Espions de papier

La littérature fourmille d’espions qui ont, souvent, été portés à l’écran. Tous les services de renseignements, tous les régimes ont été servis. Petit tour d’horizon…secret bien évidemment.


Lorsqu’on évoque les espions sortis des pages des livres pour devenir des mythes du cinéma hollywoodien, un nom vient immédiatement à l’esprit : James Bond. Les aventures de l’agent de sa Majesté ont largement dépassé le cadre que lui avait assigné son créateur, Ian Fleming, pour non seulement survivre à ce dernier mais également vivre sa propre existence avec d’autres écrivains tels que Jeffery Deaver, Sebastian Faulks et William Boyd.

John Le Carré

L’œuvre de John Le Carré (1931-2020), espion devenu maître espion littéraire, reste à ce jour, une référence, peut-être même LA référence pour tous les amoureux de la littérature d’espionnage. Les cinéphiles se souviennent encore des nombreuses adaptations de ses romans. Citons entre autres L’espion qui venait du froid (1965) avec Richard Burton, La Maison Russie (1990) avec Sean Connery et Michèle Pfeiffer ou La Taupe (2011) avec Gary Oldman et Colin Firth. Telle une galaxie centrée autour de sa trilogie, l’œuvre de Le Carré, disparu il y a près de deux ans, traduit sur un demi-siècle, l’évolution de l’espionnage, de la guerre froide à un monde multipolaire. Mais surtout il relate, dans ses nombreux romans, les désillusions et les difficultés des espions à trouver leur place dans un monde qu’ils ne comprennent plus et les dépasse. La dernière pierre de son immense édifice, L’espion qui aimait les livres (Seuil), ne fait pas exception. A travers le personnage de Julian Lawndsley, un ancien trader devenu libraire, John Le Carré offre à ses lecteurs une sorte de testament de son œuvre.

Si James Bond s’incarna dans quelques acteurs de renom comme Sean Connery ou Daniel Craig, il fut un autre espion qui n’eut pas à rougir du traitement que lui réserva Hollywood : Condor. Cet agent de la CIA propulsé malgré lui dans le grand jeu naquit dans l’imaginaire de l’écrivain James Grady avant de prendre les traits de Robert Redford. Dans Roulette russe, l’écrivain américain revient sur la genèse de Condor lorsque, passant devant une maison d’où personne n’entrait ni de sortait, le jeune journaliste sans le sou qu’il était se posa les questions suivantes : « Et si c’était une planque de la CIA ? Et si, en revenant travailler après le déjeuner, je trouvais tout le monde mort au bureau ? » De ces questions naquit un mythe littéraire, Condor, résumé dans trois romans et dans Roulette Russe qui nous montre, comme Le Carré, un Condor vieillissant qui doit s’adapter au monde post 11 septembre.

Le KGB, lui, ne fut pas en reste même s’il mit du temps à révéler tous ses secrets y compris et surtout littéraires. S’il peine encore à trouver un écho à la hauteur de son talent, Julian Semenov (1931-1993) devrait aisément sortir son héros Maxim Maksimovich Isaev alias Max von Stierlitz, espion à la solde de Staline en pleine seconde guerre mondiale, de l’ombre littéraire que le rideau de fer a porté sur lui. Son roman Ordre de survivre se situe quant à lui en mai-avril 1945. Stierlitz vient d’être démasqué par Müller, le chef de la Gestapo qui souhaite l’utiliser pour sauver sa peau. Après La Taupe, Semenov emmène une nouvelle fois son lecteur dans un Troisième Reich à l’agonie. Les petits bijoux de Semenov devraient sans aucun doute faire de nombreux transfuges.

Et la France dans tout cela ? Il lui manque assurément son grand espion littéraire. Il y a bien eu le personnage d’OSS 117 crée par Jean Bruce mais celui-ci n’était qu’un agent américain d’origine française. Après l’énorme succès éditorial que rencontra la saga – près de 265 romans – OSS 117 fut incarné au cinéma par Jean Dujardin dans un registre proche de la comédie et de la dérision. La faute à une littérature française qui a toujours considéré les romans d’espionnage comme de peu de valeur, des « romans de gare » mâtinés d’érotisme et symbolisés par la pléthorique production d’un Gérard de Villiers et de son SAS Malko Linge, agent de la CIA.

Ne s’assoit donc pas qui veut à la table du grand jeu littéraire…

Par Laurent Pfaadt

A lire : 

John Le Carré, L’Espion qui aimait les livres, Seuil, 240 p. Tous les romans de John Le Carré sont disponibles au Seuil et en poche chez Points.

James Grady, Roulette russe, Rivages, 180 p. qui s’intègre dans une série composée des Trois jours du Condor, Les Six jours du Condor, Derniers jours du Condor (Rivages).

Julia Semenov, Ordre de survivre, Editions du Canoë, 640 p. La taupe, Des diamants pour le prolétariat et Opération Barbarossa sont également disponibles chez Canöe et 10/18.