à s’extérioriser. L’écriture en constitue souvent un des moyens, elle sait porter ce ressenti à jamais disparu mais quelque part toujours présent, enfoui voulant aller vers la lumière.

Claudine Galea a beaucoup aimé son père et presque pourrait-on dire en suivant ses propos, détesté sa mère. Pour revenir sur cet amour elle prend des chemins de traverse, ceux que l’écriture lui permet. Et la voilà qui commence par passer par Falk, Falk Richter, comme elle auteur associé au TNS, venu à plusieurs reprises y présenter ses pièces. Ainsi s’y sont-ils croisés.

Un texte de lui l’a particulièrement marquée, celui intitulé « My secret garden » dans lequel il parle de son père qui, durant la guerre n’était pas du « bon côté ». Quelque chose de similaire est inscrit dans sa vie puisque son père à elle, ancien militaire né en Algérie comme son père et son grand-père n’était pas pour l’indépendance, contrairement à sa mère communiste, anticolonialiste qui la soutenait. Grand différend entre ces deux êtres dont elle est issue, dans cette famille qui se disait « normale » où l’on parlait plus facilement de politique que d’amour, où les garçons ne pleuraient pas, mais où les filles le pouvaient. La grande histoire et la petite entremêlées.

Ecrire sur son père, une sorte de nécessité qui la bouleverse car c’est un peu emprunter son corps, opérer une forme de transmutation qui permet de se rapprocher au plus près de celui qu’on voudrait encore saisir, avec lequel on désire encore et toujours une vraie proximité mais que la mort a emporté.

UN très grand moment dans cette évocation des souvenirs est celui de leurs déplacements en voiture. Quand elle était enfant ils chantaient alors « Noël blanc » préféré à « Petit papa Noël » et puis lorsqu’il a été atteint par un cancer, il lui fait remarquer que c’est elle maintenant qui le conduit. En route pour l’hôpital où il doit subir une opération des dents et du palais, ils écoutent « la voix », celle de Frank Sinatra qu’il a toujours adoré et dont maintenant il ne pourra plus siffler les airs comme il le faisait si souvent.

Parce que la vie n’a rien d’autre que la vie ce monologue s’achève en un long poème qui rappelle ces nombreux artistes qui, s’ils sont partis volontairement ont témoigné jusqu’à l’extrême de ce «  sentiment de vie » qui les hantait  et les conduisait  « à la recherche des rêves perdus » et qui nous » ont laissé des œuvres mémorables. Nombreux seront cités, Virginia Woolf,, Sarah Kane  entre autres et Lenz qui, selon l’autrice en constitue l’exemple même , lui qui, dit-elle. « Traverse la neige pour parler à quelqu’un » lui qui l’incite à écrire « Ecris avec Lenz avec le trop avec l’excès de Lenz » dit-elle.

Nous donner à connaître tout cela sans pathos, sur le ton de la confidence, de la révélation vivante, exige de la part de la comédienne une grande maîtrise de ses attitudes, juste quelques allées et venues sur le plateau parfaitement nu, habillée très simplement d’un pantalon et d’un pull (Emile Loiseau) et de sa voix parfois très discrète parfois teintée d’émotion entre des silences habités de souvenirs. Un simple sourire, le regard posé sur nous qui sommes restés dans la lumière (Edouard Hugli ) pour être au plus proche de ses paroles. Tant d’authenticité nous touche profondément.

Marie-Francoise Grislin

Représentation du 17 janvier TNS

En salle jusqu’au 27 janvier 2023

Fraternité, conte fantastique

La programmation de la saison nous conduit à découvrir, avec la pièce « Fraternité , conte fantastique » dont elle signe la mise en scène, Caroline Guiela N’Guyen qui vient tout juste d’être nommée directrice du TNS


Fondatrice  en 2OO9 de la Compagnie « Les Hommes Approximatifs »
Caroline Guiela N’Guye n’est pas pour nous une inconnue, puisque, elle était élève de l’Ecole du TNS de 2OO5 à 2008 dans la section
« mise en scène ».

 Et surtout, qu’elle nous avait présenté, ici même, en 2018 « Saïgon », une pièce qui nous avait bouleversés par son côté humain et sa dimension historique.

« Fraternité , conte fantastique » nous touche différemment.

La pièce créée en juillet 2021 au Festival d’Avignon a déjà beaucoup tourné.

 De problèmes humains il en est encore fortement question dans ce nouvel opus mais ceux-ci sont abordés sous l’angle particulier d’une improbable fiction qui met en place la disparition de la moitié de l’humanité lors d’une éclipse d’une rare intensité.

Comment ceux qui ont été épargnés par cette catastrophe vont-ils vivre cette douloureuse, fâcheuse et inattendue absence, de leur famille, de leurs amis ?

Se mettent alors en place des centres de soin et de consolation largement inspirés des centres d’accueil qui, en raison des détresses actuelles, fleurissent autour de nous.

Le dispositif scénique (Alice Duchange) nous montre sur le plateau une grande pièce où vont et viennent nombre de gens qui cherchent à puiser dans ce lieu un peu de réconfort. Se côtoient jeunes, moins jeunes, hommes et femmes que la détresse rassemble et qui essaient de se soutenir comme ils peuvent face à cette épreuve. On sert des cafés, on se prend dans les bras, parfois on se chamaille on y parle plusieurs langues car la catastrophe a touché bien des parties du monde. On erre de ci delà en composant des chorégraphies qui signent ces rencontres aléatoires.

Les yeux braqués sur un écran où figure l’image du cosmos, les gens espèrent qu’une nouvelle éclipse se produira pour ramener vers eux les chers disparus. En attendant cet improbable retour on leur propose d’entrer dans une petite cabine vitrée où, pendant une minute et demie, ils pourront envoyer un message à la personne disparue. Cela donne lieu à des moments pathétiques remplis de déclarions d’amour, de supplications, de larmes et dont ils ressortent désemparés, parfois harassés car, bien sûr, il n’y a pas de réponse, ces moyens technologiques demeurant impuissants à faire le lien tant espéré. Beaucoup d’émotions se lisent sur les visages projetés en gros plan sur un écran en fond de scène. (vidéo Jérémie Scheidler) 

On découvre aussi que le chagrin fait ralentir les battements du cœur et que cela impacte le mouvement des étoiles, éloignant le possible retour de l’éclipse tant souhaitée, ce qui est surveillé par une scientifique de La Nasa qui déambule parmi ces esseulés en uniforme militaire, micro en main et écouteurs sur les oreilles.

Dans une deuxième partie, un autre protocole est proposé à ceux qui ne se résignent plus à attendre et à souffrir. Ils peuvent être reliés à une machine qui a la forme d’un cœur et qui efface les souvenirs trop douloureux. De cruels dilemmes s’ajoutent alors à leur peine : faut-il supprimer certains souvenirs, pourquoi ceux-là plutôt que d’autres ? Là encore le soutien des compagnons de misère est nécessaire. Leurs conseils, leurs encouragements se révèlent précieux, indispensables dans cette confrontation avec la mémoire.

Les treize acteurs, Dan Artus, Saadi Bahri, Boulaina El Fekkak, Hoonaz  Ghojallu ,Yasmine Hadj  Ali, Maimouna Keita, Nanii, Elios Noel, ou Pierric Plathier, Alix Petris, Saaphyra, Vasanth Selvam,  Selvams, Anh Tran Nghia, HiepTran Nghia, professionnels comme amateurs s’engagent avec conviction dans ces rôles de composition répondant ainsi à la demande de la metteure en scène qui considère comme « un désir et une nécessité absolue d’amener sur le plateau des gens qu’on n’y voit habituellement pas ».

La slameuse Saaphyra porte avec fulgurance la peine et l’espoir de tous.

En contrepoint de cette effervescence le très beau chant, très saisissant du contreténor Alix Petris.

C’est le deuxième volet du cycle « Fraternité » commencé en 2020 avec un court métrage « Les engloutis » tourné en prison avec des détenus de la Centrale d’Arles où l’auteure est intervenue pendant huit ans. Un troisième volet intitulé « Kindheitarchive » (Enfance archive) a été créé  en octobre 2022 avec  des comédiennes de la troupe permanente de la Schaubühne de Berlin et parle de l’adoption.

Le prétexte fictionnel de ce conte ne cherche qu’à souligner cette évidence que la puissance des liens au-delà des différences  marque cette fraternité qui ne guérit pas mais allège le poids du chagrin. 

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 12 janvier au TNS

A l’affiche jusqu’au  20 janvier.

Nostalgie 2175

Anne Monfort met en scène une pièce de l’autrice allemande Anja Hilling née en 1975, pièce écrite en 2008, traduite par Silvia Berutti-Ronelt et Jean-Claude Berutti.


Un spectacle dérangeant dont le genre nous échappe quelque peu car peut-être nous attendions -nous à une pièce de science-fiction et qu’en fait, même si en prélude des éléments s’y référant sont bel et bien posés, c’est de relationnel dont il sera essentiellement question.

Nous sommes donc en 2175 et depuis plusieurs années la température a atteint 60 degrés et la vie sur la terre est devenue presque impossible. Le soleil n’apparaît plus, les rivières ne coulent plus et les humains qui, malgré tout se sont adaptés, ne peuvent sortir sans protection sinon leur peau est brûlée et ils meurent. C’est dans ce contexte apocalyptique qu’évoluent les protagonistes, disons les rescapés de cette situation dramatique. Ils sont trois une femme, Pagona et deux hommes, Taschko et Posch , peut-être faudrait-il  dire quatre puisqu’il y a « Bébé », une fille, encore dans le ventre de Pagona, sa mère mais qui va tenir une grande place dans  cette histoire.  Car c’est autour d’elle que tout s’organise.

En effet, Pagona parle à cette enfant conçue par voies naturelles alors que cela  n’est quasiment plus possible et que les statistiques exposent quelques rares cas  qui se sont terminés par la mort des femmes. Pagona, elle, se découvrant enceinte, a décidé de garder l’enfant sachant les risques auxquels elle s’exposait. C’est à Taschko, cet artiste peintre dont elle est amoureuse, qu’elle désire confier l’enfant pour qu’il l’élève.

C’est à elle qu’elle révèle ses rencontres avec Taschko et Posh, le riche patron d’une entreprise qui récupère la peau des morts servant fabriquer des isolants pour les murs des maisons ce qui permet d’y vivre sans ces habits protecteurs indispensables à l’extérieur.

La pièce oscille entre le soliloque de Pagona qui s’adresse simultanément à l’enfant à naître et au public et des scènes reproduisant les rencontres entre les trois protagonistes.

C’est ainsi que l’on pourra suivre ce moment presque romanesque au cours duquel Pagona, serveuse dans un bar, se retrouve avec Taschko, le peintre dermaplaste, chargé de la décoration du lieu qui doit peindre une fresque reproduisant, comme il le fait habituellement, des scènes du temps passé celui où la nature existait, où le ciel était bleu et dont il a connaissance par les cassettes VHS récupérées par son patron Posh. Amoureuse de Taschko, elle voudrait l’embrasser mais il ne peut y consentir car, lors du viol qu’il a subi sa peau a été brûlée et on ne peut plus le toucher ce qui rend leur relation difficile. Néanmoins leur sentiment amoureux reste vif et s’affirme lors de leur rencontre au point que c’est à lui qu’elle veut confier l’enfant conçu avec un autre, en l’occurrence, Posh au cours d’une scène ambigüe, presque scène de viol plus ou moins consenti.

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La dimension politique apparaît nettement ici et domine le côté science-fiction du scénario.

Pour suggérer cet univers dystopique un décor relativement sobre avec des éléments sans vraiment de liens entre eux, un sol brillant, une cabane colorée, des arbres squelettiques suspendus, une barque sur l’eau et un écran pour quelques projections dont celle de la femme -moustique aux ailes déployées sur fond de ciel très bleu, illustrant la nostalgie de l’ancien temps (scénographie et costumes Clémence Kazémi, lumières Cécile Robin)

La musique a la part belle, écrite spécialement pour soutenir ces propos et ces situations par Nùria Giménez-Cosma avec l’appui de l’IRCAM avec les nuances et les trouvailles que cela impose. 

Dans cet univers étrange dont les propos nous interpellent rejoignant nos préoccupations sur l’avenir de la planète et de l’humanité les comédiens se prêtent au jeu avec une belle conviction. 

Judith Henry campe une Pagona sensible parfois incertaine, malgré tout déterminée face au destin qu’elle a choisi et qui la voue à la mort ce dont elle se préoccupe moins que de l’amour qu’elle voue à son enfant et à Taschko .

Jean- Baptiste Verquin réussit un Posh, pas très sympathique, un patron, un capitaliste sans scrupule

Mohand Azzoug donne à Taschko sa fébrilité d’homme blessé, impuissant, dépendant mais amoureux  lui aussi.

En fin de compte, la survie de l’humanité ne va-t-elle pas dépendre essentiellement de sa capacité à aimer envers et contre tout, peut-être est- ce cela que nous dit la pièce d’Anja Hilling ?

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 7 décembre au TNS

New Création

Grâce à l’invitation de Pôle Sud et du Maillon, Bruno Beltrao avec les danseurs de sa compagnie « Grupo de Rua » nous emmène au Brésil, un Brésil qui vient tout juste de sortir d’une période sombre avec l’extrême- droite au pouvoir. C’est durant ce temps de paralysie du pays et des restrictions des libertés que le chorégraphe a élaboré cette pièce qui traduit un véritable esprit de résistance.


Danseurs, performers hors pair venus du Brésil et témoignant dans cette danse d’un véritable engagement.

Le plateau est leur territoire, vaste comme leur pays parfois plongé dans la pénombre (lumières Renato Machado). Ce n’est pas seulement le lieu de leur prestation mais celui où en solo, duo, ensemble ils en font le lieu des confrontations, des heurts, des étreintes, le lieu où les corps s’expriment de mille façons par la virtuosité, les gestes extrêmes, bras et jambes au maximum de leur extension, de leur tension, marche avec le corps renversé et à la limite d’un déséquilibre toujours maîtrisé. Impressionnante, la rapidité avec laquelle ils surgissent dans cet espace qu’ils traversent parfois à grandes enjambées et donnent lieu à des course folles.

C’est le heurt des corps propulsés les uns vers les autres, qui s’attendent, se cherchent, se bousculent, s’agrippent par le cou, les cheveux, s’empoignent avec vigueur. Ils peuvent sauter, tournoyer, s’affaler au gré des circonstances dont ils possèdent la clé qui nous échappe souvent mais que l’on devine proche de leur vécu ou de celui dont ils veulent évoquer les moments difficiles dans ces Favelas bien connues pour être des lieux de violence sans concession qui exigent du courage, de l’énergie pour survivre au milieu des surveillances policières, des rivalités entre bandes de trafiquants prêts à s’entretuer.

Dans ces costumes blancs pour les uns, noirs pour les autres, une seule danseuse apparaîtra en rouge, toujours bien adaptés à leur silhouette et permettant la liberté de mouvement dont ils font grand usage dans cette prestation(costumes Marcelo Sommer) les danseurs, Wallyson Amorim, Camila Dias, Renann Fontoura, Eduardo Hermanson, Alci Junior, Silvia Kamyla, Samuel Duarte, Leonardo Laureano, AntonioCarlos  Silva, Leandro Rodrigues, se lancent et s’élancent  dans cette chorégraphie qui mêle le hip hop réinterprété par Beltraoe et la danse contemporaine pour créer une œuvre d’art vivante et pas muséal, hors des sentiers battus, avec l’apport de la  bande son bruitiste bien évocatrice d’une ambiance urbaine de circonstance et de la musique signée Lucas Mercier/ARPX ,Jonathan Uliel, Saldanha, Ryoji Ikeda.

La liberté des corps pour déjouer l’oppression, mettre toute son énergie, sa virtuosité à jouer la violence pour la dénoncer, tel est le sens de cette chorégraphie que nous avons ressentie comme un manifeste particulièrement pertinent  au vu de l’actualité .

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 2 décembre au Maillon

Un faible degré d’originalité

Il faut de l’audace pour choisir de traiter un sujet à priori aussi peu théâtral que celui des droits d’auteur car ça paraît un peu technique et juridique. Mais, confié à un certain Antoine Defoort,  créateur de « L’Amicale », une coopérative de production et de création bruxello-lilloise, ça change tout. En effet car Antoine Defoort est un humoriste convaincu qui déclare sans vergogne :
« qu’on ne peut être sérieux que lorsqu’on déconne un minimum ».


Le Maillon avait invité « L’Amicale » à montrer quelques-uns de ses spectacles et le public a comme toujours répondu nombreux à cette invitation. 

Nous voilà donc embarqués pour plus d’une heure de spectacle avec ce comédien très doué qui entame sa conférence d’une manière surprenante en nous interprétant quelques scènes du film « Les Parapluies de Cherbourg », dont il joue sans vergogne tous les personnages  et qu’il aurait voulu  adapter au théâtre  ce qui a été refusé par les Ayants droits ,manière donc d’introduire son sujet par des travaux pratiques. Pour aborder le sujet de la propriété intellectuelle des œuvres de l’esprit, Alain Defoort imagine une causerie familière et pour ne pas nous dissimuler  la complexité du sujet , il nous engage, métamorphiquement  à entamer avec lui une randonnée en montagne dont de temps à autre il nous rappellera les étapes et pour jouer le jeu  jusqu’au bout il nous fera remettra en partant un « Topo-guide », drôle par ses illustrations et très complet par rapport à certaines notions comme « le mécénat » ou « l’intermittence ». Humour et pédagogie astucieusement associés comme il se doit avec cet artiste.

Mais d’abord, nous partons avec lui dans l’Histoire pour quelques rencontres capitales en particulier dans ce XVIIIème siècle, siècle des Lumière avec un certain Denis Diderot que notre guide « accueille » avec déférence et qui voulait rémunérer les auteurs pour encourager la création et favoriser le développement humain. On y croisera aussi Condorcet lors de la Révolution française, très attaché à la culture.

 Il nous faudra nous familiariser avec les notions de propriété des oeuvres, du droits d’auteur, du copyright mis en place par les Anglais vers 1710, justement pour protéger les auteurs comme la France le fera en 1791 avant que tout cela  soit confirmé lors de la Convention de Berne en 1886 par une loi qui donne le droit de propriété exclusif l’auteur.

L’idée de rémunérer les artistes  a fait son chemin et donne même aux héritiers, aux ayants doits la possibilité de profiter de son exploitation jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur. C’est là que  Alain Defoort ne peut résister  à raconter la rocambolesque succession du compositeur Maurice Ravel. C’est  en manipulant quelques boîtes en carton et en les positionnant selon leurs tailles que notre conférencier quittant son pupitre nous illustre ses propos, ce qui ne manque pas d’être surprenant et drôle.

Enfin de parcours il aborde l’actualité, parlant de la quatrième révolution, après celle du langage articulé, celle de l’écriture, puis de l’imprimerie, celle de l’internet  qui permet un accès libre aux œuvres et pose à nouveau le problème de la rémunération.

On redescend de la montagne, la tête toute pleine de notions diverses et variées sur la question épineuse des droits d’auteur et totalement admiratifs de la performance de l’artiste qui nous a captivés pendant plus d’une heure.

 Marie-Françoise Grislin

Représentation  du 10 novembre au Maillon