La langue de mon père

La jeune Sultan Ulutas Alopé d’ascendance kurde par son père et turque par sa mère a mis en scène et interprété ce texte qu’elle a écrit et qu’elle interprète pour nous sur la scène du TNS, dans la petite salle du studio Vincent qui crée une proximité avec le public bienvenue pour cette prestation.


©Jean-Louis Fernandez

En toute simplicité, avec naturel, elle s’avance vers nous pour nous conter son histoire et déjà nous informer que malgré ses démarches elle a dû attendre longtemps son permis de séjour ce qui  l’a empêché  de trouver un emploi mais l’a rendue disponible pour se pencher sur son propre parcours, en faire l’objet d’une réflexion, puis d’une écriture.

Une voix off nous apprend qu’elle est en France depuis cinq ans et que la langue française qu’elle a apprise est pour elle comme un gilet de sauvetage. Tant il est vrai explique-t-elle en reprenant la parole devant nous que le problème de la langue est crucial en Turquie où le kurde est interdit ce que très jeune elle a compris, son père s’interdisait de le parler et elle suppliait sa mère de ne pas dire qu’ils étaient kurdes, quitte, paradoxalement, à le lui rappeler à haute voix dans les magasins.

Une évocation dite sans pathos à laquelle se mêlent parfois le chant ou la danse parfois le cri, la colère, tous ces registres nécessaires pour exprimer, faire resurgir ce qu’on a été, ce qu’on est, ce sur quoi on s’interroge « qui suis-je vraiment ? » et comme le disent ceux qui un jour interviennent dans ta vie « D’où viens-tu ? » ce qui veut dire « qui es-tu ? ». Alors se pose cette question récurrente de ton identité.

Et l’on en vient à l’histoire des parents, la mère, turque, le père, kurde, entre eux le désir d’être ensemble, en amour mais le refus des parents de la mère, « un kurde, impossible ! » d’où s’ensuit l’enlèvement pour l’avenir d’un couple qui fera trois filles dont l’une est là sur le plateau à témoigner de cette honte d’être kurde, du secret à garder de cette origine, de cette impossibilité à vraiment la taire. De ce père il est aussi question de son comportement, de ces disparitions soudaines, de ces longues absences qui, lors de ses retours inopinés, font que l’enfant a du mal  à renouer sa relation avec cet homme qui lui paraît étranger et qui pourtant  lui avait dit  un jour qu’elle était comme sa grand-mère. Ce père qui, finalement, abandonnera complètement son foyer laissant sa femme seule avec les trois enfants. C’est alors que notre narratrice se rappelle les paroles de sa mère : « désormais c’est toi l’homme de la maison » elle avait huit ans !

C’est à Paris, mariée à un Français qu’elle réalise cette histoire complexe et décide d’apprendre la langue du père, cette langue kurde qu’ici on peut apprendre librement.

Un témoignage bouleversant donné dans un cadre très sobre avec comme seul accessoire et partenaire une simple chaise sur laquelle repose une veste d’homme représentation de ce père  à qui elle finit par dire « je te pardonne ».

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation du 23 janvier
En salle jusqu’au 2 février