Le Tartuffe de Molière

Même pas peur! La Cie L’Apostrophe, après bien d’autres mises en
scène s’est attaqué à  une pièce de Molière, pas des plus simples
mais sûrement une qui peut le mieux résonner en nous en cette
période trouble, « Le Tartuffe ».

C’est qu’il y est  question de vie de famille, d’autorité paternelle,
d’emprise, d’intégrisme et d’argent.

Un mélange sulfureux qu’il ne faut pas traiter à la légère, bien que la
pièce soit une comédie, ni avec la lourdeur des idéologies.

Un défi à relever. La metteuse en scène Noële de Murcia s’y entend
et l’a prouvé à travers les oeuvres qu’elle a proposées à des acteurs
amateurs toujours prêts sous sa conduite exigeante à se coltiner des
textes difficiles et des situations complexes.

Dans ce « Tartuffe », il leur a fallu apprendre  la langue de Molière, se
soumettre au rythme des alexandrins et à leur diction si particulière
qui découpe inexorablement les syllabes pour un nombre de pieds
équitables.

De ce point de vue la réussite fut totale et jamais nous n’avons pu les
prendre en faute.

Mais il ne suffit pas de dire pour jouer Molière il faut aussi entrer
dans la peau des personnages. En cela l’actualité pouvait les y aider
car l’intégrisme religieux dont la personnage du Tartuffe est
l’incarnation même ne sévit pas qu’au temps de Louis XIV mais
semble  aujourd’hui hanter nombre de corporations et de groupes.
Conduit par de stricts préceptes, le Tartuffe n’hésite pas à vouloir les
imposer à tous les membres de cette famille dont il a séduit le père,
un Orgon qui ne voit plus le monde qu’à travers ses yeux, prêt à
briser les fiançailles de sa fille pour le lui faire épouser. Sa propre
mère, Madame Pernelle s’en est aussi entichée. Quant à lui il cache
sa  noirceur sous des airs d’homme pieux, honnête sincère et
généreux. Ainsi réussit-il à tromper son monde et peut-être lui-
même tant les apparences qu’il se donne pourraient convaincre s’il
ne s’opérait quelques farouches résistances en particulier de la part
de Dorine, une servante qui n’a pas la langue dans sa poche, du
suspicieux Damis le fils d’Orgon et du raisonnable Cléante son
beau-frère.

Il s’agit donc pour les comédiens d’endosser ces rôles et de les
rendre clairs et pertinents, quasi pédagogiques car il est nécessaire
de démasquer l’hypocrite. Il faut jouer  la détermination et la ruse
pour le prendre en défaut. Tous s’y sont employés avec conviction et
nous leur avons  reconnu un vrai talent pour animer ces situations
paradoxales qui exigent de jouer la comédie pour faire apparaître la
vérité.

Une grande sobriété dans le décor où quelques panneaux
astucieusement placés et déplacés suffisent à évoquer les lieux des
rencontres, le choix  de costumes contemporains contribuent à nous
introduire au coeur d’une famille en grand danger d’éclater pour
cause d’imposture, ce qui n’est pas si éloigné de ce qui se produit
actuellement chez certains d’entre nous.

Molière nous est toujours utile et proche.

Marie-Françoise Grislin

Perversions kleptocratiques…

Une praticienne de la comptabilité, Eloïse Benhammou, explique
comment le « capitalisme financier, système d’extorsion le mieux
organisé du monde », conduirait notre société à la faillite.
Comment ? 
En « s’accaparant » le pouvoir de création monétaire et
en privatisant « officieusement » l’Etat réduit au « statut » de filiale…

Notre « modèle social et fiscal » serait-il voué à la cessation des
paiements, la France serait-elle déjà en « virtuel état de cessation
de paiement
 »  C’est l’avis d’Eloïse Benhammou, qui officie dans
un cabinet de comptabilité. Depuis que« les  marchés ont entraîné
dans leurs rouages l’économie des sociétés toutes entières
 », la
praticienne des chiffres attire l’attention sur ce qui « caractérise
essentiellement le capitalisme financier 
», à savoir « l’appropriation
par des personnes privées du pouvoir régalien de création
monétaire
». Celle-ci est fondée sur une « économie de la dette dont
le monopole d’émission appartient aux banques 
».

Ainsi, l’Etat se retrouverait réduit à une fonctionnalité d’
« appareil de capture des richesses produites par le peuple » – les
gouvernements successifs ne cessant pas de « mettre en place des
mesures de diminution de redistribution des ressources et
d’augmentation des cotisations
 »…

Rappel : après la dernière guerre mondiale, le gouvernement
provisoire de la République française, présidé par le général de
Gaulle, a mis en œuvre le programme du Conseil national de la
Résistance qui a « pour principaux objectifs économiques d’évincer
les trusts, de socialiser les grands moyens de production et de
reprendre le contrôle de la politique monétaire
 » … Après le train de
nationalisations, les féodalités économiques et financières sont
expropriées et l’émission monétaire devient un service public.

Mais, à partir des années 80, le « modèle anglo-saxon ultra-
libéral » se met en place graduellement avec ses « trois
fondements : privatisation, libéralisation et dérèglementation 
».
Après le traité de Maastricht, confirmé par le traité de Lisbonne,
la Banque de France n’assure plus sa fonction de création
monétaire au service du bien commun et l’Etat est voué à
l’impuissance politique : « Les banques spécialistes en valeur du
Trésor sont devenues le pivot central du système social, politique et
économique. Elles assurent la gestion des dettes de la France ainsi
que la fonction régalienne de battre monnaie. En fait et en droit, le
monopole d’Etat a été remplacé par un monopole privé. 
»

Depuis la « crise » de 2008 et l’abondante « littérature » parue sur
sa supposée genèse, le lecteur pourrait être convaincu de
« vivre » ( !!!) dans un monde de fraude généralisée dont les
pratiques de spoliation ne connaissent plus de limites :  «
L’idéologie repose sur un principe simple : la privatisation des gains
distribués sous forme de bonus et dividendes quand tout va bien : la
socialisation des pertes dont la charge pèse sur les populations
d’Europe en cas de crise du système
 » – bref, ce sont toujours « les
peuples » qui paient pour se retrouver… mis au ban de la
démocratie : « ce système exproprie par la contrainte de la force
publique le fruit du travail de la classe productive pour le confisquer
au profit de sociétés privées 
»…

Pour Eloïse Benhamou, « le capitalisme financier, conjugué à des
intérêts industriels et commerciaux, organise un système totalitaire
qui fabrique la misère 
». En établissant les déclarations fiscales et
sociales de travailleurs indépendants, elle a été amenée à se
pencher sur le fonctionnement du RSI qu’elle qualifie
d’ « escroquerie en bande organisée »… Ce système de perversion
kleptocratique s’exténue, à force de sur-accumulation infondée
et de plus en plus visible, vers son auto-destruction annoncée, à
ce qu’il semblerait : y aurait-il précisément des limites à
l’acceptation de la spoliation et de la misère organisée ?

Michel Loetscher
Pour hebdoscope décembre 2016

Eloïse Benhammou,
Kleptocratie française,
Le Jardin des Livres