La guerre d’indépendance américaine

Ce fut certainement l’un des conflits qui eut le plus d’influence sur notre histoire, sur notre monde. Une guerre irréversible qui fit ce que nous sommes aujourd’hui. Pourquoi ? C’est tout l’enjeu du livre passionnant des historiens Pascal Cyr et Sophie Muffat qui ont délaissé, le temps de cet ouvrage, l’Europe napoléonienne pour remonter quelques trente années plus tôt. 


1775. Les colonies britanniques sur le sol nord-américain vivent sous le joug d’un pouvoir lointain, celui d’une Grande-Bretagne qui vient de remporter sur la France la guerre de Sept Ans. Maîtresse des mers, il lui faut cependant renflouer ses caisses et actionne le traditionnel levier fiscal, notamment en Amérique du Nord. Mais comme le montre les auteurs dans leur essai qui brille par sa volonté de déconstruire certains mythes fondateurs, la question fiscale et le fameux épisode du Tea Party de Boston, ne furent qu’un prétexte pour remettre en question un système colonial dans sa globalité. Remise en question qui se trouva percutée par une époque marquée par l’émergence des Lumières d’un Benjamin Franklin, l’un des pères de l’indépendance américaine.

La guerre, devenue inévitable, se propage alors tel un feu de paille et les quelques 500 pages du livre, centrées majoritairement autour du fait militaire, passent intelligemment des champs de batailles – l’insertion de cartes est particulièrement pertinente – de l’invasion du Canada à la capitulation de Yorktown en 1781 au tournant de la guerre à Saratoga en octobre 1777, aux innovations en matière d’armement notamment grâce à la France et au système Gribeauval dans l’artillerie et aux répercussions si importantes de la guerre sur les opinions publiques, notamment en Angleterre où les auteurs montrent parfaitement la nasse dans laquelle s’est enfermée le Premier ministre d’alors, lord North.

Mettant à mal quelques clichés de la traditionnelle mythologique américaine, Pascal Cyr et Sophie Muffat montrent que la victoire américaine ne fut pas la longue marche d’une nation en armes mais plutôt la succession de hasards heureux, de défaites qui ne furent pas définitives et de constructions anarchiques qui finalement, avec un peu de chance, concoururent à apporter le succès aux Insurgents. Le chapitre sur la naissance de l’armée américaine est ainsi particulièrement intéressant. Formée de bric et de broc et dotée de commandants médiocres, les deux auteurs n’hésitent pas à qualifier le père des Etats-Unis, George Washington de « piètre tacticien ». De la question de la langue – tous les Américains ne parlaient pas l’anglais – à la naissance de la cavalerie américaine par Kazimierz Pulaski, un noble polonais en fuite car accusé de régicide, la victoire fut en grande partie le fruit d’outsiders.

Pour autant, et cela n’est pas faire preuve d’un chauvinisme exacerbé, la victoire américaine se joua grâce à l’entrée dans le conflit de la France d’un Louis XVI, roi marin et de son ministre Vergennes qui virent immédiatement tout l’intérêt qu’ils pouvaient retirer de cette guerre qui allait affaiblir l’ennemi héréditaire.  Ce soutien symbolisé par Beaumarchais et Lafayette constitue l’un des piliers du livre et donne à la fois une dimension géopolitique européenne au conflit mais surtout revient, au regard des évènements récents, sur les racines notre relation transatlantique. 

A ce titre, ce livre offre enfin et surtout une lecture passionnante d’un conflit qui contient en lui les germes des maux futurs des Etats-Unis. La glorification de l’outsider qui se déclinera dans sa dimension économique. Mais également un esclavage et un sexisme assumés, deux séismes dont les répliques se font toujours sentir dans une Amérique qui a fait de sa guerre d’indépendance et de la violence qu’elle a généré, la matrice d’une civilisation qu’elle continue toujours de diffuser au monde entier. 

Par Laurent Pfaadt

Pascal Cyr, Sophie Muffat, La guerre d’indépendance américaine,
Passés composés, 512 p.