La baguette et le marteau

Ressov © Lev Ressov
Ressov © Lev Ressov

L’intégrale de référence des
symphonies de Dimitri
Chostakovitch

C’est le coffret à posséder pour
tous ceux qui aiment le
compositeur soviétique,
l’angoisse de ses rythmes, la
frénésie de ses crescendos. A
l’occasion du 110e anniversaire
de sa naissance, l’historique
label soviétique puis russe
Melodiya, qui a fêté, voilà deux
ans, son demi-siècle d’existence
a regroupé les quinze
symphonies du compositeur dans un somptueux coffret. Mais, à la
différence des autres coffrets parus jusqu’à présent, ce dernier
regroupe des enregistrements soviétiques par les orchestres et
les chefs qui ont créé ces symphonies et ont côtoyé le maître,
produisant ainsi une alchimie immédiatement perceptible à
l’écoute.

On est tout de suite surpris par la quasi-absence d’Evgueni
Mravinski, le légendaire chef de l’orchestre philharmonique de
Leningrad qui a créé les 5e, 6e, 8e, 9e,10e et 12e symphonies. Cette
compilation place en revanche Kirill Kondrachine en tête des
grands interprètes du maître puisqu’il a créé les 4e et 13e
symphonies à la tête de l’orchestre philharmonique de Moscou.
Certaines interprétations sont tirées de son intégrale historique
chez Melodyia. On ne peut passer à côté de ces monuments, de
ces panthéons musicaux tant l’approche ainsi délivrée nous
permet presque d’entrer dans l’esprit de Chostakovitch.

Au contact de ce dernier, Mravinski comme Kondrachine ont su
saisir ce tranchant, cette âpreté propre aux symphonies. Si
Mravinski exacerbe la violence de Chostakovitch, notamment
dans ce premier mouvement de la 8e où il fait monter la tension
jusqu’à la rupture, presque jusqu’à l’insupportable avant que les
percussions ne sonnent un tocsin destructeur, Kondrachine
délivre quant à lui un son implacable créant dans chaque
symphonie un monstre échappant à son créateur. Il faut écouter
cette 4e d’anthologie datée de 1966 avec ses cordes chauffées à
blanc. La musique se mue ici en une sorte de Leviathan, marchant
sur un monde et sur ce régime qui a contraint le compositeur à
cacher cette symphonie pendant 25 ans. Dans son interprétation
officielle de la 13e datée de 1967, la musique délivrée par
Kondrachine pousse ses cris de terreur et de mort qui sont moins
ceux d’un orchestre que ceux d’un peuple confronté à
l’oppression, à la guerre et à l’imminence de son anéantissement.

A travers ces deux immenses chefs, on se rend compte que les
symphonies de Chostakovitch sont des volcans, tantôt
faussement endormis, tantôt explosifs. Si Kondrachine est cette
lave incandescente qui consume tout sur passage, les
interprétations de Mravinski sont faîtes de monolithes
basaltiques qui écrasent tout de leur monumentalité.

Comme dans ce premier mouvement de la 7e symphonie, les
symphonies se succèdent dans un crescendo de beautés. La 14e
symphonie par le Moscow Chamber Orchestra d’un Rudolf
Barshaï contraint quelques années plus tard à l’exil, témoigne d’un
souffle unique chargé d’émotions. Le coffret contient d’ailleurs
l’une des toutes premières versions de l’œuvre en novembre 1969
dans la grande salle du conservatoire de Moscou avec la soprano
Galina Vishnevskaya et la basse Mark Réchétine.

Il restait à conclure avec la 15e et dernière symphonie sous la
baguette du fils du compositeur, Maxim Chostakovitch à la tête de
l’orchestre symphonique de la radio de Moscou dans une version
inédite qui restitue à merveille la complexité sonore de cette
ultime symphonie, témoignage ultime d’une œuvre qui marqua à
jamais l’histoire de la musique.

Shostakovich: All Symphonies,
Melodiya, 2016

Laurent Pfaadt