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Grille de départ mythique

Les plus belles voitures de course réunies dans un livre collector

Qui n’a jamais rêvé de s’installer au volant de l’un de ces bolides et de s’identifier aux plus grands coureurs automobiles ou aux acteurs de cinéma ? Qui n’a jamais rêvé de passer sa main sur ces carrosseries de métal peintes comme on caresserait un marbre de Canova ?


Le livre de Charlotte et Peter Fiell véritable référence est aujourd’hui éditée dans la collection 40th anniversary qui regroupe les grands succès du catalogue de TASCHEN dans un format plus compact et à des prix abordables. Organisé chronologiquement, de la Bearcat  Modèle A (1912) aux McLaren Speedtail et Aston Martin Valkyrie, l’ouvrage nous embarque pour un voyage incroyable dans la passionnante histoire de l’automobile et des courses mais surtout, traite ces voitures comme de véritables œuvres d’art, ce qu’elles sont. Véritable ballet de couleurs, il y a les vertes Jaguar Type E et Aston Martin Zagato, les rouges Ferrari et Alfa Romeo, l’orange McLaren ou les grises Mercedes et BMW avant que ces dernières, dans une sorte de transe de vitesse et de robes de métal ne deviennent de noires Ferrari comme cette 250 Testa Rossa ou cette Maserati Tipo « Birdcage » qualifiée de « meilleure voiture dans les virages » par Caroll Shelby, cette bleue Lamborghini Centenario ou cette Porsche 904/6 Carrera GTS qui s’illustra au Mans en 1965 (4e) avec Herbert Linge derrière trois Ferrari et dont l’allure bordeaux tout à fait exquise, en fit un cru exceptionnel.

Ford GT40

Bien évidemment, les monstres sacrés de la course automobile sont là : la légendaire Ferrari 250 GTO de 1962 ou la Ford GT40 Mark II couleur or capable d’atteindre une vitesse de 346 km/h. Le livre rappelle à juste titre leurs exploits dans les courses d’endurance notamment les 24 heures du Mans grâce à de merveilleuses photos d’archives et des affiches.

Steve Mc Queen

Dans cette galerie rugissante, chacun a sa préférée et tout classement demeure subjectif. Mais tout de même, on ne résiste que peu de temps devant la flamboyante Shelby Cobra Daytona coupé qui s’illustra aux 12 heures de Sebring et aurait dû en 1964 constituer « l’arme secrète » des Américains aux 24h du Mans, la Jaguar XKSS « Green Rat » de Steve McQueen construite à seulement seize exemplaires et qui triompha sur le circuit routier de St. Eugene au Canada ou la Mercedes SLR 3000 avec ses portes papillon ou en version roadster avec son air si distingué.

Les voitures c’est finalement comme Tintin. Elles ravissent les femmes et les hommes et passionnent de 7 à 77 ans. Elles excitent nos fantasmes de beauté, de richesse ou de puissance. Chacun a une histoire, un souvenir, un moment de vie attaché à l’une d’elles que le livre de Charlotte et Peter Fiell ressuscite immédiatement grâce à leurs magnifiques photos d’usine ou d’intérieur.

Le livre donne ainsi le tournis devant tant d’ingéniosités mécaniques, de réussites sportives et d’élégance. Au final, peu importe si l’on est amoureux de voitures ou non, il s’agit d’abord d’œuvres d’art et, à l’instar d’un tableau du Caravage ou d’un marbre de Canova, ce livre séduira, à coup sûr, tous les amoureux du beau.

Par Laurent Pfaadt

Charlotte et Peter Fiell, 50 Ultimate Sports Cars. 40th
Ed. TASCHEN, 512 p.

Espion un jour, espion toujours

Années 80-90. Alors que la rivalité USA-URSS bat son plein, en coulisses, les espions s’activent

Au début des années 1980, les deux superpuissances voient arriver à leurs têtes des hommes qui allaient relancer la guerre froide et la course aux armements. Tandis qu’aux Etats-Unis, le nouveau président Ronald Reagan soutenu par des néo-conservateurs farouchement hostiles aux soviétiques qualifie l’URSS d’« empire du mal », à Moscou, le KGB de Iouri Andropov vient de prendre le pouvoir.


Au même moment, un ingénieur russe, Adolf Tolkatchev, collabore depuis près de cinq années avec la CIA. L’homme travaille sur les systèmes de radar équipant les MIG, les avions soviétiques et les renseignements qu’il transmet aux Américains vont entrainer des avancées considérables en matière de développement militaire et leur permettre de réaliser des économies faramineuses. L’impressionnant et passionnant livre que lui consacre David E. Hoffman, prix Pulitzer 2010 pour ses travaux sur les oligarques russes, se nomme d’ailleurs L’espion qui valait des milliards. A l’instar d’un roman de John Le Carré tant ses descriptions d’une Moscou verrouillée par le KGB qui, paradoxalement, ne se rendit compte de rien, des déguisements et des ruses des agents de la CIA pour déjouer la surveillance soviétique sont hallucinantes, l’ouvrage fait de ce « Monsieur Tout le monde » abhorrant le système soviétique et ayant planifié de longue date sa trahison, son personnage central.

Se basant sur une multitude de documents déclassifiés et ayant rencontré les témoins de cette histoire d’espionnage hors du commun, David Hoffman insère ces éléments dans un récit où la tension ne fait que grimper à mesure que l’on se rapproche de l’épilogue funeste d’une histoire qui, finalement, attend tout espion. Car si les plus chanceux parviennent à se réfugier dans le camp qu’ils ont choisi, les autres finissent au mieux dans un pénitencier de haute sécurité (Etats-Unis), au pire avec une balle dans la nuque (URSS). Et à bien des égards, l’histoire d’Adolf Tolkatchev a quelque chose de pathétique. Même s’il demanda à être rémunéré pour sa trahison, il semblait surtout soucieux d’obtenir des albums de Genesis, d’Alice Cooper ou un walkman pour son fils alors que grâce à lui, l’industrie de l’armement américaine gagna des milliards de dollars. Pathétique fut aussi sa fin. L’homme qui organisa méthodiquement sa vie pour ne jamais être remarqué fut trahi par un stagiaire de la CIA, le fameux Edward Lee Howard qui, renvoyé de l’agence pour incompétence, décida de se venger en révélant au KGB qu’une taupe se trouvait dans ses rangs.

En cette fin des années 80, le KGB, désavoué par l’affaire Tolkatchev, ne s’avoua pourtant pas vaincu. Et tandis que se rapproche l’épilogue d’une guerre froide que personne ne vit venir, sur le sol américain, les opérations d’espionnage et d’infiltration et les retournements d’agents de la CIA et du FBI se poursuivent. Alors qu’Howard révélait l’identité de Tolkatchev, un autre officier « fade et médiocre » de la CIA aux dires de ses collègues et prénommé Aldrich Ames renseignait déjà les Soviétiques, bientôt suivi d’une autre taupe du FBI, Robert Hanssen.

L’arrestation de ce dernier en 2001 semblait avoir mis un terme aux fuites vers une URSS transformée en Russie poutinienne. Pourtant personne ne savait alors que le KGB possédait et possède toujours une quatrième taupe au sein de la CIA, venant ainsi confirmer la paranoïa d’un James Angleton désavoué pourtant quelques décennies plus tôt. C’est ce que nous raconte Robert Baer, ex-agent de la CIA reconverti en écrivain à succès dans cet autre livre passionnant qui se lit comme un thriller. Car cette quatrième taupe est une sorte d’arlésienne, un mythe qui se raconte non seulement devant la machine à café mais entre deux portes loin d’oreilles indiscrètes. Car à lire Robert Baer, elle existe et elle se niche au plus haut sommet de la CIA. Une sorte de Philby américain travaillant pour Poutine. Cachée peut-être depuis des décennies, traversant les époques et les régimes, elle a trompé des générations entières de responsables de la CIA.

Robert Baer s’est ainsi lancé dans cette enquête passionnante en interrogeant d’anciens cadres de la CIA afin de remonter la piste de cette taupe. Il s’est heurté à des murs, aux soupçons qui masquaient avant tout l’incurie de ces « bureaucrates qui ont privilégié la survie à la vérité ». Son livre qui se lit d’une traite tant il est prenant nous emmène des couloirs de Langley en Virginie à Moscou en passant par l’Amérique du Sud et Washington. Les pistes finissent par remonter jusqu’à un ancien chef du contre-espionnage de la CIA qui fut notamment chargé de l’évaluation des dommages causés par Robert Hanssen, la taupe au sein du FBI ! Pour autant, le « mystère d’espionnage le plus passionnant des temps modernes » demeure entier nous dit Robert Baer qui loin de nous laisser sur notre faim, nous maintient au contraire en haleine.

Le plus effrayant dans cette histoire réside dans le fait que tout est véridique et que la taupe, ayant probablement lu ce livre en se disant comme nous, que son sort ainsi celui de Tolkatchev, n’a finalement tenu qu’à un fil, un fil désormais tiré par un autre maître du Kremlin issu du KGB. Un fil aux ramifications remontant jusqu’à la Maison Blanche et le Kremlin qui reste cependant soumis aux aléas d’une coïncidence ou d’un évènement d’une banalité affligeante.

Par Laurent Pfaadt

David E. Hoffman, L’Espion qui valait des milliards, éditions des Syrtes, 368 p.

Robert Baer, Le quatrième homme, un espion russe à la CIA, édition Saint-Simon, 275 p.

A lire également :

Rémi Kauffer, Les espions de Cambridge, cinq taupes soviétiques au cœur des services secrets de Sa Majesté, Perrin, 384 p.

L’imagination au pouvoir

L’International Congress of Arabic Publishing and Creative Industries et l’Abu Dhabi International Book Fair ont abordé des questions liées aux littératures de l’imaginaire

Super-héros et autres génies s’étaient donnés rendez-vous dans la capitale des Emirats Arabes Unis pour souffler aux oreilles des créateurs et autres financiers qui avaient pris place dans l’immense centre des congrès d’Abu Dhabi à l’occasion de l’International Congress of Arabic Publishing and Creative Industries organisé en prélude à l’Abu Dhabi International Book Fair. Et avec comme maître de cérémonie, rien de moins que le scénariste des Avengers, Brian Michael Bendis. A l’instar d’une Tornade des X-Men (Storm), l’ancien collaborateur de Stan Lee est ainsi venu souffler un vent d’optimisme sur tous ces créateurs en herbe qui, dans cette partie du monde, commencent à émerger. « Dites votre histoire, dites-là du fond du cœur et des millions de personnes ressentiront la même chose » lança-t-il à une assistance convaincue de la force d’un pouvoir de l’imagination capable de miracles y compris fantastiques.


Brian Michael Bendis
© SZBA

Mais qui dit pouvoir de l’imagination revient à évoquer son détenteur. Et à l’heure du débat planétaire sur la révolution ChatGPT qui agite aussi bien auteurs, scientifiques, politiques ou journalistes, se pose bien évidemment la question récurrente de l’influence grandissante de l’Intelligence Artificielle sur la création de contenus. Les différents intervenants du congrès ont ainsi manifesté à la fois inquiétude et volonté de s’inscrire dans cette révolution technologique transformée en nouvelle querelle entre anciens et modernes. Car si les uns voient les nouvelles technologies comme une plus-value dans l’intensité dramatique apportée à leurs histoires, les autres craignent cependant qu’elles prennent le pas sur la dimension humaine de l’imaginaire.

D’ailleurs, de l’imagination à l’imaginaire et plus particulièrement à la fantasy, il n’y a qu’un pas que les auteurs présents tant au congrès qu’à la foire ont aisément franchi. Tout le monde connaît Dune de Frank Herbert qui emprunta de nombreux traits à la culture arabe et à la religion musulmane ou Sharakhaï, la saga de fantasy de Bradley F. Beaulieu qui se déroule dans une contrée fortement inspirée du Moyen-Orient. Qu’il s’agisse de science-fiction ou de fantasy, ces genres littéraires gagnent ici, depuis plusieurs années, une certaine audience. « Notre culture regorge d’histoires » estime pour sa part Ibraheem Abbass, auteur de la success story saoudienne HWJN (hawjan) partie avec « zéro dollar de budget » comme il se plaît à le rappeler. Son histoire est ainsi devenue un roman puis un film et bientôt un comic. Et à l’instar de son héros, un génie tombant amoureux d’une mortelle, la culture arabe regorge de légendes fantastiques, de génies, de démons – les fameux djinns – prompts à nourrir l’imaginaire créatif de nombreux créateurs. D’ailleurs, l’une des tables-rondes de la foire d’Abu Dhabi intitulée « Mystery Fiction and Fantasy in Arab Literature : Questions and Models » a permis de mettre en lumière les influences fantastiques et de l’imaginaire dans la littérature arabe et de tracer les lignes d’un genre littéraire encore en devenir.

Alors pourquoi ces thèmes sont si peu représentés dans la littérature arabe ? Parce que celle-ci a essentiellement exploré la piste du roman arabe moderne mené notamment par la figure tutélaire de l’égyptien Naguib Mahfouz, prix Nobel en 1988, que ce genre littéraire a été – comme en Occident d’ailleurs – méprisé pendant très longtemps, que la pop culture n’a pas eu une influence aussi importante dans les pays arabes et enfin que le rapport de ce genre littéraire à l’Islam a pu brider de nombreuses initiatives – Ibraheem Abbass reconnaît d’ailleurs qu’il a dû faire face à des critiques religieuses dans son pays, l’Arabie Saoudite – qui, cependant, tendent à se libérer et à se développer ces dernières années. Mais la mondialisation de la culture anglo-saxonne qui notamment ici, aux Emirats Arabes Unis, a trouvé un écho avec le tournage de nombreux blockbusters américains comme Star Trek Beyond, Fast and Furious 7 ou Star Wars VII et la présence de Warner Bros World Abu Dhabi, un parc à thème autour du cinéma a accéléré cette révolution des mentalités.

Et comme la culture ne connaît pas de frontières, cette évolution est passée à la littérature. Ainsi, la présence dans les finalistes de l’International Prize for Arabic Fiction, le « Goncourt » arabe de The Farthest Horizon, une comédie satirique racontée par Azrael, l’ange de la mort de Fatima Abdulhamid, une auteure saoudienne de surcroît montre, au-delà des clichés, que les choses évoluent y compris sur ce terrain littéraire.

Et si la querelle entre anciens et modernes ne se situait pas entre bonne et mauvaise littérature, ni entre IA et création humaine mais plutôt entre Entertainment et éducation ? Etienne F. Augé, universitaire français enseignant aux Pays-Bas et invité au congrès a rappelé qu’on lit de moins en moins au profit de séries sur les plateformes. Il voit cependant dans la science-fiction l’alliance parfaite entre le divertissement et l’éducation notamment dans le monde digital et pense que la fantasy arabe peut être un vecteur important de promotion de la culture arabe et de ses valeurs. « Le pouvoir de la science-fiction est sans limites. Elle constitue un formidable outil pour préparer les gens au futur tout en les prévenant du pire » estime-t-il. Outil qui s‘est notamment matérialisé, il y a quelques années, dans Yatakhayalon (The League of Arabic SciFiers), une maison d’édition fondée par Ibraheem Abbas et qui souhaite encourager la science-fiction arabe. Autant dire que les super-héros ont encore de beaux jours devant eux dans cette partie du monde, notamment ici à Abu Dhabi et que l’avenir de la littérature réside peut-être dans la fantasy et la science-fiction. D’ailleurs l’un des courants de cette dernière ne se nomme-t-il pas anticipation ?

Par Laurent Pfaadt

Image : Abu Dhabi International Book Fair ©SZBA

Il y a ici une véritable volonté de créer un dialogue entre les peuples, entre les civilisations, entre les religions

Mathieu Tillier est professeur d’histoire islamique médiévale à la Sorbonne et l’auteur de nombreux ouvrages. L’un d’eux, L’invention du cadi. La justice des musulmans, des juifs et des chrétiens aux premiers siècles de l’Islam publié aux éditions de la Sorbonne, celles de son université, en 2017 a obtenu cette année le Sheikh Zayed Book Award dans la catégorie ouvrage traduit dans une autre langue. Pour Hebdoscope, il revient sur ce dernier…

H Sheikh Nahyan bin Zayed Al Nahyan et Mathieu Tillier
© SZBA

Racontez-nous l’extraordinaire aventure qui a conduit à ce prix. Comment tout a commencé ?

Je ne sais pas. Lorsque j’ai appris que j’étais shortlisté qui est le moment tout court où j’ai appris que je faisais partie de la compétition, j’ai prévenu les éditions de la Sorbonne qui n’étaient pas au courant. Je savais vaguement que l’on pouvait postuler mais cela ne me serait jamais venu à l’esprit de franchir le pas. La seule chose que je peux supposer c’est que le comité international a recherché les livres susceptibles de retenir leur attention.

Mon livre est un ouvrage écrit en français puisque c’est la langue dans laquelle je raisonne même si l’objectif est de communiquer avec tous les universitaires et spécialistes du monde entier notamment arabophones sur ces questions. Ma satisfaction est d’autant plus grande de voir ce livre couronné car la langue française est en recul dans le monde arabe. Moi-même je communique en anglais depuis longtemps avec des collègues anglo-saxons aux Etats-Unis ou en Angleterre. J’ai eu la chance, il y a une quinzaine d’années, de passer deux ans à Oxford où j’ai notamment appris le syriaque. Cela m’a beaucoup aidé à entrer dans le système mondialisé de cette recherche particulière.

Puis on vous appelle pour vous dire « c’est vous ». Que se dit-on à cet instant, à propos d’un livre écrit il y a six ans ?

Il est certes sorti il y a six ans mais il a été essentiellement écrit entre 2012 et 2016 à partir de recherches que j’ai commencé en 2008. Pour autant c’était totalement inattendu car on s’attend à voir des ouvrages plus récents l’emporter et quand j’ai vu la liste finale avec certains livres comme celui de Béatrice Grundler, une chercheuse bien plus établie que moi, The Rise of the book, je ne me suis fait pas beaucoup d’illusions. Et finalement non.

D’où vous vient cet intérêt pour le monde arabe ?

Il est probablement né lors d’un voyage effectué à l’adolescence avec mes parents en Egypte et qui m’a permis de découvrir qu’il existait un monde arabe, une histoire au-delà des pharaons. Puis à l’âge de quinze ans, la lecture du Désert des déserts de Wilfred Thesiger, un écrivain très connu ici, a été déterminante pour moi. Il s’agit du dernier témoignage sur le golfe arabo-persique avant le pétrole. Enfin, la rencontre avec des enseignants de l’université de Lyon a orienté mes recherches dans le monde musulman médiéval.

Ce prix va-t-il entrainer selon vous un regain d’intérêt du public français pour les pays du Golfe et les Emirats Arabes Unis ? Pour voir qu’il se passe des choses dans cette partie du monde.

Je pense que beaucoup de gens regardent déjà. Les Emirats Arabes Unis sont devenus une plateforme d’enseignement, une plateforme culturelle importante. Il suffit de voir ce qu’il y a et ce qui se développe. Les Français sont souvent critiques. Moi, au contraire, je crois qu’il y a ici une véritable volonté de réunir un certain nombre d’institutions culturelles, d’enseignement, de créer un dialogue entre les peuples, entre les civilisations, entre les religions. Cela fait plusieurs années que je viens ici, pour des missions d’enseignement de l’histoire ou de l’archivistique. Et je vois un public d’Emiriens toujours plus intéressé, un public où figure un nombre croissant d’étudiants et de jeunes.

Avec ce prix, vous devenez en quelque sorte un ambassadeur du Sheikh Zayed Book Award et à travers lui de ce qui se passe ici…

Peut-être mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est de m’inscrire dans une dynamique d’échanges au niveau mondial. Après si les Français s’y intéressent, tant mieux !

Par Laurent Pfaadt

A lire également les livres de Wilfred Thesiger, Le désert des déserts (Pocket, 1999) et La vie que j’ai choisie (Points, 2017).

Des bougies et des étoiles

Pour son quarante-cinquième anniversaire, le festival Jazz in Marciac a invité une pléiade de stars

Du chemin a été parcouru depuis cette idée folle d’organiser en 1978 la première édition d’un festival de jazz en plein milieu de la campagne gersoise. Et quel chemin ! Quarante-cinq ans plus tard, les plus grandes stars du jazz, du blues, de la folk et du rock se croisent sur la scène du chapiteau. Des légendes qui ont marqué de leurs empreintes indélébiles ce festival devenu incontournable tant pour les artistes que pour les passionnés ou simplement ceux qui veulent vivre une expérience musicale et humaine unique. 


Nombreux sont les festivals qui s’estimeraient heureux d’avoir comme tête d’affiche l’un des nombreux artistes qui, une nouvelle fois, monteront sur scène. Or, pour cette 45e édition, chaque soirée aura sa star internationale : Norah Jones, Ben Harper, Gilberto Gil, Gregory Porter, Goran Bregovic et d’autres. Et c’est un Français et pas n’importe lequel qui ouvrira cette nouvelle édition : Mc Solaar, la légende du rap français qui précèdera Sofiane Pamart. Du rap pour ouvrir un festival jazz. Avec cet anniversaire, le festival rappelle qu’il a toujours voulu croiser les esthétiques et les styles musicaux. Le blues avec Poppa Chuby et le « King » Joe Bonamassa, en tournée dans toute la France. La pop et la folk avec Suzanne Vega qui, avec Luka et Tom’s Diner nous ramènera dans les années 80 avant que le génial Ben Harper dont les lives constituent toujours des moments inoubliables, ne monte sur scène avec sa désormais légendaire Weissenborn pour nous interpréter les titres de son nouvel album, Wide open light. Les musiques du monde avec un chassé-croisé entre l’Afrique de Fatoumata Diawara et Femi Kuti, la Cuba d’un Roberto Fonseca, fidèle parmi les fidèles du festival, le oud tunisien de Dhafer Youssef et les Balkans d’un Goran Bregovic qui mettra à coup sûr le chapiteau sens dessus-dessous.

Les grandes voix féminines seront également au rendez-vous. Ils auront pour noms Norah Jones, Robin Mc Kelle et Selah Sue. Parmi ces tourbillons musicaux incessants, il faudra vous préparer à quelques tempêtes. Le cyclone brésilien de Gilberto Gil, l’incendie d’un Gregory Porter ou l’éclipse musicale d’un Pat Metheny toujours aussi fascinant. On prêtera aussi attention à ces nouvelles voix en devenir, les étoiles montantes d’Endea Owens, de Laura Prince, de Sarah Lenka ou de Samara Joy qui illumineront les scènes du chapiteau ou de l’Astrada. Car ici à Marciac révéler les talents et acclamer les légendes vont de pair.

Tout cette galaxie musicale sera placée sous la figure tutélaire d’un Wynton Marsalis, « meilleur trompettiste de jazz vivant » et parrain du festival depuis une trentaine d’années qui conduira une cohorte plus jazzy que jamais où l’on retrouvera notamment Brad Mehldau, Kenny Barron et Abudllah Ibrahim. Etoiles, galaxies ou éclipses, préparez-vous donc à une nouvelle révolution musicale.

Pour vous accompagner dans ces nuits magiques, rien de mieux, à l’ombre d’un arbre ou entre amis que quelques lectures. Hebdoscope vous conseille notamment Fatal tempo (Albin Michel, 2023) de l’autrice de polars norvégiens à succès, Randi Fuglehaug. Après La Fille de l’air, cette nouvelle enquête de la journaliste Agnès Tveit nous emmène en plein festival de jazz de Voss sur la piste d’une diva empoisonnée qui réservera au lecteur bien des surprises. Pour ceux qui sont plutôt blues, on leur conseillera Delta Blues de Julien Delmaire (Grasset, 2021), une merveilleuse histoire d’amour dans le delta du Mississippi entre thriller, Klux Klux Klan, culte vaudou et surtout musique de ces années 30 avec des bluesmen inoubliables qui vous hanteront longtemps, surtout après avoir entendu Joe Bonamassa !

Par Laurent Pfaadt

Pour retrouver toute la programmation de Jazz in Marciac : https://www.jazzinmarciac.com/

Bibliothèque ukrainienne, épisode 6

Plus d’un an de guerre et déjà le conflit opposant l’Ukraine et la Russie tend à se banaliser, à faire partie de notre quotidien. Les yeux du monde entier commencent à détourner leur regard vers une Chine de plus en plus menaçante envers Taïwan et vers une présidentielle américaine à ses débuts. La guerre continue cependant à faire rage dans les plaines et les villes d’Ukraine où des milliers d’hommes et de femmes périssent tous les jours parmi lesquels de nombreux artistes et écrivains engagés dans la défense de leurs terres et de leur liberté à qui nous rendons hommage ici tandis que leurs sanctuaires, les bibliothèques, sont détruites, rasées par les forces d’occupation. Valeriya Karpylenko, poétesse et combattante de l’usine Azovstal dont nous avions publié l’un de ses nombreux poèmes dans notre épisode précédent a été libérée le 10 avril. Elle a pu retrouver les siens et cultiver le souvenir d’Andrei, son mari tué dans l’usine de Marioupol.


Bibliothèques de Toresk dans le Donbass

Ainsi près de 1500 infrastructures culturelles ont été endommagées ou détruites depuis le début du conflit dont 555 bibliothèques, musées et galeries. Pour autant, la population ukrainienne aidée des forces armées se mobilisent pour reconstruire ce qui a été détruit dès qu’elles le peuvent notamment dans les villes reconquises comme à Rivne et Ternopil. A Kherson, après la reprise de la ville en novembre 2022 par les forces ukrainiennes, la bibliothèque centrale pour enfants a repris son activité. Les troupes russes ont volé ordinateurs portables et projecteurs mais n’ont pas touché aux livres ! Dans les villes toujours sous occupation notamment dans l’est du pays comme à Lyman, Toretsk ou Siversk dont nous publions les photos dans cet épisode, des bénévoles au courage exceptionnel, continuent à entretenir la flamme de la culture et du livre. Nous leur rendons également hommage.

Bibliothèque ukrainienne dont voici le sixième épisode n’oublie pas tous ces héros du quotidien et continue à mobiliser l’opinion pour défendre les bibliothèques du pays. Et tandis que l’histoire continue à s’écrire sur les champs de bataille, la guerre a définitivement pris place dans les livres d’histoire, les récits et autres témoignages. Andrei Kourkov, dans son Journal d’une invasion, a écrit que « la guerre et les livres sont incompatibles. Mais après la guerre, des livres raconteront son histoire. » Pour autant des livres racontent déjà cette histoire et comme à chaque épisode, Bibliothèque ukrainienne se veut l’écho de ces parutions qui rendent compte du conflit, de sa complexité et de son impact sur le monde. Pour ne pas banaliser cette guerre, pour rester mobilisé car, qu’on le veuille ou non, cette guerre est aussi la nôtre.

Andrei Kourkov, Journal d’une invasion, éditions Noir sur Blanc, 256 p.

Encore peu connu voilà deux ans, on ne présente désormais plus Andrei Kourkov, l’écrivain ukrainien le plus célèbre, prix Médicis étranger l’année dernière pour Les Abeilles grises (Liana Levi, 2022). Comme tant d’autres intellectuels et écrivains ukrainiens que nous avons relayé dans ces colonnes, il a fui son pays et vit désormais en exil en Allemagne. Dans Journal d’une invasion, il retrace cette guerre bien avant son déclenchement. Entre auto-dérision – la roulette du dentiste tombant en panne dans la bouche d’un patient faute d’électricité – et routine du quotidien qui prend des airs d’actes héroïques comme cuire et manger du pain dans les ruines, entre souvenirs d’enfance et opérations militaires (attaque de l’aéroport d’Hostomel, destruction de Marioupol), Andrei Kourkov livre avec ce document dédié aux soldats de l’armée ukrainienne – il confesse d’ailleurs ne plus pouvoir écrire de fiction – une profonde réflexion sur les rapports entre l’Ukraine et la Russie, sur leurs histoires politiques et leurs langues, sur enfin la réécriture de l’histoire. 

Souvent, sa plume d’ordinaire si surréaliste se veut épique, martelant le lecteur comme un tocsin comme lorsqu’il affirme que « l’Ukraine sera soit libre, indépendante ou européenne, soit elle n’existera pas du tout ». Véritable ode à l’Ukraine, à son peuple et à sa souveraineté, ce Journal d’une invasion devrait connaître une suite. 

Michel Goya, Jean Lopez, L’ours et le renard, Histoire immédiate de la guerre en Ukraine, Perrin, 352 p.

Très tôt la bataille de Bakhmout a été surnommée la « Verdun de l’Ukraine » par de nombreux médias. Une histoire immédiate qui venait d’entrer de plein fouet dans celle des 20e et 21e siècles. Il était donc naturel que sa codification à une échelle globale prenne forme alors même que le conflit n’est pas encore achevé. 

Les deux auteurs – Michel Goya, expert du fait militaire et Jean Lopez, l’un de nos meilleurs spécialistes de l’histoire de la guerre à l’Est pendant le second conflit mondial – ont choisi le dialogue pour évoquer cette première année de guerre, leur analyse s’arrêtant à la mi-mars 2023. Ils y évoquent notamment dans un récit qui fourmille de détails l’attaque du 24 février 2022 et l’échec de la Blitzkrieg, l’évacuation de Kherson, la milice Wagner, les crimes de guerre, la fourniture de chars par les puissances européennes ou les tentatives d’assassinat contre le président Zelensky et son gouvernement. Leurs expertises et analyses concentrées sur le fait militaire demeurent toujours pertinentes notamment lorsqu’elles évoquent la possibilité d’une contre-offensive ukrainienne dans le sud du pays, contre-offensive déclenchée ces derniers jours : « une percée en direction de Melitopol serait beaucoup plus productive. Si les Ukrainiens parvenaient à la mer d’Azov, le front russe serait coupé en deux. » 

Une raison suffisante pour lire ce livre passionnant de bout en bout qui permet, au-delà des flux d’informations, de resituer et de comprendre avec clarté ce qui se joue aux portes de l’Europe.

Luba Jurgenson, Quand nous nous sommes réveillés, nuit du 24 février 2022 : invasion de l’Ukraine, Verdier, 96 p.

L’une de nos meilleures traductrices du russe, Luba Jurgenson évoque dans ce témoignage personnel, sa sidération de la guerre. Vécu comme un cauchemar qui a pris forme sans s’en rendre compte, dans ces petits riens qu’on ne remarque pas, son témoignage mêle à la fois récit personnel et histoire d’une dérive de ce pays dont elle aime tant les écrivains. 

Pour vaincre ce cauchemar, Luba Jurgenson utilisent les armes qu’elle connaît le mieux : la langue, la littérature et l’histoire. Elle convoque ses maîtres, ceux dont elle a épousé les voix, Chalamov bien évidemment mais également Grossman et Mandelstam et ses souvenirs de ce « pays disparu » que l’on croyait à jamais rangé dans les livres d’histoire. Aujourd’hui ces derniers, en Russie, suintent du sang de la guerre et tentent par tous les moyens d’amputer à l’Ukraine, ce « bras gauche de l’Europe », sa liberté et sa langue. Avec ce témoignage à la fois touchant et inspirant, Luba Jurgenson nous invite à entrer dans sa « maison dévastée » pour y trouver quelques motifs d’espoir malgré tout.

Luca Crippa, Maurizio Onnis, La petite fille de Kiev, Alisio, 320 p.

Alisa est partout et nulle part à la fois. Elle n’existe pas et en même temps elle est le visage de tous ces enfants ukrainiens. Voilà ce qu’on ressent à la lecture de ce livre puissant, envoûtant jusqu’à la dernière page. A cause de son caractère universel. Luca Crippa et Maurizio Onnis, auteurs du Photographe d’Auschwitz, ont composé à partir de centaines de témoignages de réfugiés et de victimes ce récit, cette narrative non-fiction qui évoque la guerre à hauteur d’enfant. 

Vivant dans une banlieue de Kiev, Alisa, dix ans, et sa famille sont comme des millions d’Ukrainiens surpris par l’attaque des forces russes à laquelle ils n’ont pas voulu croire. Jetées sur les routes de l’exil aux premières heures du 24 février 2022, elles tentent alors de rejoindre Lviv. Alisa ne comprend pas immédiatement ce qui se passe puis voit un peuple entier reprendre courage et résister. Elle s’émeut à propos de choses qui n’appartiennent qu’à l’univers des enfants comme ces animaux des zoos qu’il faut protéger et qui pourtant concourent à faire de la banalité de la vie, un élément de paix et de stabilité qui a volé en éclats. Mais bientôt la résistance et la résilience reprennent le dessus. Ce livre est bouleversant car Alisa pourrait être la fille de chaque lecteur, une petite fille devenue trop vite adulte.  

Mikhaïl Chichkine, La paix ou la guerre, Réflexions sur le « monde russe », éditions Noir sur Blanc, 208 p.

Ecrire l’histoire, c’est aussi analyser en toute objectivité, les motivations de l’agresseur. Poursuivant la lecture entamée avec le Journal d’une invasion d’Andrei Kourkov et son analyse de la réécriture de l’histoire par la Russie, les éditions Noir sur Blanc publient dans le même temps le recueil d’essais de Mikhaïl Chichkine sur le monde russe. L’un des intellectuels russes les plus brillants de sa génération et opposant à Vladimir Poutine depuis l’annexion de la Crimée en 2014 a été récompensé pour ce livre par le prix Strega européen en 2022, ex-aequo avec Amélie Nothomb.

Il y livre des réflexions éclairantes sur des sujets tels que la mésentente entre Russie et Occident, le style de vie russe ou les relations à venir entre la Russie et le monde. Particulièrement intéressante est son analyse des tentatives démocratiques qui conduisirent invariablement à de nouvelles autocraties et dictatures dans l’histoire russe. Un livre plus que salutaire pour comprendre ce monde de demain dans lequel, fatalement, la Russie aura, une nouvelle fois, un rôle à jouer.

Par Laurent Pfaadt

Un dragon dans le moteur

Les 24h du Mans fêtent leur centenaire. Retour sur une légende française 

Que dire des 24h du Mans ? Qu’au même titre que le béret, la baguette, le Tour de France ou Edith Piaf, la course fait désormais partie du patrimoine français. A l’occasion de son centenaire, de nombreux livres viennent célébrer cette épreuve mythique, ce dragon à la fois terrible et envoûtant qui conjugue vitesse et endurance, intrépidité et patience et forgea dans le goudron brûlant sarthois les légendes de ces guerriers modernes et de leurs montures. Parmi les nombreux livres célébrant cet anniversaire, celui de Gérard et Julien Holtz, Basile Davoine et surtout Denis Bernard, grand connaisseur de la course, tient évidemment lieu d’ouvrage de référence.


Les 24 h du Mans c’est un peu Game of Thrones sur la route, chaque famille tentant de supplanter ses rivales pour maîtriser tels les Targaryen, le dragon du Mans. Tout au long de son histoire, les spectateurs assistèrent, de père en fils, aux règnes des Ford, des Ferrari, des Porsche, des Audi, des Alpine, des Toyota avant de contempler leurs disgrâces face à de nouveaux prétendants passés maîtres dans les coups d’état mécaniques et autres pronunciamentos nocturnes. Leurs batailles épiques constellèrent cette grande histoire comme ce duel de titans en 1970 qui vit onze Ferrari et vingt-et-une Porsche se livrer un combat incertain qui ne laissa que seize voitures sur le champ de bataille. Du départ en courant que vint abolir un Jacky Ickx, « Monsieur Le Mans », au kit de survie du spectateur en passant par les grands constructeurs, l’évolution des casques, du volant ou la gestion du sommeil, le livre n’omet rien de ces grands duels homériques.

Leurs montures, animaux fantastiques, changèrent d’aspect, au fil de ce siècle riche en mutations comme le montrent Denis Bernard et Christian Papazoglakis dans leur dernière bande-dessinée baptisée 100 ans d’innovations. « Il a le râle terrifiant du monstre sorti d’un mythe que les hommes n’ont pas encore inventé » écrivit le troisième compère des aventures dessinées des 24h, Youssef Daoudi, à propos de la Porsche 917, ce dragon rugissant frappé d’une collerette orange du logo Gulf et qui trône sur ce bestiaire de feu et de métal, entre une Cadillac 1950 surnommée « le monstre », une double torpille Nardi Bisiluro ou la Nissan Deltawing LM12 pareille à un vautour noir. Ces différentes innovations et prototypes traduisent en réalité l’audace d’inventeurs et d’ingénieurs qui allèrent avec le V8, les freins à disque, le moteur central arrière ou le diesel, révolutionner l’industrie automobile. 

Leurs généraux se nommèrent Barnato, Shelby, Ickx, Rodriguez, Gendebien, Hermann, Pescarolo, Pirro, Capello, Buemi ou Vanina Ickx, 7e en 2011 et qui fut certainement la femme la plus performante sur le circuit. Certains triomphèrent, d’autres furent vaincus. Car les 24h du Mans sont à la fois Austerlitz et Waterloo, parfois dans la même journée, parfois dans la même heure. De nombreux pilotes et champions de F1 participèrent aux 24h du Mans, peu en vainqueurs comme Fernando Alonso avec Toyota qui reste avec Graham Hill, l’un des deux seuls champions du monde de F1 à avoir remporté l’épreuve reine des WEC, et beaucoup mordant la poussière, la cendre et l’asphalte. Car les 24h du Mans choisissent avec parcimonie leurs champions. Ils doivent frôler la mort, sentir le souffle du dragon pour entrer dans la légende. 

Reste l’atmosphère, cette sensation unique d’un circuit qui excite tous les sens, ceux qui pilotes qui vont au bout de leurs limites ou ne parviennent jamais à quitter la course même lorsque celle-ci est terminée. Ceux des spectateurs ensorcelés par cette nuit qui tombe lentement en ce mois de juin sur le circuit, transformant ce dernier avec ses stands éclairés ou ces phares qui fendent l’obscurité en une « avenue de lumières » selon les mots de l’écrivain Gérard de Cortanze, auteur d’un magnifique ouvrage sur la course. Des phares pareils aux yeux de ce dragon versatile et capricieux.

Crash 1955

Avec ses détails et ses anecdotes, le livre de Gérard et Julien Holtz, Basile Davoine et Denis Bernard devrait ravir aussi bien les néophytes que les passionnés d’une course qui représente bien plus qu’une simple compétition, et permettre à tous de dompter le dragon. Le temps d’un instant en tout cas.

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Gérard Holtz, Julien Holtz, Basile Davoine, Denis Bernard, 24h du Mans, 1923-2023, 100 ans de Légendes, Gründ, 336 p.

Denis Bernard, Christian Papazoglakis, 24 heures du Mans – 100 d’innovations, coll. Plein gaz, Glénat, 56 p. 

Gérard de Cortanze, La légende des 24h du Mans, Albin Michel, 298 p.

Le hors-série du magazine Auto-heroes consacré aux 24h du Mans, 24 histoires qui ont écrit la légende, 2021.

Image haut de page © KLEMANTASKI COLLECTION/GETTY IMAGES

Rêves d’asphalte

Très tôt, les 24h du Mans ont excité l’imaginaire des artistes. Jusqu’à les faire monter à bord

Forgées par les épreuves tant symboliques que réelles, par les victoires et les drames, par des héros maudits ou acclamés, les 24h du Mans, la plus célèbre des courses d’endurance du monde, a très vite attiré acteurs, auteurs, scénaristes, musiciens et autres artistes.


Le Mans 66

Si les 24h du Mans sont presque aussi vieilles que le cinéma, celui-ci n’a pas attendu longtemps avant de s’intéresser à la mythique course. Ainsi dès 1935, un premier film baptisé 300 à l’heure voit le jour avant que les 24h du Mans viennent, à intervalles réguliers, faire rugir ses moteurs dans les salles obscures. Deux films marquèrent plus particulièrement cette histoire d’amour. En 1971, Le Mans réalisé par Lee H. Katzin vit un Steve McQueen affublé de sa célèbre combinaison frappée du logo Gulf qui allait faire de l’acteur américain la figure cinématographique de la course, incarner un pilote sur le retour après un grave accident – la scène est restée mythique – et luttant avec sa Porsche 917 contre la Ferrari 512 S de son rival allemand. 

Si le film se solda par un échec commercial et rejoignit la longue liste des films maudits d’Hollywood, un autre long-métrage, sorti quelques trente-huit ans plus tard, connut plus de succès. Le Mans 66 de James Mangold raconte ainsi la course de cette année 1966 qui sacra les Ford GT40 de la team Shelby-American Inc avec notamment Bruce McLaren et Ken Miles. Des stars telles que Matt Damon en Caroll Shelby, le père des Ford GT40 et Christian Bale (Ken Miles) sont les héros de cette grande aventure américaine aux 24h du Mans qui vit Ford briser l’hégémonie de Ferrari. 

Si le cinéma a glorifié la course, celle-ci a également attiré à elle un certain nombre d’acteurs, et pas seulement dans les tribunes, un verre de champagne à la main mais plutôt dans les voitures à zigzaguer entre les flaques d’huile et les accidents. De Steve McQueen à Michael Fassbender, oscar du meilleur acteur pour 12 years a slave présent cette année pour la deuxième fois à bord d’une 911 (Proton Compétition) à Patrick Dempsey, le célèbre docteur Shepherd de la série Grey’s Aanatomy qui participa à la course à quatre reprises, entre 2009 et 2015, sur Porsche et Ferrari, et Paul Newman, deuxième en 1979 sur une Porsche 935, nombreux sont les acteurs a avoir voulu s’imprégner de l’adrénaline du Mans autrement que derrière une caméra. Pour autant si le cinéma a fait des incursions dans la course, celle-ci s’est également invitée, avec ses voitures, dans les productions hollywoodiennes comme par exemple avec une Pontiac LeMans dans French Connection et surtout avec l’Aston Martin DB5 de James Bond.

D’autres artistes et notamment des musiciens ont eux aussi voulu descendre des podiums des concerts qui accompagnent cette fête du sport automobile pour entrer sur la piste. Ainsi, Nick Mason, le célèbre batteur de Pink Floyd courut cinq fois les 24h du Mans au début des années 1980 tout comme David Hallyday qui participa plusieurs fois à l’épreuve. D’autres préférèrent s’inspirer de la course pour la chanter. Ainsi Bidon d’Alain Souchon (1976) et plus récemment le chanteur italien Frederico Rossi dans sa chanson intitulée Le Mans évoquèrent la course.

Le 9e art, celui de la bande-dessinée, n’a pas été le dernier à célébrer les 24h du Mans, bien au contraire. Et en premier lieu Jean Graton qui a fait de la course, l’un des théâtres des aventures d’un Michel Vaillant également adapté au cinéma. Du premier album Le Grand Défi en 1959 à La Dernière cible sorti ces jours-ci, le circuit du Mans est indissociable, presque consubstantiel de l’univers de Michel Vaillant et revient régulièrement dans de nombreux albums. « Cela est dû au fait qu’il s’agit de la première course que Jean Graton a vu avec ses parents. De là est né sa passion pour ce sport. Et quand il a commencé la BD, son héros est devenu un pilote conduisant au Mans. Pour Jean Graton, Le Mans est la course fondatrice de Michel Vaillant » affirme ainsi Denis Lapière, scénariste de la nouvelle série Michel Vaillant qui dédicacera La dernière cible sur le circuit où une Vaillante prendra une nouvelle fois le départ comme en 2017. Les divers héritiers artistiques de Jean Graton n’ont eu qu’à suivre la route tracée par ce dernier. Parmi les plus talentueux, il faut bien évidemment citer le trio Denis Bernard, Youssef Daoudi et Christian Papazoglakis, auteur de la série « 24h du Mans » chez Glénat qui revient sur les grandes courses mythiques du Mans et particulièrement celles entre 1968 et 1971. Dans leurs pages revivent ainsi les duels de la Ford GT40 de Jacky Ickx contre la Porsche 908 d’Hermann et Larousse ou de la Porsche 917 « Kurzheck » de Jo Siffert – qui joua son propre rôle dans le film de Katzin – face aux onze Ferrari lors de la fameuse édition de 1970 où seules 9 voitures furent classées. Le pilote suisse est quant à lui le héros d’une autre bande-dessinée très réussie signée Michel Janvier et Olivier Marin. Dans leurs oeuvres, avec leurs dessins pleins de tension et de vitesse, les auteurs parviennent à restituer à merveille cette ambiance à nulle autre pareille, ce combat de gladiateurs modernes qui continue, cent ans après la première édition, à donner naissance à des étoiles qu’elles soient de celluloïds ou de papier. 

Par Laurent Pfaadt

A lire :

Parmi tous les albums de Michel Vaillant, la rédaction vous conseille notamment Le Grand Défi (1959), Le 13 est au départ (1962) et Le Fantôme des 24 heures (1970). Sans oublier le dernier album, La dernière cible de Lapière, Bourgne et Benéteau.

Parmi la série 24 heures du Mans des éditions Glénat, la rédaction a choisi notamment les fameuses courses de 1968-1969 et 1970-1971 signées Robert Paquet, Youssef Daoudi et Christian Papazoglakis dans la collection Plein gaz.

Michel Janvier, Olivier Marin, Jo Siffert, coll. Calandre, édition Paquet, 64 p.

A voir :

Le Mans (1971) de Lee H. Katzin avec Steve McQueen

Le Mans 66 (2019) de James Mangold avec Matt Damon et Christian Bale

Danser sur des débris

Troisième livre paru en français après son monumental Fabrique des salauds et Baiser ou faire des films, Danser sur des débris est en réalité le premier de roman de l’écrivain allemand Chris Kraus. Il narre à la première personne l’histoire de Jesko, un jeune styliste ayant depuis longtemps rompu avec sa famille conformiste et petite-bourgeoise. Iconoclaste et libéré de ce milieu qu’il abhorre, Jesko brûle la vie par les deux bouts. Car le jeune homme se sait condamné par une leucémie. Et voilà qu’il entrevoit l’un espoir d’une guérison. Seul problème : sa mère, qu’il n’a plus vu depuis une vingtaine d’années, détient la clé de cette guérison.

Chris Kraus pose dans ce premier ouvrage les jalons de ses futurs livres : ceux d’une mémoire éclatée. Celle de Koja Solm, cet ancien nazi à la mémoire sélective dont il faut faire émerger la vérité dans La Fabrique des salauds. Celle d’une famille qui a explosé et dont les membres, comme des plaques tectoniques, s’attirent et se repoussent. La famille nous dit Krauss est un vase dont il faut prendre soin. Pour autant, même s’il se brise en une multitude de morceaux, il est toujours possible de le reconstituer, aussi coupants soient ses tessons. Et quand tout cela est raconté dans une langue douce-amère qui recèle à la fois le drame et la comédie, on finit par applaudir.

Par Laurent Pfaadt

Chris Kraus, Danser sur des débris, traduit de l’allemand par Rose Labourie
Chez Belfond, 217 p.

Saison 23-24 au TNS

Ils se sont mis à deux, deux amoureux du théâtre pour présenter la nouvelle saison. L’un qui part, Stanislas Nordey , après y avoir exercé  deux mandats de directeur, l’autre qui arrive  Caroline Guiela Nguyen qui fut élève de cette Ecole et en devient la nouvelle directrice. Sa nomination s’étant longuement fait attendre la programmation a dû s’organiser selon les modalités suivantes ; première partie de saison prise en charge par Stanislas, seconde par Caroline.


Pour l’un comme pour l’autre il s’agira de conduire les spectateurs à toujours plus de découvertes, de réflexions et de plaisir.

Pour ce qui concerne les choix de Stanislas Nordey, cela débutera avec « La tendresse »   une mise en scène de Julie Berés qui a conçu, à partir d’enquêtes et avec quelques complices, une pièce très drôle qui interroge la masculinité aujourd’hui.

Ensuite pour « Oui », un court roman de Thomas Bernhard, on retrouvera Célie Pauthe à la mise en scène et Claude Duparfait au jeu.

Avec « Radiolive-La relève » on plonge dans le documentaire à partir de multiples rencontres de personnes de différentes générations venues de différents pays pour témoigner de leur vécu. C’est une œuvre réalisée par Aurélie Charon, productrice à France Culture et Amélie Bonnin, directrice artistique et réalisatrice, accompagnée en live d’une musicienne.

« Le voyage dans l’Est » est une mise en scène de Stanislas Nordey, sa dernière ici, du récit de Christine Angot qui évoque dans une langue travaillée avec précision l’inceste dont elle a été victime de la part de son père.

« Il Tartuffo » nous emmène en Italie à la rencontre du Teatro di Napoli-Teatro Nazionale pour une mise en scène  du texte de Molière traduit en italien par Carlo Repetti et mis en scène par Jean Bellorini avec « une troupe magique qui a  le sens de la comédie ,du spectacle et de la fête » nous annonce Stanislas Nordey qui ,dans un seul en scène, intitulé « Evangile de la nature » s’inspire  du « De rerum natura »  du philosophe-poète Lucrèce (97-55 av. JC), traduit par Marie Ndiaye avec la collaboration d’Alain Gluckstein et mis en scène par Christophe Perton,  un hymne à  la nature sans dieux ni maître, une invitation à aller vers les lumières de la connaissance, une manière  bien pertinente de dire aurevoir à Strasbourg.

Le mois de Janvier voit démarrer la programmation de Carolin Guiela Nguyen, avec 13 spectacles issus d’écriture contemporaines dont deux seront signés de sa main, en particulier, en mars « SAÏGON » une reprise de sa mise en scène vue ici en 2018 qui évoque dans le décor d’un restaurant vietnamien situé à Saigon en1956 et à Paris en 1996 les problème des populations forcées à l’exil en raison  de leur choix politique. Puis, en mai ce sera « Lacrima » sa première création à Strasbourg qui montre le travail exceptionnel auquel doivent se livrer les ouvrières et les ouvriers de la haute couture réalisant dans l’ombre de vrais chefs-d’œuvre.

Mais  d’autre part on  pourra voir « Le lench » d’Eva Doumbia lauréate  du Prix des Lycéens Bernard-Marie Koltès 2022 qui suit ici le parcours d’une famille malienne en province et les difficultés auxquelles sont confrontés  leurs enfants.

Dans « La chanson (reboot) » on va rencontrer dans un texte écrit et mis en scène par Tiphaine Raffier qui critique  les villes nouvelles aux architectures  faussement anciennes ,trois belles actrices  qui s’entraînent à imiter le groupe ABBA jusqu’au départ de l’une d’elle. Ainsi se dessine les contours d’une autre forme « La langue de mon père » nous introduit dans la problématique de ce que la connaissance ou l’apprentissage des langues éveillent en nous. C’est une histoire liée à celle de Sultan Ulutas Alopé,une jeune autrice et metteuse en scène  d’origine turque et kurde.

« Sans tambour » nous offre un spectacle qui tisse théâtre et musique. Ecrit et mis en scène par Samuel Achache il part de Lieder de Schumann pour nous parler d’un couple en crise.

« Great Apes of the West Coast » présente la performance de Princess Isatu Hassan Bangura, une performeuse qui , en croisant le théâtre, la danse, pose le problème de l’identité  puisque  née en Sierra Leone elle  s’est  ensuite formée en Europe .

Quête d’identité dans « Fajar  ou l’odyssée de l’homme qui rêvait d’être poète » d’Adama Diop qui a passé 20 ans au Sénégal et 20 ans en France et a conçu ce spectacle qu’il joue en compagnie de musiciens.

Avec les détenus de la Maison centrale d’Arles, Joel Pommerat a  monté « Amours (2) » à  partir de fragments de ses propres textes .

« Cosmos » Ce spectacle qui met en scène trois actrices et deux circassiennes posent le problème de la  possibilité pour les femmes d’aller dans l’espace et interroge leur passion pour ce métier d’astrophysicienne.

« Vielleicht »Titre qui signifie « Peut-être » en allemand met en cause les appellations de rue dans un quartier de Berlin où il serait question de remplacer les noms des colonisateurs par ceux de la résistance africaine, le quartier étant justement appelé « Quartier africain »

Fin mai nous aurons rendez-vous avec la metteure en scène d’origine turque Hatice Ozer , qui a conçu deux spectacles, le premier intitulé « Le chant du père » est justement sa rencontre sur scène  avec son père Yavuz Ozer qui, accompagné de son luth oriental, chante et témoigne de l’exil.

Elle signe également le dernier spectacle de la saison avec « Koudour », sa dernière création dans laquelle elle joue, entourée de musiciens, la maitresse de cérémonie au cours d’un mariage traditionnel turc dont nous serons, en quelque sorte les invités pour ce moment de fête.

Ainsi se dessinent les contours d’une autre forme de théâtre engagé dont Caroline Guiela  Nguyen précisera la ligne directrice à la rentrée de septembre.

La présentation au public en présence des artistes a lieu le 17 juin à L’Espace Grüber à 19 H sur réservation.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope