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Un quarteron de hérauts en retrait

Dans son nouveau livre, Pierre Manenti dresse les portraits de ces hommes qui accompagnèrent le général de Gaulle

Ils furent les maréchaux napoléoniens du 20e siècle, ces hommes qui, partis de l’ombre, suivirent le grand homme de leur temps jusqu’à la gloire, jusqu’aux sommets du pouvoir. Avec son nouveau livre en forme d’arc de triomphe de papier, Pierre Manenti, meveilleux guide historique et littéraire, nous invite à entrer dans le panthéon gaulliste


Les barons gaullistes naquirent en 1963 sous la plume du Chateaubriand de la presse française, à savoir Jean Daniel, rédacteur en chef du le Nouvel Observateur. « Trois caractéristiques semblent propres à ces six hommes et justifient leur appartenance à ce groupe fermé : une place centrale dans la vie politique du gaullisme, au sein de ses associations, mouvements, partis et réseaux, une continuité dans le rapport au général de Gaulle et au gaullisme, enfin un réseau de relations avec les autres barons » écrit ainsi l’auteur. Traçant les portraits passionnants des six barons historiques, de Gaston Palewski, le gardien du temple que De Gaulle rencontra au cabinet de Paul Reynaud à Olivier Guichard, maître d’œuvre du retour du général en 1958 en passant par les grandes figures que furent celles de Michel Debré, Jacques Chaban Delmas, Jacques Foccart ou Roger Frey, aujourd’hui oublié, Pierre Manenti montre ainsi que le gaullisme naquit de ces six hommes avant de s’agrandir en cercles concentriques intégrant à la fois fidèles des années de guerre et nouveaux seigneurs que furent notamment les deux derniers premiers ministres du général jusqu’au dernier gaulliste Albin Chalandon, ancien garde des sceaux en 1986, ce « seigneur du gaullisme, porteur d’une mémoire qui le légitime à porter ce titre » et à qui l’auteur consacra une biographie remarquée. Des cercles concentriques rejetant également à la marge ceux qui dévièrent de la doxa énoncée par le grand homme et s’inscrivant dans une dimension monarchique tirée de cette histoire de France qu’il infusa dans la constitution de la Ve République. Et l’auteur de montrer sans le dire que le gaullisme se structura à la manière d’une féodalité qui ressembla par bien des aspects (fidélité, cooptation, culte du chef, fief politique) à son modèle médiéval avec ses vassaux, ses affidés, sa vénération. Le livre de Pierre Manenti rend également justice à ces barons oubliés que furent Jacques Soustelle ou Louis Terrenoire.

Le livre refermé, le lecteur se demande : y a-t-il encore des gaullistes ? Et l’auteur d’ouvrir dans une astucieuse conclusion la porte à la transformation du gaullisme en gaullien, d’un mouvement en idée aujourd’hui revendiquée de part et d’autre du spectre politique, de barons devenus mémorialistes, et d’un nom devenu adjectif. Dans cette usurpation réside pourtant une forme d’universalité que retranscrit  pertinemment ce livre brillant.

Par Laurent Pfaadt

Pierre Manenti, Les barons du gaullisme
Aux éditions Passés composés, 368 p.

A lire également :

Pierre Manenti, Albin Chalandon, le dernier baron du gaullisme, préface de Catherine Nay, Perrin, 400 p.

Jean-Luc Barré, De Gaulle, une vie, l’homme de personne, 1890-1944, Grasset, 992 p.

Mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/gravir-le-pic-gaulliste/

Le Mucem renverse le monde

Une exposition fort pertinente invite le visiteur à considérer le monde sous un autre angle

La projection Mercator a placé l’Europe au centre du monde et nous avons grandi avec cette idée. Pourtant, d’autres cartes émanant de civilisations qui possédaient leur propre centralité, leur propre récit existent.


La nouvelle exposition du Mucem baptisée « une autre histoire du monde » prend ainsi le parti de raconter une autre réalité, de produire une autre vérité, un autre récit car c’est bien de cela qu’il s’agit, de récits émergeant de ces magnifiques cartes venues de l’Amérique précolombienne comme cette incroyable Mapa de Sigüanza, un codex préhispanique, ou du Japon. Un récit du monde qui s’est maintes fois réécrit dans le sang et le commerce et s’est enrichi d’imaginaires nouveaux, renouvelés, contestés. De la Nouvelle-Calédonie aux Aztèques en passant le Soudan ou le Dakota, le Mucem invite ainsi ses visiteurs à voyager en prenant comme guide ces autres civilisations oubliées parfois méprisées car comme le rappellent les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue qui accompagne cette dernière : « il faut s’affranchir de nos routines intellectuelles au risque d’être d’abord totalement désorienté, de perdre le nord de la carte et le sens de la flèche du temps. C’est au prix de cet effort de décentrement que nous pourrons appréhender l’ensemble du monde ».

Pour réussir cette entreprise, l’exposition présente près de 150 œuvres tirées du musée Jacques Chirac du quai Branly qui a prêté quelques-uns de ses incroyables trésors comme cette magnifique carte d’apparat sioux sur peau de bison, du musée Guimet ou de la bibliothèque nationale de France qui présente cette carte japonaise des routes terrestres de Nagasaki à Edo. Ces cartes et objets donnent ainsi corps à ces autres conceptions du monde, ces autres histoires qui se fondant sur différents cycles lunaires ou végétaux nous amènent à faire fi du calendrier grégorien ou du méridien de Greenwich pour reconsidérer notre système de valeurs et surtout notre propre altérité.

A travers ces cartels extrêmement pédagogiques qui retracent le parcours et l’histoire des œuvres présentées, ou ces histoires orales tirées d’espaces sonores aménagés, l’exposition nous invite à considérer le monde selon des points de vue différents de celui qui nous a été enseigné à l’école, celui d’un Occident qui s’est pendant longtemps érigé en « moteur du devenir historique mondial » tel que le véhicula le discours européen du XIXe siècle et qui a conduit à la colonisation, à la spoliation et à la réécriture de l’histoire. C’est le sens de ces œuvres contemporaines qui cohabitent avec ces anciennes cartes comme pour nous montrer que si la terre est ronde, elle continue, que l’on soit à Delhi, à Moscou ou à Port-au-Prince, à s’écrire différemment.

Par Laurent Pfaadt

Une autre histoire du monde, Mucem Marseille
Jusqu’au 11 mars 2024

A lire le catalogue de l’exposition signé Fabrice Argounès, Camille Faucourt, Pierre Sinagaravélou, une autre histoire du monde
co-édition Gallimard / Editions du Mucem, 90 images, 200 p.

Le grand jeu et ses cavaliers

Plusieurs livres reviennent sur l’histoire des relations internationales et sur leurs acteurs

En 1911, l’intervention italienne signa le début d’un engrenage de guerres qui allaient conduire quelques trente ans plus tard au premier conflit mondial. Une siècle plus tard, en 2011, l’intervention conjointe de plusieurs pays dont la France et la Grande-Bretagne destinée à se débarrasser du dictateur Kahdafi accentua une méfiance déjà grande de la part de la Chine et de Moscou à l’égard de l’Occident qui eut comme conséquences le recul de l’influence française en Afrique et à la guerre en Ukraine dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences sur l’histoire mondiale des relations internationales.


Entre ces deux dates, il nous est permis grâce au livre coordonné par Pierre Grosser et appelé à devenir une référence, d’observer, décennie après décennie, l’émergence de grandes puissances (Etats-Unis, URSS puis Russie, Chine), mais également ces ruptures comme celle de la doctrine Carter de protection du Golfe Persique qui engagea durablement les Etats-Unis au Proche et Moyen Orient. Les évolutions et la résurgence de phénomènes rythmant un 20e siècle agité sont également analysés avec talent. Réunissant ainsi de nombreux spécialistes des relations internationales, Pierre Grosser, professeur à Science Po et spécialiste de la guerre froide installe avec cet ouvrage une vision globale, sur le temps long, des relations internationales traitées à l’échelle mondiale. Banissant les détails qui ne font que nuire à la démonstration, Pierre Grosser rappelle que cette histoire se doit d’être « généraliste car il faut qu’elle soit surplombante ». Une clairvoyance qui permet ainsi d’appréhender avec maestria les conséquences d’évènements qui nous paraissent de prime abord singuliers mais qui se révèlent être en réalité les secousses de tremblements de terre à venir.

Sur l’échiquier mondial où se joue ce grand jeu, il faut aux rois quelques cavaliers pour éviter qu’ils soient, comme le disait Tolstoï, un peu moins esclaves de l’histoire. Hubert Védrine, ancien conseiller diplomatique de François Mitterrand puis ministre des affaires étrangères entre 1997 et 2002 a réuni dans un livre appelé à devenir un classique une galerie de portraits de ces grands diplomates qui ont façonné l’histoire. De Mazarin à Zhou Enlaï en passant par Talleyrand ou Metternich sous la plume de Charles Zorgbibe, l’un de nos meilleurs connaisseurs de l’histoire des relations internationales, l’ouvrage nous emmène sur les différents continents et à différentes époques historiques. Et si le 20e  siècle domine une grande partie de l’ouvrage et que chacun ira de son commentaire sur les choix opérés dans cette sélection – l’absence d’Andrei Gromyko, inamovible ministre soviétique des affaires étrangères partiellement évoqué chez Serguei Lavrov dont on attend toujours la biographie française de référence – le lecteur est ainsi invité à se promener dans les salons diplomatiques des siècles précédents où s’est écrite l’histoire des relations internationales sous les plumes de journalistes, de professeurs, et de ces grands diplomates-écrivains à l’instar d’un Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur en Allemagne qui livre un magnifique portrait de Vergennes, secrétaire aux affaires étrangères d’un Louis XVI à «l’intelligence inquiète et résolue ». Une foisonnante bibliographie d’ouvrages de référence permet également à la fin de chaque chapitre d’approfondir chaque personnage et chaque époque.

Henry Kissinger, décédé récemment et son pendant démocrate, Zbigniew Bzrezinski demeurent les grands diplomates d’une deuxième moitié du 20e siècle dominée par les Etats-Unis. Les derniers portraits constituent peut-être les chapitres les plus fascinants car moins étudiés que les Talleyrand ou Metternich et sur lesquels beaucoup de choses ont été écrites. Avec Kofi Annan et surtout Serguei Lavrov peint par une Sylvie Bermann qui l’a connu en tant qu’ambassadrice à Moscou, le livre fait la jonction entre passé et présent, entre histoire et reportage. Mais surtout, avec ce portrait en Talleyrand russe, Sylvie Bermann fait entrer en littérature ce personnage complexe plein de facéties, habile provocateur imperméable à toute humiliation et qui « n’est pas à proprement parler un homme de Poutine ». Une façon de dire comme Pierre Grosser que l’histoire des relations internationales comme celle de ses acteurs est, comme le qualifiait l’historien grec Thucydide, « un éternel recommencement ».

Par Laurent Pfaadt

Histoire mondiale des relations internationales, de 1900 à nos jours sous la direction de Pierre Grosser, collection Bouquins
Aux éditions Robert Laffont, 1248 p.

Grands diplomates, les maîtres des relations internationales de Mazarin à nos jours, sous la direction d’Hubert Védrine
Aux éditions Perrin, 416 p.

Pour aller plus loin, la rédaction d’Hebdoscope vous conseille également :

Gérard Araud, Henry Kissinger: Le diplomate du siècle, coll. Texto,
Tallandier, 252 p.

Sylvie Bermann, Madame l’ambassadeur: De Pékin à Moscou, une vie de diplomate
Tallandier, 352 p.

Christian Baechler, Gustav Stresemann, Le dernier espoir face au nazisme
Passés composés, 332 p.

Mon article : http://www.hebdoscope.fr/wp/blog/le-dernier-espoir/

Histoire d’un messie littéraire

Chef d’œuvre absolu qui transcende les générations. Inadaptable.
Avec
Fondation d’Isaac Asimov et Hypérion de Dan Simmons, Dune
demeure l’une des plus importantes sagas littéraires de science-
fiction. A l’occasion de la sortie du film de Denis Villeneuve qui
prouve que rien ne résiste à l’industrie cinématographique et qu’il
existe toujours un œil, pourvu que celui-ci soit talentueux, pour
matérialiser la vision d’un créateur,
Dune effectue un nouveau
retour. Une fois de plus. Depuis maintenant près d’un demi-siècle, le cycle de Frank Herbert continue à occuper le devant de la scène
éditoriale. Les sables du temps n’ont donc pas recouvert cette œuvre quand tant d’autres disparaissent ou vieillissent terriblement mal. Pourtant, l’œuvre a mis du temps à s’imposer en France, car le genre était peu estimé et il s’agissait d’
« un gros livre, d’un auteur inconnu, dont l’action ne démarrait vraiment qu’au-delà de cent pages au moins, qui était assez obscur, tortueux et demandait de l’attention » comme le rappelle Gérard Klein, le découvreur français de Dune, auteur et créateur de la collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont dans le magnifique ouvrage Tout sur Dune, sorte de Bible définitive sur l’œuvre de Frank Herbert où le passionné comme le néophyte retrouvera l’auteur, l’univers, les personnages, les adaptations et une série de réflexions sur la saga. Pour autant, comment expliquer cette permanence qui passe à travers les générations ? Comme expliquer cet engouement qui n’a jamais faibli ?


La première des raisons tient d’abord à sa qualité littéraire. Dune est
avant tout une œuvre majeure de la littérature que l’on aime la
science-fiction ou pas, et comme peuvent l’être les grands
classiques. « C’est un immense roman, bien sûr ! Pourquoi pensez-vous
que nous lisons toujours Anna Karénine ou Guerre et Paix ? Je suis surtout
surpris que le succès n’ait pas été aussi étendu et rapide chez nous »
poursuit Gérard Klein. Pour peu que l’on gratte le vernis de la
science-fiction, considéré longtemps comme un genre mineur de la
littérature, Dune comporte tous les ingrédients des grandes
histoires. A l’instar d’un Howard Philipps Lovecraft ou plus
récemment d’un Stephen King qui ont mis du temps à trouver leur
juste place dans la littérature américaine d’abord puis mondiale
ensuite, Frank Herbert (1920-1986) reste encore assez méconnu. Et
le travail qu’il réalisa fut digne des Zola ou des Balzac comme se plaît
à le rappeler Fabien Le Roy (interview ci-après). De plus, la mode
actuelle des récits littéraires dystopiques offre également une
nouvelle jeunesse à l’œuvre d’Herbert.

Outre sa qualité littéraire intrinsèque, le cycle de Dune porte en lui
une profonde réflexion écologique qui a trouvé durant ces cinquante
dernières années des échos réguliers et plus particulièrement
aujourd’hui avec les rapports alarmistes sur la planète. La quête et
l’exploitation de l’épice, métaphore des énergies fossiles, l’absence
d’eau comme élément nécessaire à toute vie ne peuvent
qu’interpeller le lecteur à une époque de raréfaction des ressources
naturelles et de montée de tensions géopolitiques autour de l’eau.
Avec cet élément que la nature reprendra toujours ses droits. C’est
ce qui a marqué Denis Villeneuve, le réalisateur du film qui signe
l’une des préfaces de la nouvelle réédition du livre chez Robert
Laffont: « C’est pour moi l’image la plus forte du roman : l’humain devant
imiter la nature le plus humblement possible afin d’y survivre »

L’exploitation de la planète Arakis par des puissances étrangères
successives (les Harkonnen puis les Atreïdes) et la résistance de
leurs habitants, les Fremen, inspirés des Bédouins, interpellent
fatalement sur le droit des peuples à disposer de leur terre et sur
cette liberté confisquée au nom d’intérêts économiques. Ces formes
d’asservissement et le destin de Paul Atreïdes, décidé à briser ces
dernières, ont fait de Dune, un manifeste célébrant résistance et
quête de liberté tout au long d’époques marquées successivement
par le colonialisme, la décolonisation, la guerre froide et l’imposition
de la démocratie par des puissances extérieures. En plus de sa
dimension littéraire et écologique, Dune dispense un message
politique renforcé par les derniers tomes de la saga.

Enfin, lorsqu’on parle de quête, il est impossible d’ignorer celle qui,
spirituellement, se dégage de Dune. Cet élément théologique que
l’on rattache à un syncrétisme avec des tendances islamiques, juives
avec le Talmud et la Kabbale ou chrétiens évangéliques a contribué
au succès de l’œuvre. Cependant, « dans Dune, les religions n’ont pas de
réalité transcendantale ; les expériences auxquelles elles offrent accès
relèvent d’expériences psychologiques plus que véritablement mystiques »
estime cependant Sarah Teinturier, chargée de cours et spécialiste
des religions à l’université de Sherbrooke dans Tout sur Dune. En ces
temps d’exacerbation des identités religieuses, cette dimension,
mêlée à d’autres, a ainsi continué à entretenir une fascination qui n’a
jamais faibli.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Frank Herbert, Le cycle de Dune, 6 tomes, traduction revue et corrigée,
collection « Ailleurs & Demain », Robert Laffont.

Tout sur Dune dirigé par Lloyd Chéry,
Editions de l’Atalante & Leha, 304 p.

Pour tous ceux qui veulent s’immerger dans l’univers de Dune, nous leur conseillons les jeux de société Dune et Dune Betrayal
chez Gale Force Nine et Legendary.

Richesse des couleurs

Romantisme tardif et débuts de la musique moderne caractérisaient les programmes donnés au cours des deux premiers concerts de l’année 2024 par l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg.

© David Amiot

Composée pour une petite formation d’instruments à vent et cinq instruments à cordes par Arnold Schoenberg en 1908, la Symphonie de chambre n°1 est une partition pleine de fraîcheur et porteuse des idées nouvelles qui émergeaient alors en musique comme dans tous les arts. C’est dans les années 1930, quand il effectuait aussi la transposition pour grand orchestre du premier quatuor avec piano de Johannes Brahms, que Schoenberg orchestrera également son œuvre de jeunesse, lui ôtant du même coup son caractère de symphonie de chambre. Elle n’en reste pas moins, avec sa thématique originale, ses cinq mouvements enchainés et sa sonorité charnue et colorée, d’une écoute fort intéressante, ainsi qu’en témoigna l’excellente prestation de l’OPS et de son chef Aziz Shokhakimov, lors du concert du 11 janvier dernier.

L’un des chefs d’oeuvre de la littérature concertante du XXè siècle, le Concerto pour violon et orchestre d’Alban Berg, dit ‘’A la mémoire d’un ange’’, vint ensuite. Nous entendîmes, pour l’occasion, le grand violoniste américain Gil Shaham que, sauf erreur, nous n’avions pas vu à Strasbourg depuis 1998, quand il donna un magnifique second concerto de Bela Bartok. Son approche de celui de Berg mit au premier plan, avec une sonorité de violon à la fois ténue et splendide, la dimension émouvante et intime de l’oeuvre, sans taire pour autant ses côtés âpres et acerbes. Le plus beau moment fut sûrement celui où, vers la fin de l’oeuvre, le violon solo entame un dialogue avec les différents groupes des cordes de l’orchestre : geste inhabituel, Gil Shaham fit alors se lever successivement les premiers puis les seconds violons et les altos dans un moment d’échange instrumental de grande intensité. Petite déception cependant, du côté de l’orchestre, souvent distant et réservé, notamment à l’entrée de la seconde partie quand les sections de cuivre poussent ce cri déchirant qui, très souvent, évoque le fameux tableau éponyme d’Edward Munch. Rien de tel cependant, ce soir-là.

Le concert s’acheva par le poème symphonique de Richard Strauss Ainsi parlait Zarathoustra. Nonobstant tout ce qui par ailleurs les distingue, une certaine communauté dans la sonorité orchestrale n’en rapproche pas moins la musique de Richard Strauss de celle de son contemporain Gustav Mahler. Sachant Aziz Shokhakimov un interprète d’élection de celle-ci, on se disait qu’il en serait sans doute de même avec celle-là ; sauf si, peut-être, il se laissait emporter, comme cela arrive parfois, par le côté grisant de l’œuvre de Strauss. Contre toute attente, ce fut l’exact contraire. Dès la célèbre introduction, rendue populaire par Stanley Kubrick dans son film Odyssée de l’espace, on fut d’emblée surpris par la lenteur du tempo et la couleur très mate du tutti orchestral. Les deux parties suivantes (De ceux des arrières-mondes et De l’aspiration suprême) sedéroulèrent pourtant bien, d’une grande clarté polyphonique et évitant judicieusement les pianissimi inutiles. Mais, quand advinrent ‘’Des joies et des passions’’, les grandes déferlantes orchestrales attendues ne furent pas vraiment entendues : l’ensemble se traîna et la texture sonore s’enlisa. Certes les moments retenus et graves comme Le chant du tombeau ou Le chant du voyageur nocturne qui conclut l’oeuvre se présentèrent plutôt bien mais les parties plus animées comme Le convalescent et Le chant de la danse, en dépit du beau cantabile de la super soliste Charlotte Juillard, manquèrent par trop de virtuosité, d’allant et de couleurs. Une approche de l’oeuvre évitant, de fait, le clinquant mais paraissant cependant vidée de sa substance.

Lors de la seconde exécution de son concerto piano n°3, à New York en 1909, le pianiste et compositeur Sergueï Rachmaninov était accompagné à l’orchestre par Gustav Mahler. Le soir du 19 janvier à Strasbourg, nous eûmes la jeune pianiste russe Anna Vinnitskaya, dont les enregistrements des dernières années, consacrés à Chopin, Brahms et Rachmaninov ont été très remarqués ; elle avait, comme partenaire à l’orchestre, son compatriote Andrey Boreyko, chef issu de la grande école pétesbourgeoise et doté d’un très vaste répertoire, allant de la musique ancienne jusqu’aux contemporains. On garde un grand souvenir de son passage au festival de Colmar au tournant des années 2000 dans un concert Brahms donné avec l’Orchestre National de Russie. A l’heure actuelle, Andrey Boreyko est directeur de l’Orchestre Philharmonique de Varsovie, à la suite de chefs réputés comme Antoni Vitt et Wiltold Rowicky.

Ce troisième de Rachmaninov avec Vinnitskaya et Boreyko aura mis quelque temps à se mettre en place. Si, pour finir, l’atmosphère conflictuelle et sentimentale du mouvement lent et la verve du final furent restituées avec virtuosité et sensibilité, en revanche la neutralité du piano dans le fameux thème introductif de l’oeuvre et un orchestre pour le moins décousu et aux timbres refroidis nous valurent un premier mouvement assez déroutant. Après l’entracte, nous entendîmes un très brillant Scherzo fantastique de Josef Suk dont on se dit toutefois qu’il eût aussi bien pu ouvrir le concert, histoire de réchauffer l’orchestre. Le grand moment de la soirée fut une magnifique suite de L’Oiseau de feu d’Igor Stravinsky, donné dans sa version orchestralement allégée de 1945 : un orchestre pleinement ressaisi et l’interprétation d’Andrey Boreyko, exceptionnelle d’intelligence et d’inspiration, tant dans l’énergie rythmique et la subtilité des phrasés que dans la richesse des couleurs où, comme à l’accoutumé, la section des cors de l’OPS s’est particulièrement distinguée.

Michel Le Gris

Pli

Pour trois soirées Le Maillon propose à son public de rejoindre le public allemand à la Reithalle d’Offenburg pour assister à la performance d’un chorégraphe Viktor Cernicky, pour le moins original puisque sa prestation  s’opère sur un simple tapis de danse en jouant avec 22 chaises de conférence.


© Vojtech Brtnicky

Tenir en haleine les spectateurs pendant 50 minutes avec comme seules partenaires un groupe de chaises est en soi un défi à relever ce que réussit brillamment cet artiste venu de la République tchèque, qui a déjà été remarqué et félicité pour son travail et qui met en corrélation le corps et les objets le situant entre la danse et le cirque.

Grand et mince, vêtu d’un pantalon noir et d’une veste blanche il esquisse des pas de danse martelant le sol en rythme soutenu, évoluant entre un amas de chaises réunies en faisceau et quelques autres disposées ici ou là sur ce plateau nu et blanc fortement éclairé.

Bientôt il s’en saisit et réaliser avec elles d’étonnantes combinaisons.

Nous allons suivre ce travail d’agencement qui consiste à s’emparer de telle ou telle chaise pour venir l’emboiter méticuleusement sur une autre et ce tout en martelant le sol d’un pas de danse au rythme plus ou moins soutenu en accord avec la recherche de la chaise adéquate ou de son placement sur la précédente. Ainsi s’élaborent des figures, de belles compositions dont certaines ne manquent pas de manifester une certaine fragilité ce qui rend notre artiste parfois circonspect, parfois déterminé à poursuivre, d’où ses piétinements plus ou moins nerveux en face de la nouvelle installation qu’il vient de réussir à mettre en place comme s’il voulait la dompter, ce qui ne manque pas de créer suspense et amusement dans le public attentif au moindre de ses gestes pour parfaire son objet.

Ainsi voit-on apparaître des chaises emboîtées formant une longue ligne oblique qui va soudain s’écrouler, puis les voilà assemblées en demi-cercle comme attendant d’être occupées pour écouter un conférencier. Enfin, et c’est le clou du spectacle, voici que le performeur commence à élaborer, toujours allant et venant en martelant le sol, une sorte de pyramide en disposant les chaises qu’il récupère une à une aux quatre coins du plateau les unes au-dessus des autres rendant au fur et à mesure des rajouts l’édifice de plus en plus fragile, son inclinaison laissant présager un écroulement immédiat. Alors, soutenant la colonne qui menace de tomber il ne dispose que d’un déplacement ultra rapide pour s’emparer d’une ultime chaise qu’il réussit à placer précautionneusement au sommet  de la construction derrière laquelle  il entreprend un jeu d’escalade auquel il renonce  sans doute pour ne pas détruire l’équilibre précaire de ce bel édifice qui est comme l’éloge de la persévérance et de la virtuosité.

Un spectacle original et ludique, très apprécié du public.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

La langue de mon père

La jeune Sultan Ulutas Alopé d’ascendance kurde par son père et turque par sa mère a mis en scène et interprété ce texte qu’elle a écrit et qu’elle interprète pour nous sur la scène du TNS, dans la petite salle du studio Vincent qui crée une proximité avec le public bienvenue pour cette prestation.


©Jean-Louis Fernandez

En toute simplicité, avec naturel, elle s’avance vers nous pour nous conter son histoire et déjà nous informer que malgré ses démarches elle a dû attendre longtemps son permis de séjour ce qui  l’a empêché  de trouver un emploi mais l’a rendue disponible pour se pencher sur son propre parcours, en faire l’objet d’une réflexion, puis d’une écriture.

Une voix off nous apprend qu’elle est en France depuis cinq ans et que la langue française qu’elle a apprise est pour elle comme un gilet de sauvetage. Tant il est vrai explique-t-elle en reprenant la parole devant nous que le problème de la langue est crucial en Turquie où le kurde est interdit ce que très jeune elle a compris, son père s’interdisait de le parler et elle suppliait sa mère de ne pas dire qu’ils étaient kurdes, quitte, paradoxalement, à le lui rappeler à haute voix dans les magasins.

Une évocation dite sans pathos à laquelle se mêlent parfois le chant ou la danse parfois le cri, la colère, tous ces registres nécessaires pour exprimer, faire resurgir ce qu’on a été, ce qu’on est, ce sur quoi on s’interroge « qui suis-je vraiment ? » et comme le disent ceux qui un jour interviennent dans ta vie « D’où viens-tu ? » ce qui veut dire « qui es-tu ? ». Alors se pose cette question récurrente de ton identité.

Et l’on en vient à l’histoire des parents, la mère, turque, le père, kurde, entre eux le désir d’être ensemble, en amour mais le refus des parents de la mère, « un kurde, impossible ! » d’où s’ensuit l’enlèvement pour l’avenir d’un couple qui fera trois filles dont l’une est là sur le plateau à témoigner de cette honte d’être kurde, du secret à garder de cette origine, de cette impossibilité à vraiment la taire. De ce père il est aussi question de son comportement, de ces disparitions soudaines, de ces longues absences qui, lors de ses retours inopinés, font que l’enfant a du mal  à renouer sa relation avec cet homme qui lui paraît étranger et qui pourtant  lui avait dit  un jour qu’elle était comme sa grand-mère. Ce père qui, finalement, abandonnera complètement son foyer laissant sa femme seule avec les trois enfants. C’est alors que notre narratrice se rappelle les paroles de sa mère : « désormais c’est toi l’homme de la maison » elle avait huit ans !

C’est à Paris, mariée à un Français qu’elle réalise cette histoire complexe et décide d’apprendre la langue du père, cette langue kurde qu’ici on peut apprendre librement.

Un témoignage bouleversant donné dans un cadre très sobre avec comme seul accessoire et partenaire une simple chaise sur laquelle repose une veste d’homme représentation de ce père  à qui elle finit par dire « je te pardonne ».

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 23 janvier
En salle jusqu’au 2 février

Le Iench

Premier spectacle programmé par Caroline Guiela Ngugen, la nouvelle directrice du TNS .

« Qui sera le prochain ? » tel est le leitmotiv que l’on entendra tout au long du spectacle, énoncé sous forme de rap par les différents protagonistes qui construisent cette histoire d’une famille originaire du Mali, implantée  dans une des régions industrielles de la France besogneuse .


© Arnaud Bertereau

« Qui sera le prochain ? » question, prélude à la litanie des noms des jeunes victimes des exactions de la police au cours des dernières années, comme celui bien connu d’Adama Traoré.

La réponse est au bout de ce spectacle qui nous conte l’histoire d’une famille banale, le père Issouf (Emil Abossolo-Mbo) travaille à l’usine, à la maison la femme, Maryama(Salimata Kamaté) s’occupe des courses, du ménage et de la cuisine secondée par sa fille Ramata (Olga Mouak), dont le frère jumeau, Drissa (Souleymane Sylla) va et vient avec des copains dont le jeune Mandela (Frederico Sernedo) et Karim (Chakib Boudiab) pendant que le plus jeune, Seydouba reste encore à la maison. Drissa, lui, ce grand jeune homme de 18 ans qui a mis de côté sa scolarité rêve d’avoir un chien, un iench, seulement voilà son père s’y oppose fermement et c’est l’occasion d’une terrible confrontation entre eux et pour le père celle d’une parfaite démonstration de l’autorité patriarcale.

Ainsi va la vie, Ramata rapporte régulièrement les réflexions, les quolibets qui lui sont envoyés en raison de sa couleur de peau, Drissa cherche à la protéger et veut lui épargner les avances de ses copains.

La scénographie d’Aurélie Lelaignen, simple mais pertinente permet de suivre la vie quotidienne de la famille, un énorme cube blanc posé sur le plateau est régulièrement tourné et s’ouvre alors pour montrer le salon où parents et enfants se retrouvent assis sur des canapés ou des coussins autour de la table basse où sont servis les repas et le café et où ont lieu les remarques et les disputes.

Nous sommes en quelque sorte mêlés à leur vie quotidienne où apparait nettement le sort qui est réservé aux femmes, celui du travail à la maison, pour la mère, évidemment et pour la fille, même si elle suit une scolarité normale et persévère en dépit des humiliations subies parce qu’elle est noire.

Leur gestuelle, leur façon de s’habiller comme Drissa toujours avec son sweat rouge, capuche sur la tête, leur façon de parler tout semble bien observé, et fait montre d’une authenticité qui nous les rend proches et pour peu qu’on habite une banlieue ou certains quartiers on les reconnait comme nos voisins, jeux de ballon entre copains devant l’immeuble  ou à proximité des maisons, empoignades et chamailleries pour des riens, mais parfois on se met à danser chorégraphie (Kettly Noel).

Un parti pris de réalisme conforme au projet de Eva Doumbia, l’autrice et metteure en scène de ce spectacle, directrice de la Cie La Part du Pauvre /Nana Triban qui  cherche à  écrire et à monter des histoires dans lesquelles la diversité est clairement montrée et représentative du fait que la France fut un pays colonial, et que les descendants des colonisés habitent, près de nous comme  la famille dont il est question ici ce qui ne manque pas  de laisser paraître certaines formes de racisme et de rejet de l’autre. Preuve en est donnée avec ces scènes où Drissa tente d’aller en boîte comme les jeunes de son  âge et se fait refouler durement sans autre raison que la couleur de sa peau. Cette couleur qui entraîne un quiproquo significatif quand Ramata, lors d’un cours de danse où le professeur demande de porter un collant « chair » pose la question pourquoi un collant « cher » car chez elle on évite les dépenses excessives et qu’on lui répond « couleur de « peau» c’est-à-dire « rose » pour les Blancs  majoritaires à ce cours .

Drissa se rêve comme tout le monde et pour cela avoir un chien malgré l’interdit paternel qu’il finit par outrepasser et qui lui vaudra une telle raclée qu’il quittera la maison. Alors aux prises avec la police il se retrouve leur victime, c’est lui ce « prochain » dont on se demandait qui il serait, au grand désespoir de sa famille et de son entourage. Ainsi la liste s’agrandit-elle sans pour autant se clôturer.

Un spectacle qui touche de près le quotidien des populations afroeuropéennes et le font entrer de plein droit dans le corpus de la littérature et du théâtre.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 9 janvier au TNS

Zorrie

Zorrie a un visage. Celui de Florence Owens Thompson sur la photo désormais mythique de la Mère migrante de la Grande Dépression prise par Dorothea Lange. Une femme marquée par la vie, les épreuves et qui a pourtant conservé une dignité intacte.


C’est ainsi que l’on peut qualifier Zorrie Underwood, modeste jeune femme de l’Indiana née au début du 20e siècle et héroïne du très beau roman de Laird Hunt, auteur entre autres de La route de nuit et de Neverhome, premier grand prix de littérature américaine en 2015.

Florence Owens Thompson travailla comme Zorrie dans les champs, dans cette campagne qui marque les corps. Dure au mal, besogneuse, la vie et le monde des hommes ne lui firent aucun cadeau. Ils lui ravirent Harold, son mari, ainsi que ses amies, vaincues notamment par ce cancer qui rôdait dans l’usine d’horlogerie d’Ottawa, non loin de Chicago et qui ne disait alors pas son nom. Tous les personnages de ce livre sont bouleversants car ils ne sont en réalité que les satellites de Zorrie, cet astre dispensant sa poudre Luna bienveillante comme une poussière d’étoiles éclairant les yeux de tous ceux qu’elle rencontra.

Finaliste du National Book Award 2021, Zorrie est un roman qui fait penser aux classiques français du 19e siècle, Un coeur simple de Flaubert bien évidemment mais c’est également un livre presque barresien avec cet attachement à une terre, celle de cet Indiana qui traverse tous les romans de Laird Hunt, cette terre qui vous façonne et vous marque physiquement et mentalement. A travers ses pages, Laird Hunt transcende littérairement ces petits riens, ces attitudes invisibles, ces sentiments inavoués, ces gestes du quotidien pour en faire une symphonie pastorale et bâtir de merveilleuses statues à ces gens modestes, ces invisibles trop rarement glorifiés. On ne sut presque rien de Florence Owens Thompson. Grâce à Laird Hunt, elle vient d’entrer en littérature et porte désormais un nom : Zorrie.

Par Laurent Pfaadt

Laird Hunt, Zorrie, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Laure Tissut,
Globe, 240 p.

La menorah des champions

Une exposition revient sur l’identité juive de plusieurs clubs européens de football 

Qu’ont en commun le Bayern Munich, Tottenham Hotspur, l’Austria Vienne et l’Ajax Amsterdam, à part peut-être de se retrouver dans le même groupe d’une future Champions League ? C’est de posséder dans son ADN une forte dimension juive qu’elle soit historique ou récente, naturelle ou sciemment construite.


C’est ce qu’explore avec pertinence l’exposition du musée juif de Vienne baptisée un brin provocateur Super Jews. Car les juifs, comme dans de nombreux métiers et parties des sociétés allemande et autrichienne, ont contribué à la gloire sportive de ces pays. Ainsi plusieurs clubs autrichiens dit « juifs » comme le SC Hakoah, l’Austria Vienne ou le Vienna FC conduisirent avec leurs joueurs juifs l’Autriche vers les sommets de l’Europe footballistique en alimentant notamment la fameuse « Wunderteam » qui écrasa 6-0 en mai 1931 à Berlin une Allemagne qui prit bientôt sa revanche politiquement en intégrant l’Autriche après l’Anschluss de 1938, en renvoyant le football autrichien à un amateurisme mortifère et en assassinant, durant la Shoah, nombre de joueurs juifs dont la mémoire est évoquée dans l’exposition. Pourtant, c’est en Allemagne même que naquit, grâce à un juif, le plus grand mythe du football moderne, celui du Bayern Munich porté notamment par Kurt Landauer. Président du club jusqu’à l’arrivée des nazis en 1933, il fut ensuite déporté à Dachau avant de reprendre après la guerre ses fonctions de président d’un club devenu non seulement le symbole de la lutte contre les nazis mais également le tenant d’une popularité qui ne s’est jamais démentie en Israël.

D’autres clubs comme le mythique Ajax d’Amsterdam qui vit les exploits d’un Johann Cruyff ou celui de Tottenham dans le nord de Londres ont eux aussi acquis une réputation de « clubs juifs » non pas à cause d’une tradition historique mais en réaction à des supporters racistes et antisémites. C’est ainsi que ces deux clubs virent la naissance en leur sein de clubs de supporters revendiqués comme juifs comme à Tottenham avec la « Yid Army » qui emprunte le terme péjoratif de « youpin » alors que leurs membres ne sont pas juifs. Une exposition qui permet ainsi de réhabiliter le football et leurs supporters et de montrer que même dans un stade, il existe des espaces de tolérance.

Par Laurent Pfaadt

Super Jews, Jewish Identity in the Football Stadium,
Jüdisches Museum Wien jusqu’au 14 janvier 2024