Anatomie d’un crime

A l’occasion des 80 ans du massacre d’Oradour-sur-Glane, plusieurs ouvrages reviennent sur le plus important crime de guerre commis en France

En ce 80e anniversaire de l’année 1944, de nombreuses commémorations se succèdent afin de  rappeler qu’elle fut le tournant décisif de la seconde guerre mondiale. Du 6 juin, date du débarquement sur les plages de Normandie et à la libération de Strasbourg (23 novembre) en passant par bien évidemment par la libération de Paris et le retour du général de Gaulle le 25 août 1944 ou l’attentat contre Adolf Hitler (20 juillet), la mémoire française disposera de multiples occasions, notamment littéraires, pour se remémorer les heures de gloire mais également les tragédies qui émaillèrent ces quelques mois. Parmi ces dernières figurent indiscutablement le massacre d’Oradour-sur-Glane par les Waffen SS de la 2e division Das Reich, le 10 juin 1944 qui constitua le crime de guerre le plus important commis sur le sol français.


Dans ce nouvel ouvrage qui fait suite et se réfère à quelques autres notamment celui, fondamental, de l’historienne américaine et élève de Robert Paxton, Sarah Farmer, Nicolas Bernard, avocat et auteur d’un livre remarqué sur La guerre du Pacifique (Texto, 2019) revient sur cet évènement majeur. Dès les premières heures du débarquement, l’ensemble des forces allemandes présentes sur le sol français sont mobilisées pour contrer l’avancée des alliés. La 2e division SS Das Reich est alors stationnée, depuis son retour du front russe, dans le sud-ouest, à Montauban. Elle se met en route et se retrouve harcelée par une Résistance bien décidée à ralentir sa progression. Face à cette menace, les SS répliquent par la terreur et commettent de nombreux massacres comme à Frayssinet-le-Gélat puis Tulle où 99 personnes sont pendus. Le 10 juin, elle arrive dans le village d’Oradour-sur-Glane. Commandées par le général Heinz Lammerding et surtout Adolf Diekmann, le « bourreau d’Oradour », les SS commettent alors l’irréparable.

L’auteur détaille bien évidemment le déroulé de cette journée inscrite à jamais dans la mémoire française : l’exécution des hommes dans des garages et des granges notamment celle de Laudy puis l’enfermement des femmes et des enfants dans une Église alors incendiée. Près de 643 victimes innocentes (une républicaine espagnole a été ajoutée en 2020) allaient ainsi périr durant ce jour funeste. La lecture des atrocités servie par le témoignage des survivants est parfois insoutenable, comme l’exécution des survivants dans les granges ou l’assassinat à la mitrailleuse des femmes tentant de fuir l’église. Mais elle permet d’introduire les deux grandes questions qui structurent le livre : pourquoi ici et pourquoi une telle barbarie ? Intelligemment, le livre prend de la hauteur, à la manière d’un Philippe Sands, pour expliquer que « le massacre d’Oradour n’est pas le fruit du hasard mais procède d’une stratégie élaborée en haut-lieu, le choix du lieu laissé à l’appréciation de la division Das Reich ». Une division SS revenue du front de l’Est où ce type de massacre, ces éliminations systématiques de villages et de leurs populations considérées comme inférieures étaient la norme. Oradour est ainsi l’importation d’un crime dans une France habituée à des assassinats d’otages et à des déportations. Un crime rendu également possible par la situation d’un Reich placé au bord de l’abîme notamment sur le front russe. « La division Das Reich vient de cet enfer. Et son transfert en France coïncide avec l’amorce d’une transposition, sur place, de cette violence « orientale » poursuit l’auteur.

Même si la Das Reich fut anéantie notamment dans la poche de Falaise où périt Diekmann, Oradour refit surface dans cet après-guerre demandant justice pour les bourreaux mais également pour la mémoire française. A ce moment, « Oradour est devenu le symbole de la France occupée » écrit Nicolas Bernard.

Une autre question intervient alors : celle de ces Français, ces Alsaciens incorporés de force dans la Das Reich et qui ont participé de près ou de loin au massacre. Avec justesse et objectivité, Nicolas Bernard pose parfaitement les termes du débat entre deux mémoires, deux souffrances. Le procès de Bordeaux en 1953 vit ainsi celui de l’ensemble des Malgré-nous incorporés de force dans l’armée allemande et forcés de servir cette dernière. La bataille mémorielle se doubla d’une bataille politique. L’historien laisse alors place, le temps d’un instant, à l’avocat pour nous expliquer les incohérences et les méandres juridiques de ce procès raté qui s’acheva par plusieurs condamnations commuées, devant le tollé suscité en Alsace, en amnistie.

Parmi les survivants du massacre, Robert Hebras, dix-huit ans, rescapé de la grange de Laudy, va dès lors consacrer sa vie à perpétuer la mémoire de ce crime. Disparu en 2023 après avoir été décoré de la légion d’honneur par le président de la République, il est le héros d’une très belle bande-dessinée. Ecrite d’après l’ouvrage écrit par la journaliste Melissa Boufigi avec Robert Hebras et Agathe Hebras, la petite-fille de ce dernier, aujourd’hui chargée de mission à la Fondation du patrimoine, cette émouvante adaptation est signée du duo Arnaud Delalande/Laurent Bidot à qui l’on doit des albums dédiés aux Trois Mousquetaires, au pape François et à Arnaud Beltrame.

Cette BD réussit ainsi parfaitement à personnaliser cette tragédie et permet, d’une certaine manière, d’inscrire un peu plus Oradour, à travers le médium de la bande-dessinée, dans l’inconscient collectif. Une initiative qui fait assurément œuvre de mémoire.

Par Laurent Pfaadt

Nicolas Bernard, Oradour-sur-Glane, 10 juin 1944, Histoire d’un massacre dans l’Europe nazie
Chez Tallandier, 400 p.

Arnaud Delalande, Laurent Bidot avec Agathe Hebras, Le dernier témoin d’Oradour-sur-Glane, l’histoire vraie de Robert Hebras, Harper Collins BD, 96 p.