Dans un état musical second

Jonathan Nott, Dirigent / 14.12.2008 / Koelner Philharmonie
Jonathan Nott, Dirigent,   Koelner Philharmonie

Mahler et Strauss au programme du TCE

Cela devait être un concert d’adieu. Après huit saisons passées à la tête de l’orchestre national de France, Daniele Gatti devait achever cette tournée d’adieux en offrant à « son » public parisien un fabuleux concert en compagnie de l’un des plus grands orchestres du monde, le Wiener Philharmoniker, et de l’un des meilleurs ténors, l’Allemand Jonas Kaufmann. Mais un vilain accident le contraignit à devoir céder sa place à Jonathan Nott, le tout nouveau chef de l’Orchestre de la Suisse Romande.

En ouverture de cette soirée, l’orchestre délivra un Coriolan plein de feu où la prégnance des cordes conféra à l’interprétation un air de tempête qui brisa la baguette du chef.

Puis, la soirée se poursuivit avec le poème symphonique Mort et transfiguration de Richard Strauss, composé en 1889. Sous la conduite de ce brillant chef qui nous avait déjà impressionné par le passé, le Wiener Philharmoniker déploya son incroyable puissance symphonique pour délivrer ces grandes pages musicales ponctuées d’envolées lyriques dont il est capable. Mais cet orchestre considéré comme un monstre sonore prouva qu’il est également capable de moments d’une rare intimité emprunte du souffle métaphysique de l’œuvre de Strauss. Cette alchimie donna ainsi vie à des sentiments presque humains tels que l’espoir ou la détresse notamment lors de la reprise du motif par les bois. Evidemment, Jonathan Nott y fut pour beaucoup en travaillant les tempii, tantôt en les étirant, tantôt en jouant habilement sur le couple cuivres/percussions. Tout cela contribua à la construction d’une atmosphère évanescente qui prépara le public à la deuxième partie de la soirée.

Le chef d’orchestre britannique, considéré comme l’une des plus
brillantes baguettes de sa génération, se sentit immédiatement à
l’aise dans ce Mahler qu’il maîtrise comme personne et qu’il a
magnifiquement gravé au disque avec l’orchestre symphonique de
Bamberg. Véritable horloger, Nott exploita à merveille toutes les
couleurs de l’orchestre pour les restituer dans l’interprétation
pleine de contrastes de cette magnifique symphonie chantée
qu’est le Chant de la terre.

Bien entendu, rien n’aurait été possible sans la voix de Jonas
Kaufmann au timbre si touchant. Exprimant la beauté de la nature
et en même temps la fragilité de l’homme, il fut secondé par des
bois (flûte notamment) de très haute volée, condition sina qua non
pour réussir dans Mahler. Ici, la finitude de toute chose ainsi que
l’immanence de la vie trouvèrent une résonance musicale conclue
par ce magnifique Abschied (adieu) d’un lyrisme de toute beauté.

Avec ce Chant de la terre, Nott et Kaufmann offrirent au public
parisien une très belle interprétation qui prouve que Mahler,
placé entre de bonnes mains, peut se révéler tout à fait abordable
pour un public peu sensibilisé à cette musique. Mais surtout, il
montre qu’il n’est pas donné à tout le monde de pénétrer le cœur
sombre et lumineux de Gustave Mahler, ce qui fut pourtant fait ce
soir-là.

Laurent Pfaadt