Mozart & Poulenc, works for violin & piano

Après un premier
disque consacré à
Mozart et Stravinsky
en 2014, le duo
Esther Hoppe et
Alasdair Beatson est
de retour avec
quatre sonates de
Mozart et de
Poulenc. La
violoniste et le
pianiste qui ont
l’habitude de se produire en soliste reviennent ici à leurs premiers
amours chambristes pour nous délivrer un disque plein d’entrain et
de rythme.

Esther Hoppe et Alasdair Beatson ont su parfaitement retranscrire
l’incroyable légèreté et la fraîcheur renouvelée du jeune Mozart
dans sa sonate en sol majeur. Plus loin, dans la sonate en si bémol
majeur, les deux instruments courent sur les notes du compositeur,
tels deux enfants s’amusant. Avec cette interprétation, les deux
chambristes marchent dans les pas de leurs illustres aînés, Richter
et Kagan. Pour notre plus grand plaisir.

Laurent Pfaadt

Esther Hoppe, Alasdair Beatson
Claves records

Strauss, Die Alpensymphonie

Tod und Verklärung,
dir. Mariss Jansons

Pour le 100e disque
du label de
l’orchestre de la
radio bavaroise, ce
dernier voulait
atteindre des sommets. Et il faut bien dire qu’avec la symphonie
alpestre de Richard Strauss, Everest de l’orchestration, l’orchestre
et son chef, l’impérial Mariss Jansons, se sont livrés à un exercice qui
aurait pu être périlleux.

Au final, cette ascension fut de toute beauté et sans aucun accroc.
Poursuivant ainsi son enregistrement des poèmes symphoniques de
Strauss, le chef letton a une nouvelle fois fait la preuve de sa
maîtrise totale des équilibres sonores à un point tel qu’on a parfois
le sentiment de marcher sur un sentier suisse ou autrichien en
entendant ces cloches des vaches dans l’Auf der Alm ou les vents
sifflant du Stille vor dem Sturm. Alternant légèreté et puissance qui
donne parfois le sentiment d’être poursuivi par une avalanche,
Jansons a été pleinement secondé par cet orchestre qui prouve une
fois de plus avec cette interprétation qu’il est l’un des tous meilleurs
au monde. Le disque est complété par une Mort et Transfiguration qui
se situe dans la même veine que cette symphonie alpestre de toute
beauté.

Laurent Pfaadt

BR Klassik,
Symphonieorchester Des Bayrischen Rundfunks,
dir. Mariss Jansons

La Porte

Magda Szabo, la Porte, le livre de poche

Paru en 2003 aux éditions Viviane
Hamy, seize ans après sa publication
originale, couronné par le Prix
Femina et célébré dans le monde
entier, la Porte de Magda Szabo,
auteur hongrois inconnue en France à
l’instar des Sandor Maraï, Laszlo
Krasznahorkai, Lajos Zilahy, est enfin
disponible en poche. Récit intime et
puissant de la relation entre deux
femmes, une bourgeoise intellectuelle et sa domestique, Emerence, ce roman est une porte
vers l’une des plus belles histoires d’amitié de la littérature
européenne. Mais c’est également une porte vers l’histoire
personnelle d’une femme qui se confond avec l’histoire de toute une
nation et de ses ombres.

La Porte marque la frontière du logement d’Emerence, ce monde si
jalousement protégé par son occupante qui s’ouvre régulièrement
pour en sortir des objets improbables tirés de la rue. Mais surtout,
cette porte renferme des secrets insoupçonnés qui, une fois
dévoilés, changèrent irrémédiablement l’un des personnages du
roman en même que les lecteurs que nous sommes.

Alors n’hésitez plus, poussez la porte…

Laurent Pfaadt

Le père de la symphonie

Avec ses compositions
innovantes, Haydn a
irrémédiablement
transformé la musique

Il y a des compositeurs qui ne
sont pas nés à la bonne
époque car coincés entre
plusieurs génies et à une
époque charnière de la
musique où celle-ci prenait
d’autres directions. Ce fut le
cas de Joseph Haydn (1732-
1809), ami de Mozart et
maitre de Beethoven, et surtout père d’un classicisme que le grand
public identifie assez mal à l’inverse du baroque et du romantisme
qui constituent les deux époques qui l’encadrent.

Malgré ce handicap historique, Joseph Haydn marqua de son
empreinte gigantesque la musique de son temps ainsi que celle qui
lui succéda. Après des débuts difficiles, Haydn entra au service des
princes autrichiens Esterhazy, sorte de Médicis de la musique en
Europe centrale. Très vite, ses compositions firent le tour de
l’Europe et il fut invité à les interpréter dans les grandes capitales
du continent, à Londres ou à Paris notamment. La première
rencontre avec Mozart eut lieu en 1784 et Haydn perçut
immédiatement le génie du jeune compositeur. Avec Beethoven, les
relations furent à la fois proches et tendues.

Auteur d’une œuvre conséquente, Haydn peut être considéré
comme le père de la symphonie moderne, genre qu’il développa et
perfectionna tout au long de sa vie. Avec 106 symphonies réparties
en plusieurs périodes (Sturm und Drang, parisiennes, londoniennes),
il jeta ainsi les bases de la symphonie classique en y introduisant une
dimension dramatique, dimension que Beethoven allait porter à la
perfection. Avec lui, la symphonie devint un nouvel objet musical.
« Pour moi, la musique d’Haydn est audacieuse, presque expérimentale.
C’est pour cela qu’elle tolère plusieurs manières de l’interpréter car tout
est une question de rythme »
affirme Nathan Cole, violoniste à
l’orchestre philharmonique de Los Angeles. Mais tous les musiciens
en conviennent : les symphonies d’Haydn exigent une grande
technicité : « Haydn demande une grande concentration et une énergie
intense pour pouvoir faire ressortir au maximum l’expressivité de
l’œuvre»
estime Klaidi Sahatci, Konzertmaster à l’orchestre de la
Tonhalle de Zurich et chambriste reconnu.

En matière de musique de chambre, Haydn consacra la forme du
quatuor à cordes et laissa des sonates pour piano très diverses où
l’on perçoit l’influence d’un Scarlatti mais également toute la fougue
du Sturm und Drang tirée de CPE Bach. Cette variété de
compositions trace une œuvre tout à fait singulière où le rire côtoie
la mélancolie. « Sa musique est très inventive, souvent très drôle. On
sent chez lui une volonté de surprendre le public et de le stupéfier »

poursuit Klaidi Sahatci

Haydn laisse enfin l’une des œuvres majeures de la musique sacrée,
la Création, oratorio composé en 1798, que beaucoup de spécialistes
considèrent comme son chef d’œuvre. Pour la petite histoire, c’est
en se rendant à la première parisienne, le 24 décembre 1800, que
Bonaparte fut victime de l’attentat de la rue Saint-Nicaise. Bientôt,
un nouveau monde, celui de l’Empire, allait être créé…

Laurent Pfaadt

Interview Ton Koopman

Koopman © Elsevier

« Si vous jouez mal la
musique de Haydn,
vous la tuez »

Ton Koopman est
l’un des plus grands
chefs d’orchestres
baroques. A la tête
de l’Amsterdam
Baroque Orchestra,
il a développé depuis
longtemps une approche basée sur un retour aux sources
(instruments d’époque, interprétations originales) qui le situe dans
la courant des baroqueux développé par Nikolaus Harnoncourt. Il
livre pour Hebdoscope son analyse de la musique d’Haydn.


Comment qualifieriez-vous la musique  d’Haydn?

Haydn fut un compositeur fantastique, un génie à mettre au même
niveau que Bach. Mais certainement plus grand que Mozart. Haydn
composait rapidement et sur une longue période ce qui explique son
incroyable production. Mais ce qui est certain, c’est que cette
dernière fut révolutionnaire.


Pourquoi ?

Parce que Joseph Haydn était un compositeur très inventif avec
sans cesse de nouvelles idées, parfois inattendues. Prenez par
exemple le final de la symphonie des Adieux que tout le monde
connaît même les enfants où chaque musicien se lève à tour de rôle
et quitte la scène. Même le duc Esterhazy pour qui Haydn
composait ne s’attendait pas à cela ! Aujourd’hui, il m’arrive encore
de répéter cette mise en scène. Simplement je dis aux femmes de ne
pas porter de talons ! De plus, Haydn était payé par le duc. Donc, il
n’avait pas besoin de composer pour un public, ce qui lui laissa une
grande liberté.

Pouvez-vous nous décrire votre travail avec les orchestres que
vous dirigez, notamment lorsque vous interprétez une symphonie
d’Haydn ?

Je parle assez peu aux orchestres que je dirige. Bien entendu,
j’évoque des questions de vibrato, de style mais j’essaie surtout de
recréer avec les musiciens cette formidable intensité que la
musique d’Haydn contient. Et je pense que l’interprétation des
symphonies de Joseph Haydn nécessite un nombre important de
répétitions.

Pensez-vous que ses symphonies sont plus appropriées aux
orchestres de chambre ?

Assurément, car replacez-vous dans le contexte de l’époque. Haydn
composait pour le duc qui partageait cette musique avec un petit
nombre d’amis. En plus l’écoute mutuelle développée dans les
orchestres de chambre permet de récréer cette intensité. Vous
savez, j’ai joué ces symphonies avec de nombreux orchestres dans le
monde mais il est vrai que les orchestres de chambre permettent de
distinguer toutes les nuances de l’orchestration. Car si vous jouez
mal la musique de Haydn, vous la tuez.

Laurent Pfaadt

Les mains du miracle

L’un des grands
génies du piano à
réécouter

Sviatoslav Richter
fut-il le plus grand pianiste du 20e siècle?
Certains le pensent
assurément. En tout
cas, il fut l’un des plus
grands. Né en 1915
d’un père fusillé en
1941 pour intelligence avec l’ennemi fasciste mais réhabilité en 1962 et connu
bien au-delà des frontières du bloc de l’Est, il est celui dont son
professeur au conservatoire Tchaïkovski, Heinrich Neuhaus, avait
dit qu’il « était le génial élève qu’il avait attendu toute sa vie ».
Récompensé par le Prix Staline en 1950, Richter joua aux funérailles
du dictateur mort le 5 mars 1953, le même jour que Sergueï
Prokofiev dont il avait créé la 7e sonate apprise en seulement
quatre jours. Emil Gilels, autre grand pianiste soviétique, ukrainien
comme lui, avait dit de lui lors d’une tournée aux Etats-Unis où il
était célébré : « attendez d’entendre Richter ! »

Pendant longtemps Richter resta confiné à l’intérieur des frontières
de l’URSS considéré comme un « trésor national ». Autorisé à se
produire hors d’URSS au milieu des années 50, Richter triompha
immédiatement et les enregistrements se multiplièrent sous les
principaux labels occidentaux. Un magnifique coffret permet
aujourd’hui de redécouvrir quelques-uns de ces morceaux de
légende. Il y a ces disques d’anthologie gravés avec les plus grands
chefs comme le triple concerto de Beethoven avec Oistrakh,
Rostropovitch, Karajan et les Berliner Philharmoniker ou ce
deuxième concerto de Brahms avec Maazel et l’orchestre de Paris et
son merveilleux andante, véritable chant d’amour entre le soliste et
l’orchestre, ou enfin le très oublié concerto de Dvorak avec Carlos
Kleiber.

Le style de Richter est tout en sobriété, aristocratique. Il n’est pas le
génial interprète d’un compositeur comme Glenn Gould, Byron
Janis ou Leon Fleischer. Mais il est l’interprète génial de tous les
compositeurs. Au clavier bien tempéré de Bach, il apporte son
romantisme russe. Avec Beethoven et cette magnifique sonate
tempête, il dévoile son côté allemand qui donne à l’interprétation
cette incroyable proximité faite, tantôt de légèreté, tantôt de
mélancolie, à l’image du compositeur. Finalement, au travers de
cette sonate, on touche à l’essence même de Richter. Il n’interprétait
pas des œuvres mais les « richtérisait » transmettant ainsi à
l’auditeur un sentiment de nouveauté, de renouvellement
permanent qui excluait toute mécanique, toute routine. A ce titre,
son meilleur héritier serait aujourd’hui Grigori Sokolov. Le coffret
revient également sur quelques grands moments de musique de
chambre comme ces sonates pour piano et violon de Mozart avec
son fidèle ami Oleg Kagan qui restèrent dans toutes les mémoires et
notamment dans celles des spectateurs de la Grange de Meslay sur
les bords de Loire dont Richter tomba immédiatement amoureux et
dont il fit l’écrin de son génie. Non loin de là, au Château de Marcilly,
Richter enregistra en juillet 1979 avec Andrei Gavrilov,
d’incroyables suites pour pianos de Georg Haendel. Ce dernier se
souvient : «  à ma grande surprise, Slava (Richter) joua d’une manière
très chambriste, en évitant la tentation d’effets théâtraux dans les gigues
comme le font de nombreux pianistes. »
Une fois de plus, il
richtérisait…

A écouter : Sviatoslav Richter,
The complete Warner recordings,
Warner Classics, 2016

Laurent Pfaadt