Débarquement en librairies

Olivier Wieviorka et de Peter Caddick-Adams signent les ouvrages les plus intéressants de ce 80e anniversaire du débarquement en Normandie

Pour vous retrouver dans cet anniversaire du débarquement, il est préférable tout d’abord d’entrer dans un bombardier littéraire pour disposer, au préalable, d’une vision d’ensemble, d’un panorama de l’évènement. Ce bombardier est assurément l’ouvrage d’Olivier Wieviorka, grand spécialiste de la seconde guerre mondiale, qui nous apprend tout ce qu’il faut savoir pour appréhender cette invasion qui débuta à 6h31 le 6 juin 1944 à Utah Beach suivie, quatre minutes plus tard, de l’arrivée des barges d’assaut américaines sur la fameuse plage d’Omaha Beach.


Sur le secteur Fox Green d’Omaha Beach, médecins et infirmiers en action 
©US National Archives

Parfaitement didactique grâce à une infographie très réussie, ce livre sert d’habile guide historique qui ne se limite pas au Jour J mais évoque les préparatifs, la situation d’avant la guerre, l’opération de désinformation des Alliés (Fortitude) et puis, bien évidemment, les différentes phases composant Overlord. Grâce à ses nombreuses photos, la présentation des acteurs de ce moment clé de la seconde guerre mondiale et de subtiles cartes, ce récit devient très vite immersif. Qu’il s’agisse de la composition d’une barque d’assaut ou de la coupe d’une défense allemande, on ne s’ennuie jamais. A ce titre, Olivier Wieviorka rappelle d’ailleurs qu’« à rebours d’une légende tenace, le débarquement en Normandie ne fut pas un bain de sang – à une exception de taille : Omaha » où près de 3000 hommes périrent, furent blessés ou disparurent.

Être synthétique ne veut pas dire faire l’impasse sur certains éléments restés tabous comme par exemple les 67 viols ou tentatives de viols commis entre août et septembre 1944 sur un sol français  en passe d’être libéré.

Ainsi préparé, comme un ranger lancé à l’assaut de l’ennemi, le lecteur est armé pour affronter l’exposé exhaustif de Peter Caddick-Adams, dans sa somme absolument passionnante qui s’impose à la fois comme le livre de référence et définitif sur le D-Day. L’historien britannique se focalise quant à lui sur la journée du 6 juin 1944 tout en analysant la phase de préparation qui précéda l’invasion où « davantage de vies ont été perdues dans la préparation du jour J que lors du Jour J lui-même ».  Car l’invasion ne fut  que la pointe d’un immense iceberg qui nécessita des mois voire des années de préparation. Et l’ouverture des archives a permis de mettre en lumière notamment les activités d’espionnage menées tant par les Alliés que par l’Allemagne, à commencer par l’espion turc Cicéron qui fut le premier à prévenir le Reich qu’une opération baptisée Overlord était en cours de préparation. Finalisée durant les réunions des 7 et 8 avril et du 15 mai 1944, celle-ci suscita cependant chez les Allemands et jusqu’aux premières heures du débarquement, une méfiance qui allait leur être préjudiciable malgré les avertissements d’un Walter Schellenberg, chef du service d’espionnage extérieur de la SD, l’un des innombrables personnages d’un livre en forme de série où l’on passe avec une cohérence stupéfiante et un plaisir de lecture non dissimulé d’un théâtre d’opération à un autre. Les mille vétérans que l’auteur a interviewé sont là, dans les airs, sur les destroyers ou les plages. Parmi eux, Léon Gautier, dernier survivant des commandos Kieffer mais également ces Britanniques et ces Canadiens écrasés par une historiographie qui a mythifié le rôle certes prépondérant mais certainement pas unique des Américains.

Débarquement des troupes américaines sur la plage d’Omaha Beach en Normandie, 6 juin 1944
©HO/National Archives/AFP

A l’aube du 6 juin 1944, tout est en place : les chars d’assaut amphibie parmi les 700 000 pièces  d’équipements, les 200 millions de litres de bière, les acteurs de cinéma tels Ronald Reagan ou James Stewart et les photographes. Robert Capa apparaît au détour d’une page transis d’une « nouvelle forme de peur, qui secouait tout mon corps, des orteils jusqu’aux cheveux et me tordait le visage ». Non loin de lui, Robert H. Gangewere qui a fêté la veille son 19e anniversaire –  « j’ai prié Dieu de pouvoir fêter le vingtième » – et se lance à l’assaut des blockhaus allemands.

L’invasion porta un nom : Omaha Beach qui concentre toute l’attention de l’auteur sur plusieurs chapitres ainsi que les combats les plus disputés. Émergent alors des flots de l’Atlantique et de la mémoire des figures oubliées derrière les Eisenhower, Montgomery et Bradley, notamment celles d’Arthur William Tedder, l’adjoint britannique du généralissime, et du général Norman Cota – Robert Mitchum dans le Jour le plus long – commandant de la 29e division d’infanterie dont l’action a été pourtant capitale dans la prise d’Omaha Beach.

A la fin de ce livre, le lecteur couvert du sable, de la sueur et du sang de ce tourbillon littéraire, ressort étourdi et sans voix. « Des fils de toutes les nations reposent dans des tombes éparses » écrit Peter Caddick-Adams en forme d’épitaphe. Grâce à son ouvrage magistral, l’historien britannique les a fait entrer définitivement dans ce mémorial de papier.

Par Laurent Pfaadt

Olivier Wieworka, Le Débarquement, son histoire par l’infographie
Aux éditions du Seuil, 224 p.

Peter Caddick-Adams, De sable et d’acier : nouvelle histoire du débarquement, traduit de l’anglais par Antoine Bourguilleau
Passés composés, 876 p.