Entre chien et loup

Spectacle créé au Festival d’Avignon en 2021 par Christiane Jatahy.

Entre théâtre et cinéma comme sait si bien le faire la metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy, les comédiens engagés dans ce spectacle nous l’ont joué avec l’authenticité, la proximité du « vrai ». Alors, bien vite on s’est senti dans le coup même si au début on redoutait l’artifice ou le conventionnel.


Un plateau encombré d’objets, tables, chaises, étagères remplies de livres, d’objets divers et variés, et au milieu des gens qui se parlent. Il s’agit d’une troupe de théâtre en train de réfléchir à élaborer une pièce à partir du film « Dogville » du réalisateur danois Lars von Trier parue en 2003 et qui évoque le problème de l’accueil et de l’acceptation de l’autre.

Ça démarre, par la prise de parole d’un certain Tom (Matthieu Sampeur), qui semble être responsable du groupe et qui se présente avant d’appeler chacun à en faire autant  et à préciser le pourquoi de leur rencontre : améliorer l’humain par l’art, un ambitieux projet !

Et justement, il informe la compagnie qui doit entrer en répétition qu’il vient de rencontrer une jeune femme qui a dû fuir son pays et cherche refuge, pourquoi pas auprès d’eux ? En tout cas c’est la proposition de Tom car cela va dans le sens de leurs idées humanitaires « pour ne pas aller vers l’échec de l’humanité ». Gracia (Julia Bernat) sort des rangs des spectateurs et se rend sur le plateau. L’histoire peut commencer, certains, caméras en main filment son approche, les discussions que son arrivée suscite entre eux. Des visages apparaissent sur l’écran placé en fond de scène. Va-t-on, échapper au scénario du film qui montrait comment une jeune fille d’abord accueillie à bras ouverts se retrouvait bientôt asservie et maltraitée ?

Que va-t -il en être de leur hospitalité ? Ils discutent de l’opportunité de l’employer à différentes tâches, puis décident de voter. En retrait, elle attend, fébrile, le verdict qui se révèle positif et déclenche une vraie fête.  On organise une sorte de banquet en rapprochant toutes les tables, y apportant des plats et des boissons à partager. L’aveugle (excellent Philippe Duclos) qui est aussi le sage, le penseur du groupe y va de son petit discours. La musique est de la partie, le piano s’emballe.

Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Gracia s’amourache de quelques figurines dont elle propose de prendre soin. Elle en reçoit même une en cadeau. On filme alors des visages heureux.

C’était trop beau pour durer. Alors que Gracia s ’évertue à rendre service aux uns et aux autres, le bruit court qu’elle aurait trempée dans des affaires louches. Le doute s’insinue, peu à peu on la met à l’écart. On casse les statuettes qu’elle aimait tant. Sur l’écran on suit cette mise en doute et le souci qui s’imprime sur son visage. Tom résiste à cette mise en place d’un rejet qui semble tous les gagner, du coup, one soupçonne de favoritisme à l’égard de l’inconnue.

La situation empire quand le père de l’enfant qu’on lui a demandé de garder se jette sur elle et la viole sans le moindre scrupule. Classiquement on lui reproche d’avoir aguiché son agresseur.

Traitée en esclave au service de tous elle explique à Tom qu’elle veut partir mais celui-ci à son tour, au prétexte de lui témoigner son affection la contraint à l’embrasser et à accepter ses fougueuses étreintes qui l’obligent à se débattre pour le repousser.

Mais avant ce départ inévitable qui démontre que le changement espéré n’a pu avoir lieu, Gracia s’avance vers le public pour dire dans sa langue, le brésilien comment le fascisme qui a dominé au Brésil tout particulièrement avec Bolsonaro induit  l’intolérance et la haine de l’autre.

Un épilogue en guise d’avertissement pour dire: que le fascisme peut se réveiller dans n’importe quel pays et faire  basculer les meilleures intentions en haine du prochain.

Telle est la cruelle leçon que nous assène Chistiane Jatahy , un avertissement  d’autant plus pertinent qu’il se confronte à une brûlante actualité et qu’il est ici exprimé  d’une façon originale et percutante  avec cet habile tissage  du jeu des comédiens  sur le plateau et des captations projetées sur l’écran.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation au Maillon du 5 mai 2023