Proposé par Musica et le TJP CDN ce spectacle ne manque pas d’intriguer, d’interroger car nous sommes au carrefour d’une expérience auditive et visuelle. C’est l’oeuvre de Clément Vercelletto, musicien, compositeur, expérimentateur.
Une sorte d’aventure qui se joue dans la pénombre autour d’un grand cercle d’écorces de pin et qui convoque une silhouette qui remue, se déplace pendant que résonnent des sons prégnants, aigus puis que jaillit un chant d’oiseau accompagnant les pas du marcheur. Retentit bientôt l’appel du cor des Alpes auquel se mélangent des bruitages, des grésillements, des cris, tout un paysage sonore créé par les différents instruments disséminés sue le plateau et utilisés de façon originale, flûte harmonica, orgue, appeaux dressés en totems colorés. Soudain surgit la danseuse. Ses gestes mécaniques la conduisent à jouer sur l’équilibre, le déséquilibre. Sa performance suit un rythme de plus en plus rapide, ses contorsions la mènent à se vautrer dans les copeaux pour y chercher une posture propice à l’endormissement, une manière d’habiter ce lieu insolite d’unir la vie et la matière.
La Cie « Les Sciences Naturelles » nous ont ainsi offert l’occasion d’ouvrir grand nos yeux et nos oreilles et de faire courir notre imaginaire.
Pour ce retour en salle, deux institutions ont collaboré pour nous présenter deux des spectacles inscrits dans leur programmation.
Trust me
tomorrow par le Verdensteatret
Et si pour une fois nous commencions par la fin. Il se trouve que pour ce spectacle, cela peut être éclairant. Lorsque nous sommes sur le point de quitter la salle, les artistes nous invitent à faire un tour sur le plateau pour y regarder de près une série d’installations, de petites saynètes où l’on voit rassembler des tas de petits cailloux, des mobiles, des bricolages, tout ce qui en dit long sur leurs capacités inventives que l’on a pu apprécier durant leur prestation. C’est là la marque de fabrique de la compagnie norvégienne Verdensteatret, célèbre pour ses productions originales.
Pendant une heure, en effet, nous avons quitté notre monde, oublié la salle et même ceux qui nous côtoient, absorbés par des images, des sons étranges, entremêlés. Nous sommes tantôt plongés dans une obscurité à peine trouée de quelques lueurs, tantôt on nous restitue une vision claire du plateau où pourront se produire musiciens et danseurs.
Pas vraiment de fil pour nous guider, alors on se laisse conduire à travers des propositions pleines d’illusion d’optique, de silhouettes comme simplement esquissées, difficiles à déterminer, d’un monde animal bizarre, monde onirique, surréaliste. Pourquoi résister, on se laisse entraîner, envoûter. Tout est si étrange et comme familier de nos rêves. C’est à la fois inquiétant et jouissif comme ce dernier clin d’oeil qui ne manque pas d’humour avec l’apparition des instruments de musique blancs fabriqués en matière molle.
Après cette expérience sensorielle multiple, il nous a semblé difficile de retrouver la simple, ordinaire et banale réalité.
Le retour de Mark Tompkins à Pôle Sud, remis en raison du Covid 19 était très attendu par tous ceux qui ont suivi, ici même, les étapes de sa carrière de chorégraphe, d’interprète et de pédagogue.
Conduire sa vie, reconnaître le temps qui passe et le défier, jouer avec cela, en jouir et inviter les autres à partager cette expérience, finalement commune à tous, voilà ce qu’il montre dans sa dernière création où il s’expose avec finesse et humour pour cette leçon de vie.
C’est d’abord la silhouette d’un grand gamin, torse nu qui vient à notre rencontre, disposant autour du bac à sable les petits jouets de son enfance et confectionnant avec application, tout en chantonnant et murmurant, une sorte de berceau pour y coucher tendrement une petite souris. Elle exige une histoire pour s’endormir. Qu’à cela ne tienne, il se met à raconter la célèbre histoire des « Trois petits cochons ». L’enfance est là, improbable et juste. un monde si tranquille, si doux dans lequel cependant on ne peut s’attarder.
Commence alors l’évocation du périple d’une vie mouvementée qui nécessite que notre conteur se relève, déploie sa longue silhouette et s’adonne à cet exercice de prestidigitateur qui consiste à faire surgir les moments de grâce et de douleur qui ont marqué son chemin de vie et ce à travers des chants, des danses, accompagnés par deux complices musiciens pleins d’ardeur, des seconds rôles qui prennent parfois le pas sur l’acteur, en proposant leurs propres ébats comme ce superbe corps à corps, cette simili bagarre de jeunes déchaînés. Pour cette performance ils ont quitté leurs instruments, Maxime Dupuis son violoncelle et ses objets, Tom Gareil son vibraphone et son synthétiseur ayant avec eux déjà fait la preuve de leur talent. Ainsi jouent-ils, fraternellement, ensemble, effaçant les frontières entre danse, musique et chant, manifestant l’engagement des corps, faisant fi des frontières de l’âge. Mark peut bien s’enrager aussi, recroquevillé sur lui-même contre le vieillissement qui le gagne. Il n’en reste pas là et joue à se déguiser, s’entourer de lumière, rebondir, déployant un corps encore plein d’élégance et de souplesse, adressant ainsi un pied de nez au temps qui passe. Humour et tendresse sont au rendez-vous, marques sensibles de sa vulnérabilité et de son obstination.
Ce spectacle dont Jean- Louis Badet signe une scénographie et des costumes très pertinents, fut pour nous, un moment de retrouvailles, exceptionnel, plein de réflexion et d’humanité, une véritable invitation à se réconcilier avec soi-même, à apprendre à jouir du temps qui passe.
Marie-Françoise Grislin
Représentation du 29 septembre à Pôle Sud Strasbourg
Les mercredi 13 et jeudi 14 octobre, le public de l’OPS retrouvait un chef fort apprécié à Strasbourg, l’américain John Nelson, pour un concert entièrement consacré à Berlioz, dont il est l’un des grands interprètes actuels. Il accompagnait le ténor Michael Spyres, bien connu également dans notre ville, et le très jeune altiste Timothy Ridout dont c’était la première collaboration avec l’orchestre.
Après une ouverture de Béatrice et Bénédict laissant entendre un orchestre bien sonnant, le cycle de mélodies pour ténor et orchestre composé sur six poèmes de Théophile Gauthier et intitulé Les Nuits d’été faisait résonner dans la salle Érasme la voix veloutée et puissante du bariténor Michael Spyres. L’étendue de son spectre vocal, offrant des aigus de haute volée et un grave de belle tenue, convient particulièrement à cette partition qui exige beaucoup du chanteur. Ces dernières années, Michael Spyres s’est fait connaître à Strasbourg lors des soirées et des enregistrements, mondialement salués, des Troyens et de La Damnation de Faust, sous la direction du même John Nelson à la tête d’un OPS des grands soirs. Son appropriation musicale du personnage de Faust et la qualité de sa diction avaient été particulièrement remarquées. Le soir du 14 octobre, ténor et chef s’accordent dans une belle prestation suave et chantante du cycle des Nuits d’été. Dans le contexte d’un enregistrement et d’une prochaine publication discographique chez Warner, les protagonistes auront probablement encore travaillé l’atmosphère musicale et la diction du texte, durant les séances de retouche effectuées les deux jours suivants.
Avec Harold en Italie, symphonie pour grand orchestre et alto principal, on quitte l’atmosphère chambriste pour une formation plus large. Même si les musiciens jouent maintenant sans masques, la situation sanitaire limite encore le nombre de pupitres sur scène nous privant ainsi, deux semaines plus tôt, de la seconde symphonie de Mahler sous la direction de Claus Peter Flor. Dans Harold, on commence quand même à retrouver un quatuor à cordes consistant, du type 14 – 12 – 10 – 8 – 6. Il faut, en revanche, se réjouir du maintien sur estrades des cuivres et percussions, qui apporte beaucoup de douceur et d’aération à la sonorité globale de l’orchestre sonnant très beau, comme lors du premier concert de Shokhakimov au mois de septembre, quoi qu’on ait pu lire ça ou là.
Avec Nelson et le jeune altiste londonien Timothy Ridout, la partie montagnes, est une des plus belles qui se puisse concevoir, prenante, colorée (jeu de l’altiste et celui des bois et cuivres !) et magnifiquement chantante. Les soulèvements orchestraux qui suivent, peu faciles à négocier, bénéficient d’une bonne mise en place. Le caractère processionnel de la Marche des pèlerins, titre du second mouvement, est bien restitué, avec une fois encore un jeu d’alto qui force l’admiration. Dans le troisième mouvement, La sérénade d’un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse, Nelson adopte un ton tour à tour endiablé et élégiaque, particulièrement enthousiasmant. Privilégiant la profondeur du chant, son tempérament ne le pousse évidemment pas du côté de la démesure et de l’explosion sonore dans l’épisode final, l’Orgie des brigands, qui n’en sonne pas moins de façon idiomatique, avec une couleur générale bien berliozienne.
John Nelson a entrepris un enregistrement intégral de l’œuvre de Berlioz, d’abord chez Erato et Virgin, aujourd’hui chez Warner. Commencé il y a vingt ans à Paris avec Benvenuto Cellini et le Te Deum, il s’est poursuivi à Strasbourg, sous forme d’enregistrement de concert, avec Les Troyens et La Damnation de Faust, en même temps qu’à Londres pour le Requiem. Interrompu entre temps pour les raisons que l’on sait, il a donc repris ici même cet automne et continuera en juin prochain avec Roméo et Juliette. Bien que d’origine américaine, Nelson inscrit sa passion pour Berlioz dans la suite de celle de grands chefs anglais du passé récent ou lointain (Colin Davis, Thomas Beecham) ou contemporain (John Eliott Gardiner). Au plan du style, c’est de celui de Gardiner que se rapproche le lyrisme et l’éloquente clarté de Nelson plus que de la froide et un peu mécanique précision de Colin Davis. Au demeurant, Nelson joue avec un orchestre moderne quand Gardiner use d’instruments d’époque, de sonorité plus perçante. Il n’empêche que l’un et l’autre emploient avec bonheur exactement le même effectif orchestral dans Harold en Italie.
Heureux retour de ce Festival de films de pays germanophones après la pause forcée de 2020. Avec sa bande annonce joyeuse aux accents pop, Augenblick veut dépoussiérer l’image austère d’un cinéma en langue allemande. Il fait la part belle aux échanges transfrontaliers en notre région où le dialecte et le bilinguisme sont essentiels. Avec ses jurys jeunes européens, jury lycéens et jury étudiants, la jeunesse est au cœur d’un dispositif qui privilégie le dialogue entre les pays. Le festival 2021 propose une sélection riche par son nombre de films et leur diversité avec des projections sur tout le territoire alsacien et l’occasion de rencontrer réalisateurs et comédiens.
Hanna Schygulla dans Lili Marleen de R. W. Fassbinder
Elle faisait l’affiche de l’édition 2020, annulée pour cause de covid. Hanna Schygulla est aujourd’hui l’invitée d’honneur de ce 17e festival. Une rétrospective lui est consacrée avec quatre films de Fassbinder et De l’autre côté de Fatih Akin, en présence de l’acteur Baki Davrak. Elle animera le 13 novembre une master classe suivie de la projection des Faussaires de V. Schlöndorff. Sera également présent le réalisateur André Schäfer avec le documentaire qu’il lui a consacré : Hanna Schygulla – une égérie libre, une exclusivité du festival, en partenariat avec Arte. Le 14 novembre à 18h, au MAMCS, l’actrice allemande présentera trois courts métrages qu’elle a réalisés. La soirée alternera projections vidéo et chansons par son amie et artiste italienne Etta Scollo.
Ich bin dein mensch de Maria Schrader fera l’ouverture du festival (Prix Ours d’argent de la meilleure interprétation pour Maren Eggert à la Berlinale 2021). Ce film fait partie des six films en compétition dont trois seront accompagnés par les équipes. L’acteur Daniel Brühl sera là, avec Next Door, son 1er long métrage, plein d’autodérision, la rencontre entre une star du cinéma (D. Brülhl) et un homme de condition modeste de l’Est (Peter Kurth). La comédienne Katharina Lehrens accompagnera le film Seule la joie deHenrika Kull où deux prostituées tombent amoureuses l’une de l’autre. Enfin, Arman T. Riahi viendra présenter son film Fuchs im Bau, sur des méthodes d’enseignement non conventionnelles dans une prison pour adolescents à Vienne. Nö de Dietrich Brüggemann est un film sur l’amour et sa difficulté à durer. Wanda, mein Wunder de Bettina Oberli mêle secrets de famille et relations intrafamiliales sous le regard d’une jeune polonaise.
Le documentaire s’invite dans cette nouvelle édition avec cinq films dont In Case You qui traite du harcèlement sexuel pendant un casting de comédiennes. La réalisatrice Alison Kuhn présentera son film (Prix Meilleur documentaire au Festival Max Ophüls 2021). Out of place sur l’exil en Roumanie de trois adolescents jugés trop difficiles pour les centres éducatifs allemands sera également accompagné par la réalisatrice Friederike Güssefeld. Hors compétition, projection gratuite au cinéma St Exupéry dans la limite des places disponibles de Die Blumen von gestern, sorti en 2017 en Allemagne, en Autriche et en Suisse, mais resté inédit en France malgré ses nombreuses distinctions et prix. La projection sera suivie d’un échange avec le réalisateur Chris Kraus qui continue de revisiter l’histoire allemande de façon originale et sur un ton léger.
La compétition de courts métrages est également, comme avec les documentaires, une nouveauté cette année. Au nombre de 11, ils témoignent de la vitalité et de la grande diversité des films et des genres. Répartis en deux programmes d’1h et demi, Olivier Broche qui les a choisis, comédien et homme de théâtre, sélectionneur de scénarii de courts métrages pendant 15 ans à Canal +, nous les présentera avec passion et enthousiasme.
Les petits et les adolescents sont loin d’être oubliés avec une sélection de huit films jeunesse dont La Taupe coiffée et autres petites histoires qui regroupe huit courts métrages en VO non sous-titrés, visibles dès 3 ans. Mais aussi, dès 14 ans, Le mur qui nous sépare, d’après une histoire vraie, est une histoire d’amour dans l’Allemagne de 1986, à Berlin, de part et d’autre de la ville divisée, avec la venue du réalisateur Norbert Lechner.
Le tombeau hindou
Focus sur Fritz Lang avec Debra Paget sur l’affiche de cette 17ème édition d’Augenblick, dans son rôle de Seetha, dans Le Tombeau hindou. Il serait dommage de bouder son plaisir et ne pas voir ou revoir ce film sur grand écran, ainsi que Le Tigre du Bengale avec lequel il forme un dytique. Le diabolique Dr Mabuse sera également projeté. Ces trois films de Fritz Lang feront l’objet d’une rencontre avec le critique de cinéma Bernard Eisenschitz.
Copieux ? Vous avez dit copieux ? Trois avant-premières encore sont à noter, ainsi qu’une séance spéciale placée sous le signe de l’écologie, avec la présence du réalisateur Niklaus Hilber pour son film Bruno Manser – La voix de la forêt tropicale, à la rencontre des Penans, peuple nomade de la jungle de Bornéo … Ou comment le cinéma germanophone nous emmène au cœur de la Malaisie !
Elsa Nagel
Comme pour les éditions précédentes, Augenblick propose au 15-20 ans, un concours de la meilleure critique pouvant porter sur tout film de la programmation et dont le gagnant se verra récompensé par un séjour à Berlin. A noter que la langue de la critique peut être le français comme l’allemand.