Fin de saison de l’OPS

A l’image du climat de ce printemps particulièrement instable, les concerts de la fin de saison de l’OPS, tous dirigés par son chef Aziz Shokakhimov, soufflèrent le chaud et le froid. Après un bon Don Quichotte de Richard Strauss et une prodigieuse Symphonie fantastique de Berlioz, nous eûmes un Requiem allemand de Brahms plutôt décevant.


Tous droits réservés © Nicolas Roses

La musique de Brahms ne semble plus être, chez les chefs d’orchestre d’aujourd’hui, la source d’inspiration qu’elle fut durant toute la seconde moitié du 20ème siècle. Sur la scène internationale, depuis la disparition de Claudio Abbado, il ne reste guère, comme grand interprète de Brahms, que Simon Rattle. A la différence de tout ce qu’il a su faire dans Beethoven, Schubert, Mendelssohn ou Schumann, le courant historiquement informé n’a pas laissé de témoignages marquants dans Brahms. A Strasbourg, exception faite d’une belle troisième symphonie récemment dirigée par Stanislav Kochanovsky, les dernières grandes interprétations brahmsiennes datent d’il y a une quinzaine d’années, sous la direction du chef polonais Jerzy Semkow. Cette distance d’avec Brahms ne touche cependant pas sa musique pour instrument solo, le piano en particulier. Lorsque l’on n’écoute des pianistes actuels comme Adam Laloum ou Alexandre Kantorow, on se dit que l’oeuvre pianistique de Brahms n’a peut-être jamais été aussi vivante.

Toujours est-il qu’en dépit de la venue du Choeur de l’Orchestre de Paris et d’un duo vocal de qualité – la soprano Pretty Yende et le baryton Ludovic Tezier –, le Requiem allemand sous la conduite de Shokakhimov n’aura jamais vraiment décollé. Sa principale qualité fut d’éviter le mysticisme compassé dans lequel certains grands chefs, tels Klaus Tennstedt ou Carlo Maria Giulini, sont parfois tombés. Ce chef d’oeuvre orchestral et vocal que Brahms ébaucha d’abord dans sa jeunesse (1856), suite à la mort de Robert Schumann, et qu’il acheva dix ans plus tard après le décès de sa mère, n’est pas tant une prière pour les morts qu’un chant de consolation et de réconfort pour ceux qui restent. Selon son propre mot, c’est un ‘’requiem humain’’. Cette dimension plus empathique que religieuse, alternant moments de tristesse, de gravité, ou d’exaltation, requiert une interprétation intensément engagée.

Celle de ce mardi 4 juin n’avait cependant pas mal commencé. En dépit de quelques flottements entre voix et orchestre, le premier épisode Selig sind, die da Leid tragen, denn sie sollen getröstet werden (‘’Heureux les affligés, car ils seront consolés’’), avec ses cordes graves et ses voix déplorantes, ne manquait pas d’une certaine grandeur. Mais, dès le second chant Denn alles Fleisch, es ist wie Gras (‘’Car toute chair est comme l’herbe’’), phrasés mécaniques et indifférence expressive plombent le dramatisme du morceau. Si la puissance vocale est au rendez-vous, on est en revanche surpris par la timidité du jeu orchestral et son peu de couleurs, cuivres et timbales étant particulièrement en berne. Les chants de joie et de triomphe qui éclatent en fin d’épisode resteront prosaïque et de marbre. Nonobstant les qualités vocales des deux solistes, il en sera malheureusement ainsi tout au long des cinq épisodes suivants.

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Exprimant leur sentiment d’avoir entendu une œuvre superficiellement expédiée, des mélomanes et des musiciens présents ce soir-là accusaient la rapidité des tempi adoptés par Shokakhimov. Pourtant, dans les magnifiques enregistrements qu’ils ont laissé, des chefs comme Lorin Maazel et Otto Klemperer nous ont montré que puissance expressive et rapidité du tempo étaient parfaitement compatibles. Enregistré à Londres en 1961, Klemperer, une fois n’est pas coutume, s’avère le plus rapide de la discographie, donnant l’oeuvre en moins de soixante-huit minutes ! Herbert von Karajan, autre grand interprète de l’oeuvre et chef réputé plutôt agile, la jouait généralement en soixante-quinze minutes…

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Les jeudi 23 et vendredi 24 mai, l’orchestre avait accueilli le jeune violoncelliste espagnol Pablo Ferrandez pour la partie soliste du Don Quichotte de Richard Strauss. On aura apprécié la plénitude et la chaleur de sa sonorité, de même que le côté vivant et vigoureux de son jeu. L’orchestre, sous la direction de son chef, lui offrit en prime un panorama musical rendant justice à l’une des orchestrations les plus raffinées du compositeur. Seule petite réserve : cette belle opulence sonore atténue quelque peu la dimension narrative et ironique du poème symphonique de Richard Strauss.

Le grand moment de la soirée fut la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz. Datant de 1830, contemporaine de l’Hernani de Victor Hugo et du tableau de Delacroix (récemment restauré) La liberté conduisant le peuple sur les barricades, le chef d’oeuvre symphonique de Berlioz fut complété un an plus tard d’une suite mélodramatique intitulée Lélio, véritable manifeste du romantisme musical français dont on regrette qu’il soit si rarement donné. Dès l’introduction largo du premier mouvement – Rêveries, passions — les cordes étaient magnifiques et l’atmosphère onirique à son comble ! Avec la venue de l’allegro, on put être surpris que l’ambiance demeure un rien plus onirique que volcanique ; mais, lors du climax passionnel concluant ce premier épisode, Shokakhimov libère toutes les forces de l’orchestre, avec un dosage des pupitres parfait. Comme souvent avec le jeune chef, phrasé et articulation sont plutôt resserrés, mais cette fois sans la moindre crispation : l’air circule entre les notes et la grande ligne se montre évidente. L’élégance chorégraphique du second mouvement, Un bal, est proprement enthousiasmante. Rien à voir avec le triste fragment entendu lors du concert de présentation de la saison…Tout l’adagio suivant – Scène aux champs – baigne dans un climat poétique des plus prenants, avec un orage lointain fort réussi. Après une Marche au supplice introduite dans une magie sonore rarement entendue, le dernier mouvement Songe d’une nuit de Sabbat déploie une variété d’ambiances et un déluge de timbres (les éclats sarcastiques des cuivres!) digne d’éloges.

Dans l’histoire de l’OPS, deux chefs avaient jusque maintenant marqué de leur empreinte la Fantastique de Berlioz : Marc Albrecht et, plus anciennement, Alain Lombard. Aziz Shokakhimov s’inscrit dans leur sillage.

Michel Le Gris