Balance de granit

L’ancien procureur près la cour de cassation, François Molins livre ses mémoires dans un livre profond et sensible

Il personnifia l’État quand celui-ci vacilla. Il fut le rempart de notre démocratie contre ceux, fanatiques ou opportunistes, qui voulurent l’affaiblir. Un homme qui a consacré sa vie à deux causes parmi les plus nobles qui soient : la justice et la nation.


Voilà qu’aujourd’hui, l’homme avec toute la discrétion qui le caractérise et qui façonne ceux qui, dans l’ombre, marquent leur temps, se livre et livre aux citoyens de ce pays, ses mémoires, ses souvenirs et d’une certaine manière, sa manière forcément subtile, ses leçons. Il fut des moments où l’homme se trouva bouleversé comme lorsqu’il pénétra dans le Bataclan ravagé, brisé, ensanglanté. Un homme qui ressentit plus de plaisir à apprendre qu’une promotion de l’ENM l’avait choisi, lui, à l’aube de sa retraite, comme parrain plutôt qu’à œuvrer dans un cabinet ministériel. En se retournant sur ces quarante-six années passées à la justice, l’homme a le sentiment du devoir accompli face à une justice qui ne s’est pas laissée domptée mais qu’il a aimé, profondément.

François Molins est ainsi. Il y a quelque chose de fascinant chez lui, d’attachant. Un être d’une grande résolution lorsqu’il s’agit de défendre justice et état de droit comme il explique à juste titre dans ses mémoires, s’abritant derrière ces mots – Au nom du peuple français – qui sonnent comme l’épitaphe d’une statue maniant le glaive et le bouclier. Un homme qui fut l’acteur imperturbable de notre histoire récente avec ses combats, ses scandales, ses victimes, ses deuils, du tribunal de Bobigny à l’affaire Cahuzac, du stade Furiani à Bastia à l’attentat de Charlie Hebdo. Un granit républicain.

Et un être timide, hésitant. Comme une pierre qui, sous l’effet de l’eau de la vie, s’altère, inexorablement, entraînant fissures apparentes et souterraines. Des fissures notamment personnelles, François Molins en connut et le magistrat revient avec pudeur sur les sacrifices professionnels qu’il imposa à sa famille. C’est profondément touchant et cela l’humanise un peu plus. Et puis la politique, le plus puissant des agents corrosifs. L’homme refusa toujours de faire de la politique. Il fut directeur de cabinet mais ne franchit jamais le Rubicon du pouvoir. Trop peur de devoir se renier, de ne pas pouvoir revenir en arrière. Trop peur de ressembler à l’actuel titulaire de la place Vendôme, à cet ancien avocat devenu procureur de circonstance, et à qui il réserve sa plaidoirie littéraire la plus acerbe, à qui il oppose un bouclier de papier pour défendre sa justice. Pourtant il aurait fait un bon politique, un de ceux qu’on admire, une espèce en voie de disparation. Voilà pour l’érosion.

Le livre refermé, assurément passionnant, un seul mot nous vient à l’esprit comme l’aveu d’un peuple face à l’un de ses plus ardents serviteurs : merci.

Par Laurent Pfaadt

François Molins, Au nom du peuple français, Mémoires,
Aux éditions Flammarion, 368 p.