Ecrits littéraires, D’Homère à Tolstoï (1902-1933)

Découvrir des inédits d’un grand écrivain relève toujours à la fois de
l’excitation et de la fascination. Ils viennent souvent confirmer
l’opinion ressentie à la lecture de ses grandes œuvres. Parfois même
ils éclairent d’un jour nouveau notre vision de l’écrivain, ajoutant
une dimension jusqu’alors inconnue. C’est ce que ressent le lecteur
en lisant les Ecrits littéraires du grand Stefan Zweig qui viennent ainsi
compléter ses textes politiques réunis l’an passé dans Pas de défaite
pour l’esprit libre chez Albin Michel.

Dans ces quarante-six textes émanant de sources diverses –
journaux, manuscrits non publiés ou simple opinion – l’auteur
emblématique de la Mitteleuropa nous livre ses sentiments
littéraires sur tantôt des monuments de la littérature, tantôt des
écrivains que la postérité n’a malheureusement pas retenu comme
par exemple Gustav Landauer, anarchiste juif auteur d’un
Shakespeare. La fascination tient surtout à ce dialogue, à travers le
temps, entre deux monstres sacrés de la littérature, avec Stendhal
dont il trouve le roman de la Chartreuse de Parme « un peu ennuyeux »,
Byron, Tolstoï, Anatole France, Hölderlin ou Goethe avec qui il
entretint une relation si particulière. Ses articles apparaissent en
quelque sorte comme les études, les esquisses des grands romans et
biographies à venir et viennent conforter notre conviction de se
trouver face à un écrivain célébrant la puissance de la vie et de ses
sentiments.

Une forme d’intimité se dégage assurément de ces pages. On a
parfois l’impression de converser avec lui, dans son appartement
viennois avant qu’il ne soit obligé de le quitter et d’emmener avec lui
ce fameux monde d’hier, celui d’Arthur Schnitzler, de Gustav Mahler
ou de Sigmund Freud.  Evoquer avec lui les livres est une façon de
célébrer cette liberté que les nazis s’apprêtent à confisquer.
D’ailleurs, il faut absolument lire les premières pages de l’ouvrage,
véritable ode à la lecture et aux livres : « Ils sont là, attendant et se
taisant. Ils ne font pas pression, n’appellent pas, ne demandent rien.
Muets, ils couvrent le mur. On dirait qu’ils dorment, et pourtant sur
chacun d’entre eux un nom te regarde, comme un œil ouvert ». Tout est
dit.

Par Laurent Pfaadt

Stefan Zweig, Ecrits littéraires, D’Homère à Tolstoï (1902-1933),
traduit de l’allemand par Brigitte Cain-Hérudent,
Chez Albin Michel, 368 p.

Les Nations célèbrent l’Europe

Jordi Savall et le Concert des Nations achevaient à la Philharmonie de Paris son cycle Beethoven

Jordi Savall
© Barbara Rigon

La Philharmonie de Paris était pleine comme un œuf. Les raisons ?
Une Neuvième symphonie de Beethoven toujours prompte à attirer
les foules. Et interprétée par l’un des ensembles les plus talentueux
de la planète, le Concert des Nations, sous la conduite de son
emblématique et engagé chef d’orchestre, Jordi Savall. Autant dire
tous les ingrédients pour une soirée d’anthologie, ce qu’elle fut
assurément. Élargissant ainsi depuis plusieurs années son spectre
musical, le Concert des Nations s’est engagé depuis juin 2019 dans
un incroyable projet consistant à interpréter à la Philharmonie de
Paris l’intégrale des symphonies de Beethoven.

Avec les 8e et 9e, Jordi Savall a ainsi transformé cet épilogue en
apothéose. La huitième a offert aux spectateurs, le spectacle d’une
œuvre en mouvement. L’interprétation sur instruments d’époque
(vents en bois notamment) et la fidélité aux tempi d’origine
inscrivirent la symphonie dans une histoire, celle d’un classicisme
abouti, dans la longue tradition impulsée par Joseph Haydn. Dans
cette respiration musicale assez incroyable se dégagea notamment
la beauté du violoncelle solo dans le deuxième mouvement.

Le public était ainsi prêt à recevoir cette neuvième symphonie
comme l’immense don d’une formation musicale qui a fait de la
musique le pont entre les cultures et les êtres. Une fois de plus, le
Concert des Nations n’a pas failli à sa réputation. Jordi Savall et ses musiciens ont ainsi bâti une véritable cathédrale sonore où dans
chaque chapelle pouvait se lire l’histoire de l’Europe avec ses
tragédies portées par des percussions incroyables, ses soubresauts
transcendés par les cordes et ses appels à l’unité sublimés par les
chanteurs en particulier par Mingjie Lei, ténor dont la magnifique
tessiture en a fait l’une des grandes voix de la scène lyrique. Et
comme si cela ne suffisait pas, l’architecte de ce magnifique édifice
rappela que « la musique est le véritable langage de l’Europe » avec, une
fois n’est pas coutume, des Nations au service de cette dernière.

Par Laurent Pfaadt

Frank Peter Zimmermann

Le violoniste allemand Frank Peter Zimmermann est aujourd’hui
considéré comme l’un des  violonistes les plus talentueux de sa
génération aux côtés des Anne-Sophie Mutter ou Renaud Capuçon.
Le nouveau coffret que lui consacre le label des Berliner
Philharmoniker en est une nouvelle illustration.

Depuis ses débuts avec les Berliner en 1985 – il a alors vingt ans – le
violoniste a développé une relation particulière avec la célèbre
phalange allemande dont il a partagé la scène près de quatre-vingt
fois. Les enregistrements des trois concertos de Beethoven, Berg et
Bartók réalisés entre 2016 et 2020 frappent ainsi immédiatement
par l’osmose incroyable entre le soliste et l’orchestre. Même s’ils
dégagent chacun des sentiments variés – épique chez Beethoven,
torturé pour Berg et admiratif chez Bartók, Frank Peter
Zimmermann construit patiemment son œuvre avec chacun,
prenant le temps de laisser parler la grâce de son interprétation et
de l’envelopper de l’élégance raffinée de son jeu. Avec Alan Gilbert
au pupitre des concertos de Bartók, Frank Peter Zimmermann ne se
laisse  jamais aller à la facilité en délivrant une énième performance
mais plutôt un témoignage éminemment personnel d’où se dégage
une véritable vision. Le Blu-Ray vient confirmer cette impression
d’un musicien devenu le prolongement d’une œuvre. Cela donne
entre le soliste et l’orchestre, une incroyable rencontre musicale et
un témoignage unique que l’on réécoutera encore dans cinquante
ans.

Par Laurent Pfaadt

Frank Peter Zimmermann, Violin Concertos,
Berliner Philharmoniker recordings,
2CDs, 1 Blu-Ray

Ravel

Pour certains pianistes, il y a des compositeurs qui tombent sous le
sens. Pour Clément Lefebvre, il s’agit indiscutablement de Maurice
Ravel. Après Rameau et Couperin, l’ancien vainqueur du Concours
international de piano James Mottram de Manchester en 2016 nous
livre un second enregistrement tout en poésie, magnifiquement
porté par la sonorité de son Yamaha.

Son Ravel est plein de charme, d’une sensibilité exquise à l’image de
cette magnifique Pavane pour une infante défunte. Nulle
démonstration de force mais une fidélité au compositeur portée par
une conception toute personnelle qui laisse la place au rêve. Son
Tombeau de Couperin est une sorte de Rubens musical avec ses
couleurs vives, éclatantes. L’auditeur se laisse ainsi porter par une
forme de béatitude fort agréable et ne souhaite qu’une seule chose :
que cela ne s’arrête pas.

Clément Lefevre sera présent au festival Piano au Musée Würth
à Erstein, le 11 novembre 2021

Par Laurent Pfaadt

Clément Lefebvre, Ravel,
Evidence classics