Il Tartufo

Certes Il y a de la gêne car lire les traductions (de Carlo Repetti) et suivre l’action n’est pas toujours simple ni confortable mais le plaisir a dominé, car le jeu est si vivant, si emporté qu’il nous séduit. Cette mise en scène de Jean Bellorini qui signe également la scénographie avec Francesco Esposito et la lumière pour le teatro di Napoli nous plonge littéralement dans « le théâtre », autant dans Molière que dans l’Italie et nous dirions, surtout l’Italie car ça démarre à l’italienne. Sous le regard d’un Christ  vivant accroché  dans la lumière sur une immense croix de bois, posé contre le mur, surgit dans un fauteuil roulant, Madame Pernelle (Betti Pedrazzi), véritable imge de la « Nonna » qui se lance illico dans une verte semonce adressée à toute la maisonnée qui refuse, selon elle, de reconnaitre les immenses qualités de monsieur Tartuffe, (Federico Vanni) leur hôte accueilli, admiré et chéri par son fils  Orgon, (Gigio  Alberti) prêt à lui donner sa fille Marianne (Francesca De  Nicolais)  en mariage au grand  dam de celle-ci et de la servante Dorine (Angela  De Matteo) qui crie au scandale.


© Ivan Nocera

Tout cela se déroule au vu et au su de tous car la scénographie fait astucieusement évoluer les personnages dans un espace ouvert où se côtoient un salon avec chaises et canapé et une cuisine où les servantes s’emploient à préparer les repas servis sur la grande table qui jouxte les deux espaces, très souvent utilisée comme lieu de rencontre, d’affrontement et enfin cachette pour amener la  révélation  de  la véritable personnalité de Tartuffe.

Cette œuvre qui fait partie des classiques régulièrement étudiés pendant notre scolarité, voilà qu’elle nous est offerte dans cette version italienne et nous paraît revigorée, dynamisée par un jeu d’acteurs plein de vivacité où fusent les répliques soulignées par une gestuelle qui ne ménage pas ses effets avec trépignements, sursauts, embrassades  pas de danse esquissés pour dire le contentement, ronds de jambe, minauderies lors des  entreprises de séduction de Tartuffe. Le tout accompagné de chansons, de musique et même de coups de tonnerre. Les comédiens italiens sont  amoureux du jeu et  cette pièce leur donne tout loisir de l’exprimer puisqu’elle  leur propose  des scènes dans lesquelles les personnages sont eux-mêmes en train de jouer, on pense à la scène de dépit amoureux entre Valère et Marianne, à la scène de provocation entre Dorine et Marianne, à propos de son éventuel consentement au mariage avec Tartuffe et surtout à la scène où Elmire (Teresa Saponangelo) se laisse aller aux avances de Tartuffe pour montrer à son mari caché sous la table, le vrai visage de son protégé.

Les personnages affirment ainsi leur caractère, Madame Pernelle dans l’indignation, Orgon dans l’autorité, Elmire dans la dignité et l’audace, Dorine dans la révolte, Marianne, dans le désespoir, Valère (Jules Garreau) dans la provocation, Cléante (Ruggero Dondi ) dans le bon sens, Damis (Giampiero Schiano) dans la colère. Ainsi nous paraissent-ils proches et familiers d’autant que les costumes de Macha Makeieff en font des gens ordinaires, les hommes en costume, les femmes en robe, jupe ou tabliers avec ce petit clin d’œil à la couleur, Tartuffe est tout en noir tandis que Cléante le frère d’Orgon, l’homme du bon sens est tout en rouge .

Ce côté familier est également mis en valeur par la proximité qu’ils instaurent avec le public devant lequel, attrapant deux chaises qu’ils placent au bord du plateau ils viennent régulièrement s’installer pour parler de leurs problèmes, nous prenant quasiment à témoins des préoccupations causées par l’attitude d’Orgon et de Tartuffe.

S’Il y a une démarche pour aller vers la dénonciation de l’hypocrisie, de l’imposture et de la bigoterie incarnées par le personnage de Tartuffe, il ne faut pas omettre de souligner combien la pièce se veut aussi une revendication de la liberté, de l’émancipation des jeunes et des femmes vis-à-vis d’un patriarcat encore très installé dans ce XVIIème siècle et qui est quelque peu mis à mal quand Tartuffe est démasqué grâce à la finesse d’Elmire et que cela permet à Orgon de retrouver sa lucidité et de reconnaitre les sentiments de sa fille pour son amoureux.

Molière a fait de cette pièce un hommage au jeu et les acteurs italiens nous en ont transmis le bonheur.

Marie-Françoise Grislin pour Hebdoscope

Représentation  du 12 décembre, TNS