Depuis 14 ans, Alexandre Bustillo et Julien Maury réalisent des films ensemble. Pour leur sixième collaboration, ils reviennent sur grand écran avec une histoire de maison hantée, originale, car tournée au fond d’un lac !
Les deux metteurs en scène sont fans de genre. Depuis leur tout premier film, A l’intérieur, en 2007, ils n’ont cessé de prouver leur amour du genre, faisant fi de tous les obstacles mis sur leur passage. Pour donner vie à un cinéma qui leur ressemble, à la fois extrême et proche de nous. Dans chacune de leurs œuvres le spectateur peut en effet créer un lien avec l’un ou l’autre des personnages, aussi barrés soient les événements auxquels ils sont confrontés. Et Dieu sait si les deux compères n’ont pas leur pareil pour les placer dans des circonstances à la fois extraordinaires et violentes. Livide, Aux yeux des vivants, Leatherface et Kandisha ont succédé à A l’intérieur, et tous ont eu à cœur d’inviter les spectateurs dans le grand train fantôme de l’Horreur.
The Deep House n’est pas différent. Le film s’ouvre sur la ballade d’un jeune couple, Ben et Tina, au fin fond de la forêt ukrainienne. Ils sont venus visiter un sanatorium abandonné depuis longtemps, supposé hanté. Car Ben ne rêve que d’une chose, faire décoller sa chaîne YouTube en filmant la découverte d’un lieu vraiment flippant. Filmé caméra au poing, la visite du vieil hôpital leur procure bien quelques frissons, mais rien de bien original. Ben en veut plus. Quelques mois plus tard il tombera sur une info évoquant un endroit secret dans le Sud de la France, un endroit reculé qui aurait été le théâtre d’un drame il y a bien longtemps. Son sang ne fait qu’un tour. Il doit y aller.
Sur place sa première réaction est d’être déçu : le spot secret est devenu un joli petit coin à touristes. Mais sa rencontre avec Pierre, un villageois du coin un brin inquiétant, lui redonnera espoir. En échange de quelques billets celui-ci leur proposera de les guider vers une autre partie du lac, à quelques kilomètres de là. Là bas, au fond du lac, se trouverait une vieille maison en parfait état de conservation…
Alexandre Bustillo et Julien Maury sont de très bons techniciens. Leur manière de filmer la grande bâtisse immergée le démontre une fois encore. Pour The Deep House, les deux cinéastes ont tenu à filmer en « réel », c’est-à-dire en plaçant les comédiens sous l’eau, plutôt que de tout filmer sur fond vert, en tournant au ralenti. Et le résultat est là ! En procédant ainsi, ils nous permettent de croire à ce qui arrive à Ben et Tina. Lorsque ces derniers pénètrent dans l’immense maison et en parcourent les nombreuses pièces nous sommes à leur côtés et ressentons la même claustrophobie. Les réalisateurs jouent avec l’obscurité, le sable et l’eau trouble, et chaque nouvelle pièce apporte son lot de frissons. Pas de jump scares inutiles, mais plutôt une peur savamment construites sous les yeux des spectateurs.
Avant de découvrir le terrible secret de la maison engloutie, les deux plongeurs font se faire des petites frayeurs, et s’opposer lors de prises de bec liées à leur différence de tempérament. Pour interpréter ces deux aventuriers souvent cachés derrière leur masque de plongée, il fallait trouver des comédiens au visage expressif et au regard intense, capable de traduire à l’écran l’ensemble des émotions qui allaient traverser leur personnage. Dans le rôle de Ben, James Jagger (fils de Mick) avait toutes les qualités requises, après avoir connu une certaine reconnaissance grâce à la série Vinyl, produite par Martin Scorcese et Mick Jagger. Il donne à son personnage un côté effronté, jusqu’au boutiste, qui s’oppose à Tina qui, bien que partageant son goût pour l’aventure, est bien plus posée et prudente que lui. Dans le rôle de Tina, nous retrouvons la mannequin-comédienne Camille Rowe, récemment vue dans le Rock’n Roll de Guillaume Canet et Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part d’Arnaud Viard, et le toujours impeccable Eric Savin n’a eu aucune difficulté à traduire toute l’ambiguïté du mystérieux Pierre.
Dans le dernier tiers du film, Alexandre Bustillo et Julien Maury accélèrent le rythme, il leur faut arriver vite à la révélation finale. C’est peut-être là le petit point faible du long-métrage, qui avait parfaitement su nous embarquer avec lui jusque là. Mais ne boudons pas notre plaisir. The Deep House est une vrai proposition de cinéma de genre, accomplie, maîtrisée et sincère. Le duo de réalisateurs confirme une fois encore tout le bien que l’on pense de lui.
Le COVID est parvenu à repousser les sorties cinéma jusqu’au 19 mai 2021. Ce jour-là, les cinéphiles de l’Hexagone ont pu respirer à nouveau, et se précipiter dans des salles obscures on ne peut plus prêtes à les accueillir après de longs mois passés à peaufiner leur réouverture. Auréolé de nombreux prix, le dernier film de Thomas Vinterberg arrive enfin sur nos écrans, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il offre une grande bouffée d’oxygène à ses spectateurs.
Les récompenses glanées par le film un peu partout sont nombreuses, nous nous contenterons donc de ne citer que les plus marquantes à nos yeux. Le César 2021 du Meilleur Film Étranger, et l’Oscar 2021 du Meilleur Film International. Avec ce palmarès, le film était donc fermement attendu par le plus grand nombre, rares étant en effet les spectateurs ayant pu le visionner lors de sa brève sortie, juste avant le second confinement en octobre dernier.
Drunk parle d’un cap, d’une crise existentielle que vont traverser quatre enseignants d’un lycée danois. Martin (Mads Mikkelsen), Tommy (Thomas Bo Larson), Peter (Lars Ranthe) et Nikolaj (Magnus Millang) forment un quatuor d’amis très soudés. Collègues depuis de nombreuses années au sein du même établissement, ils ont laissé leur quotidien les anesthésier peu à peu, la monotonie de leur petite existence bien rangée ayant fait disparaître les ambitions qu’ils avaient pu caresser dans leur jeunesse. Nikolaj est le plus jeune d’entre-eux (les trois autres sont bien installés dans leur cinquantaine). A l’occasion de son quarantième anniversaire, il propose à ses amis de mener une expérience : démontrer la thèse d’un chercheur norvégien selon laquelle il manquerait à l’homme depuis sa naissance 0,5 gramme d’alcool par litre de sang dans le corps afin de vivre pleinement son existence.
Empêtrés dans leur morne quotidien (en particulier Martin), sans joie mais pourtant pas désagréable, les quatre comparses vont se mettre d’accord pour tenter de prouver scientifiquement cette théorie. Ils se donneront donc pour objectif de maintenir (sans la dépasser) leur alcoolémie à 0,5g/l tout au long de la journée jusqu’à 20h00, tous les jours de la semaine sauf le week-end. Et de noter scrupuleusement les effets de ce traitement dans un rapport documenté.
Thomas Vinterberg (Festen, La Chasse, Kursk, pour n’en citer que quelques uns) ouvre son film sur un groupe de jeunes participant à une course autour d’un lac, dans laquelle le but est de parcourir la distance tout en buvant les bouteilles de bières portées dans une caisse par les différentes équipes. Comme entrée en la matière, difficile de faire plus direct. Les cinéastes d’Europe du Nord sont connus pour leur côté sans fard ni fausse pudeur, Thomas Vinterberg ne fait pas exception ici. Après cette introduction, il va nous présenter ses quatre personnages principaux avec tout le réalisme dont il est capable. Sa caméra s’intéressera au plus près de la vie du quatuor, le metteur en scène cherchant à créer un lien fort entre celui-ci et les spectateurs.
Martin a de gros problèmes de confiance en lui, et manque donc d’autorité devant ses élèves. Transformé par l’ingestion régulière d’une petite quantité d’alcool tout au long de la journée, il va se (re)découvrir et parvenir à une forme d’équilibre dans sa vie professionnelle et personnelle. Ses amis feront le même constat. Ce serait donc véridique, une petite et régulière ingestion d’alcool rendrait la vie plus vraie, plus réelle ? Mais le groupe décidera de pousser un peu l’expérience, qui avait pourtant donné certains résultats. Il s’agira d’atteindre le taux d’alcoolémie maximal pour chacun. Au départ réticent, Martin se joindra à la suite de l’expérience, qui bien évidemment n’aura pas une fin heureuse.
Drunk est un film attachant, dans le sens où il fait preuve d’une grande humanité dans sa description de ce groupe d’amis. Alors bien sûr, c’est peut-être le personnage de Martin qui retiendra la plus l’attention des spectateurs, mais les trois autres ne sont pas oubliés pour autant. Chaque personnage a droit à ses petits moments de « gloire », chacun dans sa matière respective. L’attachement du réalisateur à ses personnages est bien réel, il ne les idéalise pas, pas plus qu’il ne les méprise. La sincérité de Drunk fait mouche en ce sens où les événements auxquels nous assistons sont à la portée de tous. Chacun assimilera la film à sa manière, impossible d’y être indifférent.
Thomas Vinterberg a une fois encore réuni plusieurs de ses collaborateurs les plus fidèles. Thomas Bo Larson signe sa quatrième participation à un long-métrage du cinéaste danois, tandis qu’Helene Reingaard Neumann (épouse du metteur en scène) et Mads Mikkelsen apparaissent pour la seconde fois sous sa caméra. Inoubliable bad guy (Le Chiffre) dans Casino Royale il y a une quinzaine d’année, ce dernier a eu pour devise d’aborder plusieurs genres. Après avoir été salué pour son interprétation glaçante du personnage d’Hannibal Lecter dans la série Hannibal, il a été capable d’alterner des rôles plus discret (voir son personnage de Lucas dans La Chasse, du même Vinterberg). Les cinéphiles sont d’ailleurs impatients de voir sa vision de Gellert Grindenwald dans la suite des Animaux Fantastiques, suite au récent départ du génial Johnny Depp.
Covid-19 oblige, cette 28ème édition du Festival International du Film Fantastique de Gérardmer était numérique. Une demi déception pour les habitués du festival, qui s’y rendent à la fois pour son ambiance inimitable, débridée, et pour les films projetés. Mais le contexte sanitaire ne permettait pas d’organiser un festival «normal», aussi les organisateurs ont-ils tenus à proposer une expérience «parallèle» qui ne manquerait pas de lancer des petits clins d’œil savoureux à un public fidèle.
Première découverte, chaque film disponible en streaming est précédé de petites scènes mettant en scène le Monsieur Loyal du festival, David Rault. Une sympathique mise en bouche qui, bien que de qualité parfois inégale, plonge instantanément les spectateurs dans l’atmosphère du festival. Puis, juste après, le célèbre générique à base de monstres sacrés du bestiaire du Fantastique. Indispensable. Et pour finir, le «cri» de la Bête, qui retentit souvent à chaque début de projection. Les habitués du festival comprendront, les autres devraient sérieusement envisager de faire un petit tour dans la Perle des Vosges dans le futur, histoire d’y découvrir la folle ambiance qui règne dans les salles, hors confinement…
JOUR 1.
Première péloche, The Stylist, de Jill Gevargizian. On y fait la connaissance de Claire, une jeune femme travaillant dans un salon de coiffure. Claire est douce, ouverte aux autres, dont elle cherche continuellement la présence. Très vite, on constate qu’elle a du mal à comprendre ses semblables, même si elle semble le vouloir à tout prix. Elle va «déraper» et entraîner le spectateur dans son malaise. Claire vit dans une petite ville tranquille, mais elle traverse des hauts et des bas, laissant sur le carreau les malheureuses qu’elle croise ici ou là. The Stylist se distingue par trois éléments: son interprète principale (formidable Najarra Townsend), sa photographie (magnifique, avec un joli travail sur les couleurs) et enfin sa partition musicale (à base de piano). Pas inoubliable, mais plus que correct. Avec ce premier film, le festival commençait bien.
Seconde péloche, Host, moyen-métrage de Rob Savage basé sur les nouvelles technologies. Le film dure un petit peu moins d’une heure, et nous plonge au cœur d’une séance de spiritisme organisée sur ZOOM par cinq étudiantes confinées en Angleterre. Afin de s’affranchir du confinement qui lui est imposé le groupe a décidé de se retrouver par écrans interposés et de convoquer les esprits. Problème, celui qui s’invitera à la fête ne sera pas animé des meilleurs intentions. Sans être révolutionnaire, le moyen-métrage exploite les nouvelles technologies avec ingéniosité. Les ficelles ont beau être connues (le montage, l’obscurité et le hors champ permettent deux-trois scènes de frayeur), elles fonctionnent bien ici. Et pourtant, les dix premières minutes du film, tout en bavardage, ne laissaient rien augurer de bon…
Troisième projection, Boys From County Hell, petit film d’épouvante se déroulant en Irlande. On y découvre Six Mile Hill, un petit village tirant sa renommée du passage de Bram Stoker, qui y aurait séjourné une nuit. Aux abords du village serait enterré Abhartach, le premier suceur de sang connu, qui aurait inspiré au romancier son célèbre Dracula. La jeunesse désœuvrée passe son temps à boire des bières et à faire des blagues aux touristes, jusqu’au jour où la construction d’une route entraîne la destruction de la tombe du supposé monstre. Qui va bien évidemment se réveiller. Le film a beau être un peu léger, il se laisse regarder sans peine. La terreur y côtoie la comédie sans lourdeur, et les «héros» semblent bien souvent dépassés, ce qui les rend attachants.
Quatrième et dernier film de ce jour 1, le français Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma. On ne pouvait décemment pas louper ce petit film bien de chez nous, avec pour personnage principal un des plus célèbres croque-mitaines du Septième-Art. Doublement récompensé lors du palmarès de ce 28ème Festival International du Film Fantastique de Gérardmer (Prix du Jury et Prix du Jury Jeunes de la Région Grand Est), Teddy prend pour décors un petit village des Pyrénées, dans lequel il installe une bête sanguinaire. Les premières minutes du film font peur, il s’annonce mal joué. Très vite cette impression s’estompe. On partage alors le destin d’un personnage touchant, le susnommé Teddy. Orphelin de 19 ans ayant quitté très tôt l’école, Teddy vit chez son oncle (Pépin Lebref!) et travaille dans un salon de massage. Épris d’une fille de bonne famille, Rebecca, il a plein de projet dans la tête. Jusqu’au jour où il se fait mordre par un mystérieux animal. On vous laisse deviner lequel. Très vite le film a bénéficié d’un capital sympathie grandissant, au fil des «projections». Probablement dû à son interprète principal (excellent Anthony Bajon), ainsi qu’à sa manière d’aborder le thème de la famille. Au final, un petit côté «à part» touchant. Une bonne manière de finir cette première journée de festival…
JOUR 2.
Avec The Other Side des Suédois Oskar Mellander et Tord Danielsson, on est vite dans le bain. Une femme sanglote, on la voit parcourir les pièces sombres d’une maison. Elle est à la recherche d’une certaine Kim. Le décors est planté, ne reste plus qu’à enchaîner: une famille va emménager dans une maison bi-famille. Le père (Fredrik), sa nouvelle compagne (Shirin) et le fils (Lucas). Dans ce nouvel environnement les trois vont devoir retrouver leurs marques. Le père va accepter de travailler de nuit, laissant Shirin et Lucas seuls dans leur nouvelle demeure. Les scènes sont datées à l’écran, le film étant inspiré de faits réels. Shirin est proche de Lucas, mais s’inquiète de le voir jouer avec un ami imaginaire. Là où le film se distingue d’autres productions basés sur la même trame, c’est que Shirin comprend vite qu’il y a bien une présence dans la maison d’à côté, pourtant inhabitée. Bienveillante, ou au contraire malveillante ? L’histoire n’est peut-être pas nouvelle, les deux réalisateurs parviennent toutefois à y ajouter leur petite touche personnelle. Efficace, sans scène superflue, The Other Side maintient le suspense jusqu’au bout, tout en rendant un hommage sincère au genre (voir sa conclusion, bienvenue).
Deuxième projection de ce deuxième jour, Anything for Jackson de Justin G . Dyck. Alors là, c’est un peu les montagnes russes, la maison hantée, en fait une ballade au cœur d’une fête foraine, tout simplement. Des petits moments de comédie, de l’horreur, du gore, du surnaturel. Le Fantastique dans son spectre le plus large. Mais pas indigeste. Les deux personnages principaux, Audrey et Henry (interprétés avec brio par Sheila McCarthy et Julian Richings) forment un gentil petit couple âgé. Très vite, ils dévoilent leurs intentions, qui ne cadrent pas du tout avec leur apparence totalement inoffensive. Audrey et Henry ont enlevé Shannon, une jeune femme enceinte sur le point d’accoucher. Leur intention est de faire revenir l’esprit de leur petit-fils décédé (le Jackson du titre) dans le corps du nouveau né à venir, à l’occasion d’une obscure cérémonie satanique. Mais bien sûr rien ne se passera exactement comme prévu, le couple sera vite dépassé par les forces maléfiques qu’ils ont libérées. Anything for Jackson était une bonne petite surprise, pleine d’énergie, bien écrite et avec une distribution irréprochable. Où comment l’amour inconditionnel de grands-parents peut mener aux pires dérives…
Pour la troisième et dernière projection de ce deuxième jour, rien de mieux qu’une petite ballade au cœur d’une Australie très photogénique. Dans Sweet River, le réalisateur Justin McMillan plante sa caméra dans une petite bourgade, Billins, et y développe avec sensibilité la quête de son personnage principal, Hanna. Au sortir d’une cure de désintoxication, celle-ci décide de revenir sur les lieux du drame : c’est à Billins que son fils de quatre ans, Joey, avait été tué par un tueur en série. Le corps n’ayant jamais été retrouvé, Hanna a donc décidé de reprendre les recherches. Ses questions vont perturber l’équilibre des habitants qui avaient eux aussi perdu leurs enfants. Dans cette histoire d’âmes perdues Justin McMillan nous fait partager le quotidien d’un village emprisonné dans le passé. De brèves apparitions de fantômes d’enfants disparus suffisent à hérisser le poil des spectateurs au cœur d’un récit prenant. Lisa Kay, qui interprète Hanna, est très convaincante dans le rôle de cette mère qui n’a jamais pu faire son deuil. Au milieu d’interminables champs de canne à sucre elle découvrira la vérité glaçante…
JOUR 3.
On commence cette journée par une incursion en Asie avec le film sud-coréen The Cursed Lesson de Jai-hong Juhn et Ji-hon Kim. Dans cette étrange histoire de jeunes femmes participant à un stage de yoga afin de retrouver une illusoire jeunesse, les réalisateurs s’emmêlent un peu les pieds. A tel point qu’on en vient assez vite à se désintéresser de l’issue du film. Et pourtant, les comédiennes sont parfaites, les décors et la musique également. Pour réussir, The Cursed Lesson aurait dû se construire sur une histoire un peu plus développée et ne pas se résumer à une suite de scènes se voulant «fantastiques», et qui n’ont finalement ni queue ni tête. Rien de bien nouveau sous le soleil, juste une entité maléfique de plus dont on ne saura rien, et c’est bien là le problème.
Seconde projection, Mosquito State, où les moustiques reflètent la psyché ô combien perturbée d’un brillant analyste financier de Wall Street, à l’aube du krach boursier de 2007. Là encore, on a parfois éprouvé des difficultés à distinguer le vrai du faux. Dans cette histoire qui compare le monde de la finance et de la spéculation à des hordes de moustique avides de sang, Filip Jan Rymsza se perd un peu, mais propose quelque chose de visuellement intéressant, essentiellement lors des scènes se déroulant dans le gigantesque appartement du héros (Richard Boca), situé dans les hauteurs d’un gratte-ciel new-yorkais. On y croise le comédien Olivier Martinez (dans le rôle du grand patron), qui fait tout pour mettre à l’aise sa poule aux œufs d’or, interprétée par Beau Knapp. Le comédien rend une copie parfaite, un savant mélange de génie à la fois autiste, asocial et devin, prêt à aller jusqu’au bout, dans une forme d’expiation (sa prestation nous remémore celle de Michael Shannon dans le Bug de William Friedkin). Face à lui, Charlotte Vega incarne Lena, une magnifique jeune femme semblant le comprendre, contrairement à tous ses pairs. Richard Boca verra ses algorithmes, jusqu’ici infaillibles, vaciller au gré des turbulences qui traversent les marchés, et se rapprochera un peu plus des insectes qu’il a accueilli chez lui. Une drôle de rêverie dont l’issue, prévisible, ne gâche pas l’ambiance générale.
Troisième et dernière projection de ce jour 3, Possessor de Brandon Cronenberg. En digne fils de son père, le réalisateur s’est plongé dans une horreur organique laissant la part belle aux trucages en «réel». Tasya Vos (Andrea Riseborough) est employée par une organisation secrète qui commet des assassinats à la demande de ses clients. La technologie utilisée permet de prendre possession de l’esprit et du corps d’innocentes personnes afin de leur faire commettre les meurtres «commandés». Exécutante chevronnée, Tanya Vos va se retrouver coincée dans le corps d’une personne encore plus attirée par la violence qu’elle (excellent Christopher Abbott). Très bien mis en scène et photographié, Possessor n’est pas avare de grandes trouvailles et de petits plaisirs. On y croise les gueules bien connues de Jenifer Jason Leigh (qui était en quelque sorte à la place d’Andrea Riseborough il y a 22 ans dans le eXistenZ de Davis Cronenberg !) et de Sean Bean, avant de heurter de plein fouet un final pour le moins percutant. Possessor est reparti du festival avec le Grand Prix, ainsi que celui de la meilleure musique originale. Était-ce réellement une surprise, dans la mesure ou la réputation du film l’avait précédé, avec notamment les prix du meilleur film et du meilleur réalisateur au 53ème festival international du film de Catalogne en octobre 2020 ?
Cette 28ème édition a beau avoir été virtuelle, elle a permis de satisfaire en partie une passion partagée par les cinéphiles qui se retrouvent année après année à Gérardmer à la fin du mois de janvier. Entre les films proposés, les petites scènes avec David Rault ou encore une master-class avec le mythique John Landis, les spectateurs ont eu de quoi rassasier leur appétit de genre.
Mais gare, il leur faudra du concret l’année prochaine……
Pour
son premier long-métrage, la réalisatrice britannique Rose Glass a
eu les honneurs du 27ème Festival International du Film Fantastique
de Gérardmer. Saint Maud faisait partie de la compétition
officielle, qui comptait 10 longs-métrages.
Dès
sa première projection (à Gérardmer, les films présentés sont
diffusés à plusieurs reprises durant les 5 cinq jours du festival),
Saint Maud fit beaucoup parler de lui. Au point de très vite
figurer comme l’un des favoris de la célèbre manifestation
vosgienne. A l’issue des 5 jours de compétition le palmarès ne
fit que confirmer cette impression : en repartant avec quatre
récompenses, le film réalisa une des plus mémorables razzias de
l’histoire du festival. En cumulant le Grand Prix, le Prix de la
Critique, le Prix de la Meilleure Musique Originale et enfin le Prix
du Jury Jeunes de la Région Grand Est, Saint Maud inscrivit
son nom au panthéon de la manifestation, aux côtés du superbe
Mister Babadook de Jennifer Kent en 2014 (Prix du Jury, Prix
du Public, Prix de la Critique, Prix du Jury Jeunes de la Région
Grand Est), seul autre long-métrage à avoir remporté quatre
récompenses.
En
un peu plus d’une heure vingt Rose Glass invite le spectateur à
partager le quotidien d’une jeune femme, Maud, qui cherche à
communiquer avec Dieu. La réalisatrice avait fait le déplacement
dans les Vosges. Elle monta sur la scène de la grande salle de
l’Espace Lac juste avant la projection pour présenter son film.
Une fois l’obscurité revenue, les premières images confirmèrent
les propos qu’elle venait de tenir. Le film serait une immersion
dans la psyché ô combien torturée de son personnage principal.
Après
une ouverture très organique – que
nous ne dévoilerons pas de peur de priver le spectateur d’un
saisissant tableau – le film nous présente son personnage
principal, Maud, une
jeune femme tout ce qu’il y a de plus banal. Elle va
se rendre à son nouveau travail. Apparemment très croyante, elle
est l’infirmière particulière d’une ancienne artiste que la
maladie a contraint à rester cloîtrée dans sa vaste demeure. Maud
communique avec Dieu, elle lui parle à tout instant. Elle attend un
signe de lui, une indication sur sa destinée, car elle est
intimement convaincue que le Seigneur a une mission pour elle. Il
occupe chacune de ses pensées, mais pour l’observateur extérieur
Maud a l’air jeune et inoffensive. Parfaitement anodine.
Dans
la grande bâtisse que Maud partage avec sa patronne, Amanda Kohl,
l’ambiance est pesante et la lumière se fait rare. Le quotidien de
Maud se partage entre ses journées consacrées aux soins apportés à
Amanda, et ses soirées (et parfois ses nuits) tournées vers Dieu. A
l’occasion, Amanda reçoit des invités le soir, ou la nuit.
Histoire de s’évader un peu, d’oublier
sa déchéance en renouant avec son passé de diva de la danse. Dans
ces moments-là, elle prend ses distances avec Maud, alors qu’au
contraire chaque journée lui permet de créer un lien de plus en
plus fort avec sa soignante. Lors
de ces journées passées à communier avec Dieu les deux
femmes en deviennent quasi fusionnelles. Car pour Maud, le Seigneur a
de grands projets concernant Amanda. Jour
après jour, le lien qui
les unit n’en devient que plus fort. Jusqu’au drame.
Après
s’être emportée contre Amanda, Maud sera relevée de ses
fonctions. Et devra réintégrer son petit appartement. Cette rupture
la verra sombrer dans l’introspection et le doute. Sans emploi,
désœuvrée, elle
questionnera chaque jour un peu plus sa foi dans l’espoir de
recevoir des réponses. Le profond traumatisme qui frappe alors Maud
est le moment que choisit Rose Glass pour laisser libre cours à ses
envies d’expérimentation. Elle adopte alors une manière de filmer
plus libre et utilise des procédés originaux. Les
angles de prises de vue deviennent atypiques, de travers, sens dessus
dessous. La mise en scène
fait ressentir aux
spectateurs ce qui se passe dans la tête de Maud.
Dans
sa seconde partie Saint
Maud
se révèle dans toute sa complexité et sa profondeur. Après avoir
appris à connaître Maud, le spectateur se trouve emporté dans son
esprit torturé, tour à tour exalté ou traversé de doutes. Dans ce
climat anxiogène la musique joue une part importante. Au
milieu des doutes qui assaillent Maud le spectateur étouffe. Pendant
toute la (petite) durée du film, la jeune
comédienne
galloise Morfydd Clark accapare l’écran et exprime
merveilleusement bien l’intensité dévorante de la foi qui
l’habite. Au
départ du projet, la réalisatrice avait en tête une comédienne
bien plus âgée pour interpréter Maud. Les essais l’ont
finalement convaincue de choisir Morfydd Clark, malgré sa relative
jeunesse (tout juste 30 ans). Elle s’en est d’ailleurs félicitée
à Gérardmer.
Fait
assez rare pour le signaler, Rose Glass avait choisi de rester dans
la salle de l’Espace Lac toute la durée de la projection. Histoire
de ressentir la salle, pouvoir palper les réactions du public. A
l’issue de la projection, sa curiosité fut largement récompensée
par les salves nourries d’applaudissements.