Vielleicht

Sur un sujet éminemment politique  » Vielleicht « , qui signifie
« peut-être », de la Cie Absent-e pour le moment est un spectacle militant qui  nous renvoie à la fin du  XIXème  siècle dans les années où l’empire allemand  dirigé par Guillaume II et le chancelier Bismarck décide à l’instar des Français et des Britanniques de s’accaparer des territoires  sur le continent africain pour en faire ce qu’ils appellent, non pas des « colonies », mais des « protectorats ».


©Dorothée Thébert

Ces faits seront évoqués au cours du spectacle qui ne sera pas un cours d’histoire mais une sorte de conférence très animée et documentée grâce à la prestation remarquable des deux comédiens d’ascendance africaine, Safi Martin Yé et Cédric Djeje, celui-ci ayant conçu et mis en scène ce spectacle écrit par Ludovic Chazaud et Noémi Michel, à partir d’une expérience vécue par Cédric qui, artiste de théâtre en Suisse avait obtenu une résidence  de six mois à Berlin.

Au cours de ce séjour il découvre l’existence dans l’arrondissement de Weddingd où il réside d’un quartier dit « africain’ » non pas en raison de sa population mais parce que les rues portent des noms de pays africains, par exemple Togostasse, Senegalstrasse, Kameruner stasse et le nom des colonisateurs. Il apprend aussi que depuis de longues années des associations militent pour que ces noms soient remplacés par les noms de ceux qui ont lutté contre la colonisation mais que cela a du mal à aboutir d’où le titre de la pièce qui, en français signifie « peut-être ».

Un dispositif scénique conduit les spectateurs à être placés en demi-cercle, au plus près des comédiens et de leurs échanges car il s’agira de mettre en scène la relation amicale qui les unit et les pousse à communiquer toutes les informations recueillies autour de ce sujet qui les préoccupe.

On les découvrira d’emblée, dans une sorte de rituel, s’affairant autour d’un tas de terre sur lequel reposent des pots en verre étiquetés d’images. Veut-on rendre hommage aux disparus ? (scénographie Nathalie Anguezomo et Mba Bikoro)

Bientôt on les voit imaginer la fête qui s’ensuivrait si les noms étaient enfin changés, avec explosion de joie, danses et congratulations, lancers de cerfs-volants…

Ensuite on entre dans le vif du sujet, la réalité, un entrecroisement de l’histoire de la colonisation allemande et les informations qu’échangent les deux comédiens, tantôt ensemble tantôt entre Berlin et Genève où habite la jeune femme.

Le problème des noms de rue leur sert de prétexte pour faire advenir ce douloureux passé où des colonisateurs, comme Franz Adolf Luderitz (1834-1886),fondateur de la première ville allemande en Namibie, Carl Peters (1856-1918), Gustav Nachtigal (1834-1885) commissaire impérial qui a annexé le Togo et le Cameroun se sont comportés en  prédateurs. Sera  évoqué le premier génocide, frappant les tribus Herero et Name en Namibie entre 1904 et 1908. Habilement, la mise en scène sait faire place à la mémoire par l’intermédiaire de la vidéo conduite par Valérie Stucki qui amène des images d’époque, des représentations des pays africains, d’interviews, projetés sur un écran  fait de cerfs-volants rassemblés.

Préoccupés par leur vie quotidienne, leurs rencontres ou leur correspondance, les comédiens déambulent au milieu de nous, s’interpellent, personnalisent leur expérience comme le montre  ce moment  où l’on entend Cédric, en pleine, méditation sur son identité de personne noire d’origine africaine, demander à sa mère, présente en vidéo, pourquoi elle ne lui a pas appris le « bété », la langue de ses ancêtres.

Spectacle vivant, plein d’authenticité qui fait la lumière sur un pan d’histoire quelque peu négligé ou refoulé  parce que peu glorieux  comme tout ce qui a trait au colonialisme.

Un spectacle qui se remine sur une note d’espoir puisqu’il nous apprend que les militants pour le changement de noms ont réussi pour deux d’entre eux, faisant disparaitre les noms des colonisateurs pour les remplacer par ceux des résistants africains, Frederiks Cornelius ( 1864-1907) et la famille Bell (Rudolf Douala Manga Bell, 1873-1914, roi du peuple Douala au Cameroun, sa femme Emily Bell et d’autres membres de sa famille).

Les autres, peut-être bientôt… car « le nom est notre destinée » est-il dit dans la pièce qui  rappelle ce proverbe africain joliment inscrit sur les coussins des sièges « c’est beaucoup de petits poissons qui ont réussi à trouer le filet du pécheur ». (Eva Michel)

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation  du 12 avril au TNS

En salle jusqu’au 19 avril