Le soldat désaccordé

Jusqu’aux dernières pages, on essaie de trouver le sens du titre. Le soldat désaccordé. Disloqué peut-être tant celui-ci parcourt les champs de bataille de la Première guerre mondiale à la poursuite d’un poilu dénommé Emile Joplain.


Le narrateur, engagé par la mère de ce dernier, en est devenu un spécialiste dans cette France qui a perdu des millions de soldats et a laissé inconsolables nombre de veuves et de mères. Ecumant registres, asiles et fosses communes, il en a retrouvé plus d’un.

Notre Blaise Cendrars d’un jour – il a comme lui perdu une main au champ d’honneur – accepte cette affaire sans savoir qu’elle va l’obséder pendant une quinzaine d’années. Car Joplain « Il parle comme un poète, il est beau comme un prince ». Le lecteur est ainsi très vite embarqué dans l’aventure. Plongeant avec bonheur sa plume dans l’encre de boue et de sang d’un Sébastien Japrisot, l’écriture de Gilles Marchand enivre. On veut savoir. 

La narration s’étoffe alors de deux éléments qui vont densifier le récit : l’amour et le fantastique. Et en alliant les deux dans la même personne, Gilles Marchand réussit coup double. Car oui, il y a une femme dans cette histoire. Mais en est-on bien certain ? Qui est Lucie l’Alsacienne, amoureuse d’Emile, rejetée par la mère de ce dernier et partie à la recherche de son grand amour qui laisse sur les champs de bataille, de Verdun à Vimy, des poèmes comme le Petit Poucet des cailloux ? Ou est-elle cette Fille de La Lune, cette hallucination collective traversant les no man’s land, apportant le repos aux soldats agonisants et que le grand Henri Barbusse décrivit dans son Feu ? Cet amour, ce feu que le héros poursuit et dont il a lui-même été privé pendant quatre ans finit par entremêler les deux histoires – celle du narrateur et celle de Joplain – jusqu’au dénouement final. « C’est pour ça que, quelques années plus tard, je me suis tant investi dans l’histoire d’Emile et Lucie. Parce que c’était un amour incroyable, magnifique, entier, sans concession, et que chaque histoire que je croisais contribuait à redonner vie à la mienne » dit -il.

Avec ses personnages tantôt truculents notamment ce Raymond Davisse qui s’obstine à tout compter tantôt si attachants, et la manière que l’auteur a de raconter cette quête presque impossible qu’il fond dans la grande histoire – quel plaisir de voir enfin l’histoire des lieutenants Millant et Herduin du 347e RI entrer dans la littérature – Gilles Marchand signe un magnifique roman à ranger assurément sur les étagères dédiées à la Grande Guerre, entre Sébastien Japrisot et Pierre Lemaître. Et pourquoi alors désaccordé ? Car dans cette marche funèbre littéraire, rien ne se passe comme prévu. Réponse donc dans les dernières pages.

Par Laurent Pfaadt

Gilles Marchand, Le soldat désaccordé
Aux forges de Vulcain, 206 p.
Prix des libraires 2023, Le Livre de Poche