Archives de catégorie : Scène

Hamlet Diptych

Bussang 2022 : Hamlet & Hamlet-Machine

©Jean Louis Fernandez

Chahuté par les restrictions, l’été 2020 avait dû se limiter au beau (et court) moment du texte de Stig Dagerman, aussi l’association gestionnaire du théâtre avait décidé de reporter à 2022 le projet de Simon Deletang d’« offrir un chemin jusqu’à Hamlet-Machine » avec la pièce de Shakespeare programmé l’après-midi.
Dans sa proposition, les deux pièces sont liées – même décor, même distribution, même énergie – et mises en dialogue par petites touches. Elles sont très rarement jouées dans la continuité et en France c’est une première.


passacaille

Quatre cubes blancs à cour, autant à jardin dressent vers le fond et sa porte coulissante une perspective épurée. Le rideau à l’avant-scène la découvre, la voile au besoin pour un jeu ou un changement de scène : l’un ou l’autre cube glisse et quelquefois un ou plusieurs crânes s’imposent en volumineux obstacles aux trajectoires des personnages (en avertissement aussi). Cette économie visuelle focalise la tragédie sur les corps. Vêtus de robes de clergyman noires, ils surgissent des travées du décor en un énergique ballet de va-et-vient, tendus et affairés tels des businessmen surbookés. Ils se croisent beaucoup, s’accrochent quelquefois impulsant un pas de deux, de trois… La découverte vers la forêt amplifie la chorégraphie en appogiatures baroques ritualisées et mortifères : les enterrements, les duels. L’espace devient le lieu d’une mécanique de la mort qui s’éploie en majesté selon l’ensorcelante partition visuelle et sonore (musiques finement choisies !) élaborée par le metteur en scène.

De ces marionnettes jouets de leurs ambitions et/ou de leurs désirs, se détache l’Hamlet envoûté de Loïc Corbery (le seul à être en pantalon). Un être en suspension dans cet univers en apparence si net et qui semble savoir où il va (ce que proclament les corps et les discours). Lui doute, est désuni entre la vengeance réclamée par l’ombre de son père, son amour ambigu pour Ophélie, les complots de cour… Tour à tour distant, complice, emporté ou se confiant au public, il promène son intériorité tourmentée dans ce monde d’intrigants et déploie avec une palette fine, délicate et virtuose une incarnation fascinante et d’une rare subtilité.

Avec sa robe carmin, Ophélie hante Elseneur comme une blessure. Elle aussi vacille mais pas du même côté qu’Hamlet et, incapables de se trouver, ils seront dévorés par la machine de mort.
En contrepoint d’Hamlet, Jean-Claude Luçon en figure harassée d’imprécateur d’outre-tombe ne cesse de réactiver la malédiction… jusqu’à en contaminer son propre fils.

L’arrière-fond de guerre se limite aux drapeaux noirs et rouges brandis comme lors des préludes de bataille chez Kurosawa (Kagemusha, Ran), ils resurgiront dans Hamlet-Machine notamment durant lesmanifestations. Quatre rôles masculins sont distribués à des femmes et l’ensemble de la troupe – professionnels, amateurs confondus – affiche une belle unité et un ardent engagement jusqu’aux saluts.

scherzo

Et justement les saluts d’Hamlet ouvrent la pièce de 1977 installant Shakespeare en vaste prologue de celle d’Heiner Müller.
À l’avant-scène, Simon Deletang se fait conteur, dit son admiration, invoque la filiation d’Artaud – son Théâtre et la peste –, commente l’enregistrement historique du texte allemand avec la voix de l’auteur (entre autres) qui sera diffusé.
Derrière lui, les machinistes complètent à vue le décor. Un panneau doré sur deux des cubes, des chaises pour tout le monde : la petite bourgeoisie a pris le pouvoir et ne transige pas avec son confort. Régulièrement les cubes obstruent la perspective, cassent l’espace auparavant si ordonnancé et, en quatre siècles, les crânes ont perdu leurs dents…

Entrent les personnages, ils se sont individualisés – jeans, chemises ou sweats, tenues de sport… Mais leur diversité est laminée : chez Heiner Müller, le collectif remplace les individualités et la parole circule librement entre des actants interchangeables. Hamlet y proclame même son indifférence au rôle (en écho à ses choix d’interprétation dans le Shakespeare). Dans la mise en scène de Bussang, il libère même Ophélie de ses bandages vers la fin. D’ailleurs le dramaturge ne s’embarrasse guère des conflits de la tragédie, il règle plutôt ses comptes avec l’Europe, la modernité, l’oppression, l’injustice, le pouvoir…

La mort n’est plus nette et tranchante comme un uppercut, elle est plus sournoise, plus diluée (cancer du sein, Ophélie finit en fauteuil roulant…). Refoulée ?
Mais conjurer la barbarie reste toujours extraordinairement difficile. On s’y essaye par la révolution ou par l’étourdissement : le glamour avec ce slow final sous une boule disco… en forme de crâne. Car la barbarie perdure sous une autre forme : Fernsehn Der tägliche Ekel Ekel (Télévision L’abomination quotidienne Abomination) ou Heil Coca-Cola (Tableau 4), etc. Règne désormais « ce pouvoir surexposé du vide et de l’indifférence transformés en marchandise » comme le suggère Didi-Huberman [1].
En regard… l’abyssal désarroi face au néant, celui d’Hamlet, celui de Shakespeare. Le nôtre ?

représentations du jeudi 18 août 2022

Par Luc Maechel

Théâtre du Peuple — Maurice Pottecher
88540 Bussang
Tél. : 03 29 61 62 47
www.theatredupeuple.com
du jeudi au dimanche jusqu’au 3.09.2022
(respectivement 3h30 avec l’entracte & 1h15)


[1] Survivance des lucioles (2008)

Ils nous ont oubliés  » La Plâtrière « 

C’est un de ses premiers écrits mais sa plume acerbe est déjà à l’œuvre dans ce texte de Thomas Bernhard publié en 1970 que Séverine Chavrier adapte après avoir travaillé sur d’autres textes de cet auteur, entre autres « Déjeuner chez Wittgenstein » adapté en 2016 sous le titre « Nous sommes repus mais pas repentis ».

Dans ce roman, « La Plâtrière » Thomas Bernhard raconte l’histoire sordide d’un couple qui se solde par ce que l’on nomme aujourd’hui « un féminicide » suivi du suicide du mari.

Quand la représentation commence on assiste à la découverte des cadavres par des vagabonds étranges personnages masqués qui boivent le vin trouvé dans la cave tout en se plaignant de l’odeur pestilentielle, bientôt décidés à prévenir la police et à quitter les lieux pour ne pas être accusés.

Suite à cette scène assez grotesque, on va revenir sur l’histoire désolante des dernières années de ce couple.

Lui, Konrad, est en mal de son grand œuvre un traité sur l’ouïe qui rassemblerait ses observations, ses hypothèses, ses recherches, un véritable travail scientifique qui se veut unique mais dont il n’a pas encore écrit la première ligne.

Et pour cause, ne doit-il s’occuper de son épouse invalide, d’une extrême exigence qui le traite comme un valet à son service.

Pourtant, le couple a fait l’acquisition d’une ancienne fabrique, une plâtrière, isolée dans la forêt, l’endroit calme propice au travail intellectuel auquel veut s’adonner Konrad. Mais il arrive que des curieux viennent à passer ou des ouvriers pour quelques travaux indispensables, sans oublier les chasseurs qui se déploient parfois très près de la maison et font retentir leurs coups de fusil. Autant dire que tout cela est perturbant et empêche Konrad de se mettre à l’ouvrage. Alors, déçu, il soupire s’énerve et remet à plus tard, dans l’attente du moment favorable qui, bien sûr ne se présente qu’avec une perturbation à la clé. Tout cela ne peut aboutir qu’à une catastrophe. Elle arrive le soir de Noël quand Konrad tue sa femme et se donne la mort.

C’est le traitement de cette histoire qui se révèle original et intrigant dans cette mise en scène de Séverine Chavrier. Elle y convoque une scénographie pertinente qui rend compte de l’isolement de la maison en dressant, côté cour, quelques sapins squelettiques à proximité desquels s’élève une sorte de mirador pour guetter les possibles intrus.

Quant à l’intérieur, il nous sera révélé par des prises de vue, filmées par vidéo et projetées sur les trois écrans prévus à cet effet. Nous découvrons ainsi les lieux de chacun, la chambre de madame Konrad encombrée d’objets divers dont plusieurs statuettes de la vierge Marie, son énorme fauteuil roulant qu’elle ne quitte que rarement et ses innombrables paquets de cigarettes dans lesquels elle ne cesse de puiser. Autre lieu, tout autant en désordre le « bureau » de Konrad, au sous- sol où s’accumulent les papiers censés représentés les notes prises pour sa thèse et qui ne font que souligner son incapacité à clarifier ses idées.

C’est là, dans ce lieu insalubre que visitent inopinément les pigeons ou les corneilles (dressage des oiseaux, Tristan Plot) que vont et viennent les personnages, elle, le houspillant sans cesse, pour avoir son repas, lui, accourant, mécontent de ne pouvoir « travailler » mais la persécutant par d’absurdes exercices de langage. Leur comportement obsessionnel, répétitif finit par les rendre comiques.

Les comédiens s’impliquent avec conviction dans ces rôles de composition. Laurent Papot joue à merveille le looser toujours agité qui s’attendrit sur lui-même au point de le rendre touchant et Marijke Pinoy sait se montrer intransigeante, dominatrice et nostalgique d’un passé aisé et heureux. Le personnage de l’aide-soignante inventé par Séverine Chavrier et interprété par Camille Voglaire , fait ressortir par le bon sens dont elle est habitée, par son inquiétude aussi la « folie »  de ses employeurs, le grotesque des situations dans lesquelles ils se complaisent.

De plus la mise en scène joue sur un paradoxe celui du son, ici traité en live et avec maestria par le percussionniste Florian Satche qui n’hésite pas à pousser son jeu jusqu’à la saturation alors que l’on a appris combien il importune Konrad qui ne peut créer que dans le silence alors que toutes ses prétentions de recherche concernent l’ouïe.

Pièce visuelle et musicale, surprenante par la richesse des images et un intrépide langage sonore qui rend compte à sa manière de la complexité de l’œuvre de Thomas Bernhard qui sait habilement glisser l’humour dans le sordide.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 3 juin au TNS

Jusqu’au 11 juin

Saison 2022-2O23 du TNS

Moment toujours très attendu, celui qui nous annonce la future saison. Stanislas Nordey nous l’a détaillée, avec son enthousiasme habituel, lui qui, après l’avoir concoctée, va quitter cette maison, arrivé au bout de ces deux mandats. Le ministère n’ayant encore nommé personne pour le remplacer, il sera encore présent lors de la rentrée et jusqu’au 31 décembre .

Au programme dix-huit pièces dont plusieurs créations et une parité bien respectée.

Afin de souligner le lien très fort, vital entre l’école et le TNS la programmation commencera et se terminera par une pièce d’élèves.

Fin septembre « Donnez-moi une raison de vous croire » sera le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 46 de l’Ecole du TNS sorti en juin 2022.Le texte et la dramaturgie sont signés Marion Stenton de la section Dramaturgie, la mise en scène, Martin Bauer et Sylvain Cartigny, deux musiciens fondateurs de la Cie Sentimental Bourreau. La musique a un rôle important dans cette pièce qui, d’ailleurs, fait partie du programme du Festival Musica. La pièce qui s’inspire de « L’Amérique » de Franz Kafka, évoque les problèmes rencontrés par ceux qui ont été évincés du rêve américain par une absurde bureaucratie.

Et puis, la dernière pièce de la saison « L’Esthétique de la résistance » de l’écrivain allemand Peter Weiss (1937-1982) constituera le spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 47 de l’Ecole du TNS. La mise en scène est du très connu Sylvain Creuzevault qui a présenté cette dernière saison « Les frères Karamazov ».  Il s’agit d’un grand texte initiatique sur la jeunesse allemande anti fasciste des années 1937-1945 qui s’éveille au monde et à la résistance grâce à l’art.

De plus en début de saison le public se verra offert gratuitement la possibilité d’assister à une pièce écrite par Sonia Chiambretto « La Taïga court » dont le texte a été augmenté à la demande de Stanislas Nordey afin d’en monter quatre mises en scène différentes confiées à quatre metteurs en scène de Groupes 46 et 47, le thème étant le dérèglement climatique.

D’autre part, le TNS ayant la particularité d’avoir des auteur-rices associés ceux- ci signeront quelques- unes de leur production. Il en sera ainsi avec :

Falk Richter qui a écrit et mis en scène « The Silence » un texte très autobiographique sur le silence observé dans certaines familles à propos de sujets considérés comme tabous. Un texte, nous dit Stanislas Nordey,à la fois poétique et politique.

Marie Ndiaye, qui, après plusieurs reports dus à la Covid, peut enfin nous présenter « Berlin mon garçon », l’histoire d’une mère à la recherche de son fils, pièce initiée par Stanislas Nordey et interprétée par d’excellents comédiens. (Hélène Alexandridis, Claude Duparfait, Annie Mercier, Mélody Pini,  la pièce  Mihran, Laurent Sauvage).

Elle présente aussi « Un pas de chat sauvage » mise en scène de Blandine Savetier, artiste associée au TNS, une pièce pour un duo de femmes avec Natalie Dessay et Nancy Nkusi qui raconte la rencontre entre une universitaire blanche et une artiste noire.

Claudine Galea propose « Un sentiment de vie », un texte inspiré par son expérience montrant comment de grands événements comme les guerres viennent interférer dans la vie familiale selon les opinions des uns et des autres sur ces conflits. Une grande comédienne, Valérie Dréville, artiste associée au TNS en sera l’interprète dans la mise en scène d’Emilie Charriot, elle-même devenue célèbre avec la création de « King Kong Théorie » de Virginie Despentes en 2014.

Pascal Rambert qui a présenté plusieurs pièces au TNS, la dernière étant « Mont Vérité » avec le groupe 44 de l’Ecole, (spectacle d’entrée dans la vie professionnelle) répond avec « Mon absente » à une commande de Stanislas Nordey. A propos de la disparition d’une personne aimée, cinq comédiennes et cinq comédiens sont rassemblés la faisant en quelque sorte revivre par les souvenirs évoqués. Cette pièce chorale est un hommage à la mère de Stanislas Nordey , Véronique Nordey  qui fut actrice associée au TNS.

Lors de cette saison, nous allons retrouver quelques grands noms de la mise en scène comme Anne Théron, artiste associée au TNS qui s’attaque à une « Iphigénie » d’Euripide réécrite par Tiago Rodigues, le futur directeur du Festival d’Avignon dont nous avons vu  récemment une de ses pièces « Dans la mesure de l’impossible » au Maillon.

Marie-Christine Soma qui a présenté ici « La pomme dans le noir » en 2018 met en scène « La septième » du philosophe et écrivain Tristan Garcia qui raconte comment un narrateur se remémore ces différentes vies passées.

Marguerite Bordat et Pierre Meunier que nous connaissons bien grâce aux spectacles toujours originaux qu’ils savent concevoir et interpréter arrivent avec « Bachelard Quartet rêverie sur les éléments » à partir de l’œuvre de Gaston Bachelard le titre est assez explicite pour qu’on comprenne qu’il s’agit d’un regard émerveillé sur la nature, un spectacle poétique qui, sans aucun doute saura nous embarquer. Il est présenté avec le TJP.

Le Théâtre du Radeau nous revient avec « par autan », du nom de ce vent que les gens du sud-ouest disent qu’il peut rendre fou, excellent prétexte pour le metteur en scène François Tanguy et ses comédiens de proposer du jeu, des sensations, de la musique fussent-ils hétéroclites aux yeux de certains… 

Retour de Stéphane Braunschweig dans ce lieu qu’il a dirigé de 2000 à 2008 avec la très belle mise en scène de « Comme tu me veux » de Luigi Pirandello, un auteur dont il a monté plusieurs pièces dont l’inoubliable « Vêtir ceux qui sont nus » en 2006. C’est une pièce magnifique sur la disparition et l’éventuelle réapparition d’un être qui n’est peut-être pas celui que l’on espérait retrouver.

Sur ce même thème, nous pourrons voir une pièce écrite par Laurent Mauvignier « Tout mon amour » qui est l’histoire d’une famille qui croit voir réapparaître leur fille disparue dix ans auparavant, Anne Brochet y tient remarquablement le rôle de la mère.

C’est aussi une metteure en scène qui nous a bouleversés, Caroline Guiela Nguyen avec « Saïgon » en 2018 qui revient pour un spectacle de sa Cie « Les Hommes Approximatifs » auxquels elle adjoint des amateurs parlant différentes langues. Intitulé « Fraternité, Conte fantastique » l’histoire est celle de la disparition d’une partie de l’humanité lors d’une éclipse et de comment remédier à la douleur des survivants.

Rencontre par delà la mort dans « Grand Palais ». L’écriture à quatre mains de Julien Gaillard et Frédéric Vossier fait dialoguer le peintre Francis Bacon et son amant et modèle George Dyer qui  vient de se suicider juste avant l’exposition  au grand Palais. Une mise en scène de Pascal Kirsch avec d’excellents comédiens.

 Autres spectacles qui mettent en valeur les écritures contemporaines : « Ilôts » de Sonia Chiambretto et  Yoann Thommerel. Il s’agit d’un théâtre documentaire issu du Groupe d’information sur les ghettos ,à propos des personnes qui pour diverses raisons se sentent marginalisées.

Pièce d’anticipation aussi, « Nostalgie 2175 » écrite par l’autrice allemande Anja Hilling, mise en scène par Anne Monfort montre la capacité de survie des êtres humains après une catastrophe écologique.

Et puis « Odile et l’eau »,un spectacle singulier de et avec Anne Brochet qui évoque l’expérience d’une femme seule qui se rend régulièrement à la piscine et veut en rendre compte.

C’est donc une programmation riche, diverse et prometteuse qui est ainsi réservée au public qui, l’espère vivement l’équipe du TNS continuera, comme il a repris à le faire à revenir nombreux au Théâtre.

La présentation de la saison en présence des artistes aura lieu
le 20 juin à 20h.

Pour la troisième année consécutive un programme estival itinérant se déroulera au mois de juillet avec 45 artistes et 115 événements gratuits. C’est « La  traversée de l’été » une manière ludique  de faire découvrir le théâtre au plus grand nombre .

Marie-Françoise Grislin

Conférence de presse  du 30 mai au TNS

Aucune idée

Conception et mise en scène Christoph Marthaler

Le comique est un genre qui se décline de diverses façons. Les deux acolytes recrutés par Christoph Marthaler, Graham F. Valentine et Martin Zeller, le pratiquent d’une manière originale et astucieuse par une gestuelle, un langage particulier où se mêlent parfois chants et borborygmes . Tous deux collaborent depuis de longues années avec le metteur en scène.

Sur le plateau la  scénographie  de Duri Bischoff offre un décor sobre, constitué d’une petite antichambre vide avec un radiateur et une chaise, un couloir ou une sorte de cour sur laquelle donnent des portes, closes dans un premier temps mais qui seront ouvertes ou fermées au gré des passages nombreux et intempestifs des habitants de ces lieux.

Le premier personnage, ici interprété par Martin Zeller, s’installe dans l’antichambre avec son violoncelle et répète une partition guidé par un enregistrement jusqu’au moment où il perçoit des bruits bizarres venus des conduites qui arrivent au radiateur. En essayant d’y remédier il déclenche un jet d’eau qui, bien sûr, le surprend.

Simultanément, son voisin, Graham Valentine  surgit dans la cour et s’évertue en manipulant un énorme trousseau de clés de trouver celle qui lui permettrait d’ouvrir sa boîte aux lettres. Le trousseau ne cesse de lui échapper des mains. Avec constance il le ramasse, le même petit jeu recommence avec mines de circonstance de l’intéressé. Bel exemple de comique de répétition.

On enchaîne avec une scène ubuesque qui nous montre le comédien, très digne frappant à une porte pour expliquer au locataire qui vient lui ouvrir qu’il est là pour le cambrioler en tout bien tout honneur puisqu’il fait métier de cambrioleur et que cela doit s’effectuer sans heurt ni violence, le consentement du cambriolé étant requis. Ce dernier en rajoute proposant même de déménager pour faciliter la tâche du cambrioleur qui se dit épuisé de devoir monter les escaliers. Très professionnel, il explique à sa « victime » qu’il a relevé son nom sur une liste où il est mentionné comme possédant une somme importante ce qui se révélant faux le décourage, il s’esquive mais revient à deux reprises pour s’assurer qu’on ne l’a pas trompé.  Cette situation paradoxale qui dresse le portrait du gentleman-cambrioleur est des plus jouissives et déclenche le rire dans l’assistance.

Au gré de scènes que l’on peut qualifier d’absurdes le spectacle se poursuit, faisant apparaître puis disparaître ces drôles de voisins aux prises avec des situations inattendues auxquelles il font face  avec une sorte de self-control pour le moins surprenant. La panne électrique vient-elle à se produire régulièrement on la répare sans désemparer. Par contre une lettre contenant des propos injurieux sera mise en mille morceaux que l’on recollera soigneusement avant finalement de la jeter. Durant ces délicates opérations le musicien nous gratifie de ces tentatives d’interprétation de morceaux classiques. ll s’interrompt  de temps à autre pour demander de façon incongrue à son voisin s’il peut  lui donner de la farine et du beurre.

Et puis toujours digne et imperturbable Graham Valentine ayant placé devant lui le radiateur  en guise de pupitre se lance dans un long discours  qu’il ponctue de mouvements d’humeur, le tout dans un idiome fait de sons et de syllabes apparentés à diverses langues connues mais ici  devenant incompréhensibles  et surréalistes.

Ce clin d’œil à ce que nous subissons parfois de la part de ceux qui cherchent à nous convaincre  par leurs interventions lors des meetings ou des reportages télévisés montre que le spectacle n’est pas là que pour nous amuser mais qu’il nous confronte à travers ces descriptions à l’absurdité de notre monde .Quelle plus belle démonstration  de cela que cette scène où le comédien parvenant enfin à ouvrir sa boîte aux lettres se rend compte qu’elle déverse sur lui qui n’en peut mais des dizaines de bibles et des tonnes d’offres publicitaires !

En conclusion, du vide bien rempli et plus d’idées qu’il n’y paraît car ce provocateur qu’a toujours été Christoph Marthaler a su, avec la complicité de ces deux excellents comédiens, nous mener  par le rire à jeter un regard critique sur notre quotidien.

Marie-Françoise Grislin

Représentation du 19 mai au Maillon

Mont Vérité

Texte et mise en scène Pascal Rambert

Chorégraphie Rachid Ouramdane

Spectacle d’entrée dans la vie professionnelle du Groupe 44 de l’Ecole  du TNS , « Mont Vérité » sort en juin 2019 puis se heurte au Covid 19. Ce n’est donc que maintenant qu’il peut être repris et joué ce  qui permet aux jeunes comédiens de se retrouver pour reprendre ces partitions écrites spécialement pour eux par Pascal Rambert.

Les voilà donc, tous les douze sur scène pour 2h35 de spectacle, Océane Caîraty, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Paul Fougère, Romain Gillot, Romain Gneouchev, Elphège Kogombé Yamalé, Estelle Ntsende, Ysanis Padonou, Mélody Pini, Ferdinand Régent-Chappey, Yanis Skouta, Claire Toubin nous offrant le bonheur de leurs retrouvailles et le plaisir manifeste du jeu.

En trois moments, le spectacle permet de les voir évoluer avec l’énergie et la compétence qui les caractérisent.

C’est tout d’abord leur apparition au milieu de la roselière majestueusement dressée sur le plateau qui frappe notre attention.(scénographie Aliénor Durand) Tous vêtus  de toges blanches, ils esquissent une chorégraphie mise en place par Rachid Ouramdane, une danse  fluide et joyeuse, bras levés vers le ciel, se balançant avec grâce et naturel.

Mais le parti pris esthétisant n’est pas le but recherché. Il s’agit plutôt, et on l’apprendra vite, de la quête de soi. Pour cela le support du rêve, largement sollicité lors de la création du texte par l’auteur ; viendra pour chacun d’eux créer l’esquisse d’un chemin. Toutefois si le rêve interfère, il ne peut priver les différents protagonistes d’essayer également de se situer dans le monde.

Alors chacun y va  de son appartenance à cette roselière qui, pour l’un constitue un refuge, pour l’autre la concrétisation d’un rêve, celui d’échapper à un monde trop violent pour lui.. Cependant, dès ce moment de révélation, la prise de conscience de faire parti d’une « communauté » déclenche des problèmes de cohabitation. Sont évoqués des bousculades, des affrontements, on n’ose parler de meurtre mais le sang est évoqué et des peurs se font jour, peurs d’agression  et l’on parle d’avoir entendu des coups de feu ce qui en a traumatisé certains. Peut-on faire vivre les utopies sans  oublier que l’escalade précède la chute, à ce propos revient comme un leitmotiv l’image du grand immeuble blanc  que l’on monte puis que l’on descend.

Et puis voilà que l’un ou l’autre vient témoigner de son parcours. On entend alors parler d’enfance, de jeunesse, d’école, du collège d’où l’on peut se faire exclure pour comportement inapproprié, au grand dam de celui qui risque de subir l’opprobre et la refuse tout net. Claire  parle de ses balades à cheval en Camargue, elle était « la fille qui monte son cheval à cru ». Elphège était préoccupée  par l’utilisation de sa force de travail, un autre évoque la violence qui l’habitait. Dans leurs propos on sent un besoin de révolte mais aussi des tendances à la moralisation.

Dans une ultime partie, quand la roselière aura disparu, après une course folle autour de ce lieu devenu vierge, ils installeront des tables autour desquelles ils viendront discuter d’un projet théâtral. Cela donnera lieu à des disputes, des confrontations, parfois de méchantes réflexions entre ceux qui ont des idées constructives, et les autres les démolissant de la belle manière. Image réaliste de ce groupe qui a sans doute vécu ainsi la recherche et la construction de ce spectacle  qui dit qu’on n’atteint pas sans risques et sans périls le « Mont Vérité », celui où se confrontent les rêves et la réalité.

Un questionnement porté haut et fort, avec beaucoup d’authenticité par ces jeunes qui ont fait le choix pour leur vie de  se mettre au service du théâtre.

Marie-Françoise Grislin

représentation  du 17 mai au TNS  

C’est jusqu’au 25 mai

Dans la mesure de l’impossible

de Tiego Rodrigue

Peut-on faire théâtre de tout ?

La question se pose d’autant que nombre de pièces de théâtre ainsi que des films cherchent à s’engager sur cette voie qui se veut proche de l’enquête, du documentaire afin de servir l’actualité, l’idée étant de la proposer sous une forme artistique pour mieux la faire connaître  et mieux l’analyser. Propositions séduisantes, voire quelque peu racoleuses. Tout étant dans le thème choisi et la manière de faire ouvrage.

La pièce que propose Tiego Rodrigues s’attaque à un sujet qui fait souvent polémique, celui de l’humanitaire. C’est moins le thème de sa nécessité ou de sa complexité que celui des personnes qui s’y adonnent, le justifient et le font prospérer qui est ici abordé.

Le parti pris du spectacle sera donc de suivre quelques-uns de ces « humanitaires », de nous faire découvrir leurs motivations, le parcours de leur engagement, leur confrontation avec les réalités du terrain. Des récits mimés, ponctués de réflexions directement confiées, adressées au public par quatre comédiens Adrien Barazzone, Beatriz Bràs, Baptiste Coustenoble, Natacha Koutchoumov très investis dans leur rôles si bien qu’on les croirait  juste revenus des missions  dont ils nous parlent parfois avec l’émotion qui convient à certaines situations douloureuses que tel ou tel a vécues, parfois avec le recul pris avec le temps et la nécessité éprouvée  pour ne pas succomber au désespoir devant certaines scènes cruelles où l’impuissance à aider était trop flagrante, parfois aussi le désir de tout abandonner et de vivre en paix, chez soi.

Une certaine ambiguïté demeure. Faut-il y aller ? Faut-il y
retourner ? Quels intérêts sert-on sans l’avoir voulu ? On se rend compte au fur et à mesure que ces témoignages se dévoilent que c’est « soi » d’abord que l’on sert, cherchant à accomplir un rêve, à se trouver, en se confrontant à un réel lointain, souvent médiatisé voire idéalisé qu’on souhaite voir de près, toucher du doigt, une mise à l’épreuve, un chemin d’initiation dont on revient souvent désenchanté.

C’est ce panel d’expériences personnelles qui est offert  à notre questionnement dans une scénographie simple, inventive, pertinente, juste composée d’un immense vélum de toile blanche, évocateur de ces tentes occupées par des réfugiés lors des catastrophes ou des guerres qui les jettent hors de chez eux ou parfois celles des humanitaires venus à leur secours, un vélum qui est hissé ou abaissé selon les événements racontés.
(scénographie signée, Laurent Junod, Wendy Tokuoka, Laura Fleury)

Enfin, une part importante revient à l’accompagnement musical. Aux percussions, le batteur Gabriel Ferrandini par son jeu extraordinaire de puissance  nous convie, semble-t-il à entendre le grondement du monde auquel se confrontent les protagonistes de ces aventures, peut-être aussi les tourments qui, bien souvent, les agitent.

Un spectacle qui met en demeure de se poser la question de l’engagement face à un monde de plus en plus en dérive et qui sollicite des réponses. Chacun les fournit à sa manière, pour les uns c’est sur le terrain qu’il faut aller, pour d’autres, ce sera, par le récit et pourquoi pas par une oeuvre d’art ? Picasso l’a prouvé avec « Guernica ».

Marie-Françoise Grislin

représentation du 5 mai au Maillon

Giselle…

Mise en scène François Gremaud

Sans aucun doute le meilleur spectacle vu en cette saison.

Avec un talent extraordinaire, une danseuse- comédienne nous fait voir  ce que l’on ne voit pas vraiment et qui suscite notre totale adhésion. C’est réel et c’est magique, drôle , enthousiasmant. Et cela s’appelle « Gisèle trois petits points ». Ceux qui ouvrent le champ de l’interprétation.


François Gremaud fondateur avec Michaël Monney de la 2b company  à Lausanne fait découvrir à sa façon bien particulière les grandes figures féminines inspiratrices des arts de la scène, après Phèdre de Racine et avant Carmen, il nous présente Giselle, l’icône du ballet romantique.

Il s’agit d’une sorte de conférence ayant pour but de nous conter l’histoire de ce ballet et de nous en faire vivre quelques passages. Il en a confié le rôle à Samantha van Wissen, une danseuse de la Cie Rosas dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker. Elle fait office ici de comédienne-danseuse.

La voici devant nous, en pantalon noir, tee-shirt et baskets blanches, simple et naturelle, nous révélant son identité et sa double mission, celle d’être  simultanément l’interprète principale de cette comédie-ballet actuelle intitulée Gisèle…(trois petits points) et d’endosser par glissements simultanés les rôles des protagonistes de la célèbre comédie-ballet « Gisèle ». Elle nous en fait pénétrer les arcanes en jouant l’historienne qui nous livre la date de sa création le 28 juin 1841 à l’Académie royale de musique, précisant que le livret était signé Théophile Gautier et Jules -Henri Vernoy de Saint-Georges sur une musique d’Adolphe Adam. Elle ne manque pas de nous rappeler l’origine du ballet, l’importance de Molière dans l’usage qu’il en fit dans son théâtre, comment dans le ballet « La sylphide », en 1832 la danseuse Marie Taglioni introduisit « les pointes » et le « tutu », comment sa grâce et sa légèreté bouleversèrent Théophile Gautier qui, amoureux d’une danseuse écrivit « Giselle ». Après avoir jeté un clin d’oeil interrogatif vers le public pour savoir s’il se rappelle ce qu’est le romantisme, mouvement auquel se rattache l’auteur, elle en souligne les grandes lignes: amour du beau, de la nature et célébration de l’amour.

Après cette longue introduction, Samantha va nous entraîner dans l’oeuvre elle-même. Accompagnée par quatre musiciens :  à la harpe,Valerio Lisci ; au violon,Anastasia Lindeberg ; à la flûte Hélène Macherel ; au saxophone, Sara Zazo Romero qui interprètent la musique composée par Luca Antignani d’après Adolphe Adam, elle se fait conteuse  mime, et danseuse, nous décrivant la scénographie, les entrées et sorties des personnages, et ce, avec un tel talent et une telle précision que nous suivons les amoureux de Giselle, Hilarion, le garde-champêtre, puis Loys, avançant d’un pas décidé vers sa maison et guettant sa sortie. Les ayant imités avec application, Samantha en vient à l’apparition de Gisèle, décrite comme une jolie et délicate jeune fille et l’incarnant sans hésitation, elle esquisse avec grâce et légèreté les pas de danse qui s’imposent, s’interrompant bientôt pour nous inviter à suivre le rituel des applaudissements qui suivent traditionnellement l’entrée de la ballerine. Nous nous y conformons avec empressement.

Ainsi va se dérouler le spectacle. La rencontre amoureuse entre Gisèle et Loys, leur danse accompagnée de celle des vigneronnes, la crainte de la mère pour le coeur fragile de sa fille, les rivalités, la jalousie, la folie et la mort de Gisèle. Tout devient prétexte à faire pantomime, à livrer des explications, à citer les grandes interprètes qui ont tenu, le rôle,  à commenter les actions et à réaliser les pas de danse appropriés ce que Samantha, en grande experte nous montre et nous décrit avec générosité. Ses extraordinaires capacités à réussir tout cela, avec une ardeur, une malice, une joie non dissimulées nous surprennent et nous ravissent à chaque instant. La distanciation dont elle fait preuve nous plonge à maintes reprises dans l’hilarité.

Dans le deuxième acte qui se déroule de nuit, dans la forêt, au pays des Wilis, ces jeunes filles, mortes avant leur mariage et dont Gisèle fait maintenant partie, Samantha devra nous fera vivre quelques superbes soli dont celui de Myrha, la reine des Wilis, de Gisèle, sortie de son tombeau qui exprime encore son amour pour Albrecht (Loys), de celui-ci, désespéré de l’avoir perdue et le superbe  solo qui les réunit une dernière fois. De plus, Samantha réussira à nous fera  imaginer, les Wilis vêtues de blanc, 16 de chaque côté du plateau s’entrecroisant avec la virtuosité propre à cette scène emblématique du ballet, révélant une fois de plus la magie de son talent.

Elle nous décrira  la disparition de Gisèle au pays des morts quand se lève le soleil qui fait disparaître les Wilis et montre Albrecht couché sur la tombe de Gisèle.

Samantha redevient l’interprète de la pièce « Gisèle, trois petits points » et nous en distribue le livret pendant que le public  subjugué par sa remarquable et jubilatoire prestation l’ovationne.

Seul le spectacle vivant nous procure autant de bonheur.

Marie-Françoise Grislin

représentation du 28 avril au Maillon

Dans le miroir de Dieu

Le festival Beethoven de Varsovie a été, une nouvelle fois, éblouissant

Un festival comme un miroir. Celui dans lequel les reflets des génies passés ou présents se reflètent. Le festival Beethoven qu’Elzbieta Penderecka consacre depuis plus d’un quart de siècle s’attache à permettre à ce miroir de contempler l’étendue des talents et l’excellence de la musique proposée. A travers le temps et les générations.


Cette année, pour sa vingt-sixième édition, le festival a notamment choisi le reflet du plus grand séducteur de la musique classique : Don Giovanni. Le public crut y voir Mozart mais découvrit celui de Giuseppe Gazzaniga, contemporain napolitain d’Amadeus et queue de comète de l’opéra-bouffe. Lors de la version concertante donnée à l’occasion du festival, les amoureux du génie de Salzbourg ont ainsi apprécié ce rythme soutenu, très vivifiant de Gazzaniga et magnifiquement porté par un continuo de haute tenue et par cet humour parfaitement restitué que Mozart entendit certainement et dont il s’inspira pour son célèbre opéra. Le mérite en revint assurément au casting parfaitement réussi de chanteurs qui allia lumières notamment avec les sopranos Natalia Rubis et Anna Bernacka et ténèbres incarnées par un Wojtek Gierlach en Commendatore, certes moins vindicatif car libéré de l’écrasante influence de Leopold Mozart, mais tout aussi brillant. Et la direction inspirée de Lukasz Borowicz à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Poznan, phalange désormais habituée au festival a enfin rendu justice à Giuseppe Gazzaniga.

copyright Bruno Fidrych

De Mozart, il en a été évidemment question le lendemain avec un 20e concerto de toute beauté, délivré par un Juan Perez Floristan, récent vainqueur du concours Arthur Rubinstein 2021 et futur grand nom de l’instrument roi, qui revenait au festival. « Ici, je sens que le public a soif de rencontrer de nouveaux artistes. Et puis, j’ai tout de suite senti la volonté de Madame Penderecka et du festival de promouvoir de jeunes talents » affirme ce dernier. Il y a assurément du regretté Radu Lupu dans ce pianiste, et le voir caresser ces arpèges tel un chat se promenant, sans violence, sur ce clavier avait quelque chose de rassurant, d’apaisant à l’heure où les démonstrations de force servent de références. Ici, le chat sévillan arpentait les rues d’une Jérusalem sonore portée par l’orchestre de chambre de la ville, toujours dirigé de main de maître par son chef, Avner Biron, et dont les équilibres sonores sonnent toujours aussi justes.

Quelques instants plus tôt, le chef se fit poète – quoi de plus normal lorsqu’on s’appelle Biron – pour délivrer une émouvante chaconne in memoriam Giovanni Paolo II de Krzysztof Penderecki et tirée de son Requiem Polonais. Dans cette mélodie en forme de barque musicale voguant sur ce fleuve de contrebasses et de violoncelles d’un génie ayant rejoint son créateur, il y eut comme un souffle, celui d’une figure tutélaire de la musique polonaise, adressé à la jeune génération à venir. « N’ayez pas peur, entrez dans l’espérance » aurait pu ainsi dire ce compositeur et ce festival qui se veut aussi le trait d’union entre époques musicales et interprètes. Toute sa vie, à travers son œuvre et ses actions, Krzysztof Penderecki a lui-même tendu le miroir de Dieu après l’avoir contemplé. Aujourd’hui, il a rejoint Mozart, Jean-Paul II et Beethoven avec qui il converse.

Il fallait donc bien un Biron pour entrer avec autant de poésie dans la quatrième symphonie de Beethoven. Parfaitement interprétée, pleine d’une énergie contenue pour éviter de verser dans une 3e ou 5e qui n’était pas l’objectif du compositeur, Avner Biron et l’Israël Camerata Jerusalem furent fidèles à l’esprit du compositeur avec des musiciens au sommet de leur art et plus particulièrement des percussions fascinantes. Restait à la coda de nous emporter dans un sentiment d’allégresse, et conclure ainsi en apothéose ce festival qu’on a déjà hâte de retrouver l’an prochain.

Par Laurent Pfaadt

Retrouvez toutes les informations sur le Beethoven Warsaw Festival : http://beethoven.org.pl/festiwal/en/

« La Pologne est l’un des grands pays européens en matière de culture »

Rencontre avec Cornelia Much

Cornelia Much est la directrice artistique du festival Beethoven de Varsovie. Pour Hebdoscope, elle revient sur cette manifestation incontournable en matière de musique classique.


Comment est né ce festival Beethoven ?

Ce festival a été créé il y a vingt-six ans, à Cracovie, lorsque cette dernière fut capitale européenne de la culture. Puis, à l’invitation de Lech Kaczyński qui était alors maire de Varsovie, nous avons déplacé le festival dans la capitale qui disposait d’un rayonnement important. Ainsi, nous avons, avec Madame Penderecka et son équipe, conçu ce festival autour de trois piliers : les concerts bien évidemment mais également une exposition de manuscrits originaux à Cracovie et un symposium autour d’une thématique particulière qui regroupe des spécialistes venus de plusieurs pays.

Votre festival effectue également le trait d’union avec la musique contemporaine polonaise à travers quelques grands compositeurs, Penderecki bien évidemment mais également Lutoslawski ou Szymanowski.

Oui, bien évidemment, nous souhaitons promouvoir la musique classique polonaise mais également des artistes, des compositeurs et des solistes polonais auprès de notre public international. La Pologne est l’un des grands pays européens en matière de culture. Donc il est important pour nous de mettre en avant ce patrimoine musical à travers l’ensemble du répertoire avec Chopin, Szymanowski mais également des compositeurs baroques peu connus.

D’ailleurs, le festival n’hésite pas à programmer des compositeurs moins connus du public

Vous avez raison et c’est l’une des missions que le festival s’est assigné. D’ailleurs, nous couplons cela en général avec un enregistrement. Pour les opéras, nous essayons d’avoir un casting polonais et nous avons développé tout au long de ces années, un partenariat de longue date avec l’Orchestre Philharmonique de Poznan.

Et le rayonnement du festival dépasse les frontières de Varsovie…

Tout à fait, il s’étend à l’ensemble du territoire polonais. Ainsi, nous organisons pour les jeunes artistes comme par exemple cette année avec Juan Perez Floristan, des tournées dans plusieurs villes comme à Lodz ou Lublin afin qu’ils multiplient les concerts. Cette dimension est fondamentale pour Elzbieta Penderecka. Nous développons des liens internationaux forts entre de jeunes talents et de grands maîtres.

Parlez-nous également de ces manuscrits que vous exposez…

Oui, cela renvoie à l’histoire de la musique mais également à l’histoire de la Pologne puisqu’un certain nombre de manuscrits sont arrivés en Pologne pendant la Seconde guerre mondiale, notamment à la librairie Jagellon pour être conservés. Après la guerre, ils sont restés ici, en Pologne. Grâce à Madame Penderecka, chaque année, nous exposons au public des manuscrits liés à la thématique abordée par le festival. Cette année, nous avons ainsi montré les 7e symphonies de Beethoven et de Penderecki ou le manuscrit intégral des Noces de Figaro de Mozart. Quand vous voyez les esquisses de quatuors de Beethoven qui sont complètement raturés ou, à l’inverse, ceux parfaitement vierges d’Haydn, on ne peut qu’être ému car non seulement on touche à la création originelle mais on entre également dans la psychologie du créateur. C’est absolument fascinant. A travers toutes ces dimensions qui sont complémentaires, le festival est ainsi riche en émotions.

Quelques mots sur la prochaine édition ?

Elle réservera de nouvelles émotions à nos spectateurs. Car avec « Beethoven entre Est et Ouest » pour thème principal, je vous laisse un peu imaginer l’horizon musical qui s’offre à nous !

Par Laurent Pfaadt

DAS RHEINGOLD

Yannik Nézet-Séguin

RICHARD WAGNER, Rotterdam Philharmonie und Solisten

Eine Opernaufführung konzertant und gerade Wagners « Rheingold »dessen Libretto so dramatisch gestaltet ist wie keines Andere im « Ring des Nibelungen »konnte schon als eine Herausforderung gelten. Desto verblüffter war man am Ende der Vorstellung: man hat hier, richtiges Theater erlebt, ohne Kulissen, ohne Kostüme, aber mit    Sängern die ihre Rollen nicht nur sangen aber erlebten, und wahres Musiktheater schufen.

Schon die drei Rheintöchter verkörperten ihre Rollen ideal, mal anmutig, mal schnippisch. Die Stimmen vereinen sich in einen wahren Hörgenuss.

Woglinde wird von Erika Baikoff mit strahlender Höhe gesungen. Ihr ebenbürtig, Iris van Vijnen als Wellgunde und Maria Barakova als Flosshilde, mit schönen Mezzotönen.

Samuel Youn überzeugt als Alberich und spielt wie auf der Bühne. Aber mit seiner expressionistischen Auffassung der Rolle, strapaziert er seine schöne Baritonstimme die in dem Fluch des vierten Bildes bricht, wenn auch zugunsten der Dramatik.

Die wunderschön timbrierte, pastöse Stimme von Michael Wolle scheint für die Rolle des Göttervaters Wotan wie geschaffen und wird jeder Nuance der Partitur gerecht. 

Jamie Barton, mit schöner, ein wenig ungleicher Stimme, verleiht Fricka Autorität, lässt aber schon die Eifersucht erspüren.

Issachah Savage, ist eine Luxusbesetzung für Froh. Man möchte die wunderbare Tenorstimme des Künstlers in einer wichtigeren Rolle wieder hören.

Thomas Lehman singt einen strahlenden Donner mit beinahe Liedhafter Schönheit.

Stephen Milling ist ein Fasolt der Weltklasse. Mit wunderschönem Bass und sanftem Legato, gelingt es ihm ein beinahe sympatische Vision des Riesen zu gestalten, der wirklich in Freia verliebt ist.

Nicht auf selbem Niveau, Mikhail Petrenko als Fafner.

Freia wird von Christiane Karg mit jugendlichem Sopran verkörpert.

Thomas Ebenstein singt einen überzeugenden Mime, ohne je ins Kitschige zu entgleisen.

Die Urmutter Erda, wird von Wiebke Lemkuhl mit ihrer wunderbar timbrierten Altstimme gesungen.

Der Höhepunkt des Abends war jedoch die Leistung von Yannick Nézet-Séguin mit den fabelhaft spielenden Musiker des Rotterdam Philharmonic Orchestras, das zu den Besten Europas gelten kann.

Von den geheimnivollen Klänge des Vorspiels bis zum triumphalen Einzug der Götter in Walhall, spannt er einen Bogen der das ganze Werk durchzieht. Fabelhaft wie er die Einsätze den Sängern gibt und wie seine klare Gestik das Orchester beinahe verzaubert.

Die spontane « Ständing Ovation » des Publikums konnte als einen  Dank für den Dirigenten, die Solisten und das Orchester gelten.

Könnte man auf eine Walküre oder auf einen ganzen Ring hoffen ?

Jean-Claude HURSTEL