Dans le miroir de Dieu

Le festival Beethoven de Varsovie a été, une nouvelle fois, éblouissant

Un festival comme un miroir. Celui dans lequel les reflets des génies passés ou présents se reflètent. Le festival Beethoven qu’Elzbieta Penderecka consacre depuis plus d’un quart de siècle s’attache à permettre à ce miroir de contempler l’étendue des talents et l’excellence de la musique proposée. A travers le temps et les générations.


Cette année, pour sa vingt-sixième édition, le festival a notamment choisi le reflet du plus grand séducteur de la musique classique : Don Giovanni. Le public crut y voir Mozart mais découvrit celui de Giuseppe Gazzaniga, contemporain napolitain d’Amadeus et queue de comète de l’opéra-bouffe. Lors de la version concertante donnée à l’occasion du festival, les amoureux du génie de Salzbourg ont ainsi apprécié ce rythme soutenu, très vivifiant de Gazzaniga et magnifiquement porté par un continuo de haute tenue et par cet humour parfaitement restitué que Mozart entendit certainement et dont il s’inspira pour son célèbre opéra. Le mérite en revint assurément au casting parfaitement réussi de chanteurs qui allia lumières notamment avec les sopranos Natalia Rubis et Anna Bernacka et ténèbres incarnées par un Wojtek Gierlach en Commendatore, certes moins vindicatif car libéré de l’écrasante influence de Leopold Mozart, mais tout aussi brillant. Et la direction inspirée de Lukasz Borowicz à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Poznan, phalange désormais habituée au festival a enfin rendu justice à Giuseppe Gazzaniga.

copyright Bruno Fidrych

De Mozart, il en a été évidemment question le lendemain avec un 20e concerto de toute beauté, délivré par un Juan Perez Floristan, récent vainqueur du concours Arthur Rubinstein 2021 et futur grand nom de l’instrument roi, qui revenait au festival. « Ici, je sens que le public a soif de rencontrer de nouveaux artistes. Et puis, j’ai tout de suite senti la volonté de Madame Penderecka et du festival de promouvoir de jeunes talents » affirme ce dernier. Il y a assurément du regretté Radu Lupu dans ce pianiste, et le voir caresser ces arpèges tel un chat se promenant, sans violence, sur ce clavier avait quelque chose de rassurant, d’apaisant à l’heure où les démonstrations de force servent de références. Ici, le chat sévillan arpentait les rues d’une Jérusalem sonore portée par l’orchestre de chambre de la ville, toujours dirigé de main de maître par son chef, Avner Biron, et dont les équilibres sonores sonnent toujours aussi justes.

Quelques instants plus tôt, le chef se fit poète – quoi de plus normal lorsqu’on s’appelle Biron – pour délivrer une émouvante chaconne in memoriam Giovanni Paolo II de Krzysztof Penderecki et tirée de son Requiem Polonais. Dans cette mélodie en forme de barque musicale voguant sur ce fleuve de contrebasses et de violoncelles d’un génie ayant rejoint son créateur, il y eut comme un souffle, celui d’une figure tutélaire de la musique polonaise, adressé à la jeune génération à venir. « N’ayez pas peur, entrez dans l’espérance » aurait pu ainsi dire ce compositeur et ce festival qui se veut aussi le trait d’union entre époques musicales et interprètes. Toute sa vie, à travers son œuvre et ses actions, Krzysztof Penderecki a lui-même tendu le miroir de Dieu après l’avoir contemplé. Aujourd’hui, il a rejoint Mozart, Jean-Paul II et Beethoven avec qui il converse.

Il fallait donc bien un Biron pour entrer avec autant de poésie dans la quatrième symphonie de Beethoven. Parfaitement interprétée, pleine d’une énergie contenue pour éviter de verser dans une 3e ou 5e qui n’était pas l’objectif du compositeur, Avner Biron et l’Israël Camerata Jerusalem furent fidèles à l’esprit du compositeur avec des musiciens au sommet de leur art et plus particulièrement des percussions fascinantes. Restait à la coda de nous emporter dans un sentiment d’allégresse, et conclure ainsi en apothéose ce festival qu’on a déjà hâte de retrouver l’an prochain.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez toutes les informations sur le Beethoven Warsaw Festival : http://beethoven.org.pl/festiwal/en/