Charles VII reconquiert le royaume des arts

Le Musée de Cluny rend hommage aux arts français sous le roi Charles VII

Coincés entre les primitifs flamands et une peinture italienne d’un Fra Angelico prête à basculer du Moyen-Age à la Renaissance, les arts sous Charles VII peinèrent à exister à l’image de son royaume  divisé luttant contre un Etat bourguignon allié à une Angleterre revendiquant le trône de France durant la fameuse guerre de Cent ans. Organisée avec la collaboration exceptionnelle de la Bibliothèque Nationale de France et plusieurs fondations, l’exposition du musée de Cluny pose tout d’abord le décor politique et artistique de l’époque. Car, si l’histoire de France, notamment sous la plume du grand Michelet, a retenu Charles VII comme le souverain qui dut sa couronne à la Pucelle d’Orléans, elle n’a pas fait grand cas de son goût pour les arts et notamment pour les livres. Pourtant, le sacre du roi à Reims, le 17 juillet 1429, puis le traité de paix d’Arras (21 septembre 1435) sorti pour l’occasion des archives nationales vinrent stabiliser le royaume de France et permirent également, comme le rappelle Mathieu Deldicque, directeur du musée Condé et commissaire de l’exposition, « de s’adonner davantage à la commande publique ».


Panneau gauche du triptyque de Dreux-Budé (Vers 1450)
Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle

Il faut reconnaître que l’époque était à la célébration de génies. L’Ars Nova propagé par les Bourguignons et emmené par Jan Van Eyck, Roger von der Weyden et Barthélémy d’Eyck dont le fabuleux Triptyque de l’Annonciation de l’église de la Madeleine d’Aix-en-Provence magnifiquement décrypté et qui vaut à lui seul le détour, venait de révolutionner la peinture rompant avec l’art gothique tandis que de l’autre côté des Alpes, Fra Angelico jetait les bases d’une Renaissance qui allait tout emporter.

Détail du Triptyque de l’Annonciation, Barthélémy d’Eyck, église de la Madeleine Aix-en-Provence

La France de Charles VII  élabora alors une synthèse de ces différents courants artistiques et définit une voie picturale propre déclinée nationalement et régionalement, et qui trouva dans la figure de Jean Fouquet son plus éminent représentant. Et si l’exposition présente le fameux Portrait de Charles VII du Louvre, elle s’attarde également sur son travail moins connu d’enlumineur en particulier celui opéré dans Les Grandes Chroniques de France.

Jean Fouquet fut ainsi la Jeanne d’Arc artistique du roi et occupa dans le paysage artistique, selon les commissaires de l’exposition dans le magnifique catalogue qui accompagne l’exposition, « une place singulière » en tant que « portraitiste virtuose maîtrisant la perspective sous toutes ses formes et incluant dans son répertoire des motifs directement empruntés à l’Italie ». Jean Fouquet jeta ainsi les bases du style français. Sa figure est omniprésente dans l’exposition même si on regrettera l’absence du Diptyque de Melun que le catalogue convoque malgré tout. Le visiteur se contentera de l’observer à travers la radiographie du Portrait de Charles VII qui laisse ainsi apparaître que Fouquet commença à peindre une vierge identique à celle du Diptyque de Melun avant de changer d’avis. Il pourra en revanche s’émerveiller devant le Triptyque de Dreux Budé d’André d’Ypres reconstitué pour la première fois et qui constitue le point d’orgue de cette exposition.

Convoquant des trésors de parchemins tirés de la BNF, véritables pièces maîtresses de l’exposition, celle-ci montre avec ces bréviaires, chroniques et autres livres d’heures comme les Grandes Heures de Rohan ou le Bréviaire de Bedford d’Haincelin de Haguenau, l’incroyable finesse de l’enluminure à la française, art majeur de l’époque, avec la puissance expressive de ses pastels et ses rouges et bleus tonitruants qui concoururent avec ces monumentales tapisseries ainsi que le très beau dais royal à la mise en valeur de la représentation de la personne royale. Un reconquête artistique qui en appelait une autre. 

Par Laurent Pfaadt

Les arts en France sous Charles VII (1422-1461)
jusqu’au 16 juin 2024
Musée de Cluny, Paris 5
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A lire le catalogue de l’exposition : Les arts en France sous Charles VII, 1422-1461, RMN, 320 p.

A lire également :

Christian Heck, Le retable de l’annonciation d’Aix, récit, prophétie et accomplissement dans l’art de la fin du Moyen Age, Faton, 208 p.

Jean-Christophe Rufin, le grand Coeur, Folio, 592 p.