Des armes d’instruction massive

Daraya © LCC Daraya/Facebook

Quand quelques
hommes
maintiennent en vie
l’humanité.
L’incroyable
aventure de la
bibliothèque de
Daraya.

Le 15 octobre 2015 à Istanbul, la journaliste du Figaro Delphine
Minoui, prix Albert Londres 2006 pour ses reportages en Irak et en
Iran tombe sur des images d’une bibliothèque dévastée en Syrie.
Dans le quartier de Daraya, banlieue rebelle de Damas que le
régime s’évertue par les bombes-barils et la famine à réduire au
silence, des étudiants opposent une autre résistance : celle des
mots. Derrière son ordinateur, la journaliste entre alors en contact
avec ces hommes qui tentent, au péril de leurs vies, de maintenir un
semblant d’humanité à travers…les livres.

L’ouvrage raconte cette formidable épopée depuis ce jour où Ahmad
Moudjahed, étudiant en génie civil, découvre dans les ruines d’une
maison bombardée, une immense bibliothèque. Ahmad le confesse
volontiers, « il n’a jamais été un grand lecteur. Pour lui les livres ont le
goût du mensonge et de la propagande ».
Mais il se rend vite compte
que ces livres représentent bien plus que de simples feuilles de
papier imprimés. C’est la vie, l’âme d’une Syrie méprisée, écrasée,
quasi-anéantie qui gît ici. En somme l’humanité tout entière. En
compagnie de quelques compagnons, d’ Uztez, « le Professeur »,
vétéran de la révolution de la révolution de 2003, d’Omar l’Ibn
Khaldoun de la bibliothèque, ce combattant de l’Armée syrienne
devenu professeur de science politique, de Shadi, le photographe de
la bande, ces hommes vont non seulement s’employer à sauvegarder
ce patrimoine de la destruction mais également de le transmettre
aux habitants de Daraya, venus dans cette bibliothèque comme
dans une catacombe. Maisons, bureaux, mosquées sont inspectées
et leurs livres, répertoriés et sauvegardés, viennent rejoindre ce
sanctuaire.

La prose concise, tranchante de Delphine Minoui qui n’hésite pas à
renvoyer les échos des bombardements de Daraya vers Istanbul ou
Paris transforme cette aventure en épopée. Ses mots nous
emmènent dans les rues détruites de cette banlieue affamée et
gazée jusque dans cette bibliothèque où les livres de
développement personnel côtoient Paulo Coelho, J.M. Coetzee,
Antoine de St Exupéry ou Mahmoud Darwich.

En lisant les pages magnifiques de Delphine Minoui, on a
l’impression d’un sentiment de déjà-vu, d’avoir déjà entendu ces
mots. Et pour cause ils ont l’écho de ceux de ces hommes et de ces
femmes qui, de Sarajevo à Tombouctou en passant par Mossoul ont
décidé depuis ces forteresses de papier de sauver l’humanité d’elle-
même parfois au détriment de leurs propres vies.

La leçon de courage que nous offrent Ahmad, Uztez, Shadi, Hussam
et Omar montre qu’il subsistera toujours des hommes pour faire
briller une lumière d’espoir au milieu des ténèbres. « Si nous lisons
c’est avant tout pour rester humain »
dit l’un des héros du livre. Qu’ils
en soient remerciés car, grâce à eux, les enfants de tous ces pays en
guerre pourront continuer à écouter les contes que quelqu’un, dans
une bibliothèque, leur racontera en dépit des bombes de toutes
sortes qui tentent de les réduire au silence.

Laurent Pfaadt

Delphine Minoui,
Les passeurs de livres de Daraya, Une bibliothèque secrète en Syrie,
160 p. Seuil, 2017.