Ancien directeur emblématique du théâtre du Rond-Point et dramaturge, Jean-Michel Ribes nous gratifie d’un savoureux dictionnaire de ses amis recommandables. Le livre s’ouvre à n’importe quelle entrée pour croquer tel portrait ou tel autre. Plusieurs pages ou quelques lignes suffisent à sculpter chaque ami dans une succession de levers de rideau sur des comédies d’artistes, des tragédies politiques ou des vaudevilles mêlant intellectuels de tout bord. De Pierre Arditi, « cet ami cher, qui réussit l’extravagant exploit d’être toujours lui-même sur scène et sans cesse comédien dans la vie » à Jacques Weber « colosse fragile, géant sensible » en passant par Fabrice Lucchini, Jean-Claude Carrière ou Marc Ladreit de Lacharrière, ce dictionnaire tient à la fois de l’histoire du théâtre contemporain et de la chronique éclairée et décalée d’une jet set littéraire parisienne comme lorsqu’il réhabilite par exemple François-Marie Banier.
L’humour y est certes caustique et désopilant mais ce livre est avant tout une ode à l’amitié. Ainsi en évoquant Gérard Darmon, l’auteur nous rappelle que cette dernière « a cette qualité particulière qu’elle peut s’oublier mais ne meurt jamais ». Et il faut bien dire qu’avec ce livre, Jean-Michel Ribes fait plus que nous convaincre.
Par Laurent Pfaadt
Jean-Michel Ribes, Dictionnaire de mes amis recommandables Chez Actes Sud, 224 p.
Un livre passionnant raconte l’histoire du MMA, un sport devenu un véritable phénomène de société
Deux hommes enfermés dans une cage où tous les coups sont permis. De la violence pure, sans limites. Voilà à quoi se résume pour beaucoup le MMA. Raison de plus pour lire ce livre.
Sorti de la confidentialité il y a quelques années, le MMA attire aujourd’hui des millions de spectateurs, remplit les stades devenus des arènes modernes et leurs champions ont droit à leur série à succès sur les plateformes. Et pourtant, il y a trente ans, presque jour pour jour, à Denver dans le Colorado, personne ne pensait que ce tournoi de huit combattants venus d’arts martiaux différents allait signifier le début d’une incroyable aventure et l’accouchement d’un nouveau sport. Ce livre raconte cette gestation. Celle qui a, depuis le pancrace grec, voulu faire cohabiter tous les types de combats avant de se formaliser dans un phénomène de société alliant sport business, marchandisation des corps, mondialisation du divertissement et de se structurer en plusieurs fédérations jusqu’à la principale, l’UFC (Ultimate Fighting Championship) qui regroupe aujourd’hui les grandes stars du MMA.
Mais tordons immédiatement le cou (interdit d’ailleurs) à certains clichés : et oui, il y a des règles comme l’interdiction de coups de tête, de coups à la trachée, dans les parties ou de pied lorsque l’adversaire est à terre. Et comme dans la plupart des sports de combat, les athlètes sont classés par catégories de poids. Après ce préambule en forme de couloir amenant à l’octogone, nous sommes prêts à faire face aux champions. Trois rounds de cinq minutes ou cinq rounds pour le titre. Grâce à une très belle infographie qui le rapproche de son petit frère de la boxe chez Marabout (Jean-Philippe Lustyk, Le grand livre de la boxe), l’ouvrage décline les grands combats et trente-deux champions de ces vingt-cinq dernières années. Chacun aura son match de référence et son champion favori mais une figure traverse le livre : Connor McGregor. L’Irlandais qui domina la discipline durant la décennie 2010 fit indiscutablement entrer le MMA dans une nouvelle dimension : salaire le plus élevé pour un combat, sportif le mieux payé du monde en 2020 selon le magazine Forbes, série à succès sur Netflix, sens du spectacle et de la provocation, et selon les mots des auteurs « celui qui fait que vous lisez peut-être ce livre », Connor Mc Gregor fut aux premières années du MMA ce que Jack Dempsey fut à la boxe moderne.
Ses victoires et ses défaites, notamment face au daghestanais Khabib Nurmagomedov considéré par les auteurs comme le plus grand match de tous les temps puis face à Nate Diaz façonnèrent une mythologie nécessaire à la pérennité d’un sport encore jeune dans l’inconscient collectif. Tout comme ces histoires de vie fabriquant des héros tels Francis Ngannou surnommé « The Predator », des mines de sables du Cameroun à la gloire en passant par les traversées périlleuses du Sahara et de la Méditerranée qui a un petit côté Joe Frazier. Des boxeurs qui se sont essayés au MMA, il en est d’ailleurs question mais on ne peut pas dire que cela fut un franc succès.
Le grand livre du MMA n’en oublie pas les femmes et leurs championnes. Ce sont elles et notamment Ronda Rousey qui contribuent à donner au livre un côtéAudiard lorsqu’elle estime que « les gens se battent depuis des millénaires. C’est dans la nature humaine. Ce qui est dérangeant c’est de vivre dans une société où il n’est pas interdit d’être trou du cul mais interdit d’en tabasser un. »
Avec son style direct comme un head-kick, ses nombreuses photos qui offrent d’incroyables plongées dans les grandes confrontations et ses détours fictionnels traçant un récit ancré dans la culture populaire, le grand livre du MMA constitue la plus belle porte d’entrée d’un sport encore méconnu et qui, pourtant, risque de devenir incontournable.
Par Laurent Pfaadt
Le Grand Livre du MMA, Marabout La Sueur, 256 p.
Pour les passionnés, ne manquez pas les prochains combats pour les titres :
Poids moyens : Israël Adesanya vs Sean Strickland, 09/09
Poids légers : Islam Makhachev vs Oliveira 2, Etihad Arena, Abu Dhabi, 21/10
Daniel de Roulet évoque le destin de plusieurs mercenaires suisses pendant la Révolution française
L’écrivain suisse, auteur de Dix petites anarchistes (Phébus, 2018), nous entraîne dans ce nouveau roman palpitant appuyé sur des archives notamment personnelles, au cœur des soubresauts de la Révolution française en compagnie de Samuel Bouchaye, jeune idéaliste suisse nourri aux idéaux rousseauistes et de la révolution génevoise de 1782. En compagnie d’autres, il devint pourtant l’un des mercenaires suisses du régiment de Châteauvieux chargé de défendre Louis XVI avant d’être lui-même pris dans la tourmente révolutionnaire et d’être expédié au bagne.
Son roman montre ainsi l’implacable roue de l’histoire sur des hommes simples, les conduisant parfois dans des impasses et des contradictions idéologiques. Il est également l’histoire de la fin des idéaux d’un jeune garçon qui n’aspirait qu’au beau et à l’amour et que l’histoire et la société de son temps ont fini par écraser. Samuel et ses compagnons, Gédéon, Jacques et les autres traversent ainsi cette époque de feu et de sang où ils croisent notamment l’infâme François Pierre Amey qui s’illustra dans les colonnes infernales des guerres de Vendée. Samuel ne rêvait que de contempler les rives bleutées du lac Léman en compagnie de sa belle Virginie. Il finit par revêtir ce fameux bonnet rouge, celui des Phrygiens portés par les sans-culottes et les galériens. Celui d’un héros qu’il transforma, telle une couronne d’épines, en martyr et en magnifique héros littéraire.
Par Laurent Pfaadt
Daniel de Roulet, Le bonnet rouge Editions Héros-Limite, 160 p.
C’est la première fois
qu’un premier long métrage est en compétition pour la prestigieuse palme
cannoise. Tourné en langue peuledans le Fouta-Toro au Sénégal, avec des
acteurs non professionnels, le film est remarquable par sa photographie, avec
un sujet âpre – une histoire d’amour folle – et un personnage féminin qui ne
l’est pas moins. Banel et Adama est
un film qui ne laisse pas indifférent.
Elle
dit qu’il y a beaucoup d’elle dans son personnage féminin. Etonnante
déclaration à voir et à rencontrer la gracile et douce Ramata-Toulaye Sy.
Cependant, ses références littéraires sont un signe. Cent ans de solitude de Garcia Marquez et les romans de Toni Morrison,
la Tragédie sont des phares pour celle qui obtenu son diplôme de scénariste à
l’école de la Fémis, pépinière des talents qui font le cinéma français. Elle
est passée à la réalisation. Après Astel,
un court métrage déjà remarqué, la voici dans la cour des grands.
Banel répète comme un mantra « Banel
et Adama » et remplit des pages et des pages de ces deux prénoms qui
côte-à-côte ne font qu’un. Dans ce village du nord du Sénégal où les traditions
sont tenaces, leur couple dérange. L’amour que porte Banel à Adma est si
puissant qu’elle ne veut pas d’un enfant qui briserait leur relation
fusionnelle comme elle ne veut pas qu’il devienne chef alors que son temps est
venu. Elle veut Adama entièrement et exclusivement à elle et garder les
troupeaux avec lui, ne pas aider sa belle-mère dans les tâches domestiques
féminines, ne pas retrouver son homme que la nuit et comme tous les couples du
village, ne rien avoir à se dire. Mais la réalité va rattraper son idéal
d’amour et elle n’aura de cesse de tendre vers un absolu. Mon film est sur « comment
on trouve son individualité au sein d’une communauté qu’on ne peut
rejeter » dit Ramata-Toulaye Sy qui a choisi le réalisme magique pour raconter
son histoire.
La nature prend ses droits sur le
village et la sècheresse s’installe, décimant les troupeaux de vaches, tuant
les plus fragiles, vieillards et enfants. Banel n’est que colère et violence, une
Médée (selon la réalisatrice) maniant sa fronde contre oiseaux et lézards, si
fâchée que son Adama soit occupé toute la journée à garder les vaches loin du
village. Son personnage border line sort des sentiers battus et si c’est un
film sur la femme africaine, il trouve alors une émancipation originale à
mesure du cataclysme qui s’empare du village. Avec son titre répété à l’envie
par son héroïne, Banel et Adam relève
du conte qu’un griot pourrait raconter un jour, quand la pluie reviendrait et
laverait le village de la malédiction, arroserait les tombes. Sage avant
l’heure, un enfant avec un calame et un grand cahier dévisage Banel et cette
femme, qui n’a peur de rien, s’en inquiète. Lit-il dans ses pensées ? A
moins que son destin s’écrive sous sa plume.
Banel et Adama est un conte tragique. Les maisons
sont des tombeaux et les oiseaux fondent sur le village en un nuage de mauvais
augure tandis que le vent souffle et assèche tout. Le paysage reflète l’état
émotionnel de Banel et le film impressionne par ses images que l’on doit à
Amine Berrada qui avait signé également l’image des Meutes de Kamal
Lazraq. Si Banel et Adama nous a tant
plu, c’est pour sa photographie, son esthétique, sa couleur saturée mais
convainc moins par son personnage de Banel, si peu attachant, et dont on ne
croit pas à l’amour qu’elle porte à Adama. Un comble !
Dans son nouveau roman,
l’auteure roumaine Dana Grigorcea nous offre une formidable variation du mythe
de Dracula
Cela ne devait être qu’un retour
au pays auprès de cette tante Margot qui contribua à façonner, dans cette
vieille bâtisse au charme suranné, ses souvenirs d’enfance. Cela se transforma
en un voyage fantastique dans les légendes transylvaniennes et plus
particulièrement dans celle du roumain ou plutôt devrait-on dire du valaque le
plus célèbre de l’histoire, le comte Vlad Dracul dit l’Empaleur, ce noble du
XVe siècle qui lutta contre les Turcs dans ces contrées obscures aux forêts
brumeuses et aux chemins escarpés.
Celui qu’emprunte notre artiste
peintre venue de la ville ne s’éleva pas sur les flancs de cette colline où
périt Diana, première victime de ce roman à la trame romanesque tendue comme un
arc mais descendit plutôt dans une sorte de tombeau littéraire où le lecteur
manque progressivement de souffle et avale les pages sans s’arrêter afin d’happer
un peu d’air comme on cherche son salut.
Quand notre héroïne est-elle
devenue un vampire ? On ne s’en souvient déjà plus. Peut-être durant cette nuit
où elle croisa celui dont elle ne dit jamais le nom, celui dont on se demande
s’il est réel après tout. Le doute, voilà la grande réussite du roman qui a
reçu le prix suisse de littérature en 2022. Celui qu’instille Dana Grigorcea comme
un sang contaminé qui se répand dans la société post-communiste roumaine et nous
fait hésiter en permanence entre rêve et réalité, entre mythe et vie réelle
avec des allers retours incessants avec l’Histoire pour démythifier le
personnage de l’Empaleur et de revivifier avec talent son mythe dans une époque
post communiste qui souhaite en construire un autre, mercantile celui-là.
Car les boyards qui ont trahi Vlad
Dracul ne sont pas morts et il revient à notre héroïne devenue sa descendante
de châtier leurs héritiers. L’histoire est un éternel recommencement a dit un
grand historien antique. Les vampires, eux, l’ont compris mieux que quiconque
car, à l’inverse des mortels, ils ont le temps pour eux. Et à la manière des
variations Goldberg, Dana Grigorcea joue avec talent de cette partition
littéraire. Il y a indiscutablement du Bram Stoker, ce Bach du gothique dans
ces lignes, dans cet amour d’outre-tombe pour Ecaterina et ses petits souliers que
Dana Grigorcea agrémente de quelques touches qui font penser à Anne Rice.
Plus qu’une copie, ce roman est assurément un tableau de maître. Le Caravage des vampires a trouvé son Artemisia Gentileschi.
Par Laurent Pfaadt
Dana Grigorcea, Ceux qui ne meurent jamais, traduit de l’allemand par Elisabeth Landes Les Argonautes, 276 p.
Un ouvrage passionnant revient sur l’histoire de Ferrari
en Formule 1
On pourrait presque parler de
petit livre rouge non pas en raison de son poids mais bien à cause de son
contenu qui ressemble pour celui qui le possède à une religion, à une
idéologie. Car on entre dans la Scuderia comme on entre en religion. A la
veille du Grand Prix de Monza en Italie, rendez-vous immanquable pour tous les
tifosis de la planète qui prient saints et vierges pour voir leurs voitures
rouges remporter la course, il semble indispensable de se plonger dans le livre
de Peter Nygaard. L’expert danois, auteur d’un magistral Formule 1 chez Glénat
(2022) nous emmène ainsi dans l’histoire et les coulisses de la marque au
cheval cabré. De l’aveu même des officiels d’une écurie qui, cette saison,
associe deux champions en devenir, le monégasque Charles Leclerc et l’espagnol
Carlos Sainz Jr, ce livre demeure la référence.
A chaque page se dessinent
exploits et héros qui ont façonné non seulement l’histoire de la marque mais
également l’histoire de la Formule 1. D’Alberto Ascari à Michael Schumacher en
passant par Niki Lauda, Alain Prost, Didier Pironi ou Sébastien Vettel,
l’auteur, sur près de 500 pages, convoque ainsi archives, photographies et documents
personnels pour nous relater ces seize titres constructeurs, ces 242 victoires
et ces 800 podiums.
Dans toutes histoires d’amour, il
y a des hauts et des bas. Et derrière les titres glanés, Peter Nygaard
n’occulte nullement les années noires, les querelles entre pilotes, les
problèmes techniques, les morts de Lorenzo Bandini et de Gilles Villeneuve,
martyrs rouges encore vénérés aujourd’hui. Au final, ce livre magnifique est un
véritable roman avec ses héros et ses histoires incroyables comme celle, il y a
tout juste trente-cinq ans, du formidable doublé de Gerhard Berger et de Michele
Alboreto à Monza.
Dimanche, ils seront des milliers à rêver à nouveau d’un tel exploit.
Par Laurent Pfaadt
Peter Nygaard, Ferrari en Formule 1, édition anniversaire 50 ans Aux éditions Glénat