Interview d’Anouar Brahem

« La signification de la musique va au-delà de la simple signification des mots »

Brahem © Marco Borggreve

Le tunisien Anouar
Brahem est
certainement l’un
des plus grands
interprètes du oud
au monde. Album
après album,
composition après
composition, il trace
une œuvre singulière qu’il fait varier au gré de ses rencontres musicales. Son nouvel
album, Blue Maqams constitue une nouvelle incursion dans l’univers
du jazz. De passage à Paris, nous l’avons rencontré.

D’où vient ce titre, Blue Maqams ?

J’ai pensé à plein de choses différentes. Maqams sont les modes, les
schèmes musicaux. C’est juste un titre qui n’explique pas la musique
de l’album. Blue renvoie à la couleur bleue, apaisante, couleur de
l’infini, du ciel et de la mer. Ce disque m’a semblé plus apaisé que le
précédent. En donnant un titre à l’album ou à mes morceaux, je
cherche à donner à l’auditeur une clef pour ouvrir sa propre
imagination car chacun perçoit la musique selon sa propre
sensibilité. Ce qui me parait important c’est de permettre à
l’auditeur de fabriquer grâce à la musique ses propres images. Mon
intention n’est pas d’expliquer, de conditionner.

Mais même inconsciemment, vous orientez tout de même
l’auditeur même s’il est libre de fabriquer son imaginaire

Oui vous avez raison. Quand on donne un titre, il renvoie à une
signification. Mais moi, j’aime l’idée qu’il ne renvoie pas à quelque
chose de figé. Quand je donne le titre Persepolis’s Mirage, je suis
certain que la quasi-totalité de ceux qui écoutent n’ont jamais été là-
bas. Dans Persépolis, il y a certes l’image de la cité antique mais il y a
aussi la sonorité particulière du mot. Et le mirage peut être réel ou
irréel. Ce qui est intéressant pour moi c’est que les titres ouvrent
plus de questions que de réponses.

Parlez-moi de votre travail de composition

Au départ, je laisse les idées venir d’elles-mêmes. Il ne s’agit que
d’idées musicales qui viennent de bribes d’improvisation, de petites
ou de longues esquisses. Mais je n’y colle pas d’images prédéfinies.
Sur cet album, il y a trois pièces qui viennent d’une improvisation.
Puis de celle-ci je tire quelque chose sur laquelle je travaille, qui se
construit, que j’élabore, que je développe, qui prend une structure.
Donc les choix que je fais sont d’abord musicaux, artistiques,
esthétiques. Je sais où je ne veux pas aller mais je ne sais pas où je
vais. Après, la pièce acquiert sa propre autonomie et dicte le choix
des interprètes. Puis, elle ne prend sa forme définitive que
lorsqu’elle est interprétée.

Vous percevez-vous comme un poète musical ?

Quand je travaille, j’ai tendance à rechercher une forme de
dépouillement, à tendre vers un univers qui se rapproche de
l’univers poétique. Et dans la création, la musique est un espace de
liberté pour moi. Cependant, ce serait prétentieux de ma part de
dire que je propose mes musiques comme des poèmes. L’idée
musicale est avant tout abstraite et j’ai le sentiment qu’il ne faut pas
en faire trop. Cela donne le sentiment d’une fragilité dans laquelle
réside le mystère et que je dois préserver. La signification de la
musique va au-delà de la simple signification des mots. C’est tout
l’intérêt de la musique.

Laurent Pfaadt

Anouar Brahem,
Blue Maqams, ECM, 2017