Archives de catégorie : Musique

Festival Musica

C’est dans un Palais des Fêtes rénové que nous sommes conviés à suivre l’ouverture du Festival avec déjà un grand nom à l’affiche, Georges Aperghis, un compositeur venu maintes fois à Musica.


L’œuvre qu’il propose « Migrants » n’est, bien sûr, avec un tel titre, pas destinée à plaire ou à être un divertissement. Dès les premières mesures entendues, la puissance et la vitalité de la partition signent une œuvre engagée. Rien de surprenant de la part de ce compositeur grec qui a connu l’exil et veut en témoigner, bouleversé qu’il est par les situations de détresse dont son pays d’origine fut le théâtre et par celles de tous ces gens qui errent actuellement encore à travers l’Europe.

Il propose un oratorio en cinq mouvements dont les trois premiers ont été créés en 2017 à Hambourg et répondaient à une commande de l’Ensemble Resonanz.

C’est cet ensemble, dirigé avec ferveur par le chef italien Emilio Pomarico, composé de 18 cordes 3 percussionnistes et 2 pianistes qui interprète cette œuvre saisissante à bien des égards puisqu’elle nous plonge sans ménagement dans la détresse et dans l’horreur. Pour en saisir la portée la partition est confiée aux cordes qui, de tous leurs sons aigus, stridents, parfois saccadés amènent en nous un vrai bouleversement.

La musique n’est pas seule à nous interpeler des textes vont être déclamés, chantés, inspirés pour certains par des propos de migrants mais surtout par des citations du livre de Joseph Conrad « Au cœur des ténèbres » et des phrases comme celle-ci nous serrent le cœur :

« Ils mouraient à petit feu, c’était très clair ce n’étaient point des ennemis ce n’étaient point des criminels ce n’était plus rien de ce monde-ci désormais »

 Ces poèmes sont chantés avec conviction par deux chanteuses très engagées dans le répertoire contemporain, la soprano polonaise Agata Zubel et la mezzo-soprano ukrainienne Christina Daletska .

C’est dans le troisième mouvement qu’on entendra ce leitmotiv :
« Je suis allé un peu plus loin, puis un peu plus loin encore, jusqu’au jour où je me suis retrouvé si loin que je ne sais pas comment je pourrai jamais revenir »

Le quatrième mouvement est un concerto pour altiste, une grande pause musicale où l’on a pu savourer les talents, la virtuosité, la finesse et la puissance de jeu de cette grande artiste strasbourgeoise qu’est Geneviève Strosser. Un moment pour réfléchir à toutes ces réalités bien dures qui ont été évoquées.

Enfin, pour la première fois sera interprété le cinquième mouvement dans lequel alternent les bruissements et les éclats de la musique pendant que le texte parle de cris, de lamentation, de clameur et de disparition ; texte d’une infinie tristesse sur lequel s’achève cette œuvre à la fois poétique et réaliste destinée à marquer les esprits et qui, c’est sûr les marquera par l’implacable justesse de son propos  tel qu’il est mis en œuvre par la musique  et le chant.

Musica le 15 septembre 2022 au Palais des Fêtes

Marie-Françoise Grislin

Saison de l’OPS

Pièce musicale d’une grande beauté lyrique, le Requiem de Verdi est aussi une œuvre théâtrale aux allures de spectacle visuel séduisant généralement un large public. Donnée lors d’un unique concert le vendredi 9 septembre, l’œuvre fit plus que salle comble, bien de demandes n’ayant pu être satisfaites. Autour de l’orchestre et de son chef Aziz Shokhakimov, les parties vocales étaient assurées par le Chœur Philharmonique de Brno  associé à celui de l’Opéra du Rhin et par un quatuor de haut niveau composé de la soprano Serena Farnocchia, de la mezzo Jamie Barton, du ténor Benjamin Bernheim et de la basse Ain Anger.


Depuis sa création en 1874, la plupart des grands chefs d’orchestre ont aimé donner ce requiem. Deux tendances s’y sont fait entendre, celle des chefs lyriques privilégiant la beauté d’écriture du chant verdien et celle des symphonistes s’attachant davantage à la texture orchestrale. Parmi les grands chefs du passé, Herbert von Karajan excellait dans la synthèse de la dimension lyrique et de la puissance symphonique. Ici même à Strasbourg, on garde le souvenir des grandes prestations d’Alain Lombard dans les années 1970 et de celles de Jan Latham-Koenig au tournant du siècle.

Parfois, il se trouve aussi des chefs qui conduisent l’œuvre en sous-régime, installant un climat quelque peu anesthésié. On se souvient d’une interprétation de ce genre à l’Opéra de Paris en 2013, sous la houlette de Philippe Jordan. Ainsi qu’on peut l’imaginer, Aziz Shokhakimov se situe aux antipodes. Il ferait même partie de ceux qui, dans cette œuvre, pensent que mieux vaut une double dose de décibels et des tempos accélérés. Il n’y a rien là d’en-soi rédhibitoire, d’autant plus que les moments lyriques sont, quant à eux, joués avec une grande retenue sentimentale. Quelques-uns de ses collègues prestigieux l’ont d’ailleurs précédé dans cette voie. On pense notamment à d’autres grands chefs du passé comme Igor Markevitch ou Leonard Bernstein, ou plus anciens encore comme Arturo Toscanini, tous ayant enregistré de grandes versions à la fois décantées et dramatiques de l’œuvre, bénéficiant il est vrai d’un temps de préparation probablement supérieur à celui d’un concert. Celui du vendredi 9 septembre laissera, en tous cas, une impression contrastée avec une première partie certes très démonstrative mais quelque peu froide et désincarnée. On sent pourtant une indéniable volonté d’engagement mais aussi une certaine crispation d’ensemble. Chœurs et orchestre vont-ils jusqu’au bout des attentes du chef ? Quelques options surprennent : au tout début de l’œuvre, le bref Te decet hymnus, écrit a capella (sans accompagnement instrumental) gagne-t-il vraiment à être ainsi crié ? Si le début du Dies Irae ne manque pas de grandeur, le Tuba Mirum qui suit pâtit vraiment d’une fâcheuse précipitation, à la limite de la confusion. Toujours est-il que dès le début de la seconde moitié de l’œuvre, l’Offertorio fait entendre un changement bienvenu,avec une souplesse de jeu, une ferveur et une qualité de chant impressionnantes. Le Sanctus qui  suit estabsolument parfait dans la pureté de son style, l’Agnus Dei et le Lux Aeterna se révèlent  pleins de poésie et de magie. Quant au Libera me, c’est undes plus libérateurs qui soit. A ce sujet, la reprise de la musique du Dies Irae au milieu de ce dernier épisode donne la mesure de l’évolution du chœur comparée à sa même prestation, quelque peu crispée, au début de l’œuvre. La puissance sonore est toujours là, à la limite du cri, mais le chant rayonne bien davantage. Un concert prenant, mais inégal.

                                                                                   Michel Le Gris

John Nelson

Les 7 et 8 juin derniers, la saison de l’OPS s’est achevée avec un évènement musical d’importance : l’enregistrement public de la symphonie dramatique d’Hector Berlioz, Roméo et Juliette. Un concert de qualité superlative et dont on se souviendra d’autant mieux qu’il a fait l’objet, au cours des deux soirées, d’un enregistrement par la firme Warner. Le chef américain John Nelson aura ainsi ajouté une pierre de plus à son projet discographique d’une intégrale Berlioz, entamée il y a quatre ans à Strasbourg avec Les Troyens, suivi de La Damnation de Faust ; deux enregistrements ayant l’un et l’autre, suscité commentaires élogieux et reçu d’innombrables distinctions. On ne prend pas de gros risques en annonçant un probable accueil du même type pour ce Roméo et Juliette d’exception.


Je ne manquerai pas, lors de la publication de l’enregistrement au printemps prochain, de me livrer à une analyse en détail de l’interprétation. Mais globalement, celle entendue le mardi 7 juin laisse sur une étonnante impression de fraîcheur et de jeunesse, particulièrement remarquable quand elle est insufflée par un chef octogénaire, doté au demeurant d’une verve et d’une vitalité peu communes. Sous sa houlette, l’orchestre d’une centaine de musiciens fait preuve d’une souplesse et d’une spontanéité de jeu qui, tous pupitres confondus, le place au niveau des meilleurs. La distribution vocale, elle aussi, est au sommet : on se réjouit de retrouver la mezzo Joyce Didonato, ici dans le rôle de Juliette. Quant au ténor Cyrille Dubois, il offre sa voix lumineuse à un Roméo fervent et passionné. Pour le Père Laurence, le chant, le phrasé et la diction de la basse Christopher Maltmann surclassent tout ce que j’ai pu entendre, dans ce rôle, jusqu’ici. Enfin les Coro Gulbenkian de Lisbonne (déjà remarqués dans La Damnation) et le Chœur de l’Opéra du Rhin, excellemment préparés par leurs chefs respectifs (parfois présents sur scène), auront rayonné par la qualité de leur chant et leur puissance vocale. Conçus dans le cadre de l’enregistrement, les déplacements scéniques des deux chœurs, tantôt au fond de la scène pour le petit chœur du début, puis de chaque côté et à mi-hauteur des rangées de fauteuil dans la seconde partie, enfin dans les premiers gradins devant l’orchestre lors de la scène finale auront ajouté à l’ambiance sonore et à l’atmosphère théâtrale. Son enthousiasme à maîtriser de tels dispositifs jointe à la puissance de son inspiration aura valu à John Nelson une ovation interminable, de la salle bien sûr, mais aussi de l’ensemble des musiciens sur scène.

Par Michel Le Gris

Photo © Nicolas Roses

Le temple de la musique polonaise

Parcourir les 120 ans de l’Orchestre philharmonique de Varsovie, c’est entrer non seulement dans l’histoire de la musique polonaise mais également dans l’histoire de la musique classique des 20e et 21e siècles. Mais parcourir ces 120 années, c’est d’abord arpenter un bâtiment majestueux entre travées, coulisses et salons d’honneur où les souvenirs se racontent par centaines. Dans chaque recoin se lisent et s’entendent des notes tirées d’abord de la figure musicale tutélaire de la Pologne : Frédéric Chopin et en premier lieu du concours éponyme qui, tous les cinq ans, vient couronner une nouvelle étoile au firmament de l’instrument-roi. De Martha Argerich à Maurizio Pollini en passant par Yakov Zak ou Seong-Jin Cho, chaque vainqueur a fait résonner son exceptionnel talent en compagnie de l’orchestre. Citons deux exemples : Kristian Zimmermann, vainqueur en 1975 et dont l’interprétation des concertos de Chopin en compagnie de l’orchestre tient toujours lieu de référence ou Rafaël Blechaz, pianiste polonais surdoué qui rafla tous les prix trente plus tard, en 2005. Deux exemples qui se sont inscrits dans cet incroyable héritage musical polonais.

Warsawphil © DEES

Parcourir les 120 ans de l’Orchestre philharmonique de Varsovie, c’est aussi voyager dans la création contemporaine en compagnie d’un quatuor incroyable : Karol Szymanowski, Henryk Gorecki, Witold Lutoslawski et Krzysztof Penderecki, disparu récemment. Leurs œuvres qui appartiennent aujourd’hui au répertoire et ont marqué de leurs empreintes indélébiles l’histoire de la musique classique résonnent encore ici de leurs échos, qu’il s’agisse de la deuxième symphonie de Gorecki créé par Andrzej Markowski le 22 juin 1973 ou quelques vingt ans plus tôt, le célèbre concerto pour orchestre de Witold Lutoslawski écrit en 1950-54 à l’initiative du directeur artistique de l’Orchestre philharmonique de Varsovie, Witold Rowicki.

Ce prestigieux quatuor de génies ne saurait cependant faire oublier d’autres brillants compositeurs polonais, Andrezj Panufnik ou Ignacy Jan Paderewski, le pianiste devenu président de la République polonaise et dont on joue encore aujourd’hui le concerto pour piano. Cette exceptionnelle tradition a ainsi inscrit dans l’ADN culturel de la Pologne, un rapport particulier à la musique qui se mesure chaque année lors du Festival Beethoven de Varsovie qui attire une foule toujours plus nombreuse et où se croisent solistes légendaires et nouveaux talents mais également habitués de longue date et jeunes mélomanes en herbe. 

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez la programmation de la Philharmonie de Varsovie sur http://www.filharmonia.pl

vent de liberté

Deux concerts de l’OPS durant le mois de mai nous ont fait découvrir un chef invité, particulièrement apprécié du public comme de l’orchestre et une jeune violoniste de talent, tous deux se produisant pour la première fois à Strasbourg.

Le jeudi 12 mai au soir, dès les premières mesures du Don Juan de Richard Strauss, on est saisi par la puissance, la clarté, la beauté du son de l’orchestre. D’origine finlandaise, Hannu Lintu déploie une battue de large envergure, assortie d’une main gauche donnant des indications très efficaces. Toutes les voix de l’orchestre sont magistralement travaillées, du quatuor à cordes souple et virtuose aux pupitres de cuivre rutilants, sans oublier une petite harmonie particulièrement soignée et volontairement mise en avant. L’interprétation du chef souligne le côté grandiose, mais sans exagération ni grandiloquence. On retrouve cette même musicalité éloquente et brillante dans Mort et transfiguration, le chef d’œuvre de jeunesse de Richard Straussjoué en fin de concert. Dans l’immense crescendo qui conclut ce poème symphonique, la noblesse de timbre et l’opulence du son émises ce soir-là par les musiciens du philar sont vraiment prodigieuses. Directeur de l’Orchestre de la radio finlandaise, invité de grands orchestres comme le London Philharmonic, le National de Russie ou le Symphonique de Chicago, Hannu Lintu, peu connu en France, va prochainement diriger Der fliegende Holländer à l’Opéra de Paris. On aimerait bien réentendre ce chef dans d’autres répertoires.

Encadrées par ces deux poèmes symphoniques de Strauss, deux œuvres de musique contemporaine figuraient à l’affiche du concert. Ciel d’hiver de la finlandaise Kaija Saariaho est un fort agréable morceau contemplatif, enveloppant l’auditeur dans un kaléidoscope de timbres très colorés. Créé à Londres en 1970 par Mstislav Rostropovitch, le commanditaire de l’œuvre, le concerto pour violoncelle de Witold Lutoslawski est une œuvre assez énigmatique mais plutôt prenante, où le  soliste semble vouloir faire souffler un vent de liberté cherchant à entraîner les autres instruments d’un orchestre dont les cuivres opposent une autre attitude, aux allures autoritaires et tranchantes. Le soir du 12 mai 2022, ce concerto bénéficie du soutien de la grande violoncelliste Sol Gabetta, tout juste auréolée de son titre de ‘’soliste instrumentale de l’année’’ aux Victoires de la musique classique 2022.

Une semaine plus tard, le jeudi 19, la violoniste néerlandaise Simone Lamsma remplaçait sa consoeur souffrante, Patricia Kopatchinskaja, dans ce chef d’œuvre de la littérature concertante qu’est le premier concerto pour violon de Dimitri Chostakovitch. D’une extrême difficulté technique, cette partition est loin de lui être inconnue puisqu’elle l’a enregistrée, il y a déjà quelques années. Avec une virtuosité confondante, elle opte, de la première à la dernière note,  pour une vision  d’une grande noirceur, partagée par un orchestre dirigé par son jeune directeur, Aziz Shokhakimov. On garde aussi le souvenir d’une autre belle prestation d’il y a une quinzaine d’années, celle de Christian Tetzlaff et de l’orchestre alors dirigé par Marc Albrecht, jouant quant à eux la carte d’un dernier mouvement lumineux et libérateur.

Le reste du programme était entièrement consacré à Prokofiev, avec une symphonie classique ouvrant la soirée et les deux suites tirées du ballet Roméo et Juliette qui la concluaient. D’un style d’ensemble excellent, faisant bien la part du côté pastiche et de la modernité de cette étonnante composition, la symphonie classique pâtissait cependant d’un jeu d’orchestre un peu imprécis et manquant de flamme, dans le premier mouvement notamment. Il est vrai que débuter un concert avec cette œuvre si périlleuse est toujours un pari risqué. Le programme Prokofiev faisant l’objet d’un enregistrement pour Warner, les musiciens et les techniciens du son auront eu tout le samedi suivant pour parfaire le travail.

Entendues dans le cadre d’un concert, les deux suites de Roméo et Juliette furent un très beau moment. Dans la perspective d’une publication discographique, compte tenu du nombre de grandes interprétations existantes (soit sous forme du ballet complet, soit sous forme des suites n°1 et 2 ou, comme souvent, d’un assemblage personnel du chef d’orchestre), on se dit que certains moments seraient sûrement à reprendre, voire peut-être à approfondir. Si Shokhakimov obtient des musiciens un jeu vraiment remarquable dans ces grands moments d’action que sont la scène du bal ou encore la Mort de Tybalt, dont la marche funèbre énoncée par l’excellent pupitre des cors vous cloue dans le fauteuil, en revanche d’autres épisodes emportent moins l’adhésion : d’une froide perfection, le tableau conclusif de Roméo sur la tombe de Juliette pourrait néanmoins gagner en puissance dramatique et émotionnelle. Dans les épisodes lyriques comme la scène du balcon ou celle de la séparation entre les deux amants, Shokhakimov tourne heureusement le dos à toute espèce de mièvrerie. Reste cependant que le sentiment n’y est  nullement absent. Dans son génie, Prokofiev a conçu une forme d’expression sentimentale dénuée de tout romantisme ; il importe de parvenir à la restituer. C’est l’un des enjeux de l’interprétation de cette partition extraordinaire. Dans un passé discographique déjà lointain, deux chefs, au demeurant bien différents – le tchèque Karel Ancerl et le Suisse Ernest Ansermet — étaient parvenus, chacun à leur manière, à faire entendre ce lyrisme épuré. Aziz Shokhakimov retrouvera vers la fin de l’été l’ensemble de ses musiciens pour parfaire ce travail bien commencé. Le CD devrait paraître au printemps 2023.

Michel Le Gris

Prince parmi les princes

A l’occasion de la Mozartfest de Würzburg, Jorg Widmann a sublimé le concerto pour clarinette de Mozart

Jorg Widmann
© Dita Vollmond

Assister à un concert dans la Résidence du prince-évêque de Würzburg, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1981, est assurément une expérience unique. Assis sous les fresques du grand Tiepolo, le regard du spectateur oscille entre la beauté des œuvres d’art et celle d’un orchestre au sommet. On imagine aisément ce que devait ressentir les invités du prince lors des concerts privés qu’il donna sous le regard d’un Fréderic Barberousse à genoux au moment d’épouser Béatrice de Bourgogne.

Chaque fin de printemps, le prince des lieux se nomme Wolfgang Amadeus Mozart. Cette année, l’un des points d’orgue du festival qui lui est consacré, fut bel et bien son fameux concerto pour clarinette qu’il composa au crépuscule de sa vie (octobre 1791). Et pour l’interpréter, le festival a invité l’un de ses plus grands interprètes, Jorg Widmann, également compositeur et chef d’orchestre d’un soir du Mozarteumorchester de Salzbourg, orchestre qui a fait d’Amadeus son saint patron. Autant dire, ce qui se fait de mieux.

Tout était donc réuni pour vivre une soirée d’anthologie. Et ce fut le cas. Convoquant un Felix Mendelssohn et l’andante de sa sonate pour clarinette qu’il arrangea pour orchestre, Jorg Widmann donna le ton. Celui de l’entrée dans un songe voluptueux, bercés par une harpe et un célesta de toute beauté. Vint ensuite le concerto pour clarinette. L’orchestre, en fin connaisseur de la geste mozartienne, entra parfaitement dans l’oeuvre. Le ton demeura juste, les équilibres sonores posés par le chef. Puis vint le second mouvement et d’un coup, en l’espace d’un instant, la grâce s’empara de la salle. Les personnages peints ont certainement détourné, le temps d’un instant, leurs regards pour admirer notre prodige délivrant ses fabuleuses notes tirées du génie. Car tous avaient les yeux rivés sur la clarinette de Widmann, sceptre musical brandi devant le roi Mozart. Le soliste et son orchestre demeurèrent ainsi en parfaite harmonie, Jorg Widmann rayonnant de lyrisme et de justesse. Un clignement de paupières ramena l’assistance à la réalité sans briser pour autant un charme dispensé par un soleil déclinant qui nimbait de ses rayons de bronze statues et dorures de la Kaisersaal.

A l’heure de la pause, personne ne vit qu’un orage grondait au-dessus des jardins de la Résidence. Celui de la première symphonie en ut mineur d’un jeune Mendelssohn de quinze ans recouvrant l’auguste édifice. Comme un Dieu descendu du plafond peint, Jorg Widmann lança ses éclairs vers un orchestre qu’il conduisit tel un quadrige lancé à vive allure. La symphonie, menée tambour battant, acheva une soirée où princes et dieux mis au service de la musique n’étaient pas seulement sur les murs et les plafonds mais bel et bien sur la scène de la Mozartfest.

Par Laurent Pfaadt

La Mozartfest de Würzburg se poursuit jusqu’au 19 juin. Retrouvez sa programmation : http://www.mozartfest.de

Dans le miroir de Dieu

Le festival Beethoven de Varsovie a été, une nouvelle fois, éblouissant

Un festival comme un miroir. Celui dans lequel les reflets des génies passés ou présents se reflètent. Le festival Beethoven qu’Elzbieta Penderecka consacre depuis plus d’un quart de siècle s’attache à permettre à ce miroir de contempler l’étendue des talents et l’excellence de la musique proposée. A travers le temps et les générations.


Cette année, pour sa vingt-sixième édition, le festival a notamment choisi le reflet du plus grand séducteur de la musique classique : Don Giovanni. Le public crut y voir Mozart mais découvrit celui de Giuseppe Gazzaniga, contemporain napolitain d’Amadeus et queue de comète de l’opéra-bouffe. Lors de la version concertante donnée à l’occasion du festival, les amoureux du génie de Salzbourg ont ainsi apprécié ce rythme soutenu, très vivifiant de Gazzaniga et magnifiquement porté par un continuo de haute tenue et par cet humour parfaitement restitué que Mozart entendit certainement et dont il s’inspira pour son célèbre opéra. Le mérite en revint assurément au casting parfaitement réussi de chanteurs qui allia lumières notamment avec les sopranos Natalia Rubis et Anna Bernacka et ténèbres incarnées par un Wojtek Gierlach en Commendatore, certes moins vindicatif car libéré de l’écrasante influence de Leopold Mozart, mais tout aussi brillant. Et la direction inspirée de Lukasz Borowicz à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Poznan, phalange désormais habituée au festival a enfin rendu justice à Giuseppe Gazzaniga.

copyright Bruno Fidrych

De Mozart, il en a été évidemment question le lendemain avec un 20e concerto de toute beauté, délivré par un Juan Perez Floristan, récent vainqueur du concours Arthur Rubinstein 2021 et futur grand nom de l’instrument roi, qui revenait au festival. « Ici, je sens que le public a soif de rencontrer de nouveaux artistes. Et puis, j’ai tout de suite senti la volonté de Madame Penderecka et du festival de promouvoir de jeunes talents » affirme ce dernier. Il y a assurément du regretté Radu Lupu dans ce pianiste, et le voir caresser ces arpèges tel un chat se promenant, sans violence, sur ce clavier avait quelque chose de rassurant, d’apaisant à l’heure où les démonstrations de force servent de références. Ici, le chat sévillan arpentait les rues d’une Jérusalem sonore portée par l’orchestre de chambre de la ville, toujours dirigé de main de maître par son chef, Avner Biron, et dont les équilibres sonores sonnent toujours aussi justes.

Quelques instants plus tôt, le chef se fit poète – quoi de plus normal lorsqu’on s’appelle Biron – pour délivrer une émouvante chaconne in memoriam Giovanni Paolo II de Krzysztof Penderecki et tirée de son Requiem Polonais. Dans cette mélodie en forme de barque musicale voguant sur ce fleuve de contrebasses et de violoncelles d’un génie ayant rejoint son créateur, il y eut comme un souffle, celui d’une figure tutélaire de la musique polonaise, adressé à la jeune génération à venir. « N’ayez pas peur, entrez dans l’espérance » aurait pu ainsi dire ce compositeur et ce festival qui se veut aussi le trait d’union entre époques musicales et interprètes. Toute sa vie, à travers son œuvre et ses actions, Krzysztof Penderecki a lui-même tendu le miroir de Dieu après l’avoir contemplé. Aujourd’hui, il a rejoint Mozart, Jean-Paul II et Beethoven avec qui il converse.

Il fallait donc bien un Biron pour entrer avec autant de poésie dans la quatrième symphonie de Beethoven. Parfaitement interprétée, pleine d’une énergie contenue pour éviter de verser dans une 3e ou 5e qui n’était pas l’objectif du compositeur, Avner Biron et l’Israël Camerata Jerusalem furent fidèles à l’esprit du compositeur avec des musiciens au sommet de leur art et plus particulièrement des percussions fascinantes. Restait à la coda de nous emporter dans un sentiment d’allégresse, et conclure ainsi en apothéose ce festival qu’on a déjà hâte de retrouver l’an prochain.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez toutes les informations sur le Beethoven Warsaw Festival : http://beethoven.org.pl/festiwal/en/

« La Pologne est l’un des grands pays européens en matière de culture »

Rencontre avec Cornelia Much

Cornelia Much est la directrice artistique du festival Beethoven de Varsovie. Pour Hebdoscope, elle revient sur cette manifestation incontournable en matière de musique classique.


Comment est né ce festival Beethoven ?

Ce festival a été créé il y a vingt-six ans, à Cracovie, lorsque cette dernière fut capitale européenne de la culture. Puis, à l’invitation de Lech Kaczyński qui était alors maire de Varsovie, nous avons déplacé le festival dans la capitale qui disposait d’un rayonnement important. Ainsi, nous avons, avec Madame Penderecka et son équipe, conçu ce festival autour de trois piliers : les concerts bien évidemment mais également une exposition de manuscrits originaux à Cracovie et un symposium autour d’une thématique particulière qui regroupe des spécialistes venus de plusieurs pays.

Votre festival effectue également le trait d’union avec la musique contemporaine polonaise à travers quelques grands compositeurs, Penderecki bien évidemment mais également Lutoslawski ou Szymanowski.

Oui, bien évidemment, nous souhaitons promouvoir la musique classique polonaise mais également des artistes, des compositeurs et des solistes polonais auprès de notre public international. La Pologne est l’un des grands pays européens en matière de culture. Donc il est important pour nous de mettre en avant ce patrimoine musical à travers l’ensemble du répertoire avec Chopin, Szymanowski mais également des compositeurs baroques peu connus.

D’ailleurs, le festival n’hésite pas à programmer des compositeurs moins connus du public

Vous avez raison et c’est l’une des missions que le festival s’est assigné. D’ailleurs, nous couplons cela en général avec un enregistrement. Pour les opéras, nous essayons d’avoir un casting polonais et nous avons développé tout au long de ces années, un partenariat de longue date avec l’Orchestre Philharmonique de Poznan.

Et le rayonnement du festival dépasse les frontières de Varsovie…

Tout à fait, il s’étend à l’ensemble du territoire polonais. Ainsi, nous organisons pour les jeunes artistes comme par exemple cette année avec Juan Perez Floristan, des tournées dans plusieurs villes comme à Lodz ou Lublin afin qu’ils multiplient les concerts. Cette dimension est fondamentale pour Elzbieta Penderecka. Nous développons des liens internationaux forts entre de jeunes talents et de grands maîtres.

Parlez-nous également de ces manuscrits que vous exposez…

Oui, cela renvoie à l’histoire de la musique mais également à l’histoire de la Pologne puisqu’un certain nombre de manuscrits sont arrivés en Pologne pendant la Seconde guerre mondiale, notamment à la librairie Jagellon pour être conservés. Après la guerre, ils sont restés ici, en Pologne. Grâce à Madame Penderecka, chaque année, nous exposons au public des manuscrits liés à la thématique abordée par le festival. Cette année, nous avons ainsi montré les 7e symphonies de Beethoven et de Penderecki ou le manuscrit intégral des Noces de Figaro de Mozart. Quand vous voyez les esquisses de quatuors de Beethoven qui sont complètement raturés ou, à l’inverse, ceux parfaitement vierges d’Haydn, on ne peut qu’être ému car non seulement on touche à la création originelle mais on entre également dans la psychologie du créateur. C’est absolument fascinant. A travers toutes ces dimensions qui sont complémentaires, le festival est ainsi riche en émotions.

Quelques mots sur la prochaine édition ?

Elle réservera de nouvelles émotions à nos spectateurs. Car avec « Beethoven entre Est et Ouest » pour thème principal, je vous laisse un peu imaginer l’horizon musical qui s’offre à nous !

Par Laurent Pfaadt

DAS RHEINGOLD

Yannik Nézet-Séguin

RICHARD WAGNER, Rotterdam Philharmonie und Solisten

Eine Opernaufführung konzertant und gerade Wagners « Rheingold »dessen Libretto so dramatisch gestaltet ist wie keines Andere im « Ring des Nibelungen »konnte schon als eine Herausforderung gelten. Desto verblüffter war man am Ende der Vorstellung: man hat hier, richtiges Theater erlebt, ohne Kulissen, ohne Kostüme, aber mit    Sängern die ihre Rollen nicht nur sangen aber erlebten, und wahres Musiktheater schufen.

Schon die drei Rheintöchter verkörperten ihre Rollen ideal, mal anmutig, mal schnippisch. Die Stimmen vereinen sich in einen wahren Hörgenuss.

Woglinde wird von Erika Baikoff mit strahlender Höhe gesungen. Ihr ebenbürtig, Iris van Vijnen als Wellgunde und Maria Barakova als Flosshilde, mit schönen Mezzotönen.

Samuel Youn überzeugt als Alberich und spielt wie auf der Bühne. Aber mit seiner expressionistischen Auffassung der Rolle, strapaziert er seine schöne Baritonstimme die in dem Fluch des vierten Bildes bricht, wenn auch zugunsten der Dramatik.

Die wunderschön timbrierte, pastöse Stimme von Michael Wolle scheint für die Rolle des Göttervaters Wotan wie geschaffen und wird jeder Nuance der Partitur gerecht. 

Jamie Barton, mit schöner, ein wenig ungleicher Stimme, verleiht Fricka Autorität, lässt aber schon die Eifersucht erspüren.

Issachah Savage, ist eine Luxusbesetzung für Froh. Man möchte die wunderbare Tenorstimme des Künstlers in einer wichtigeren Rolle wieder hören.

Thomas Lehman singt einen strahlenden Donner mit beinahe Liedhafter Schönheit.

Stephen Milling ist ein Fasolt der Weltklasse. Mit wunderschönem Bass und sanftem Legato, gelingt es ihm ein beinahe sympatische Vision des Riesen zu gestalten, der wirklich in Freia verliebt ist.

Nicht auf selbem Niveau, Mikhail Petrenko als Fafner.

Freia wird von Christiane Karg mit jugendlichem Sopran verkörpert.

Thomas Ebenstein singt einen überzeugenden Mime, ohne je ins Kitschige zu entgleisen.

Die Urmutter Erda, wird von Wiebke Lemkuhl mit ihrer wunderbar timbrierten Altstimme gesungen.

Der Höhepunkt des Abends war jedoch die Leistung von Yannick Nézet-Séguin mit den fabelhaft spielenden Musiker des Rotterdam Philharmonic Orchestras, das zu den Besten Europas gelten kann.

Von den geheimnivollen Klänge des Vorspiels bis zum triumphalen Einzug der Götter in Walhall, spannt er einen Bogen der das ganze Werk durchzieht. Fabelhaft wie er die Einsätze den Sängern gibt und wie seine klare Gestik das Orchester beinahe verzaubert.

Die spontane « Ständing Ovation » des Publikums konnte als einen  Dank für den Dirigenten, die Solisten und das Orchester gelten.

Könnte man auf eine Walküre oder auf einen ganzen Ring hoffen ?

Jean-Claude HURSTEL

PIQUE DAME

PETER TCHAIKOWSKY

Von den zwölf Opern Tschaikowskys, sind nur Eugen Onegin, Pique Dame und Iolanta in den Spielpläne der westlichen Opernhäuser anzutreffen. Das Festspielhaus Baden-Baden kann sich rühmen selten gespielte Werke des Komponisten wie die Zauberin und Mazeppa aufgeführt zu haben.

Die Neuinszenierung von Pique Dame, im Rahmen der Osterfestspiele der Berliner Philharmoniker, unter der Leitung von Kirill Petrenko setzt hier Masstäbe.

Die Inszenierung wurde dem Team Moshe Leiser und Patrice Caurier anvertraut; das Bühnenbild von Christian Fenouillat, die Kostüme von Agostino Cavalca und die Lichtregie von Christophe Forey fügten sich ganz in das Konzept der Inszenierung ein.

Die ganze Handlung wurde von der Epoche Katharina der Grossen in das Ende des 19.Jahrhundert versetzt. Ein Teil der Handlung spielt sich in einem Luxusbordell ab, und zeigt, in krassen Zügen, wie die Frau nur ein Objekt der Begierde der Männer ist, ob in den aristokratischen Kreise oder in einem Freudehaus. Diese Sozialkritik nähert sich mehr der Welt Dostoiewkys als der Pouchkines.

Akzeptiert man diese Vision, kann man nur die Klarheit der Inszenierung , spannend wie ein Krimi und die fabelhafte Personenführung loben. Die Charaktere werden Menschen aus Fleisch und Blut und man kann nur Mitgefühl für sie empfinden.

Rein musikalisch kann man sich keine bessere Interpretation wünschen. 

Hermann, wird von Arsen Soghomonyan ideal verkörpert. Seine wuchtige, aber auch duktile Tenortimme wird jeder der Nuancen der Partie gerecht. Darstellerisch ist er auf dem selben Niveau und man kann hautnah sehen wie sein Wahnsinn sich fortwährend bis zum Selbstmord steigert.

Ihm ebenbürtig, Vladislav Sulimsky als Graf Tomski der die Ballade der Drei Karten im ersten sowie das Strophenlied im dritten Aufzug brillant darträgt.

Der edle Baryton von Boris Pinkhasovich scheint für die rührende Liebes erklärung des Fürsten Jeletzki wie gemessen, ein Höhepunkt des Abends, wenn sie auch zur Vergewaltigung von Lisa führt.

Die Besetzung von allen anderen Männerrollen kann als ideal gelten.

Die Sängerinnen sind auf dem selben, grossartigen Niveau. 

Elena Stikhina, die schon an den grössten Opernäusern der Welt Gast war, setzt ihre grosse, strahlende Stimme in die Rolle der Lisa ein. Sie besticht sowohl in der strahlenden Höhe wie in den zartesten Nuancen.

Aigul Akhmetshina macht aus der Rolle der Polina, ein wahres Kabinetstück. So wurde ihr Duett mit Lisa im ersten Auzug, einer der musikalischen Höhepunke des Abends. Ihr schlanker, wunderschön timbrierter Mezzo und ihr anmutiges Erscheinen warfen einen Hauch von Licht in die düstere Handlung. 

Die Rolle der Gräfin wurde von Doris Soffel souverän gestaltet. Sie sang die Arie aus Grétrys Richard Löwenherz mit einem verblüffenden Nuancereichtum und überzeugte auch spielerich, besonders am Ende des zweiten Aufzugs, als sie den im Original vorgesehenen Auftritt der Tzarin Katharina, auf burlesker Manier übernimmt.

Margarita Nekrasova setzt ihren wuchtigen Alt in der Partie der Gouvernante ein.

Kirill Petrenko, mit den fabelhaften Berliner Philharmonikern, bewies dass er dieses Repertoire liebt und dirigierte das Werk enthusiastich. 

Der Slovakische Phiharmonische Chor und der Cantus Juvenum Chor leisteten Grossartiges. Unvergesslich der Männerchor a capella, nach dem Selbstmord Hermanns.

Eine Sternstunde am Himmel der russischen Oper.

Jean-Claude HURSTEL

FESTSPIELHAUS BADEN-BADEN  OSTERFESTSPIELE
12. APRIL 2022