Le Iench

Premier spectacle programmé par Caroline Guiela Ngugen, la nouvelle directrice du TNS .

« Qui sera le prochain ? » tel est le leitmotiv que l’on entendra tout au long du spectacle, énoncé sous forme de rap par les différents protagonistes qui construisent cette histoire d’une famille originaire du Mali, implantée  dans une des régions industrielles de la France besogneuse .


© Arnaud Bertereau

« Qui sera le prochain ? » question, prélude à la litanie des noms des jeunes victimes des exactions de la police au cours des dernières années, comme celui bien connu d’Adama Traoré.

La réponse est au bout de ce spectacle qui nous conte l’histoire d’une famille banale, le père Issouf (Emil Abossolo-Mbo) travaille à l’usine, à la maison la femme, Maryama(Salimata Kamaté) s’occupe des courses, du ménage et de la cuisine secondée par sa fille Ramata (Olga Mouak), dont le frère jumeau, Drissa (Souleymane Sylla) va et vient avec des copains dont le jeune Mandela (Frederico Sernedo) et Karim (Chakib Boudiab) pendant que le plus jeune, Seydouba reste encore à la maison. Drissa, lui, ce grand jeune homme de 18 ans qui a mis de côté sa scolarité rêve d’avoir un chien, un iench, seulement voilà son père s’y oppose fermement et c’est l’occasion d’une terrible confrontation entre eux et pour le père celle d’une parfaite démonstration de l’autorité patriarcale.

Ainsi va la vie, Ramata rapporte régulièrement les réflexions, les quolibets qui lui sont envoyés en raison de sa couleur de peau, Drissa cherche à la protéger et veut lui épargner les avances de ses copains.

La scénographie d’Aurélie Lelaignen, simple mais pertinente permet de suivre la vie quotidienne de la famille, un énorme cube blanc posé sur le plateau est régulièrement tourné et s’ouvre alors pour montrer le salon où parents et enfants se retrouvent assis sur des canapés ou des coussins autour de la table basse où sont servis les repas et le café et où ont lieu les remarques et les disputes.

Nous sommes en quelque sorte mêlés à leur vie quotidienne où apparait nettement le sort qui est réservé aux femmes, celui du travail à la maison, pour la mère, évidemment et pour la fille, même si elle suit une scolarité normale et persévère en dépit des humiliations subies parce qu’elle est noire.

Leur gestuelle, leur façon de s’habiller comme Drissa toujours avec son sweat rouge, capuche sur la tête, leur façon de parler tout semble bien observé, et fait montre d’une authenticité qui nous les rend proches et pour peu qu’on habite une banlieue ou certains quartiers on les reconnait comme nos voisins, jeux de ballon entre copains devant l’immeuble  ou à proximité des maisons, empoignades et chamailleries pour des riens, mais parfois on se met à danser chorégraphie (Kettly Noel).

Un parti pris de réalisme conforme au projet de Eva Doumbia, l’autrice et metteure en scène de ce spectacle, directrice de la Cie La Part du Pauvre /Nana Triban qui  cherche à  écrire et à monter des histoires dans lesquelles la diversité est clairement montrée et représentative du fait que la France fut un pays colonial, et que les descendants des colonisés habitent, près de nous comme  la famille dont il est question ici ce qui ne manque pas  de laisser paraître certaines formes de racisme et de rejet de l’autre. Preuve en est donnée avec ces scènes où Drissa tente d’aller en boîte comme les jeunes de son  âge et se fait refouler durement sans autre raison que la couleur de sa peau. Cette couleur qui entraîne un quiproquo significatif quand Ramata, lors d’un cours de danse où le professeur demande de porter un collant « chair » pose la question pourquoi un collant « cher » car chez elle on évite les dépenses excessives et qu’on lui répond « couleur de « peau» c’est-à-dire « rose » pour les Blancs  majoritaires à ce cours .

Drissa se rêve comme tout le monde et pour cela avoir un chien malgré l’interdit paternel qu’il finit par outrepasser et qui lui vaudra une telle raclée qu’il quittera la maison. Alors aux prises avec la police il se retrouve leur victime, c’est lui ce « prochain » dont on se demandait qui il serait, au grand désespoir de sa famille et de son entourage. Ainsi la liste s’agrandit-elle sans pour autant se clôturer.

Un spectacle qui touche de près le quotidien des populations afroeuropéennes et le font entrer de plein droit dans le corpus de la littérature et du théâtre.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 9 janvier au TNS