Giselle…

Mise en scène François Gremaud

Sans aucun doute le meilleur spectacle vu en cette saison.

Avec un talent extraordinaire, une danseuse- comédienne nous fait voir  ce que l’on ne voit pas vraiment et qui suscite notre totale adhésion. C’est réel et c’est magique, drôle , enthousiasmant. Et cela s’appelle « Gisèle trois petits points ». Ceux qui ouvrent le champ de l’interprétation.


François Gremaud fondateur avec Michaël Monney de la 2b company  à Lausanne fait découvrir à sa façon bien particulière les grandes figures féminines inspiratrices des arts de la scène, après Phèdre de Racine et avant Carmen, il nous présente Giselle, l’icône du ballet romantique.

Il s’agit d’une sorte de conférence ayant pour but de nous conter l’histoire de ce ballet et de nous en faire vivre quelques passages. Il en a confié le rôle à Samantha van Wissen, une danseuse de la Cie Rosas dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker. Elle fait office ici de comédienne-danseuse.

La voici devant nous, en pantalon noir, tee-shirt et baskets blanches, simple et naturelle, nous révélant son identité et sa double mission, celle d’être  simultanément l’interprète principale de cette comédie-ballet actuelle intitulée Gisèle…(trois petits points) et d’endosser par glissements simultanés les rôles des protagonistes de la célèbre comédie-ballet « Gisèle ». Elle nous en fait pénétrer les arcanes en jouant l’historienne qui nous livre la date de sa création le 28 juin 1841 à l’Académie royale de musique, précisant que le livret était signé Théophile Gautier et Jules -Henri Vernoy de Saint-Georges sur une musique d’Adolphe Adam. Elle ne manque pas de nous rappeler l’origine du ballet, l’importance de Molière dans l’usage qu’il en fit dans son théâtre, comment dans le ballet « La sylphide », en 1832 la danseuse Marie Taglioni introduisit « les pointes » et le « tutu », comment sa grâce et sa légèreté bouleversèrent Théophile Gautier qui, amoureux d’une danseuse écrivit « Giselle ». Après avoir jeté un clin d’oeil interrogatif vers le public pour savoir s’il se rappelle ce qu’est le romantisme, mouvement auquel se rattache l’auteur, elle en souligne les grandes lignes: amour du beau, de la nature et célébration de l’amour.

Après cette longue introduction, Samantha va nous entraîner dans l’oeuvre elle-même. Accompagnée par quatre musiciens :  à la harpe,Valerio Lisci ; au violon,Anastasia Lindeberg ; à la flûte Hélène Macherel ; au saxophone, Sara Zazo Romero qui interprètent la musique composée par Luca Antignani d’après Adolphe Adam, elle se fait conteuse  mime, et danseuse, nous décrivant la scénographie, les entrées et sorties des personnages, et ce, avec un tel talent et une telle précision que nous suivons les amoureux de Giselle, Hilarion, le garde-champêtre, puis Loys, avançant d’un pas décidé vers sa maison et guettant sa sortie. Les ayant imités avec application, Samantha en vient à l’apparition de Gisèle, décrite comme une jolie et délicate jeune fille et l’incarnant sans hésitation, elle esquisse avec grâce et légèreté les pas de danse qui s’imposent, s’interrompant bientôt pour nous inviter à suivre le rituel des applaudissements qui suivent traditionnellement l’entrée de la ballerine. Nous nous y conformons avec empressement.

Ainsi va se dérouler le spectacle. La rencontre amoureuse entre Gisèle et Loys, leur danse accompagnée de celle des vigneronnes, la crainte de la mère pour le coeur fragile de sa fille, les rivalités, la jalousie, la folie et la mort de Gisèle. Tout devient prétexte à faire pantomime, à livrer des explications, à citer les grandes interprètes qui ont tenu, le rôle,  à commenter les actions et à réaliser les pas de danse appropriés ce que Samantha, en grande experte nous montre et nous décrit avec générosité. Ses extraordinaires capacités à réussir tout cela, avec une ardeur, une malice, une joie non dissimulées nous surprennent et nous ravissent à chaque instant. La distanciation dont elle fait preuve nous plonge à maintes reprises dans l’hilarité.

Dans le deuxième acte qui se déroule de nuit, dans la forêt, au pays des Wilis, ces jeunes filles, mortes avant leur mariage et dont Gisèle fait maintenant partie, Samantha devra nous fera vivre quelques superbes soli dont celui de Myrha, la reine des Wilis, de Gisèle, sortie de son tombeau qui exprime encore son amour pour Albrecht (Loys), de celui-ci, désespéré de l’avoir perdue et le superbe  solo qui les réunit une dernière fois. De plus, Samantha réussira à nous fera  imaginer, les Wilis vêtues de blanc, 16 de chaque côté du plateau s’entrecroisant avec la virtuosité propre à cette scène emblématique du ballet, révélant une fois de plus la magie de son talent.

Elle nous décrira  la disparition de Gisèle au pays des morts quand se lève le soleil qui fait disparaître les Wilis et montre Albrecht couché sur la tombe de Gisèle.

Samantha redevient l’interprète de la pièce « Gisèle, trois petits points » et nous en distribue le livret pendant que le public  subjugué par sa remarquable et jubilatoire prestation l’ovationne.

Seul le spectacle vivant nous procure autant de bonheur.

Marie-Françoise Grislin

représentation du 28 avril au Maillon