Le Mucem renverse le monde

Une exposition fort pertinente invite le visiteur à considérer le monde sous un autre angle

La projection Mercator a placé l’Europe au centre du monde et nous avons grandi avec cette idée. Pourtant, d’autres cartes émanant de civilisations qui possédaient leur propre centralité, leur propre récit existent.


La nouvelle exposition du Mucem baptisée « une autre histoire du monde » prend ainsi le parti de raconter une autre réalité, de produire une autre vérité, un autre récit car c’est bien de cela qu’il s’agit, de récits émergeant de ces magnifiques cartes venues de l’Amérique précolombienne comme cette incroyable Mapa de Sigüanza, un codex préhispanique, ou du Japon. Un récit du monde qui s’est maintes fois réécrit dans le sang et le commerce et s’est enrichi d’imaginaires nouveaux, renouvelés, contestés. De la Nouvelle-Calédonie aux Aztèques en passant le Soudan ou le Dakota, le Mucem invite ainsi ses visiteurs à voyager en prenant comme guide ces autres civilisations oubliées parfois méprisées car comme le rappellent les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue qui accompagne cette dernière : « il faut s’affranchir de nos routines intellectuelles au risque d’être d’abord totalement désorienté, de perdre le nord de la carte et le sens de la flèche du temps. C’est au prix de cet effort de décentrement que nous pourrons appréhender l’ensemble du monde ».

Pour réussir cette entreprise, l’exposition présente près de 150 œuvres tirées du musée Jacques Chirac du quai Branly qui a prêté quelques-uns de ses incroyables trésors comme cette magnifique carte d’apparat sioux sur peau de bison, du musée Guimet ou de la bibliothèque nationale de France qui présente cette carte japonaise des routes terrestres de Nagasaki à Edo. Ces cartes et objets donnent ainsi corps à ces autres conceptions du monde, ces autres histoires qui se fondant sur différents cycles lunaires ou végétaux nous amènent à faire fi du calendrier grégorien ou du méridien de Greenwich pour reconsidérer notre système de valeurs et surtout notre propre altérité.

A travers ces cartels extrêmement pédagogiques qui retracent le parcours et l’histoire des œuvres présentées, ou ces histoires orales tirées d’espaces sonores aménagés, l’exposition nous invite à considérer le monde selon des points de vue différents de celui qui nous a été enseigné à l’école, celui d’un Occident qui s’est pendant longtemps érigé en « moteur du devenir historique mondial » tel que le véhicula le discours européen du XIXe siècle et qui a conduit à la colonisation, à la spoliation et à la réécriture de l’histoire. C’est le sens de ces œuvres contemporaines qui cohabitent avec ces anciennes cartes comme pour nous montrer que si la terre est ronde, elle continue, que l’on soit à Delhi, à Moscou ou à Port-au-Prince, à s’écrire différemment.

Par Laurent Pfaadt

Une autre histoire du monde, Mucem Marseille
Jusqu’au 11 mars 2024

A lire le catalogue de l’exposition signé Fabrice Argounès, Camille Faucourt, Pierre Sinagaravélou, une autre histoire du monde
co-édition Gallimard / Editions du Mucem, 90 images, 200 p.