Dans les griffes de Staline

Comment Staline s’est débarrassé des derniers Russes blancs

L’histoire est digne d’un roman d’espionnage. Pendant que Staline
traquait son principal ennemi, Trotski et qu’en Espagne, des espions
étaient chargés d’éliminer la faction trotskiste des Républicains
alors en guerre contre les fascistes, la chasse impitoyable des
ennemis de l’URSS se focalisait sur une autre cible : les Blancs, ces
héritiers d’une Russie tsariste, farouchement opposés aux
bolcheviks et qui, après avoir été vaincus militairement, conservait
en France une certaine influence sous la forme du ROVS, l’union
générale des combattants russes.

Pourquoi donc s’acharner contre ce regroupement d’officiers fidèles
à un régime qui n’existait plus ? Parce que le ROVS constituait en
1930 « une organisation puissante » et représentait « un ennemi
redouté par le pouvoir soviétique ; son chef devenait de facto une cible
privilégiée de ses services secrets »
écrit ainsi Nicolas Ross, l’auteur de
cet ouvrage remarquable. L’organisation est alors dirigée par le
général Koutiepov, ancien commandant des troupes tsaristes
engagées contre les bolcheviks exilé à Paris depuis 1924.
L’organisation anticommuniste qui fédère diverses associations
militaires ayant pour points communs leur rejet du bolchevisme,
leur nationalisme et leur fidélité aux valeurs religieuses et
culturelles traditionnelles compte alors près de 40 000 membres.
Mais le 26 janvier 1930, Koutiepov est enlevé par des agents des
services secrets soviétiques et meurt quelques jours plus tard. C’est
le point de départ du livre de Nicolas Ross.

Son remplaçant est le général Evgueny Miller. Même s’il s’est lui-
aussi illustré par ses hauts faits d’armes pendant la guerre civile, le
prestige de Miller est cependant moindre que celui de son
prédécesseur. Il prend alors soin de s’entourer d’hommes de
confiance mais qui ont été, en fait, infiltrés par Moscou. Le livre de
Nicolas Ross fourmille ainsi de détails sur ces hommes qui gravitent
autour de Miller et jouent en permanence un double jeu. Car
l’objectif de Staline est clair : mettre à la tête de ce contre-pouvoir,
des hommes fidèles à l’URSS, notamment le général Skobline qui
assure la direction des opérations extérieures de l’organisation,
sorte de Kim Philby avant l’heure. Durant sept ans, Miller allait
tomber lentement dans le piège tendu par Moscou. Par
l’intermédiaire de Skobline, Staline poussa le chef du ROVS à
soutenir l’Allemagne nazie et excita les dissensions au sein de
l’organisation. Et dans le même temps, Miller poursuivit les activités
déstabilisatrices du ROVS en URSS et cibla les personnalités du
régime, comme Trotski, que le ROVS tenta en vain d’abattre à l’été
1933.

Le piège se referma le 22 septembre 1937. Evgueny Miller est
kidnappé par des hommes à la solde de Moscou. Le récit de Ross
devient alors haletant. On suit page après page, l’enlèvement du
général conduit en URSS et l’enquête menée par la justice et la
police françaises. Dans la capitale soviétique, les purges font rage.
Staline, qui a décapité la hiérarchie militaire, veut utiliser Miller pour
accabler le maréchal Toukhatchevki, le grand héros de la révolution
d’Octobre mais également faire du chef du ROVS un traître à la
solde de l’Allemagne. Torturé, Miller est exécuté le 11 mai 1939.
Trois mois plus tard, par une tragique ironie de l’histoire, l’URSS et
l’Allemagne nazie scellent un pacte de non-agression.

Tout est ainsi réuni pour faire de cette affaire géopolitique dans une
Paris secouée par les ligues et le Front Populaire, une véritable
histoire d’espionnage, merveilleusement racontée par Nicolas Ross.
Sauf qu’ici tout est véridique.

Nicolas Ross, De Koutiepov à Miller : le combat des Russes blancs (1930-1940),
Editions des Syrtes, 2017

Laurent Pfaadt

Rêve d’automne au TAPS

Dans cette pièce de l’auteur norvégien John Fosse tout se joue dans
la retenue, dans la demi-obscurité ce qui convient parfaitement à ce
cimetière, lieu insolite pour des rencontres

C’est là pourtant qu’ils se retrouvent ces personnages sur lesquels le
temps semble jouer pour qu’ils se reconnaissent, s’affrontent, se
désespèrent, s’aiment, se quittent.

On peut ici dire adieu à la vie ou la saisir à pleins bras. On peut se
gaver de nostalgie, renouer les fils rompus, se sentir heureux des
retrouvailles  et vivre dans la crainte de leur issue.

C’est une pièce sensible de celles que sans doute le metteur en
scène Olivier Chapelet aiment travailler car elle touche à des
problèmes existentiels et va ainsi à la rencontre de tous deux qui
éprouvent le besoin que le théâtre leur apprenne quelque chose sur
eux-mêmes.

Un homme est seul à déambuler dans un cimetière quand survient
une jeune femme. Hasard  ou choix du destin, il se trouve qu’ils se
connaissent, se reconnaissent car ils se sont aimés jadis. C’est une
rencontre inattendue mais vite teintée d’émotions et de gravité.

D’emblée on apprécie le jeu retenu de Fred Cacheux. Il est cet
homme mutique qui semble gêné par ces retrouvailles avec cette
femme qui cherche à lui faire retrouver les souvenirs  de leur
rencontre passée, de leurs sentiments d’alors. Là aussi on tombe
sous le charme de la comédienne Aude Koegler qui interprète ce
rôle avec naturel, sincérité, spontanéité.

Le metteur en scène a réussi une distribution exemplaire.

Bientôt apparaît le couple des parents de l’homme, une mère
angoissée jouée par Françoise Lervy que tente de rassurer  son mari,
ici un Jean Lorrain qui se prête si bien au jeu que la vérité de leur
relation et de leurs préoccupations nous bouleverse. En effet, qui n’a
pas connu chez les parents âgés l’inquiétude pour leur enfant
pourtant devenu adulte et cet agacement mêlé de tendresse que
cela déclenche entre eux!

Ils sont là pour l’enterrement de la grand-mère. Leur fils viendra-t-il
y assister? Quelle est cette jeune femme qui  l’accompagne quand
enfin il arrive? Pourquoi ne le voient-ils pas plus souvent?

Des questionnements, des non-dits qui pèsent, les mots viennent
difficilement, les silences s’installent. On échange des regards, on
soupire, on s’étreint…

Plus tard quand il sera installé avec cette femme retrouvée, seront
évoqués son premier mariage avec Gry ( Blanche Giraud-
Beauregardt ) son enfant et son attitude abandonnique à leur égard.

C’est sa mort qui les rassemblera tous finalement.

Une histoire simple en apparence mais si chargée du poids de la vie
qu’elle nous a saisis et bouleversés dans cette mise en scène
dépouillée de tout artifice qui met si bien en valeur le jeu sensible et
pertinent des cinq comédiens judicieusement retenus pour cette
interprétation.

Le texte traduit par Terje Sinding est édité par L’Arche.

Marie-Françoise Grislin