Chapitre1-La Mariée et Bonne nuit Cendrillon
Vu il y a quelques jours au Maillon ce spectacle nous obsède mais paradoxalement nous empêcherait presque d’en parler.
La brésilienne Carolina Bianchi a conçu, écrit, mis en scène avec le collectif Cara de Cavalo, un travail en deux parties qui porte sur un sujet gravissime, les violences faites aux femmes, à savoir, les viols, les meurtres.
Impliquée, elle-même dans la conduite de la pièce, c’est elle qui ouvre le jeu, en tenue blanche, elle prend place derrière une petite table face au public pour entamer la lecture d’un dossier qui récapitule nombre de ces sombres affaires qui ont défrayé la chronique depuis de longues années à propos des exactions subies par des femmes.
Quelques vers de Dante, extraits de l’Inferno, puis des citations du Décaméron de Boccace font partie des références mises en exergue dans cette première partie ainsi que des projections de tableaux de Botticelli intitulés « La chasse infernale » inspirés du Décaméron représentant un cavalier poursuivant et menaçant de son épée une jeune femme. C’est l’histoire d’un jeune homme Nastagio repoussé par la dame de ses pensées qui assiste à cette poursuite et à l’assassinat de la jeune femme et à son dépeçage, scènes d’une violence extrême destinées à convaincre les femmes qu’elles doivent se soumettre, sinon elles risquent la mort.
Carolina se lance aussi dans le récit de l’épopée de deux artistes italiennes, Pippa Bacca et Sylvia Moro décidées à aller de Rome à Jérusalem, habillées en mariées, par le moyen de l’auto-stop en acceptant toutes les propositions qui s’offriraient à elles et ce pour démontrer que le monde est bon. Mais parce que le conducteur lui semble suspect, Sylvia refuse une voiture, les deux femmes se séparent, Pippa continue seule et sera violée et assassinée en Turquie.
Pendant qu’elle mène son récit Carolina boit à petites gorgées le contenu d’un verre dans lequel, elle nous a prévenu qu’elle a introduit « la boa noite cinderela » (bonne nuit cendrillon), la drogue des violeurs et que bientôt elle risque de s’endormir et devra passer le relais du spectacle à ses partenaires. Cela arrive effectivement, elle s’endort sur sa table.
C’est alors un changement de plateau que mettent en place des comédiens affairés à ouvrir le rideau, installer une immense bâche noire sur le sol y déposer des matelas sur lesquels des tas de sable prennent l’allure de formes humaines. Le nouveau spectacle peut démarrer. Carolina endormie est déposée avec précaution sur un matelas auprès des autres « cadavres ».
Il s’agit de donner une représentation visuelle des propos entendus précédemment et pour ce faire le groupe se lance dans une danse violente, effrénée, brutale, sensuelle. Il n’y a pas de répit à cette mise en évidence des horreurs commises à l’encontre des femmes. Les comédiens osent les attouchements. C’est cru, réaliste, parfois à la limite du supportable. Heureusement la bande-son permet de s’évade ainsi que la lecture des textes sur l’écran qui allège le poids de ce réalisme sordide peut-être parfois trop appuyé et long aussi sur un thème tellement lourd. Bien que les comédiens (Alita, Larissa Ballarotti, José Arthur Campos, Joana Ferraz, Fernanda Libman, Chico Lima, Rafael Limongelli, Marina Matheusent ) très talentueux et pleins d’allant s’investissent à fond, on aimerait plus de respiration et moins de complaisance dans ces scènes qui ne ménagent pas notre sensibilité, à l’instar de la dernière lorsque Carolin, sortie de son endormissement, allongée sur le capot de la voiture qui occupait le fond de la scène depuis le début de cette deuxième partie, se prête, sous le regard de tous, à un examen gynécologique reproduit sur l’écran.
Un spectacle qui a provoqué en nous trouble et malaise bien que le sujet soit d’une brûlante actualité au vu des nouvelles entendues chaque jour sur les vols et les féminicides. Ici tout est dit et montré sans ménagement et l’on en sort « sonné » comme après un cauchemar qui, malheureusement, entretient un rapport évident à la réalité.
Un sérieux coup porté au patriarcat.
Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope
Représentation du 1er février au Maillon