César avant César

Laurent Gohary signe une passionnante biographie de l’une des figures clés de la République romaine

Son nom restera éternellement associé à celui d’Hannibal, le grand conquérant carthaginois qu’il vainquit. Et pourtant, l’histoire, dans sa grande et célèbre injustice a choisi, une fois n’est pas coutume, de ne retenir que son perdant.


Dans ce portrait fascinant alliant érudition et rythme qui réinstalle Scipion l’Africain à la juste place qui doit être la sienne dans l’histoire de la République romaine, le lecteur découvre un stratège militaire hors pair qui modernisa l’armée romaine pour faire face à la plus grande puissance de son temps, Carthage, mais également un homme cultivé, passionné d’histoire grecque qui se rêva en successeur du grand Alexandre.

Il eut face à lui un Sénat hostile emmené notamment par Fabius Cunctator, l’ancien dictateur qui sauva Rome après le désastre du lac Trasimène et un Caton l’Ancien qui accusa Scipion de débauche pour son goût de l’hellénisme. Jouant le peuple contre les élites auxquelles il appartenait pourtant, Scipion lui imposa une guerre qu’il porta en Afrique en défiant Hannibal à la célèbre bataille de Zama en 202 avant J-C. Puisant dans les sources et notamment Tite-Live, Polybe et Appien, Laurent Gohary embarque ainsi son lecteur dans ces batailles romaines devenues légendaires (Cannes, Magnésie, Trasimène, Métaure) jusqu’à Zama où « se joua le sort de toute la Méditerranée et, sans doute, de la civilisation romaine elle-même » écrit-il. Un choc des titans à revivre à travers un récit enlevé, appuyé sur une carte et ces mots de Polybe : « il arrive aussi que, comme le dit le proverbe, un grand homme en rencontre un autre qui soit plus grand que lui »

Devenu l’homme fort de la République, tissant ses réseaux grâce à sa gens, mais trop intègre et soucieux de sa place dans l’histoire, Scipion ne franchit jamais le Rubicon. La République n’était pas encore ce fruit mûr prêt à tomber. Jalousé, devenu trop puissant, Scipion finit comme ces illustres grecs qu’il aimait tant : ostracisé. Un siècle et demi plus tard, un autre général victorieux saura retenir la leçon. Une leçon littéraire contée de la plus belle des manières.

Par Laurent Pfaadt

Laurent Gohary, Scipion l’Africain
Realia/Les Belles Lettres, 416 p.

A lire également :

Christophe Chandezon, Catherine Grandjean, Gerbert-Sylvestre Bouyssou, La Grèce hellénistique et romaine, d’Alexandre à Hadrien (336 avant notre ère – 138 de notre ère),
coll. Mondes anciens, Belin, 816 p.